Remarque préliminaire
Voici le texte qui a servi de base au long portrait du Devin qui s'est fianlement transformé en une nouvelle/mini roman: Le Chant des Pierres. Vous y retrouverez beaucoup de choses mais je pense que les mêmes phrases ou paragraphes n'ont pas ici le même sens ou éclairage. Vous apprécierez ou pas les diffrénces de traitement mais, sachez que la fin dela 2eme version (qui n'est à ce jour pas terminée et que vous avez lue en premier pour faire simple) sera différente. En fait, ce texte a fini par prendre de plus en plus d'ampleur malgré moi, si bien qu'il me parait aujourd'hui complètement différent du projet initial. A vous d'en juger. Voici ce travail de départ
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Là où la neige ne cédait sa place qu’au feu, les Treize Pierres surplombaient la Vallée de Verre. Douze d’entre elles dessinaient un cercle gris clair parfait avec, au centre, un splendide monolithe aux mystérieux reflets violets. Depuis des millénaires, elles régnaient sur ce paysage glacé et immobile. Selon la légende, elles devaient un jour livrer un message pour tous les adeptes du Dieu Okkor. Et seul un devin était censé le comprendre. A cette époque, tout comme la longue lignée qui l’avait précédé, Reyv’avih avait hérité de cette mission des anciens, en fonction de critères qu’il ignorait aujourd’hui encore, fixant ainsi sa destinée jusqu’à la mort.
Au début, il accueillit sa nomination avec honneur, voyant là l’occasion de réaliser de grandes choses, voire une vie unique si le destin et Okkor lui étaient favorables. Mais les saisons se succédant inexorablement sans que rien ne changea à leur immuable spectacle, le regard des autres lui montra petit à petit sa très exacte valeur : tant que les Pierres ne parleraient pas, il ne serait rien, ou alors juste un devin médiocre qu’on sollicite lorsque la fièvre s’empare des corps de fragiles enfants ou affaiblit le plus coriace des guerriers. N’étant pas lui-même très charismatique ni athlétique, il paraissait pour beaucoup comme un parasite dans cette société qui devait lutter chaque jour contre le froid et le blizzard. Il était juste le tout petit devin d’une troupe d’Ylhak, ces guerriers sauvages et sans pitié.- Et d’abord, à quoi ça peut bien ressembler, un message de gros cailloux ?
Dressé devant lui au milieu de la neige, il regardait fixement, comme toujours, le monolithe central d’un brun violacé. Il rentra à nouveau dans sa tente avec le vague écho de sa question dans la tête. Des réponses ridicules y flottaient depuis si longtemps qu’il n’y souriait même plus, tellement sa vie était emplie de frustrations et de désillusions. Tous ces Dieux qu’il était censé vénérer ne se moquaient-ils pas une nouvelle fois de lui ? Certainement. Et il n’était pas le seul car ils n’avaient que mépris pour leurs miséreux serviteurs et, lorsqu’ils se manifestaient, leur terrible humour rendait illusoire et factice toute leur sollicitude.
Reyv’avih n’avait presque pas d’amis, de vrais amis. Seul un couple lui prêtait une attention qui dépassait le cadre de ses fonctions : Lonstroek et Ilda. L’homme possédait tout à fait les traits typiques des Ylhak : d’un côté, cette force brutale des Ylhak qui émergeait sur leur large front osseux, des sourcils épais et leur forte ossature que les exercices physiques rendaient toujours si impressionnante; de l’autre, un saisissant contraste s’opérait sur leur visage avec leurs traits et leurs yeux légèrement tirés et des coiffures sophistiqués sur des cheveux mi-longs, tantôt tressés, tantôt étirés ou décorés de plumes et de petits ossements ciselés. Lonstroek lui, possédait en plus une douceur inquiète presque féminine Sa femme, encore plus grande que son mari, faisait partie des plus timides du village, à un tel point qu’on ignorait si elle était belle ou laide. Seul Lonstroek, sans doute hypnotisé par la secrète terreur qui habitait son regard, avait su l’apprivoiser à force de patience, malade de la protéger de ses frayeurs permanente d’enfante à jamais blessée.
