Il reprirent leur route, et Kundïn avait un petit air rieur quand il regardait l’Elfe. Celui-ci comprit que le Nain avait bien sentit qu’il avait analysé correctement ses propos. Une vingtaine de mètres plus loin, il arrivèrent devant une grande porte à double battant, en bois durci par la boue et le feu, renforcée de métal clouté, ou plutôt hérissée de longs pics d’acier trempé tous les vingt centimètres, afin de rendre tout bélier inutile et d’acculer les assaillant à la mort par derrière comme par devant, car il existait sûrement des portes secrètes le long du couloir qui permettraient aux Gnomes de prendre l’ennemi à revers. Espérons que ces Gnomes ne se sont pas amusés à inventer un système pour projeter ces pointes, parce qu’il ne fait aucun doute que le mécanisme serait très sensible, et qu’au moindre faux geste, je serais embroché, s’imaginait Valald, qui, comme à son habitude, prenait un certain plaisir à pousser son imagination sur tout ce qu’il voyait au plus loin, jusqu’à l’absurde parfois. L’ennui, c’était qu’il se basait ensuite dessus pour ses jugements déjà trop hâtifs. Ce qui, évidemment, le mit mal à l’aise lorsqu’il voulut frapper à la porte. Il chercha donc pendant un moment un point "sûr" pour signaler leur présence, jusqu’à ce que Kundïn, un peu impatient, s’approcha de la porte, et appela en utilisant tout simplement le marteau accroché à ladite porte. Valald, déjà très tendu par tout ce qui c’était passé, guère rassuré par la porte, fut littéralement sur les nerfs quand il entendit le bruit provoqué par la chute de la masse sur le plomb. Décidément, ces Gnomes faisaient tout n’importe comment à son goût.
-Qu’y a-t-il ? fit une voix derrière le battant.
Deux yeux vert jade était visibles par une petite ouverture rectangulaire, apparus au même moment que le voix rauque.
-Valald, marchand elfe de Féréan, et Kundïïn Oakenshield, Ambassadeur mandaté par Trimin Gaëlanfar, chef de la cité naine de Krafeck-Tarn, désirerions avoir une entrevue avec Grodreck Marteau d’Argent, seigneur de cette cité gnome de Calderak, répondit le Nain spontanément, comme une réplique qu’on apprend par cœur.
-D’acc, ’tendez un instant.
-Kundïn, croyez-vous qu’ils vont ouvrir ? demanda Valald.
-Bien sûr. Enfin, j’espère avoir dit la bonne phrase. Mais nous allons être très rapidement fixés. Les Gnomes n’aiment pas perdre du temps.
En effet, dès que Kundïn eut fini sa réponse, les lourds battants se mirent en mouvement, s’ouvrant progressivement vers les deux voyageurs. Ouverture vers l’extérieur, nota Valald, encore un truc pour la guerre. Ils ne pensent donc qu’à cela ? Mais il arrêta là sa pensée, trouvant bien plus remarquable, et étonnante, l’inventivité dont les Gnomes avaient dû faire preuve pour concevoir une machinerie capable d’écarter ses portes sans magie ni muscles. Il jugeait peut-être trop rapidement, mais il savait reconnaître ses erreurs et admirer le travail fourni par des esprits intelligents.
Une fois les portes complètement ouvertes, Valald put admirer le chef d’œuvre d’architecture gnomique qui s’était dévoilé : une immense salle parfaitement rectangulaire, avec un plafond haut d’au moins trente mètres, en arc d’ogive, soutenu par des piliers finement ouvragés en feuilles, gravures de guerres ou d’animaux, glyphes narrant les grand événements de la cité. Tout un livre d’histoire remontant aux temps les plus reculés était là, gravé impeccablement sur des piliers de pierre inébranlable. Le plus incroyable, c’était encore le fait que toute cette pièce était taillée dans le même bloc de pierre, clés de voûtes et piliers compris. Ca et là, dissimulées dans les écritures, des runes magiques étaient sûrement gravées, pour protéger la salle des quidam animés de mauvaises intentions. Ce qui interrogeait le plus l’Elfe, c’était surtout de savoir comment des êtres aussi petits avaient pu s’y prendre pour tailler aussi haut avec la même précision qu’en bas, à une époque où même la technologie naine n’en était qu’à ces balbutiements, et où la magie n’était pas plus avancée. Sans compter les nombreux pièges disséminés dans les colonnes, les murs, le plafond. Valald était tout bonnement ébahi par cette salle. Sur les côtés et toute leur longueur, des Gnomes étaient alignés, plaqués contre la parois. Au dessus d’eux, on avait accroché des tapisseries aux couleurs éclatantes, brodées de fils d’argent, portraits des seigneurs successifs de Calderak, et, occasionnellement, de leurs exploits. Des pieds des voyageurs, un long tapis bleu partait rejoindre une petite estrade, et s’arrêtait aux pieds d’un trône d’ébène, où siégeait un Gnome dont les blanches moustaches traînaient jusqu’à terre, et continuaient leur course sur encore deux mètres. Il était drapé par-dessus son gilet de laine sans manches d’une ample cape de fourrure émeraude, cousue de fils d’or, et brandissait un sceptre en Mithril, en forme de hache, incrusté de pierres précieuses aux couleurs sombres. Son front était orné d’une énorme couronne aux montants d’or, en soie rouge sang, surélevée d’un diamant taillé en un long et fin décaèdre aussi éclatant qu’une étoile. Il portait des braies rouge vif avec des bottines de cuir.
