Hum...
Hum hum...
HUM ! HUM !
Enfin, Dorian dont les yeux étaient rivés sur la lame que tenait la main de ce jeune homme à la ceinture insultante depuis 2 minutes, se tourna vers moi afin peut être de découvrir l’origine de ma toux...
- Qu’y a t’il donc ? Sa voix trahissait une pointe d’excitation...
- Oh ! Rien si ce n’est ce pied dans sa maille de fer que vous... hum... posez d’une façon peu délicate sur le mien...
- Pardon...
Mon pied devait revenir d’une couleur bleue vers un rouge plus sain...
Nous étions au milieu de ce tas de paysans et notables pauvres qui n’avaient pas fui le village et entouraient maintenant le jeune homme qui avait trouvé bon de m’interrompre dans ma discussion avec la tenancière plus tôt dans la journée...
Pourquoi un nain n’avait pas décidé de faire comprendre à un jeune garçon que lui couper la parole était un signe avant coureur d’un coup de hache ? Pourquoi quand sa ceinture l’insulte de la plus basse manière qui soit n’avait il pas décidé d’envoyer son propriétaire arroser son arbre de vie ? Voir même pourquoi un jeune homme lui marchant sur le pied dans la foule ne faisait toujours pas parti de la grande confrérie des guerriers unijambistes ayant croisés une hache ?
Bien... Les clients sont déjà assez rares dans cette contrée insipide pour se faire des ennemis dans les seuls guerriers qui y passe...
De plus, ce jeune Dorian semblait intéressé par quelques armes et onguents, maudit soit ce corps à l’entrée de ma forge, la vente me tendait les bras...
Mais, vente faite ou non, les écarts de conduite envers ma personne, si petite soit elle, étaient gravés maintenant en moi et trouveraient un jour réponse à leur écho de manquement à l’ "étiquette" ...
Mais le temps ne s’y prêtait pas pour le moment, je leur ferais ravaler cela en temps utile, et pas au moment ou un cadavre souillait de son sang le pas de ma porte, et ou un deuxième semblait de plus en plus enclin à le rejoindre.
Je me fis tout de même un dernier signe à Dorian en lui demandant d’approcher de ma bouche son oreille ( ce qui semblait plus simple que le contraire ). Le guerrier se baissa docilement vers moi, apparemment, m’avoir écrasé le pied semblait l’avoir un peu troublé...
- On verra la vente tout à l’heure... Je vous ferais même peut être une... hum... Une remis... une re... un prix favorable disons... Si votre camarade passe me voir également bien entendu...
Le guerrier se releva doucement en faisant oui de la tête, j’étais sûr qu’il n’avait pas écouté ce que je lui avais dit, ses yeux toujours rivés sur la lame de Chtulhu, il s’éloigna de moi pour se rapprocher de son ami avec lequel il était entré dans la taverne...
Ce dernier avait cru bon de prendre la défense du gars à la ceinture étrange au milieu d’une foule ou la tension montait à l’échelle de l’énervement en sautant même des barreaux...
Pas le moindre son n’était sorti d’une quelconque bouche depuis que celle d’un des aventuriers avait déclaré ouvertement que le petit gars aux mains et à la lame pleine de sang n’avait "rien à se reprocher"... Hum... Les humains sont toujours très perspicaces me dis-je...
Enfin, celui ci semblait s’être rendu compte de son erreur et gardait maintenant, comme tout le monde, ses yeux sur la lame dégoulinante...
Je me tournait donc aussi vers l’assassin...
Celui ci, dont les yeux trahissaient un brouillard intérieur des plus opaque ne semblait pas en proie à la tension qui arrivait maintenant en haut de la dite échelle...
Sa main se décrispa légèrement et sa lame lui échappa doucement.
La première seconde vit naître un son dans ce silence électrique, le son de la lame qui fend doucement l’air en se dirigeant vers le sol...
La deuxième seconde, un hurlement traversa le petit cercle de gens mal intentionnés et crépita un moment avant de disparaître en écho entre les bâtisses...
- A MORT LE TUEUR !!
