A cet instant précis, la porte de la forge vola en éclats.
Aussitôt, par réflexes, je sortis mon épée de son fourreau et me mis en garde, prêt à affronter vaillamment ce qui pénètrerait dans la pièce… mais mes yeux ne rencontrèrent que le vide.
Je fixais alors successivement Dorian et Rompap qui étaient tout comme moi interloqués par ce qui venait de se produire. La porte avait littéralement explosé, et pourtant, rien, il n’y avait strictement rien à l’entrée de la forge.
- Quelqu’un peut-il m’expliquer ce qui se passe ?
A la question de Dorian il n’y eut aucune réponse. En voyant le corps du barbare s’effondrer, le corps lacéré de part en part, nous comprîmes aussitôt.
- Ramasse le corps de Chtulhu et quitte la forge. Vite, très vite.
Tout en parlant à Rompap, je me jetais en avant. La chose venait de blesser mon ami. Il était donc probable qu’elle se situe toujours dans les parages.
Par chance plus que par technique, je parvins à agripper la créature. Ce que je rencontrais aurait pu me terrifier. Seule ma volonté, tout entière concentrée sur cette tâche, me permit de ne point lâcher ; car elle était froide. Un froid qui vous remue les entrailles, un froid de ténèbres, un froid de mort.
- Vas-y ! CCCours !! Je la retiens tant que je le peux !!!
Rompap ne m’avait pas attendu pour s’exécuter. Lorsque nos deux corps agglutinés heurtèrent le sol, sous l’impulsion de mon saut, il avait déjà quitté le bâtiment.
Il ne restait plus que trois personnes dans la forge. Dorian, à terre, inconscient, qui se vidait peu à peu de son sang. La créature, à l’origine de la chute de mon ami, qui tentait avec force de se dégager de mon emprise. Et moi qui ne cédais pas.
Je ne voulais pas. Je refusais de laisser filer ce monstre qui me frappait comme il pouvait, qui me lacerait les bras à l’aide de ses griffes acérées. Toute ma volonté, toute ma force, tout mon être se limitait à ça : ne pas lâcher. J’en oubliais même le but.
La forge n’existait plus, Dorian n’existait plus, je n’existais plus. Seule restait ma volonté, ma volonté et cette créature qu’elle ne devait pas lâcher.
A l’instant même ou je me sentis faillir, l’obscurité la plus totale me submergea. Mais alors que mon esprit sombrait peu à peu dans les ténèbres, une image ressurgit. Un souvenir oublié depuis longtemps…
J’étais seul. Seul au bord d’un chemin, d’une route qui menait au manoir de ma mère. Il faisait froid, il pleuvait, et les gouttes qui tombaient sur mon visage se mêlaient à mes larmes d’enfant. Je pleurais. J’avais peur, peur de moi, et peur d’être seul, seul au bord du chemin.
Et je ne savais pas pourquoi.
Flash…
Elle m’énerve, cette femme me porte sur les nerfs. Elle n’a pas le droit de me traiter ainsi. Ne suis-je pas le fils d’un seigneur après tout ? N’est-ce pas mon père qui dirige cette contrée ? Elle me parle, elle me dispute, mais ne voit-elle pas que je ne l’écoute plus ?
Et la calèche qui n’avance pas. On m’avait pourtant dit que nous arriverions en moins d’une demi-journée !
Mais elle va se taire oui ou non ? Elle est folle, j’en suis sûr. Cette femme est folle et n’a pas conscience qu’elle s’adresse à un fils de roi. Dans 20 ans, je serais seigneur, et je lui ferais ravaler ses paroles. Vingt ans ? Ce qui signifiait que je devrais la supporter encore vingt années durant ? Je devrais subir ses sarcasmes et ses piques de colère incessantes ? Je n’avais que faire de ce qu’elle m’enseignait. Je voulais être un guerrier, comme mon père, et un guerrier n’a point besoin d’apprendre toutes ces choses. Non je n’avais pas appris ce qu’elle m’avait demandé, non je n’avais pas lu le livre. Non je ne voulais pas travailler !! Mais allait elle finir par le comprendre ? " Je le dirais à votre père !!
Mais dis le lui, dis le lui, fais toi plaisir !!
Elle m’énerve, cette femme me porte sur les nerfs. Elle n’a pas le droit de me traiter ainsi. Ne suis-je pas le fils d’un seigneur après tout ? N’est-ce pas mon père qui…
Flash…
La fumée me pique les yeux, mais je sais que c’est nécessaire. Il ne doit rien rester de ce qui est arrivé. Aucune preuve. Sinon père me disputera et je n’aurai pas ce cheval qu’il m’a promis.