Lorsque le couple rendait visite au devin, ce dernier n’avait jamais su mesurer la part de véritable amitié de celle de la peur qu’il suscitait parfois lorsque Okkor se jouait des villageois. Ce jour-là, Lonstroek était venu partager quelques passereaux qu’il avait piégés au matin. La nourriture étant fort rare, Reyv’avih savait apprécier ce geste à sa juste valeur. Comme à son habitude, il leur donnait en échange quelques onguents de sa fabrication. Souvent, sans même s’en rendre compte, il regardait Ilda, sans doute parce qu’il avait rarement l’occasion d’approcher une vraie femme. Et puis, lorsque, à de rares moments de confiance, elle osait lever son visage tanné par le vent, elle lui livrait l’un des plus beaux regards qu’il eût pu contemplé. Ces yeux traduisaient à la perfection la fragilité même de la vie dans ce pays si impitoyable, d’ailleurs eux mêmes tout aussi improbables à cerner tant ils se cachaient au moindre face à face. Il était presque impossible d’y plonger, tout au plus pouvait-on les contempler de biais, lorsqu’elle hésitait à prendre la parole. Et, pour une fois, il eût plusieurs occasions de les entrapercevoir. Ce ne fut qu’à la quatrième reprise qu’il oublia son petit jeu pour se dire qu’elle avait peut-être quelque chose d’important à dire pour se comporter si inhabituellement de la sorte. Il chercha un moyen de la mettre en confiance.
- Ilda, je sais que tu dois préparer les vêtements d’été mais pourrais-tu m’aider, dans trois jours, pour la cérémonie de l’Unique ? J’ai pris du retard dans les préparatifs.Elle répondit par un acquiescement du menton et un petit murmure.
- Dis-moi ce qui te dérangerais le moins : les tresses du Feu ou les clés d’argile de l’Unique, insista-t-il pour l’obliger à parler.- Je pourrais faire les deux.
Les mots étaient sortis, comme à leur habitude dans sa bouche, à une vitesse presque tout autant inaudible avec une voix nouée, presque désagréable. Puis rien d’autre ne sortit, trop craintive d’avoir eu un peu d’audace. Le devin laissa volontairement le silence envahir sa tente. Il vit Lonstroek lui-même gêné par le mutisme de sa femme, comme s’il savait lui aussi qu’elle devait parler. Il savait qu’il ne servait à rien de la bousculer pour l’obliger à parler, c’était comme taper du pieds près d’un oiseaux. Il lui effleura du dos de sa main sa joue et lui souffla sur une petite mèche qui lui cachait disgracieusement ses yeux. L’immense femme avait arrêté de fuir du regard, mais sa nervosité était retombé tout entière sur ses mains, qui ne cessaient de s’agiter inutilement. Enfin, elle sembla chercher son souffle, ses poings se contractèrent sur la fourrure de son manteau.
- J’ai fait un rêve, souffla-t-elle, et le silence parut encore plus grand pour les deux spectateurs. J’ai fait un rêve cette nuit qui te concerne. J’ai rêvé que les Pierres se mettaient à chanter et qu’elles t’appelaient. J’ai rêvé que tu y allais et qu’elles finissaient par te rendre fou. Lorsque je me suis réveillée tu t’apprêtais à les rejoindre une dernière fois pour qu’elles te livrent leur vrai secret. Et je me suis réveillée à ce moment parce que j’ai eu peur que tu meures en les touchant.
Reyv’avih ne s’attendait pas à une telle intervention. Lorsqu’il la vit le dévisager, sincèrement inquiète de son sort, il ne put s’empêcher de vouloir la rassurer au plus vite en plaisantant.
- Mais tu crois vraiment qu’une telle chose puisse se produire ? Cela fait des siècles que l’on attend en vain. Crois-tu que je vaille vraiment cet honneur ?