La troisième seconde, la chanceuse et plus remplie, fut le théâtre d’un mouvement de masse des paysans, qui fourches et autres armes du quotidien levées, glissèrent imperceptiblement vers le jeune homme qui ne réagissait toujours pas...
La quatrième et cinquième seconde qui ne voulaient pas rester en marge de tant d’actions en profitèrent pour faire sonner le bruit de la lame sur le sol et déplacèrent les deux aventuriers fraîchement arrivés devant le corps du jeune assassin qui lui , commençait à s’écrouler mollement vers le sol, suivant sa lame...
La sixième quand à elle, vit le corps du jeune homme heurter la terre avec toute la mollesse de celui dont l’esprit est parti en congés tandis que les deux hommes qui s’étaient mis à son coté tranchaient allègrement fourches et autres bâtons en faisant voler leurs épées...
Comme dans tout combat, une des raisons suffisantes pour le stopper est le manque cruel d’armes...
Les paysans regardaient le bout de bois qu’ils tenaient tous et qui a présent leur servirait de cure dent, les deux guerriers rangeant leur lames dans leur fourreau...
- Mais ce n’est pas vrai ! Comment vous avez fais çà ?!? Vociféra un des paysans qui apparemment n’avait pas besoin de cure dent.
L’un des guerriers pris la parole d’une voix forte et tonitruante, de celle utilisée pour couper court à toute éventualité de réponse.
- Nous manions l’épée, simplement... ( Il existe pour moi différentes sortes de "maniement d’épée", celle qui permet de se défendre mollement, et celle qui permet de ramener au silence et au calme une troupe de paysans surexcités, hurlant à la mort, en réduisant leur armes à la plus simple rang de copeaux et de cubes de bois qui feraient de bon dés..... Ces deux guerriers "maniaient" l’épée de la deuxième façon )
Le meurtre n’est pas un acte juste et la vengeance non plus... Attendons de juger cette homme avant de lui porter un coup...
- Et juger comment ? Hein ?! Avec qui ? s’écria un de ceux dont la fourche gisait au sol et que le vent emmenait au loin en petites particules ...
- Vous n’avez donc aucune sorte de justice ici ?
- Peste soit de vous !! Non ! Nous n’avons pas de justice ! La justice, c’est nous qu’on la fait ici ! C’était le forgeron qui était un peu l’juge avant, mais il est parti pour être remplacé par un bon dieu de nabot !
Un souffle dans la foule lui répondit, une expiration commune du genre à vous donner idée que le méchant dragon que vous vouliez à tout prix éviter est en fait juste derrière vous...
L’homme se retourna la gorge un peu nouée et me fis face... je m’avançais alors vers le centre du cercle ou gisait les deux corps et ou se tenait toujours les deux guerriers.
- Hum... dis-je... nabot ? Je n’en ai pas vu depuis mon arrivé, j’en déduis donc que la seule personne qui mérite à vos yeux ce qualificatif... c’est celle que je ne peux pas regarder en face... Moi en somme...
Hum... insistais-je...
- Je... non, Je... Ah non !!! Je ne voulais pas... enfin ... comprenez... Je...
Les mots semblaient complètement se refuser à sortir de sa petite bouche maigre et je le dépassais doucement pour continuer vers le centre...
- Hum... Il semble que certains esprits soient à ce point troublés pour manquer ainsi à certaine règles de conduite...
C’est... La deuxième fois aujourd’hui que ce genre de qualificatifs m’est attribué...
Hum... Comment le dire simplement...
J’étais maintenant aux cotés des deux guerriers et me retournait lentement vers les paysans.
- Je dirais... Hum... Que le prochain qui ne fera même que penser à ce terme et y associera mon image dans son esprit passera le restant de ses jours à compter les branches de son Arbre de vie...
Que ce soit clair...
- Mais je...
- Attention !! Tu associes presque là ! Je le sens...
La hache voguait maintenant de ma main droite à la gauche...
- Je suis assez récemment arrivé dans ce village, certes... Hum... Mais je pense pouvoir faire aisément acte de justice... Ainsi je me propose pour régler cette affaire là autrement que par les armes... Et si quelqu’un a une objection à cela... Qu’il ose le dire maintenant...