Grodreck Marteau d’Argent, c’était lui à ne point s’y tromper, fit signe aux deux compères d’avancer. Kundïn murmura à Valald :
-Suivez-moi, et faites exactement ce que je fait.
-Bien, fit Valald, conscient que le Nain en savait beaucoup plus que lui sur la manière de se conduire chez les Gnomes.
Kundïn s’avança donc, après avoir jeté un furtif regard au seigneur de ces lieux, le dos droit, la tête relevée, mais les yeux regardant le sol devant lui. Il ne prêtait nullement attention aux gardes, qui le suivaient du regard et le détaillaient, concentré sur la route. Valald le suivit, l’imitant parfaitement, sauf pour le dos droit, ce qui le frustra un peu, et l’amena à s’interroger sur la façon dont Grodreck réagirait à cela. Les regards des gardes le troublaient, mais il ne lui fallut pas plus d’un seconde pour se reprendre et les ignorer. Le Nain s’arrêta brusquement devant trône et s’agenouilla, puis courbant la tête, il mit ses mains à hauteur des hanches et les étendit, paumes vers le bas. Valald, surpris par un arrêt aussi soudain, réagit toutefois promptement, sans pour autant briser la solennité du moment, et après s’être mis sur la droite du Nain, imita sa posture.
-Salutations messieurs, que me vaut le plaisir ? fit le Gnome, dans une étrange parodie involontaire de politesse. Les Gnomes, contrairement aux Nains, n’arrivaient pas, même avec toute leur bonne volonté, à être polis, courtois, ou à apprendre les bonnes manières. La plupart apprenaient donc des phrases par cœur, mais aucun n’était capable de les réciter correctement, avec le ton voulu. Heureusement, ils étaient remarquablement disciplinés, et parvenaient à retenir leur mauvaises habitudes si besoin était de le faire.
-Seigneur Grodreck, que le métal se courbe agréablement sous votre marteau, je suis Kundïn, Oakenshield, Ambassadeur de Krafeck-Tarn. Comme je dois vous parler en privé, je laisse la parole à mon compagnon, Valald, déclara le Nain, désignant la forme agenouillée près de lui, visiblement en intense réflexion.
-Monseigneur Grodreck Marteau d’Argent, puissiez-vous un jour marcher sur l’or et les pierres précieuses, on me nomme Valald. Je suis un "marchand" de Féréan, et je dois, sur ordre du Duc, me rendre à Caldift, afin d’y acheter les perles vertes. Il vous demande, dans la présente lettre, de m’octroyer un laissez-passer pour traverser la cordillère sur le sol des Gnomes.
Valald s’apprêtait à lui donner la lettre ducale, lorsque Kundïn lui fit signe que c’était à lui de la lire. Valald s’exécuta :
-Maître Grodreck Marteau d’Argent, Seigneuur de Calderak, que les pierres sur votre couronne soient aussi nombreuses et brillantes que les étoiles dans le ciel. Moi, Laîendel, Duc de Féréan, ai envoyé Valald sur vos terres dans l’espoir que, dans votre clémence, vous lui donniez l’autorisation de passer sur votre territoire, afin qu’il aille à Caldift chercher les perles vertes, qui devraient bientôt arriver, amenées par les marchands Rakshasas. Vous connaissez l’importance de ces perles pour les Elfes, et je suis donc certain que vous comprendrez cette intrusion, qui, soit dit en passant, se répète tous les ans à la même période. Je me permet aussi de vous demander, afin de ne pas faire fouler votre terre par trop de pieds elfiques, de lui octroyer une escorte et un transport pour sa traversée des Montagnes Noires, au retour seulement. J’ai donné à Valald de quoi payer son voyage d’aller, et au retour, il vous versera un tribut de perles vertes de cinq pour cent. C’est contraire à la tradition, mais il est juste que vous ayez accès à cette richesse, vous qui participez si activement à notre approvisionnement par votre compréhension. Avec mes vœux de prospérité et mes salutations les plus respectueuses de votre auguste personne, le Duc Laîendel.
