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     Wagner attendait impatiemment l’ouverture de la boutique de l’alchimiste. Quitte à être un peu en retard à son service, il avait décidé de faire expertiser l’épée dès le matin pour pouvoir la revendre le plus vite possible.

     Le fait de se retrouver avec un objet d’une telle valeur entre les mains l’énervait, même le coffret était beaucoup trop luxueux à son goût et il sentait que les regards de tous les passants venaient s’agglutiner contre lui tel d’immondes sangsues.

     Après de longues minutes d’attente, la porte de la boutique s’ouvrit et dévoila une femme, approchant probablement la cinquantaine, au vu des cheveux gris qui parsemaient en de nombreux point l’épaisse chevelure noire qui courait jusqu’à sa taille. A défaut d’être belle, cette femme irradiait comme une aura imposant le respect à tous ceux qui croisaient son regard, plus parlant que tous les discours du monde quant à l’expérience que cette alchimiste devait avoir sur les mystères de l’existence. Face à cette apparition soudaine et quasi surnaturelle, le serveur fut pris d’une angoisse : avait-il bien frappé à la bonne porte ? cette vieille aux allures de sorcière ne lui inspirait aucune confiance et il ne s’agissait pas pour lui de se faire tromper quand à la nature de l’objet qu’il venait faire expertiser :

-vous désirez ? demanda l’alchimiste, jetant un regard intrigué au coffret, dont l’apparence luxueuse contrastait avec celle du jeune homme qui le portait

-heu... ce serait pour faire expertiser un objet que je soupçonne de posséder quelques propriétés magiques, répondit Wagner, qui reprenait son mode de conversation habituelle.

     En guise de réponse, l’alchimiste poussa un soupir de lassitude se retourna et fit signe au serveur de la suivre ; des demandes comme celle-là, elle en avait une bonne dizaine par journée. Tous ces gens qui faisaient leur fond de grenier en espérant découvrir quelques trésors et qui venaient la voir pour le moindre objet brillant... elle regrettait le temps où la magie était inaccessible au commun des mortel, aujourd’hui, le nombre de personnes qui cherchait à devenir apprenti était aussi grand que l’estomac d’un dragon.

     Le jeune homme posa le coffret sur une table basse et expliqua à l’alchimiste comment il l’avait obtenu, elle soupira derechef en voyant ses soupçons confirmés quand à l’intérêt que présentait cette demande.

     Wagner ouvrit le coffret et l’alchimiste eut le souffle coupé pendant un bref instant, l’air était complètement saturé d’ondes magiques et une violente migraine vint lui vriller le système nerveux. Elle voulut dire au jeune homme de refermer le coffret mais elle perdit conscience avant d’avoir pu articuler un seul mot.

     Wagner ne comprit pas tout de suite ce qu’il se passait, il s’agenouilla à coté de l’alchimiste et la secoua légèrement :

-Hé ! ca va !... Ho !... pas de réponses

     Le serveur se releva et passa la main dans ses cheveux bruns, après quelques longues minutes d’intenses réflexions, il décida de partir en laissant l’alchimiste là où elle était, c’était un choix égoïste il est vrai, mais si il prenait plus de retard sur ses horaires de travail il pourrait bien se faire vraiment virer.

     Wagner piqua un sprint jusqu’à la taverne, sentant le poids du coffret peser sur ses maigres biceps. Ne faisant guère attention au chemin qu’il empruntait (il connaissait plutôt bien la ville), le serveur ne vit pas le passant qui se trouvait en face de lui et lui rentra directement dedans, perdit l’équilibre et s’étala de tout son long sur l’allée crasseuse dans laquelle il venait de s’engager. Le serveur se releva avec peine, et au fur et à mesure que son regard remontait le long du corps de la personne qu’il venait de percuter, il se rendait peu à peu compte que ce qu’il venait de faire risquait de lui apporter plus d’ennuis qu’il ne l’aurait cru aux premiers abords.

     L’homme portait à la ceinture deux pistolets qui semblaient parfaitement entretenus et plusieurs ustensiles étranges, usagés et dont l’utilisation pour le profane inculte était complètement incompréhensible. Son visage était couvert de quelques balafres particulièrement enlaidissantes et un chapeau de cuir couvrait son crâne apparemment dégarni : un chasseur de sorcières dans toute sa laideur.

     En fait de chasseur de sorcières, il aurait été plus juste de parler de chasseur de magie, l’un des principaux points communs de ces personnes étant leur haine totale envers l’ésotérisme, qui selon eux, pervertissait le moindre de ses utilisateurs.