Un courant d’air qui passait par-là se transforma en bourrasque pour fuir les crépitements de tension qui baignaient la place...
- Bien... Rentrez donc maintenant chez vous, que ces deux jeunes gens là-bas emmènent le cadavre là où il sera plus a même de goûter à un repos éternel que devant ma porte...
Deux personnes prirent donc comme fardeau le corps du jeune Tyndall qui gisait dans une marre de liquide rougeâtre tandis que le reste de l’attroupement me jetait des regards remplit d’électricité et d’air de revanche... Il se dispersèrent en petits groupes. Je me tournait alors vers les deux guerriers qui s’étaient déjà accroupi vers le corps apparemment sans nerfs de l’assassin...
- Bon... Hum... Emmenons le à l’intérieur de la forge...
Dorian hocha la tête et se plaça entre les jambes du corps inerte tandis que son compagnon et moi nous placions vers les bras. Je me baissait quand une pièce vagabonde tomba de la poche de mon plastron au passage.
- Allons-y...
PLOP
A peine avait je posé le bras sur celui de Chtulhu, que le noir se fit autour de moi...
- Mais son nom… Je le connais maintenant...
Le noir était puissant, pas comme une obscurité simple et mortelle à la moindre lueur, de ces noirs qui absorbent la lumière comme si elle ne devait pas exister... Comme si elle n’avait jamais existé dans cet endroit...cet endroit... Mais où étais je ?
Je regardais autour, seul les deux guerriers et Chtulhu se détachait de cette plaque noire qui nous entourait... Je les appelait mais ils ne m’entendaient pas... Rien...
Rien... Pas de son... Pas de lumière...
Leurs bouches s’articulaient, je le voyait... Ils m’appelaient aussi... Ils s’appelaient entre eux... Rien...
Je reposait le bras de Chtulhu au sol et tentais quelques pas dans ce mur monochromatique... Rien....
J’avançais de quelques pas... rien...........
Je me retournais et le corps était toujours aussi prés de moi....
Dorian tenta de courir, je le regardais qui s’évertuait dans de grande foulées statiques... 5 bonnes minutes, ou peut être plus, ou moins... peut être des jours... passèrent puis Dorian récupéra son souffle.... Il se tourna vers nous....
Nous formions toujours le même triangle autour du corps de Cthulhu…
Pas un déplacement n’avait été fait...
Le compagnon de Dorian lâcha à son tour le bras mou et sans vie de Cthulhu qui décrivit un demi-cercle vers le sol... et le frappa dans un bruit sourd... mate... opaque...
Le son était né... Un souffle, plus discret qu’un murmure monta du corps de Cthulhu...
De chuintement, il passa à bruissement, puis à sifflement pour finir dans la gamme des bruit stridents qui vous fendent un être dans son ensemble....
Les mains crispées sur mes oreilles, je souhaitait ardemment que mes compagnons aient ce réflexe aussi afin de préserver leur tympans.
Le son diminua.... jusqu’à devenir une vapeur de bruit sourd et rauque qui se maintenait sur la même note...
Alors, Le corps de Chtulhu se mit à briller...
Je me relevait de ma position à genou et fis face à mes compagnons d’infortune qui eux aussi avait passé le cap difficile de la naissance du son...
Nos regards se rivèrent alors vers le corps qui éclairait le vide autour de nous....
Du noir...
Puis notre environnement passa au Blanc pur et immaculé...
Le corps de Cthulhu, lui, était noir désormais.... Un négatif de la vision que nous avions maintenant aurait rendu un parfait tableau de ce que nous voyions quelques secondes auparavant...
Le son toujours présent et s’insinuant dans nos crânes monta d’une octave vers l’aiguë...
Nous échangions des regards les uns avec les autres....Toujours incapables de sortir un son de nos entrailles....
Modulant sa fréquence, le son se transforma en appel....
- Cu........... Cur... Wen................ Curwen........................
Je levais les yeux comme mes compagnons pour noyer mes yeux dans tout ce blanc.....