- C’est bien ce que je lui ai dit aussi, fit son mari. Mais elle est persuadée que c’est un présage et que cela doit se produire bientôt.
- Mais pourquoi moi et pourquoi maintenant ? Ces maudites pierres, je les ai encore contemplées ce matin, crois-moi, elle ne m’ont rien dit et je n’ai encore moins vu un quelconque changement.
Ilda avait retrouvé son mutisme d’enfant. Ses yeux fixait tantôt ses pieds tantôt les piles d’étranges petits récipients colorés et épars sur sa droite. Mais elle semblait à nouveau chercher son souffle pour se défendre.
- Je ne sais pas… Je ne sais pas… Mais j’ai peur que ce soit pour aujourd’hui…
Elle était au bord des larmes, comme si on lui avait arraché un terrible aveu, prête à s’enfuir en courant également. Son homme lui serra à son tour la main pour la calmer.
- Le plus simple est de te montrer que ce n’était qu’un rêve. Allez, venez ! Allons défier les monolithes !
Le devin sortit se sa tente et contempla attentivement le lieu sacré.
Partout le givre marquait son territoire. Les branches figées des arbres s’avachissaient paresseusement, pendant que miroitaient mille feux sur les plus petites d’entre elles, comme des étoiles perdues en plein jour. Comme chaque fois qu’il venait surveiller le cercle, la blancheur du paysage formait ce même écrin immaculé au treize majestueuses pierres. Comme toujours, le reflet violet du monolithe central semblait plus que jamais défier dans son implacable verticalité toute logique. Il était la marque éternelle de leur Dieu, Il était la couleur de leur espoir, la preuve que l’on peut survivre à la glace et au blizzard. Reyv’avih, à force de l’avoir contempler, finissait par connaître chacune de ses rainures, le moindre méandre de sa fissure ventrale et moqueuse. En fait, il arrivait parfois même à ne plus le voir, à deviner au-delà de sa surface comme s’il était devenu translucide à ses yeux.
Et en le regardant une nouvelle fois, rien ne lui sembla différent aux autres jours. Pour rassurer la jeune femme, il s’approcha du cercle, puis du centre et posa ses mains sur chacune des pierres pour finir par enlacer celui du centre de ses deux bras. De longues minutes s’écoulèrent sans que les oiseaux ne s’arrêtassent de chanter ou que le froid mordant ne s’évanouisse. Comme, bien sûr, rien ne se produisait, il finit par rejoindre le couple resté en retrait.
- Tu vois, il ne s’est rien passé. Rien de dramatique. Tu sais, moi aussi, j’ai fait de nombreux rêves semblables. Combien de fois me suis-je dit que le jour qui se levait allait être différent et que ma vie aurait soudain un sens nouveau qui justifierait tous mes sacrifices, je veux dire, tous nos sacrifices, les miens, les vôtres, ceux de tout le village ? C’est même un rêve magnifique que tu as fait là, le plus beau qui puisse m’arriver.
- Un rêve… Oui, un rêve… Mais pourquoi ce pressentiment reste-t-il toujours aussi fort ? Je suis sûre qu’un drame va se produire…
- Tu es trop sensible, Ilda. On en est tous là, on veut tous qu’il se passe quelque chose dans notre vie, et pour certains, même si le pire arrive. Mais il n’en est rien, combien d’entre nous sont morts sans voir cette heure ? Allons, je t’assure, tu peux t’en retourner rassurer, je crois. Mais je te remercie de t’inquiéter de moi, car je ne sais pas si beaucoup s’en soucient…
Puis, chacun rentra chez soi. Sur le chemin, Reyv’avih eut un petit pincement au cœur, qu’il n’avait pas senti depuis longtemps. En fait, secrètement, il aurait voulu que le rêve soit enfin réalité, que ses deux amis assistassent à sa consécration, quitte à véritablement basculer dans la folie car il supportait de moins en moins cette médiocrité qu’il vivait et qu’on lui renvoyait sans cesse. Mais sa vie était vouée à attendre un évènement qui jamais ne se produirait. Tel était son destin. Il essaya de chasser ces idées en se replongeant dans quelques prières et rituels.
