Une semaine s’était écoulé depuis mon arrivée à Middenheim et ma rencontre avec Lord Karson. Une fois passé le choc de ses révélations, je me sentais beaucoup mieux comme si j’avais retrouvé une partie de moi que je croyais perdue à tout jamais. Dans les jours qui suivirent, Marcus vint souvent me rendre visite mais les affaires de la Cité lui prenaient beaucoup de temps et Lord Karson et lui avaient toujours beaucoup à faire. Je ne fréquentais pas les autres habitants du Manoir même si comme je m’en doutais, la plupart était de mon espèce. Mon seul réconfort dans ces moments de solitude fut les longues marches dans les jardins en compagnie de Magdalena. Nous discutions beaucoup et elle répondait à toutes mes questions avec patience et compréhension. Parfois, elle s’absentait quelques jours sans explication, certainement pour remplir une mission que son maitre lui avait confiée. Alors, je restais seul dans mes appartements où je m’adonnais à la méditation. J’avais appris à apprécier le silence. Lord Karson m’avait enseigné plusieurs méthodes pour " rétablir le lien avec le Loup " selon ses propres termes. Je ne savais toujours pas comment je m’étais retrouvé inconscient sur les rives de cette rivière ni qui m’avait infligé un tel traitement . Le choc avait était tel qu’une partie de ma mémoire en avait été affecté, au point de ne plus me souvenir de ce que j’étais vraiment. Mon amnésie m’avait empêché de me transformer en loup et je devais maintenant tout réapprendre. Malgré mes efforts, les résultats étaient décevants. Il me semblait parfois percevoir un changement mais cela ne durait jamais très longtemps. Lord Karson m’avait prévenu que le chemin de la guérison pourrait être laborieux mais je ne devais pas perdre espoir. Tout au fond de moi, la Bête m’attendait, prête à refaire surface. Je désirai renouer le contact avec elle, même si je ne savais si au réveil du loup qui de la bête ou de l’homme aurait le contrôle. De temps à autre, je pensais à Laars resté à Fiirsburg. Etait-il vraiment tiré d’affaires ? Je ne pouvais pas revenir là-bas, Lord Karson me l’ayant fortement déconseillé. Quand je lui en ai demandé la raison, il m’assura simplement que toutes les réponses arriveraient en temps et en heure. J’espère que ce moment approche car je me sens inutile pour l’instant. Pourtant, j’ai de quoi m’occuper. J’ai toujours en ma possession ces livres mystérieux. Je ne sais toujours pas quel secret ils contiennent et je désire les garder pour moi pour l’instant. Chaque soir, je pris pour habitude de m’asseoir sous un orme au ramage majestueux qui ornait les parcs du manoir. Tous les sens aux aguets, je sentais mon corps vibrer aux moindres signe m’environnant. Je percevais le battement d’ailes d’une chauve-souris dans le lointain, je pouvais sentir la présence d’un écureuil perché sur les plus hautes branches. Un monde empli de sensations nouvelles s’ouvrait alors à moi. Je ne l’avais pas remarqué de suite mais le Manoir semblait coupé de la ville, comme enveloppé dans une bulle protectrice. Les jardins étaient toujours verdoyants malgré le rude climat de Middenheim. Cette bâtisse devait être très ancienne et on sentait parfois comme une présence entre ses murs. Magdalena m’avait appris beaucoup de choses sur les hommes-loups. Elle faisait partie de cette race ce qui explique son rôle de garde du corps de Lord Karson. Elle m’apprit par la suite que Middenheim avait toujours abrité notre espèce. Nul ne connaissait notre existence. Seules des légendes circulaient à notre sujet mais personne n’y prêtait réellement attention. Mais les choses avaient changé récemment. Certains se tournèrent vers une autre doctrine que celle de la cohabitation pacifique avec les humains prônée par Lord Karson et les membres de son clan. Ces dissidents voulaient régner sur les hommes, sûr de leur supériorité et de leur puissance. Ils redevenaient peu à peu des bêtes sauvages dominées par leur instinct et leur nature sanguinaire. Pour l’instant, leurs agissements demeuraient secret. Des gens de la cité disparaissaient mystérieusement mais aucune rumeur faisant état de loups géants ne s’étaient propagées. Lord Karson craignait pour les siens. Si jamais les humains découvraient que des monstres vivaient parmi eux, ils seraient impitoyablement traqués et exterminés. Les renégats se croyaient hors d’atteinte mais ils se trompaient lourdement. Leurs effectifs sont pauvres et une guerre ouverte avec les hommes signifierait notre fin à tous.
Un soir, Lord Karson vint dans mes appartements. A priori, il avait du nouveau.
- Magdalena est revenue de mission. Elle aa découvert l’identité de celui qui a provoqué ton amnésie. Il s’agit de Victor, l’un des renégats. C’est d’ailleurs lui qui a attenté à ma vie il y a quelques jours.