Je me demandais au passage ce qui pouvait pousser les gens à toujours regarder vers le haut quand un son étrange ou une voix inconnue se fait entendre... Pourquoi pas le bas ? Dans tout ce blanc, les notions de bas et de haut sont pourtant si semblables.....
Le corps de Cthulhu, toujours couleur charbon se souleva de quelques centimètres et retomba lourdement....
- Curwen............ Curwen...........................................
Plusieurs fois encore.... Le corps rebondit sur le vide blanc sur lequel il reposait...
La voix se fit de plus en plus forte à mesure que les spasmes s’intensifiaient en violence, tant et si bien que nous dûmes, tous trois ensemble retenir le corps afin de le préserver en un seul morceau....
C’est au moment ou comme les autres j’apposait solidement mes mains sur Cthulhu afin de le retenir que la voix atteint son paroxysme en volume.... Elle emplissait mes oreilles jusqu’à ne plus pouvoir penser à autre chose que ce nom.... J’ouvrais durement les yeux... ne desserrant pas mon étreinte sur le corps qui se soulevait comme une montagne naissante... Mes compagnons le retenait tant bien que mal également et luttaient contre cette envie de se plaquer les mains sur les oreilles....
- NON, pensais-je... Dorian grimaçait de douleur...
NON.... tu ne partiras pas d’ici
- CURWEN CURWENCURWENCURWENCURWENCURWENCURWENCURWEN...
Je serrait encore plus fort... Les phalanges prêtent à exploser à chaque nouvel assaut des convulsions...
Le compagnon de Dorian s’affala sur le corps de Cthulhu et ouvrit la bouche de douleur...
Le visage de Dorian n’était plus qu’une agonie....
J’hurlais à mon tour de souffrance...
PLOP
Vide...
Mes oreilles étaient vides...
Seul un bruit de criquet solitaire et bavard me parvint enfin, suivi d’un tintement de pièce sur le sol...
J’ouvris les yeux.... Les deux guerriers firent de même.... et nous nous regardions.... là, au milieu de la place à la nuit tombante, chacun, tenant un membres de corps inerte dans la main, prêt à soulever et pourtant... J’aurais juré que....
- Allons-y...Hum
Le regard que me lancèrent les deux autres porteurs me fis prendre conscience que ce n’était peut être pas une hallucination....
Nous partîmes donc en direction de la forge, l’extérieur de nos corps sûrs et tranquilles... D’intérieur pleins de questions et de sensations étranges....
Le corps de Cthulhu reposait donc dans le fond de la pièce chaude et sombre à souhait, comme sait en décorer un maître de forges. La discussion arrivait à son terme... J’avais appris le nom du compagnon de Dorian, il se nommait Glen Stryder et était le maître de Dorian.
- Hum....Donc, vous étiez là, nous avons fait les mêmes constats...
- Oui, répondit Dorian.... Ce nom .... Curwen....
Glen hocha la tête...
- Espérons que Cthulhu revienne vite à lui... Des explications sont nécessaires, tant pour nous que pour les gens du village... Il se tourna vers moi.
Vous.... maître de forges...Vous êtes nain....
- Hum.... Vous faites preuve de perspicacité... Vous voulez des armes ? ( Le bon sens reprend toujours le dessus )
- Oui... je le... oui... bon... Nous verrons pour les armes... Mais... Que Faites vous dans ce genre de contrées alors que tous semblent vouloir la fuir ?
- Je suis arrivé il y a peu de temps... Hum... J’avais besoin d’argent pour continuer mes recherches.
- Des recherches ?
- Oh... Je ne parle pas là des onguents superbes et peu chers que vous voyez là... Je cherche un groupe d’individu qui forment semble t il une armée... Mon oncle m’a conseillé de les rencontrer et me joindre... Hum, à eux... Mais il semble que bien que le nom soit familier à tous... Personne ne sait où les trouver... Il forment l’Union... Si vous avez des indications... Je vous écoute...
- Ben çà ! Il se trouve justement que...
La porte de la forge volant en éclats fis taire Glen qui déjà tirait son épée du fourreau... Dorian l’avait déjà en main pour sa part... Belle épée certes... Mais je pouvais faire mieux...
Je prenais en main ma hache et me campais dans une position d’attente à mon tour.