Pourtant, ce jour-là, au milieu de sa triste routine, quelque chose sembla résonner derrière lui comme un cri d’animal. Il n’y prit pas garde et se rapprocha du feu crépitant, qui éclairait chaleureusement son abri. Ses mains captèrent immédiatement, en s’approchant, l’agréable bien être qui en émanait. Les flammes aspiraient déjà son esprit, dessinant sous ses yeux d’hypnotiques déesses alanguies, quand ce cri retentit à nouveau et sembla même entamer le début d’une mélopée irréelle. Son rythme chaotique contrastait avec le charme de sa mélodie primitive. Les sons qui la formaient lui parvenaient de manière indistincte et semblaient constituer des bruits même de la Nature. Elle planait autour de lui, comme si elle faisait elle-même partie de l’air ou des choses qui peuplaient ce monde. Elle le fascinait. Il se redressa pour mieux l’entendre, mais elle disparut aussitôt au milieu d’une rafale de vent. Il resta un moment, interloqué, se demandant s’il n’avait pas rêvé.Il était persuadé de n’avoir jamais entendu pareilles sonorités, à la fois gutturales et légères. Curieusement, la fluide et brève mélopée lui avait parlé aussi limpidement qu’avec des mots. Plus encore, il avait la certitude que son prolongement se logeait quelque part en lui. Or, ce creux silencieux qui régnait maintenant partout ne lui inspirait rien qui puisse le meubler. Il avait beau se concentrer, aucune suite ne venait à lui, tout comme il ignorait en fait son secret langage onirique. Malgré tous ces obstacles, la mélodie conservait à ses yeux la vive clarté de l’évidence. Puis, il sourit en marmonnant en lui-même, comme il en avait coutume dans sa solitude de devin : « Voilà de bien belles élucubrations que tu as là, mon bonhomme ! Tu rêves et tu veux construire ta vie dessus ? Allez, sois raisonnable et contente-toi de te réchauffer les mains ! »
A ces mots, il eût un frisson. Et s’il venait d’entendre le message ? Il sortit précipitamment de sa tente. Dehors, recouvert par la même couleur violâtre, le monolithe impassible régnait toujours magistralement dans sa verticalité implacable sur le paysage de givre. D’abord, l’absence de changement apparent le rassura. Mais, très vite, il discerna, le long des treize pierres, un second cercle brun en train de se dessiner, laissant même apparaître quelques maigres vestiges de végétation estivale, pendant que l’air dessinait aux alentours un halo troublé. Il s’approcha, puis recula immédiatement. Le vent était violemment chaud, presque brûlant. La neige avait donc fondu d’un coup sous l’influence invisible de la roche. Il la défia du regard. « Tu peux faire ton numéro, je saurais saisir ma chance ! ». D’un pas décidé, il se dirigea droit vers elle, tendit ses mains et ferma les yeux en serrant la mâchoire pour affronter la température de l’air qui tournoyait autour. Un instant, il repensa au rêve d’Ilda. Il sourit pour mieux surmonter sa peur qui l’immobilisait à quelques centimètres de la surface de la roche. Enfin, il parvint à poser ses deux paumes dessus. Instinctivement, il les retira, complètement pétrifié, car, à son contact, il ne put s’empêcher d’y associer l’image même de la mort. En effet, la surface rugueuse n’était absolument pas brûlante comme il le redoutait mais glacée…Il s’enfuit, littéralement paniqué à l’idée d’avoir pu être maudit.
