Bam. Flanqué à la porte. Elle m’a jeté, ça y est, enfin. La gifle en moins, évidemment, ça aurait été parfait mais bon. On peut pas trop en demander non plus.
Je me retrouve sur le Boulevard Saint Germain. Merde, un dimanche soir, à minuit, il n’y a rien à faire dans le secteur. Rien d’ouvert, même le Macdo a rangé ses tables. Je grille une clope. Ca, c’est toujours le geste un peu stylé, typique du mec qui se retrouve en solo dans la rue, et qui a besoin de se donner une contenance. Bouffée de fumée âcre dans la bouche. Mmh, ça fait du bien, même si ça fait du mal, dans le fond. Un peu comme les mauvaises histoires d’amour.
Punaise, ce que je viens de dire est d’un cliché profond. Direction le Boul’ Mich’, j’aurai les idées un peu plus claires. Ou pas. En fait, peu importe. Je rabats le col de mon manteau sur mes joues. Dans le genre brun ténébreux, qui rase les murs une cigarette à la bouche, c’est pas mal. J’ai du style, je suis à Paris, il fait nuit, il ne pleut même pas. Je suis célibataire, la vie est belle.
Bon. Peut-être que mes pompes sont un peu lourdes. Pleine de l’eau des larmes de celle qui m’a rendu la liberté. Faut dire que je n’y suis pas allé de main morte… Coucher avec sa meilleure amie, il fallait le faire. En même temps… en même temps. Je ne suis pas le seul fautif dans l’affaire. C’est presque elle qui l’a réclamé. Que dis-je : c’est presque elles qui l’ont réclamé. Fallait pas me lancer le couplet du : faut que tu plaises absolument à ma super copine sinon je te largue. Faut que tu la consoles parce qu’elle vient de se faire jeter. Faut que tu la rassures ; elle a besoin d’un mec avec un avis objectif pour lui faire comprendre qu’elle n’est pas une pauvre loque. Ok, ok, je veux bien jouer les bons samaritains, mais franchement, quelles sont les limites ? Il faut bien que j’y gagne quelque chose, je sais pas. A force de me coller sa pote dans mes basques, moi, j’ai pas pu m’empêcher d’être trop sympa. Et puis sa pote, hein, elle n’avait qu’à pas aussi me demander plus qu’il n’aurait fallu que je donne. Tant pis. Tout le monde est fautif.
Me voilà sur les quais. Ah, bon dieu, ça fait du bien d’être là. Les lumières, le fleuve, la lune qui crachote son reflet sur l’eau, c’est beau, c’est bon. Quand même, on aura beau dire, Paris ça pue, les gens sont stressés, les gens sont cons, désagréables, chiants, c’est immense, on s’y perd, on a plus de repères et puis… Et puis c’est superbe, bordel ! Paris la nuit, que dire de plus ; même pas besoin d’être un grand auteur pour constater que ça a de la gueule, cette putain de ville, noyée dans l’obscurité, éclairée par des milliers de lumières éparses.
Ma clope est finie. Chiotte. C’était ma dernière. Instant de solitude. Je vais m’asseoir au bord de l’eau. Et puis je me sens très con, là, tout seul, un dimanche soir, sur un quai désert. Tout seul ! Ca va pas durer, ça va pas durer, faut pas que ça dure. Au pire, je sortirai le grand jeu avec celle qui vient de me jeter, ou celle à cause de qui je me suis fait jeter, juste histoire de ne pas péter les plombs. Il y aura bien l’une des deux qui me reprendra, c’est sûr. Elles sont trop faibles, ces filles. Elles non plus elles n’aiment pas se retrouver seules. Mieux vaut un salaud. Au moins, ça les occupe. Parce qu’en fait, la solitude, c’est quoi : de l’ennui profond. On discute avec soi-même et c’est désespérant parce qu’on se rend compte à quel point on est minable. Au moins, avec quelqu’un, on peut prétendre être génial, chouette, sympa, agréable. Mais en solitaire sur un bout de pavés poussiéreux, à regarder les remous de la Seine s’agiter sous ses pieds ça… non. Même plus moyen de penser à autre chose qu’à sa propre connerie.
Je me lève. C’est affreux, cette ambiance. C’est bien beau, mais c’est glauque. En plus, il fait froid. Je resserre mon beau manteau autour de moi. Au loin, Notre-Dame me fait de l’œil. Elle me nargue : elle, elle n’est que de la pierre, et tout le monde la regarde, et tout le monde l’aime ou la déteste, du moins la remarque, elle existe sans qu’elle ait à faire quoi que ce soit. Merde. J’aurai dû être né Cathédrale.