-Bien, bien, marmonna le Gnome, après cette lecture. Il me semble que j’peux pas refuser. Mais ’faut y mettre le prix bien entendu, si vous voulez mon autorisation de passage. Alors, voyons voir.
Et Grodreck de détailler Valald. Les Gnomes fixaient leurs prix à la tête du client, si l’on peut dire. Il observa d’abord son visage : des longs cheveux blonds cendrés, des grands yeux noirs, un tout petit nez, et... Grodreck se leva, s’approcha de Valald. Il plaqua ses yeux grisés par la vieillesse sur la lèvre supérieure de l’Elfe, qui n’était pas rassuré par la moue dubitative de la petite personne. Soudain, celle-ci lança sa main et tira brusquement sur l’étrange moustache, qui selon lui, n’avait rien à faire là. Ce geste violent dénotait de la brutalité et de l’absence de civilité de tout Gnome, aussi haut soit-il dans la société, mais ce qui le suivit en fut une preuve encore plus flagrante :
-Par le trou d’balle de Kreckchan ! jura-t-il Une vraie moustache sur un Elfe ! Ou alors... C’est un Humain, ils ont des moustaches ! Donc, les oreilles sont fausses.
Et Grodreck de faire subir le même traitement aux oreilles de Valald, qui n’en menait pas large, et guettait un conseil de Kundïn. Celui-ci était dans un état indescriptible : à mi-chemin entre un fou rire que l’on tente de contrôler, l’hébétude et la colère. Il semblait incapable, pour une fois, de savoir comment réagir.
Après que Grodreck eut fini de vérifier la véracité des oreilles de l’Elfe, en sautant pour s’agripper dessus, cela va de soit, il reprit, complètement déboussolé :
-Que le Grand Halèine se soulage sur ma couronne ! Z’êtes un Elfe à moustache ou un Humain à grandes oreilles !? M’est avis que c’est plutôt la première solution : z’êtes trop maigre et trop grand pour un Humain. J’ai raison ? fit-il, d’un air de défi, comme s’il valait mieux pour Valald d’approuver le Gnome.
-Certes, je suis un Elfe qui possède une moustache, mais je ne suis pas le premier, et si vous regardiez les immenses archives de votre cité, je suis certain que vous y trouverez mentionné un "Elfe à moustache".
-Là n’est pas la question ! Mais c’est vraiment très impressionnant.
Grodreck se remit à examiner l’Elfe, qui se demandait quel drôle de traitement il allait encore subir. Du coin de l’œil, il vit que Kundïn voulait intervenir, mais il lui fit signe de laisser faire. Grodreck détailla le bâton de marche en ébène, la grand manteau bleu et les croissants d’argents, et il tomba sur la brûlure de la manche droite.
-J’vois que z’avez un peu mal jugé la distance qui vous séparait d’une d’nos torches, clama-t-il, riant. Mais, ’tendez-voir, je connaît c’te type de robe. Du tissu comme ça, y’a pas beaucoup d’Elfes qu’en ont.
Valald se mit à transpirer abondamment, terrorisé à l’idée que ce Gnome puisse reconnaître sa robe d’Ovate. Kundïn aussi, semblait-il, n’était pas très à l’aise. L’Elfe tremblait de tous ses membres, essayant de ne pas faire trop de bruit, pendant que Grodreck, les yeux accrochés au bigarré du tissu, tentait de se souvenir. Tous les Gnomes de la salle attendaient, très intrigués par l’importance que leur estimé Seigneur portait à ce tissu qui, à leurs yeux, faisait plutôt mendiant. Mais comme les mendiant Elfes n’existent pas, certains s’interrogèrent aussi sur la valeur symbolique de cette robe. Valald, dont la peau avait pris une teinte rosée très comique leva les yeux vers le plafond. La tension dans la pièce était devenue presque palpable, et l’Ovate, centre de toute cette pression vit le lustre au-dessus de lui se mettre à osciller, doucement, avec une lenteur qu’on aurait dit calculée pour faire monter encore plus la nervosité qui emplissait à présent totalement la salle. Cette anxiété qui oppressait Valald le rendait incapable de contrôler ses gestes, tant elle lui pesait, le pressait de toutes parts, manqua le faire tomber, et c’est de justesse qu’il se rattrapa sur son bâton. Kundïn aussi regardait le lustre, semblant compter les oscillations, et si tout le monde n’était pas concentré sur Grodreck, on aurait pu lire sur ses lèvres une prière à Zarekli, Dieu Nain de la Protection. Soudain, la voix tant attendue cria :
-C’est une robe d’Ovate ! GARDES ! Jetez-moi ce salaud au cachot ! Et que je ne le revoie pas d’ici demain, pour son exécution. Se sera la procédure habituelle pour trahison et tentative d’abus de ma personne : lapidation sommaire au coucher d’Eldion.