Ce nom n’évoquait rien de plus pour moi mais s’il s’agissait véritablement de mon agresseur, il faudra que je lui dise un ou deux mots.
- Qu’as-tu fais des livres, Lothar ?
Comment savait-il au sujet des livres ? Je ne lui en avait jamais parlé, ni à personne d’autres d’ailleurs.
- Ne sois pas si surpris. C’est moi qui tte les ais confiés.
- Vous ? Enfin, je croyais que...
- Ces livres contiennent une grande puissaance. S’ils venaient à tomber en de mauvaises mains, je n’ose imaginer ce qu’il adviendrait. C’est pour cette raison que je t’ai demandé de les emporter. Hélas, ta mission a échoué car les renégats ont eu connaissance de l’existence de ses livres et de leur terrible pouvoir. Ils ont envoyé un tueur à leur solde pour les récupérer et supprimer leur porteur.
- Qui était au courant de cette mission ?
- Personne à part toi et moi. Et c’est bieen là le problème, Lothar. Il y a un traitre parmi nous.
Cette nouvelle me fit l’effet d’un coup de poing. Moi qui considérais le Manoir comme un lieu sûr et un havre de paix ! Même en ses murs, le mal était parvenu à se faufiler.
- Vous soupçonnez quelqu’un en particulierrs ?
- Pour l’instant, je n’en sais pas plus. MMais, j’ai une totale confiance en Marcus et Magdalena.
Difficile de juger les autres quand on ignore soi-même qui on est. Je voudrais croire moi aussi à leur innocence mais rien ne me permettait d’être absolument sûr.
- Quels pouvoirs contiennent ces livres ?
- Le pouvoir de vie et de mort pour notre race. Le savoir contenu sur ces pages est immense et précieux. Ces livres recèlent nombre d’informations sur notre espèce : nos forces et nos faiblesses y sont détaillées avec mouts détails. Des incantations très dangereuses qui pourraient détruire notre antique race. Mais si ces livres contiennent le secret de la mort, ils cachent aussi celui de la vie .
- Comment ? Je ne comprends pas...
- Certains sorts permettent la métamorphosse d’un homme en homme-loup. C’est grâce à ces grimoires que je vais pouvoir t’aider et te rendre à nouveau ton unicité. J’aurais voulu te laisser plus de temps pour t’y préparer mais le cours des évènements s’accélèrent et ta présence à mes côtés est indispensable. Es-tu prêt Lothar ?
Je n’en savais absolument rien mais je me devais de tenter le coup.
Quelques minutes plus tard, j’entrai dans les appartements de Lord Karson. C’était dans cette même pièce que nous avions eu notre première conversation depuis mon retour à Middenheim. Lord Karson pénétra dans la salle accompagné de deux autres prêtres du Loup Blanc. Sans un mot, il se dirigea vers le fond de la pièce et prononça un mot dont le sens m’échappa. A ma grande surprise, le mur pivota, laissant entrevoir une lumière rougeoyante. Lord Karson se tourna vers moi :
- Suis-moi Lothar et admire l’antique Halll du Loup Blanc.
Je ne pus retenir une exclamation quand je vis pour la première fois la salle dans son ensemble. Comment le Manoir pouvait-il contenir un endroit aussi vaste sans que cela soit visible de l’extérieur ? Ceux qui avaient bâti ces lieux devaient posséder un immense pouvoir. Des Fresques sur les murs représentaient plusieurs saynètes : on y voyait des paysages somptueux, parfois même effrayant, la Nature dans toute son envoûtante et sauvage beauté. Et bien sûr, le Loup trônait partout. En meute, en train de chasser, sous la forme d’un homme-loup, il était représenté sous tous ses aspects. La qualité de ces œuvres étaient telle qu’elles semblaient vivantes. En tendant l’oreille, on pouvait presque entendre le bruit d’une rivière cascadant au loin, le vent qui s’engouffre entre la cîme des arbes, le martèlement des pas de centaines de bêtes sauvages, et même le hurlement du Loup sous le ciel étoilé. En ces lieux, mes sens me paraissent plus aiguisés. Je deviens un réceptacle vivant de tous les stimuli qui m’entourent.
A une dizaine de mètres de moi, se tenait Lord Karson. Il portait une fourrure en peau de loup sur ses épaules. La bête devait être immense car la fourrure touchait presque le sol. Lord Karson leva la lame qu’il serrait dans son poing et d’un geste vif, il s’entama la paume où le sang perla doucement.