Flash…
Elle m’a giflé. Je crois qu’elle n’a pas réfléchi aux conséquences de son acte. Je la hais, je souhaite qu’elle meure, je le souhaite de tout mon corps, de tout mon être. Je vais lui demander de me présenter des excuses…
Flash…
Les deux corps gisent à mes pieds. Je les toise, je les examine et je souris. Elle ne m’embêtera plus. Bien, je dois exécuter mon plan maintenant.
Flash…
Elle m’a ri au nez. Elle a dépassé les bornes, je ne la supporte plus. Je veux qu’elle meure, je veux qu’elle meure, je veux qu’elle meure, je veux qu’elle meure, je veux qu’elle meure…
Flash…
Je prends mon temps pour disposer les cadavres dans la calèche. Je vais chercher du bois sec, quelques feuilles mortes et je sors le briquet d’amadou de ma poche.
Flash…
L’expression de son visage lorsque mon épée lui transperce le corps me réjouit au plus haut point. Elle crie, puis tombe inanimée sur la banquette de la calèche.
Flash…
Je souris en allumant le feu. J’avais appris à le faire en lisant un livre d’histoire qu’elle m’avait forcé à parcourir. J’imagine que dans l’au-delà elle doit être fière de me voir appliquer ses leçons. Finalement, je suis plutôt un bon élève...
Flash…
Le cocher a mis pied à terre. Il se dirige vers la portière de la calèche. Il nous demande si tout va bien. Je lui rétorque que ma préceptrice souhaite que nous nous arrêtions un peu, le voyage étant harassant. Il ouvre la portière et je lui passe mon épée au travers du corps.
Flash…
Cette histoire hante désormais mon esprit. Je repasse la scène en boucle, je revis un souvenir qui s’était perdu autrefois dans les méandres de ma conscience.
Une partie de moi, une partie depuis longtemps oubliée s’en délecte, alors que l’autre, observateur involontaire, est pétrifiée devant l’horreur qui se déroule sous ses yeux innocents. J’ai tué ces gens. J’en suis conscient désormais alors que j’avais jusqu’alors refusé cet état de fait. On me retrouva seul et endormi au bord de cette route.
Des recherches furent organisées pour mettre la main sur la calèche mais on ne trouva jamais le lieu du massacre. Les gens du pays adoptèrent alors l’idée que des bandits de grands chemins avaient du nous attaquer et remercièrent le père de toute chose pour m’avoir miraculeusement secouru.
Je ne comprenais pas bien les raisons qui avaient poussé ce souvenir à refaire surface lorsque j’ouvris les yeux.
Flash…
Elle m’a ri au nez. Elle a dépassé les bornes, je ne la supporte plus. Je veux qu’elle meure, je veux qu’elle meure, je veux qu’elle meure, je veux qu’elle meure, je veux qu’elle meure…
Flash…
La créature était désormais visible. J’étais toujours collé à elle, les mains refermées sur son cou. Le contact de sa peau m’était toujours désagréable, elle était encore froide, mais le froid était désormais différent.
La créature était morte, je l’avais tué. Les marques de strangulations au niveau de la clavicule ne laissaient planer aucun doute sur les raisons de son décès.
J’examinais plus attentivement la créature.
Elle était de taille moyenne, plutôt large d’épaule. Son corps était entièrement recouvert d’écailles rouges et de longues griffes terminant ses mains lui donnaient une allure relativement démoniaque. Mais le plus étrange restait encore son faciès.
A mi chemin entre le lézard et le molosse il n’était pas des plus agréable au regard. Sa gueule contenait une myriade de dents plus acérées les unes que les autres et une langue fourchue d’une couleur violacée qui pendait négligemment de côté ( ce qui confirmait la thèse de la mort de la créature et n’était pas pour me déplaire ).
Je sortis ma dague et je la plongeais avec violence dans le torse du monstre afin de l’envoyer définitivement rejoindre un monde meilleur ( on est jamais trop prudent ).
Puis je me levais et, d’un pas plus qu’hésitant, je me dirigeais vers l’extérieur.
C’est à cet instant que la douleur décida de faire surface. Son apparition fut brusque, soudaine, et la violence du choc me fit vaciller. Tout mon corps brûlait, tout mon être souffrait le martyre. Je regardai mon torse, et vit alors qu’il était parsemé de plaies suintantes aux couleurs des plus étranges.
De la plus grosse, au niveau de mon abdomen, suintait un liquide jaunâtre purulent qui me rappelait non sans haut le cœur la crème pâtissière qu’on m’avait proposée plus tôt à la taverne.
Mes jambes cédèrent tout à coup et je me retrouvais à genoux devant l’entrée de la forge. Je jetais alors un regard désespéré vers le ciel et, n’y pouvant plus, je m’écroulais.
Je sombrais une nouvelle fois dans l’inconscience, sans avoir remarqué au préalable que le corps de Dorian, lui aussi blessé par la créature, n’était plus dans la forge…