Avant que Grodreck ait fini, deux soldats Gnomes agrippaient déjà le pauvre Valald, qui fut traîné comme un sac de plumes vers les portes, qui masquèrent très vite les geôliers et leur prisonnier, dont on fit amener les affaires sous le trône du Seigneur de ces lieux. Celui-ci n’y prêta même pas attention, et s’assit sur son piédestal en marmonnant :
-Un Ovate ! Ah, les enfoirés ! J’leur ferai voir de quel bois j’me chauffe, moi. J’suis sûr que sa moustache, c’est un sortilège pour m’amadouer. Mais j’me fais pas avoir, moi, par des ruses aussi grossières.
Puis, se tournant vers le Nain, qui attendait patiemment qu’on veuille bien lui laisser la parole.
-Alors, vous, qu’est c’vous m’voulez ?
-Je demande à être enfermé avec l’Ovate Vaalald, répondit Kundïn à brûle-pourpoint.
-Quoi !? hurla le Gnome, manquant tomber à bas de son trône.
La salle, tout autour, était elle aussi subjuguée par cette réponse. Déjà, des gardes s’avançaient pour attraper l’Ambassadeur, sans pour autant comprendre pourquoi. Mais c’est toujours un plaisir pour un garde d’emmener quelqu’un au cachot. Toutefois Grodreck, curieux, leur fit signe de s’arrêter.
-Vous m’avez parfaitement compris. Je désire être enfermé et lapidé avec lui. Ou alors, vous le libérez et lui rendez ses bien. Je serais vous, j’opterais pour la deuxième option. Je suis un Ambassadeur Nain de Krafeck-Tarn, au service de Trimin Gaëlanfar, et je porte un message de la plus haute importance concernant la sécurité du Sud de la Cordillère. Il va sans dire que si d’aventure vous choisissiez la première solution, il vous faudrait aussi assurer la sécurité par le Nord.
-D’accord, d’accord, mais surtout, c’qui m’intrigue, c’est pourquoi ? Oui, pourquoi vous voulez ça ?
-Très simple, j’ai fait serment de l’accompagner partout dans ses voyages et de l’aider, jusqu’à ce qu’il soit apte à se déplacer seul. Je m’y tiens, vous connaissez la valeur d’un serment de Nain.
-Un serment d’ce type avec un Ovate ?
-Oui, il est jeune, inexpérimenté, et ne possède qu’une dague pour se défendre. Malgré cela, le Duc Laîendel l’a envoyé à Caldift, donc par la Passe du Chaos, uniquement pour économiser de l’argent, sachant bien que vous seriez moins cher en voyant sa moustache et son dos.
-Quoi son dos ? Il est un peu courbé, c’est normal, y font tous ça, les Elfes quand y nous parlent. C’est pour se foutre de nous.
-Non, Valald a reçut une blessure au dos qui l’a rendu un peu infirme.
-Ca, c’est les mythos qu’y vous a raconté,, scanda le Gnome, ricanant.
-Je suis un Ambassadeur, j’ai été formé à reconnaître les choses en analysant les attitudes et le comportement des gens. Je puis vous assurer, Maître Grodreck, que sa blessure comme sa moustache sont aussi vraies que votre moustache est longue et reflète votre sagesse, clama Kundïn, sachant que la comparaison et le compliment ne resteraient pas inaperçus par l’assemblée comme par le régent.
Grodreck réfléchit pendant quelques instants sur la conduite à tenir. L’Ambassadeur était précieux, son message aussi. Cet étrange Elfe l’intriguait aussi, et lui plaisait bien dans le font. Il faisait preuve de loyauté envers son Duc, malgré qu’il l’ait roulé dans la farine, envers son ordre aussi, et de courage, pour avoir osé porté sa robe ici. Ces deux qualités plurent au Gnome, qui décida donc de lui laisser une chance, car après tout, on ne pouvait pas sacrifier un Elfe aussi singulier : une blessure de guerre et une moustache de surcroît, de quoi attendrir même le cœur d’un Berseker Nain. La perspective des perles vertes dans son coffre le ramena aussi à la raison. De plus, une idée venait de germer dans sa tête, pour mettre des bâtons dans les roues de ce Duc fourbe, malhonnête et cupide.