" Par le Loup Blanc et par Lupens le loup en chasse... "
Tout autour de lui, un cercle de runes entremêlées que je n’avais pas vu jusqu’à présent, se mit à rougeoyer. Au fur et à mesure de l’incantation, le rouge se faisait plus vif et étincellant. Des volutes de fumée se levaient dans la salle. L’atmosphère sembla changer tout d’un coup. J’avais une impression bizarre, comme si les contours de la pièce se brouillaient. Les murs semblaient s’écarter, je ne les voyais plus, comme s’ils avaient disparus ! Je levai la tête et quelque chose de froid toucha mon front. Un flocon de neige ! Il en tombait maintenant des centaines d’un ciel bas et nuageux. Mes pieds nus foulait à présent un sol entièrement recouvert de neige. Pourtant, je n’avais pas froid. Je me trouvai aux pieds d’un pic enneigé où le roc semblait se disputer aux arbres de la forêt. Soudain, je le vis : une créature à l’imposante stature, son poil du blanc le plus pur. Le Loup Blanc. Il se tenait sur ses pattes arrières et son regard se posa sur moi comme s’il m’attendait. Ses yeux rouges m’examinaient et sondaient les tréfonds de mon âme. Soudain, il hurla à la lune et je l’imitais. Mon esprit se laisse aller, vagabondant au rythme de ce cri primal. Puis, le silence. Loup se redressa sur ses pattes et partit vers les bois à toute allure. Je m’empressais de le suivre. Je sentais les branches des arbres fouetter mon corps et l’air frais qui m’enveloppait. Ma respiration se fit plus profonde et mes pieds touchaient à peine le sol. Nous arrivâmes dans une clairière au milieu de laquelle trônait une colonne de marbre noir. Loup grimpa prestement au sommet et attendit.
- Tu veux retrouver le loup, petit homme.
La voix parlait directement dans ma tête, les mots résonnant dans mon esprit. Sensation bizarre mais pas désagréable...
- Je ne suis plus un homme.
- Tu es de ma meute et une part de mon esssence coule dans tes veines. Je suis le Loup éternel, l’Ultime Gardien de ma race.
- Je veux retrouver ce qu’on m’a pris.
- Je ne peux te rendre tes souvenirs perduus... mais je peux te rendre ton intégrité.
A ce moment, un flash crépita devant mes yeux. L’image du loup s’imprégna dans mes rétines puis ce fut le noir absolu. A mon réveil, j’étais couché dans la neige tel un nourrisson abandonné. Un loup au pelage sombre se tenait à côté de moi, flairant mon odeur, me donnant des coups de museau comme pour m’ordonner de me relever. Mon totem ! Les choses autour de moi me paraissaient identiques mais pourtant elles ne seraient plus jamais les mêmes. Je me remis debout et je sentis la métamorphose commencer. Mes os qui craquent pour s’allonger, les poils noirs qui forment peu à peu une fourrure épaisse et sombre comme la nuit, des griffes qui brillent sous le reflet de la lune, mon visage d’homme qui se déchire laissant sa place à celui d’une créature bien plus ancienne. Je renais. Le loup à mes côtés hurlent sa joie tandis qu’un nuage passe devant la lune et je suis englouti par l’ombre de Morrslieb. ..
Quand je rouvris les yeux, j’étais allongé dans le Hall du Loup Blanc. Lord Karson me regarda et ses yeux trahissaient son inquiétude.
- Tout va bien... arrivai-je à articuler.
Lord Karson s’approcha de moi, et se baissa pour m’examiner.
- Tu as besoin de repos maintenant. Hectorr ! Roland ! Conduisez-le à ses appartements.
Je voulus protester et je tentai de me lever mais mes jambes me trahirent et je faillis m’étaler par terre. Heureusement, les deux autres avaient de bons réflexes et ils me retinrent de justesse. Je sentais mes forces m’abandonner et je sombrai bientôt dans l’inconscience.
- Tu es sûr de vouloir faire ça ? Tu es enncore trop faible, tu sais.
- Ecoutes ! Ta sollicitude me touche beauccoup, Marcus mais je connais mes limites et je suis sûr de moi.
- Que se passe-t-il ici ?
Magdalena venait de faire son entrée. Convaincre Marcus n’allait pas poser trop de difficultés mais avec elle, c’était une tout autre affaire.
- Cette tête de mule ne veut rien entendree ! Il veut retrouver Victor !
Magdalena me fixait maintenant, son regard brillait étrangement.
- C’est la vengeance que tu cherches ? Tonn séjour parmi nous ne t’a-t-il rien appris ?
- Je... " bredouillai-je. Pas le temps d’en placer une autre que la petite repartait à la charge.
- Si tu tues Victor, si tu te laisses domiiner par tes instincts, tu t’abaisseras à leur niveau et tu ne vaudras pas mieux qu’eux. Tu ne seras plus qu’une bête malfaisante. Je n’arrive pas à croire que tu veuilles faire ça. Après ce qu’on a traversé depuis ton arrivée ici.