     Wagner lança quelques plates excuses et s’apprêta à repartir lorsqu’il fut arrêté par le bras du chasseur. Ce dernier regardait avec appréhension le coffret qui contenait l’épée, et plus précisément le sceau qui l’ornait ; il empoigna l’épaule du serveur avec fermeté (Wagner remarqua au passage que son gant dégageait un mélange putride d’odeur de cuir moisi et de sang séché) et lui demanda d’un ton menaçant d’où venait ce coffret et ce qu’il contenait.

     Le serveur fut pris de sueurs froides, il ne pouvait pas dire la vérité à cet homme, il savait que son grand-père faisait partie de ces personnes qui exercent la magie de façon illégale et considérés comme hérétiques. D’un autre coté il ne voulait pas mentir à ce chasseur de sorcières, le moindre écart de conduite face à ce genre de tueur étant un suicide programmé. Et s’il restait silencieux trop longtemps, il éveillerait les soupçons de ce dernier. Pris de court, il essaya de trouver un compromis entre ces différentes possibilités :

-ça faisait partie d’un héritage, je ne sais pas ce que c’est, je cherche justement quelqu’un qui pourrait me renseigner, expliqua-t-il, plutôt satisfait de ce qu’il venait de dire

-...ouvre le... ordonna le chasseur, visiblement peu convaincu de ce que venait de dire le serveur

     Wagner hésita un court moment et ouvrit le coffret. A peine le chasseur eut posé les yeux sur l’objet qu’il dégaina l’un des pistolets qu’il avait à la ceinture. Au même moment, le serveur empoigna l’épée et trancha la main du chasseur qui tenait l’arme d’un magistral coup de taille. fou de rage et de douleur, le répurgateur dégaina son autre pistolet et reçut cette fois ci un coup d’estoc directement dans la poitrine, le tuant net.

     Wagner mit quelques minutes à se rendre compte de ce qu’il venait de faire ; il n’avait en aucune manière essayé de tuer le chasseur, et chaque fois qu’il avait porté un coup il avait essayé de retenir l’arme. Il ne s’en était pas rendu compte tout de suite, mais autour de lui s’était formé un cercle, les passants s’étaient maintenant arrêtés et contemplaient la scène, certains effrayés et d’autres amusés ; un cri revenant sans cesse sur leurs lèvres :

-la milice ! appelez la garde !

     Le serveur ne savait plus quoi faire :

-pourquoi moi ? il pouvait pas pourrir la vie à quelqu’un d’autre ? pourquoi je suis pas né dans un autre pays, je préférais être dans les terres sombres qu’ici !

     A ces mots, les passants disparurent, ainsi que les bâtiments et furent remplacés par une grande plaine désertique. Wagner avait beau être faible et peu courageux, il n’était pas idiot :

-bon ca vas, j’ai compris, Muspell je veux retourner dans l’empire, mais dans une autre ville que Talabheim

-le sort de téléportation met une semaine à se recharger, attendez une semaine, répondit une voix caverneuse

     Le serveur sursauta, non pas parce que l’épée parlait, ça il s’en était un peu douté, mais surtout parce qu’il réalisait qu’il était coincés dans une région à la concentration goblinoïde un peu trop élevée à son goût, et qu’il n’avait aucune idée de l’endroit où il se trouvait :

-et je n’ai rien à manger...

-vraiment ? voilà qui est fâcheux, avez vous à boire au moins ? demanda l’épée

-...toi la ferme ! à cause de toi je vais probablement mourir ! pourquoi avoir tué cet homme !

-c’était lui ou vous, et mon devoir est de vous protéger, étant donné que vous êtes mon nouveau propriétaire, désigné par l’ancien.

-dans ce cas pourquoi m’avoir amené ici ?

-parce que vous l’avez demandé

-ce n’était pas une demande ! ça ne t’est pas venu à l’esprit que je ne pourrais jamais survivre dans un endroit pareil !

-non, je ne connais pas ce monde, je n’ai pas quitté mon coffret depuis que j’ai été créé

-...et qui t’a créé ? mon grand-père ?

-aucune idée, je sais que mon précédent propriétaire était votre grand-père

-et comment ce fait-il que tu puisse parler ?

-aucune idée, je n’ai aucune connaissance dans ce domaine là

-et qu’est ce que tu as comme connaissances ? quelque chose qui puisse me permettre de survivre par exemple

-je connais le langage commun, une dizaine de techniques de combat au sabre, plusieurs sorts de télékinésie et de contrôle mental, c’est tout

-c’est vraiment tout ?

-oui

     Lion Wagner contempla pendant un moment la plaine stérile qui s’étendait à perte de vue autour de lui. La situation lui paraissait tellement absurde et irréelle qu’il ne pensait même pas à avoir peur, la seule chose qui occupait son cerveau était comment trouver à manger et à boire dans un tel endroit. Il se décida finalement à prendre une direction au hasard et marcher :

-j’espère que tu as de la conversation... dit-il à l’épée.

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