-D’acc, j’vais lui donner une chance de gagner sa liberté, déclara-t-il. Mais avant, j’voudrais quand même connaître le but d’votre mission ici.
-Bien. Vous savez comme nous tous que les attaques des habitants de la Péninsule Maudite sont de plus en plus fréquentes et violentes. Des raids sont parvenus, je ne sais comment, jusqu’à Kerkaran. Il devient évident que votre seule et unique cité ne peut pas protéger entièrement le Sud des Montagnes Noires. De plus, et sans vouloir vous offenser, les Gnomes sont plus doués pour l’attaque que pour la défense. Donc, afin de renforcer la défense de cette région, mon Seigneur Trimin Gaëlanfar se propose d’y dresser une forteresse naine. Je suis ici pour obtenir de vous le nécessaire à son édification : votre accord, pour commencer, un terrain suffisant pour loger et nourrir cinq cents soldats et leurs familles, qu’il soit possible de fortifier, avec des ressources à proximité pour les éventuelles réparations. Il va de soit que nous ferons acheminer l’essentiel du matériel depuis Krafeck-Tarn pour ne pas abuser de votre clémence. Par contre, il nous faudra un chemin dégagé pour y faire circuler les soldats, les ouvriers, les ingénieurs, les armes, les pierres, le bois, le ciment, et les pièges. Je vous sais capable de juger convenablement cette offre, car vous connaissez notre valeur de nos défenseurs, expliqua Kundïn, sûr de lui.
-Y a pas à juger, scanda Grodreck. A vrai dire, si z’étiez pas venu pour ça, j’en aurais envoyé un, d’Ambassadeur, pour demander ça à un Nain. J’vous accorde tout, voire même quelques Gnomes de chez nous.
-Je vous en remercie grandement, les travaux commencerons dans environs un mois, fit Kundïn, s’inclinant.
Le Nain pensa que la situation au Sud devait être très grave, pour que des êtres aussi fiers que les Gnomes envisagent de demander de l’aide, même à leurs cousins.
-Maintenant, allez m’chercher l’Ovate, qu’il passe l’épreuve. Expliquez-lui tout en chemin, ordonna le souverain à deux gardes, ceux postés derrière Kundïn qui partirent pour le cachot.
Pendant ce temps, Valald avait été traîné vers l’une des prisons de Calderak. On l’avait déposé comme un sac dans un entrepôt dans une cellule sombre, guère loin de la salle où siégeait son tortionnaire. Il ne se laissa pas aller à la peur, et se dit que son nouveau mais loyal compagnon intercéderait en sa faveur. Il entendit des voix rendues pâteuses par l’alcool chanter dans la pièce d’à côté, vraisemblablement la salle de repos des soldats. Il tendit l’oreille, pour passer le temps.
Là-bas, derrière les montagnes,
Y a la Jungle Endormie,
Où vivent les Fées en pagnes,
Qui nous attendent dans leurs lits.
Car elles connaissent pas les mâles,
Mais nous on va leur faire voir,
Par terre qu’on va les faire choir,
Pis les rendre moins virginales.
A c’que les Fées aux beaux culs,
Font les meilleures femelles,
Grandes bouches et belles mamelles,
Cuisses larges et corps tout à nu.
Valald se tordit de rire dans le cachot. Jamais il n’aurait imaginé que les Fées fussent le fantasme des jeunes Gnomes. Les femmes Gnomes, bien qu’un peu fortes à cause de leur muscles et avec des traits assez grossiers, n’étaient pourtant pas déplaisantes. Il rit encore plus en entendant que tous les occupants de la pièce reprenaient le "chant" et chœur, puis en canon. Il se roulait littéralement par terre quand il entendit une voix subjuguée :
-Ben ça alors, c’est bien la première fois que j’vois un prisonnier s’fendre la gueule comme ça.
-Bah, c’est la peur qui l’a rendu bralzinggue, ajouta une deuxième voix. Valald s’arrêta net, surpris car persuadé que personne n’allait lui rendre visite. Il espérait que ces Gnomes venaient le délivrer. Effectivement, le premier ouvrit la grille de sa cellule, et l’autre agrippa le bras de Valald et le traîna dehors, avec à peine plus de douceur qu’auparavant. Tout en poussant l’Elfe le long du chemin, les Gnomes lui expliquèrent ce qu’il devait faire :
-Alors, voilà, z’allez tenter d’gagner vot’ liberté. Selon la loi, comme z’êtes un blessé de guerre, (c’est vot’dos qui nous l’dit) z’êtes supposé être un guerrier de valeur. Or, chez nous les Gnomes, les guerriers qu’on des cicatrices, on les respecte, et z’on toujours une chance de s’en tirer. Donc, z’allez affronter un d’nos gars, et si vous l’rétamez, z’êtes libres, et on vous rend vos bagages. Z’avez tout capté ?