- De quoi est-ce que tu parles ? demandé-jje, intrigué.
- Rien, disa-t-elle en baissant la tête. "" Fais comme tu veux... "
Elle fit demi-tour et sortit sans que ni moi ni Marcus aient pu esquisser le moindre geste.
- Mais qu’est-ce qu’il lui prend ?
Marcus haussa les épaules. La discussion était close.
- Bonne chance, dit-il d’un ton laconique..
Il est là.
Ca fait plusieurs heures que je le piste à travers toute la ville. Tous les sens aux aguets, je m’approche prudemment de ma proie. Il ne faut pas que je tarde sinon ses sens aussi aiguisés que les miens vont me repérer. Il est tellement sûr de lui qu’il se ballade sans aucune escorte. Grossière erreur... Je continue ma progression de toit en toit. Quel plaisir de retrouver cette sensation ! Cette puissance physique qui me permet d’atteindre d’un bond le toit d’un bâtisse sans aucun effort. J’atterris avec douceur, sans un bruit. L’autre ne se doute de rien. C’est bientôt le moment d’agir, la ruelle est déserte et mon sang boue dans mes veines. Je m’élance, toutes griffes dehors. L’autre s’aperçoit de quelque chose, mais c’est trop tard, je suis déjà sur lui. Mes griffes lui lacèrent la poitrine, lui arrachant un cri de douleur. Mais ça ne suffit pas, ses facultés de régénération le remettent déjà sur pieds.
- Qui es-tu ? Tu sais à qui tu t’en prendss, pauvre cave ?
- Ne t’inquiètes pas pour moi, Victor, je sais très bien ce que je fais...
A voir sa tête, il ne sait toujours pas à qui il a affaire on dirait. Sortant de l’ombre, je me présente devant lui. Cette ordure va payer ce qu’il m’a fait et je veux lire la peur dans son regard.
- Toi ! C’est impossible, je t’ai réglé toon compte ! T’es mort !
- Désolé de te décevoir. Tu aurais dû desccendre dans le ravin où tu m’as balancé pour vérifier.
- Tu te crois si malin, hein ? Toi et tes semblables vous vous leurrez. Vous êtes comme nous ! Des prédateurs, des bêtes sanguinaires ! hurla-t-il. Vous êtes des loups déguisés en moutons ! Vous reniez votre nature en trahissant le Loup.
- T’inquiètes pas, pour toi je vais faire une exception...
J’ai plus envie de parler maintenant. Tout mon être appelle au combat. La bête hurle sa rage et son désir de vengeance. Victor reste comme pétrifié. Je lui fonce dessus et d’une ruade de l’épaule je l’envoie bouler contre un mur dans un bruit mat et une pluie de briques. Raté pour la discrétion... Faut que je me grouille sinon la foule va rappliquer. Victor s’est déjà remis sur pieds et le regard qu’il me lance est empli de haine. Pas de doute, c’est un combat à mort. Totalement transformé en loup, il me charge en grognant, la gueule écumante de bave. Les coups pleuvent avec la régularité d’un métronome. Mon adversaire n’est pas un tueur à la petite semaine. C’est un maître dans sa partie et sa rage le rend encore plus dangereux. Le sang coule à flots. Mes blessures se referment rapidement mais je sens que je m’épuise. Victor est aussi dans un sale état mais je crois pas qu’il m’accorde une pause. Il repasse à l’attaque. Profitant de son élan, je le saisis par la fourrure et je le balance au sol. Ses os craquent au contact des pavés. Avec tout ce remue-ménage, j’entends des gens qui approchent, ils ne sont pas très loin. Il faut que j’en finisse. Victor est à quatre pattes, encore sonné par la violence du choc. Je ne lui laisse aucun répits. Le soulevant à bout de bras, je le projette de toutes mes forces sur mon genou. Un craquement sonore retentit. Avec une colonne cassée, ses facultés de guérison vont avoir du boulot ! Il était temps car la tête me tourne. Tout ce sang... La bête en moi n’est pas encore rassasiée. Au plus profond de moi, j’entends cette litanie qui ne tarde pas à devenir un cri interminabLe. Tues-le, Tues-le, Tues-le ! TUES ! NON ! Il faut que...je réussisse à dominer la bête... J’essaie de me concentrer, de faire le vide dans mon esprit. Je respire un grand coup. Profitant de mon hésitation, Victor me flanque un coup terrible qui me fait tomber à la renverse. Je me relève péniblement, maudissant ma stupidité qui a failli me coûter très cher. Quand je redresse la tête, il n’y a plus personne. Victor a filé pour panser ses blessures et certains habitants osent tout juste sortir à leur fenêtre. Dommage pour eux, je ne m’attarde pas plus sur les lieux et je disparais parmi les ombres...