La nuit était claire. Une légère brise caressait les rameaux. Les géants de la forêt pointaient fierement vers l¹immensité étoilée. Des pas furtifs se faisaient entendre à proximité. Craquements infimes , bruissements , remues de feuilles sèches. Puis à nouveau le silence. Silence imparfait , percé des murmures buissonniers, et par intermitance de piaillement aigus .
Un furthuk. IL le discernait maintenant très bien : son museau allongé , ses membres tendus , sa queue en panache. Sans doute était il roux , comme la plupart de ses semblables. A peine plus grand qu¹un chien domestique , il faisait figure de géant au regard des autres bêtes que l¹homme percevait alors. Des grimkhs , petits rongeur aux antérieurs atrophiés , des plurks , ancêtre sauvage des volailles de basse-cour , et multitudes d¹oiseaux sauvages.
IL ouvrit les yeux. Instantanément , tout disparu. Furthuk , grimkhs , oiseaux , sons, lumière. Ne demeurait que l¹obscurité et l¹indiscernable. Même les étoiles lui semblaient moins brillantes.
Assit en tailleur au milieu de la clairière , le dos droit , le front haut , Il demeura quelques instants ainsi . Puis il referma les paupières. Progressivement , la vie qui l¹entourait lui revint. Peu à peu , Il perçu à nouveau chaque chose , chaque être. Même les arbres semblaient s’ouvrir à lui. Il ressentait leur lente existence , parcourait avec la sève le tronc jusqu¹au extrémités les plus fines des branches , caressé par un souffle doux.
Une esquisse de sourire se dessina au coin de sa bouche. Il lui était dorénavant aisé de recourir à perception originelle , ou d¹utiliser le troisième oeil , comme l’appelait son maître, un vieil homme acariâtre , mais emplit de sagesse. Il avait trouvé en lui le DON , et par conséquent , fidèle à son devoir , il l’avait patiemment instruit. Il lui avait appris à « voire au-delà « . - « Ne crois pas tes yeux « disait-il toujours , « les yeux sont menteurs et fourbes. Clos-les . Laisses venir à toi la vie. Ne vois pas la terre , ressens-la. N¹essayes pas de prendre , reçois . N¹écoute pas , entends. Ce n¹est pas toi qui entre dans l¹universelle , c¹est elle qui t¹englobe. IL suffit de savoir ouvrir son esprit. «
Il ne connaissait pas son nom. Durant les trois années passées à ses côtés , le sage n’avait jamais daigné le lui révéler. Cela n¹avait aucune importance , il était le maître , et cela seul importait. D’ailleurs , lorsque ce dernier à LUI , il ne l’appelait pas par son nom. Il ne LE nommait pas . Il le connaissait pourtant. Un soir que le disciple et le maître étaient en communion avec les astres , le premier avait brisé le silence.
« Mon nom est Victorios von Krichton . » avait-il dit simplement. L’autre n’avait tout d¹abord rien répondu , puis : « Tu t’appelais ainsi , c¹est probable. Mais aujourd’hui , ce nom qui te désignait à tes semblables ne signifie plus rien. « Et il s’était tu.
Maintenant , IL comprenait les paroles du vieux mage. Ce temps passé en sa compagnie l’avait intégralement changé. Victorios , qui avait combattu les orcs aux côtés du célèbre Karl Von Kilmer , Victorios , l’as du javelot , le poète , Vic le marginal . Victorios était un autre.
Le furthuk lui effleura le genou. Perdu dans ses pensées , IL n’avait pas prêté attention à cette vie qui approchait. Le contact était doux et soyeux. Depuis huit jours que l¹homme était là , immobile aux centre de symboles complexes tracés par lui , l’animal avait accepté sa présence. Huit jours qu¹il était là. Huit jours de contemplation , huit jours à l¹écoute de Gaïa ; la terre mère. Cela faisait partie de la première épreuve du passage. On éprouvait sa volonté. Cela pouvait durer des semaines , comme quelques heures.
Pour une grande partie de ceux qui en connaissait l’existence quasi légendaire , et ils étaient rares , le passage était une sorte d’examen de fin d¹études , bien que le terme "étude" ne convienne en rien à l’apprentissage qu’il désigne ici. Durant cette épreuve , on testait la volonté du disciple , sa capacité à « voire au-delà « des choses , mais , et c’était le plus important , elle permettait de savoir si son âme était noble et ne risquait pas de succomber aux puissances chaotiques. En effet , jamais un être animé de vils dessins n’aurait put accéder à la communion universelle...