-Bien sûr.
-Z’êtes autorisé à utiliser tous vos talents, exceptées les arcanes. C’est pour mettre les chances à égalité. Vous vous battrez avec vos propres armes, pour qu’vous vous r’trouviez pas avec un truc qu’vous savez pas manier, ’à ce que pourriez vous blessez, et ça amuserait pas les autres.
-Qu’il en soit ainsi, fit Valald, souhaitant qu’on ne lui donne pas pour adversaire un Gnome trop aguerri.
A cet instant, il arrivèrent devant les portes de la salle du trône. On les fit entrer tout de suite, et on amena Valald devant Grodreck.
-Vous a-t-on expliqué les règles du combat ? demanda-t-il, d’une voix impérieuse, où Valald compris qu’il n’avait pas envie de lui réxpliquer.
-Absolument.
-Les acceptez-vous ? continua-t-il
-Mot pour mot, répondit l’Elfe, feignant d’être confiant.
Kundïn attrapa sa manche et l’attira à l’écart.
-Bien, enlevez votre manteau. Choisissez votre arme, fit-il, lui montrant son bâton et sa dague. Encore une chose : dans ce combat, vous n’êtes pas autorisé à tuer votre adversaire, mais lui le peut.
-Bon, je ferai avec, ironisa-t-il. Je vais me battre à mains nues, c’est préférable, je pense, s’il ne faut pas le tuer.
-Je ne ferais pas cela à votre place, dit le Nain, lui désignant un Gnome derrière lui, dans le cercle formé par la foule.
C’était un grand centaure-gnome, un combattant d’élite de la race. Personne ne comprenait pourquoi certains Gnomes naissaient ainsi, mais tous connaissaient leur valeur, tant au combat que dans des tâches civiles. Celui-ci arborait un pelage brun couvrant tout le tronc, dos et pectoraux exceptés, un torse et des bras très puissants. Sa moustache châtain descendait sur ses pectoraux, ce qui tranchait avec ses cheveux coupés très courts, et laissait voir un visage rond, aux larges pommettes roses, avec un nez long et droit, parfaitement aligné avec le front, comme s’il ne faisait qu’un avec lui. Le guerrier se saisit d’un énorme fléau à deux mains, et le fit se balancer et frapper tout autour de lui, l’utilisant presque à bout de bras, parfois même à une main, à une vitesse incroyable, comme s’il s’agissait d’un vulgaire fouet.
-Oui, vous avez raison, je crois que je vais prendre mon bâton, balbutia Valald après avoir contemplé son adversaire.
-Voilà qui est plus raisonnable, fit Kundïn, souriant devant la mine déconfite de l’Elfe.
-Ah, dites-moi, la sorcellerie et interdite, soit, mais pour ce qui est des capacités des psyolites ?
-Les Gnomes acceptent les pouvoirs de l’Esprit, et sont très forts dans l’aspect Extérieur des mentraques, mais venant d’un Ovate... évitez de courir le risque, ils ne feront pas forcément la différence entre les deux.
-Bien, je suis prêt, lança Valald à l’assistance.
On le fit entrer dans le cercle, et le centaure-gnome, d’une tête plus grand que les Gnomes ordinaires, se plaça face à lui, avec un sourire sadique sur les lèvres, sûr, apparemment, de brandir sous peu le crâne de l’Elfe, qui n’était pas très rassuré devant cette attitude. Grodreck s’avança, et dit :
-Le combat qui va suivre oppose Valald, Elfe Ovate qui va tenter d’acheter sa liberté, et Agrazg Brise-Côte, combattant centaure de ma garde personnelle. Que l’meilleur gagne, et pas de coups bas.
Valald salua son adversaire, bâton droit, tête penchée vers le sol, jambes à ouverture des hanches. Mais il avait oublié que les Gnomes n’étaient guère axés sur le respect, et il ne dut la vie qu’à ses excellents réflexes, qui lui firent éviter les piques de la masse de seulement quelques centimètres. Puis, il bondit en arrière, assurant sa défense et clama, outré :
-Vous n’avez donc aucun respect pour vos adversaire, ici ?
-Pas quand ce sont des pourritures d’Ovates ! scanda Agrazg.
-Ca n’a rien à voir, jeune idiot, intervint Grodreck. Tout adversaire affronté en duel mérite le respect. Nous sommes irrévérencieux, mais pas indisciplinés. Ne pas saluer son adversaire en combat loyal, c’est te rabaisser au niveau des larves de la Péninsule Maudite.
Tout penaud, le centaure recula, et salua Valald à sa façon. Il se cabra, rejetant la tête en arrière, les bras ouvert à quarante-cinq degrés le long du corps. Valald resalua en même temps, mais plus distraitement. Grodreck l’étonnait. Son vocabulaire semblait assez riche, et il pouvait apparemment utiliser des phrases correctes quand il le voulait.
Le combat reprit une demi-seconde plus tard. Agrazg chargea l’Elfe, qui se jeta de côté et lui donna un coup de bâton dans les côtes. Sans s’émouvoir, le centaure rua, et l’autre reçut ses sabot en pleine poitrine. Mais le Gnome avait mal jugé la distance, et la courbure de son échine trompa la contre-attaque. Il fut néanmoins projeté en arrière, le souffle coupé. Le soldat gardait l’initiative, et la mit à profit pour assener un coup de son fléau de haut en bas. Cette fois, il était sûr de ne pas le manquer, son échine garantissant une plus grande cible. La dernière seconde de l’Ovate avait sonnée, et il n’aurait même pas l’honneur de contempler sa mort. Déjà, Kundïn fermait les yeux, pour ne pas qu’ils reçoivent de sang.
Pourtant, rien ne se produisit. Enfin, si. Avec une rapidité fulgurante, Valald avait levé son arme, l’avait passé juste derrière la boule, puis enroulé la chaîne d’un tour sur son bâton, afin d’en briser complètement l’élan. Son adversaire ne put comprendre ce qui venait de se produire que parce qu’il n’était pas couvert de sang et d’éclats d’os. Et aucun œil ne roulait par terre. Il plongea son regard vert dans les yeux noirs de Valald, et y lut une certaine joie. Celui-ci ne laissa pas le temps à son adversaire de se dégager, et s’en chargea en lui projetant le bout de son bâton sous le sternum, dans le plexus solaire
Agrazg vacilla et se pencha en avant, paralysé, l’abdomen contracté, la bouche ouverte, pendant que l’assemblée éberluée tentait de comprendre se qui venait de se produire. Les rares observateurs expliquèrent la manœuvre de l’Elfe, qui, entre-temps, s’élança à la rencontre du centaure, qui relevait déjà la tête. Arrivé à un demi-mètre de lui, Valald bondit, effectua un tour complet sur lui-même, et abattit son arme et son pied sur la tempe du Gnome, qui l’évita facilement, car l’Ovate avait oublié qu’il était plus petit que lui. Néanmoins, l’esquive ne lui donna pas l’avantage pour autant, car il avait dut reculer très loin.
En retombant, l’Elfe se dit que même si la sorcellerie avait été autorisée, il n’aurait jamais eut le temps de l’utiliser face à un adversaire aussi rapide. Adversaire qui semblait bien décidé à reprendre l’avantage. Il se cabra, rejeta la tête en arrière, comme pour saluer, et poussa et cri assez fort mais qui sembla porter loin, très loin, au-delà des montagnes, au-delà d’Irkice et de la matière. Agrazg utilisait une mentraque intrinsèque aux centaures, la Rage Primordiale. Il rabattit ses sabots en sautant vers Valald, qui chuta à terre. Agrazg savait qu’il n’aurait pas le temps de comprendre. Ses coups allaient s’enchaîner à une telle vitesse qu’il serait quasi-impossible de faire la différence entre le premier et le suivant. Ses sabots martelèrent le sol, mais son opposant roula au dernier moment, et se releva, pour parer un premier coup de fléau, et un deuxième en même temps semblait-il. Le Gnome avançait, précédé de son fléau qui formait un mur de pointes devant lui, tandis que Valald reculait, parant tant bien que mal les furieux assaut du centaure. Le guerrier savait que l’Elfe ne tiendrait pas plus de cinq secondes ainsi, et sa victoire aurait déjà été assurée s’il avait utilisé ses sabot aussi, mais il avait envie de jouer un peu. L’Ovate parait, suivant uniquement son instinct, pour laisser son esprit réfléchir.
-Il se sert d’un pouvoir psyolite. C’est donc autorisé. Mais je vais jouer autrement, pensa-t-il.
Reculant toujours, mais plus vite, il se plaça devant un pilier de pierre. Agrazg jubila, son adversaire fuyait. Il redoubla d’ardeur. Même l’instinct de l’Elfe ne suivait plus, et il sauta en arrière, à un mètre de la colonne. Le centaure chargea, comme il le voulait. Au dernier moment, Valald bondit, effectua demi-tour vertical pour poser ses pieds sur le pilastre. De là, il se propulsa en avant, exécuta un saut périlleux vrillé qui l’amena juste dans le dos de son opposant. Celui-ci se retourna. L’Ovate, sachant que son arme ne pouvait rien contre lui, utilisa un talent de son esprit pour activer l’une de runes de protection gravée sur le pilier qu’il avait identifiée. Celle-ci, un double carré avec une prolongation vers le haut et une à gauche, entourée au coin inférieur droit par un cercle, se mit à luire d’une lumière verte. Alors qu’Agrazg allait faire voler les entrailles de Valald, un rayon en jaillit, qui le frappa de plein fouet. Le centaure tomba sur le sol, assommé.
La salle, éberluée, attendit le jugement de Grodreck Marteau d’Argent quant à ce combat qui la laissait muette. Celui-ci prit la parole :
-Valald, t’as pas utilisé d’arcanes. T’as pas non plus usé de mentraques tant que tu ne savais pas si elles étaient autorisées. Tu as fait montre d’étranges, mais excellentes qualités de combattant. Quand Agrazg s’est servit des ses talents mentaux, tu t’es servit de nos propres défenses contre lui, jugeant, à juste titre, que nous n’aimerions pas cela venant d’un Ovate. En faisant ainsi, t’as parfaitement respecté les règles, sans jeter de doutes sur ta conduite, et vaincu. Tu es donc libre.
Déjà, Agrazg se relevait, et vint près de l’Ovate.
-Bravo, c’était un beau combat qu’tu m’as offert. Merci, et tous mes compliments. Si un jour on s’revoit, j’te promets d’pas t’éclater ta tête.
Kundïn apportait ses affaires à Valald, en le couvrant de compliments. Celui-ci le remercia longuement, puis se tourna vers le seigneur de Calderak.
-Maître Grodreck, qu’en est-il à propos des requêtes de mon Duc ?
-Nom d’un postérieur d’Orque ! T’es l’être le plus loyal que j’connaisse. Après tout ce que t’as découvert. J’t’accorde tout, pour trois cent Fileins, mais c’est bien pour toi. J’me chargerai d’ce Laîendel plus tard. J’ai ma p’tite idée. En plus, j’t’offre un garde du corps, qui te suivra jusqu’à la Passe du Chaos. Agrazg, ce rôle est pour toi.
-A vos ordres, Seigneur, fit l’intéressé, apparemment ravi.
-Ah, Kundïn, poursuivit Grodreck, un messager part sur l’heure pour Krafeck-Tarn, tu sais pourquoi. Comme ça, tu pourras rester avec Valald.
-Merci, Seigneur, fit Kundïn, saluant de la tête et claquant des talons, bras et mains dans la même position qu’à son entrée dans la salle.
-Que Selièndeh vous bénisse, Grodreck Marteau d’Argent, répondit Valald, s’inclinant très bas en lui donnant la somme requise.
Les trois compagnons se mirent en route une heure après, le temps pour Agrazg de préparer son sac à dos et sa selle de bat, et à Valald de se débarrasser de la foule qui l’oppressait, sous le rire de Kundïn. Au bout de plusieurs heures de marche, le tunnel émergea à l’air libre, dévoilant un paysage de hautes montagnes d’ardoises, couvertes d’ébènes et de neige, sciant un magnifique ciel rougit à l’Ouest, où Eldion se couchait. En contrebas s’étendait une vallée où courait un ruisseau au milieu de vertes prairies et de forêts d’épineux. Déjà, on pouvait voir quelques étoiles et un croissant de Letha se lever, à l’Est. Agrazg, qui guidait la marche, se tourna se tourna vers ses compagnons.
-Voilà, nous sommes sortis de la ville de Calderak. Au sud, à une centaine de kilomètres, c’est le Rift. Mais ’faut déjà traverser le territoire d’la cité et d’la zone neutre avant de l’atteindre. On va camper dans une petite clairière, à droite.
Quand le campement fut dressé, le feu allumé, et la nourriture mise à cuire, Valald s’approcha de Kundïn et lui dit solennellement :
-Merci pour tout. Lehendeliak, ontosaëlienndsa bialeohuinlen, vèlifiendalea yen öguiso âjieta, tsaorienlahe, fuinirmë oî gualentahia.
-Qu’est-ce que cela signifie ? l’interrogea le Nain.
-C’est le même serment que tu as prononcé pour moi, répondit l’Elfe.