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Rendu perplexe par ces derniers évènements, Reyv’avih passa presque une heure à les analyser. Il essayait de se rappeler ce qu’il avait cru entendre. Il cherchait même à reconstruire cette fameuse suite qui devait s’imposer à lui. Mais rien ni personne ne l’avait finalement préparé à de pareils signes. Lorsqu’on lui avait confié le Bâton Serpent du Cercle de Pierre, on s’était juste contenté de lui retransmettre ce que, depuis mille ans, on devait se répéter en vain. Depuis, il s’était raccroché à ces quelques mots creux, convaincu que leur sens s’éclairerait le jour où il en aurait besoin. Dans le cas présent, rien ne semblait concorder. Le Prophète leur avait laissé cette seule piste. « Pour contenter autant de dieux affamés, apprenez à n’être qu’Un. Et que tout ce qui vous divise soit banni de vous. Soyez un Tout, soyez l’Unique, là réside la clé. » Rien ne correspondait. Tant pis, même s’il ignorait tout du sens profond de cet étrange phénomène, il était décidé en tirer avantage car il attendait depuis trop longtemps le moindre changement du monolithe. Il allait enfin devenir quelqu’un d’important aux yeux de tous, quitte à utiliser ces soi-disant signes à ses propres fins. Dans la vie, il faut parfois savoir forcer son destin, même si on ne mesure pas toujours les aléas qui s’y dissimulent.
Avec soin, Reyv’avih se noircit le visage, puis hésita quelques minutes entre trois bols de maquillage : le bleu, le rouge ou le jaune. Il allait comme à son habitude prendre le bleu mais, au dernier moment, il trempa ses doigts dans le rouge afin de paraître le plus effrayant possible, dessinant trois traits sanglants sur chaque joue et surlignant ses lèvres et ses yeux. Enfin, il entama un cérémonial de divination très bruyamment, autant pour se rassurer que pour attirer sur lui l’attention. Bien sûr, nul message ne vint l’éclairer. Alors, il sortit en criant, déterminé à jouer un nouveau rôle dans cette société qui l’ignorait tellement.« Les Pierres se sont réchauffées ! Les Pierres ont parlé ! Les Pierres vont nous mener à la victoire ! »
Ainsi il éructait, grognait, gesticulait, comme en transe, les yeux exorbités et la voix suraiguë. Du coin de l’œil, il essayait d’observer les réactions des villageois, qui commençaient à s’approcher.« Notre Dieu Okkor nous appelle ! Marchons, marchons là où sa volonté sera exaucée ! Que tremble le peuple de Viktahls, que tremble le peuple de l’Ondine, que tremblent tous les humains qui nous barreront la route ! Nous attendions les Signes depuis des siècles, les Signes sont là ! Ainsi parlent les Pierres ! Cette chaleur est nôtre. Nous pouvons reprendre possession de notre due. Okkor est tout puissant et nous guide à travers moi !»
Les hommes et les femmes du village le regardèrent, interloqués. Puis, ils ressentirent, à ces mots, comme une délivrance. Ils attendaient de telles paroles depuis si longtemps qu’elles éclairaient d’un seul coup leur vie d’une nouvelle lueur, comme une preuve que leur souffrance à endurer le gèle et les privations n’avait pas été vaine. Cependant, tous autant qu’ils furent se doutaient bien que, si leurs dieux se manifestaient de la sorte, alors ils auraient à payer le prix fort. Mais ils préféraient cela à l’indifférence miséreuse qu’ils subissaient avec résignation.« Pour contenter autant de dieux affamés, apprenez à n’être qu’Un. Et que tout ce qui vous divise soit banni de vous. Soyez un Tout, soyez l’Unique, là réside la clé. ».
La nuit allait bientôt tomber. Le village entier avait littéralement bu les paroles de Reyv’avih. Pourtant il était volontairement resté très vague, pour que chacun puisse y projeter ses propres rêves ou folies. En les regardant l’écouter avec attention, le devin sut qu’il n’avait plus qu’une direction à donner : le Sud, vers la Vallée du Feu, en plein cœur de l’Eldred .Le lendemain matin, tout le village répondit à son appel, prêt à prendre la route avec lui pour guide. Avant de partir, le devin regarda une dernière fois le grand Cercle de Pierres. Elles conservaient leur mystérieuse majesté et lui semblaient plus que jamais muettes. Et tout au fond de lui, il ne savait plus rien. Son Maître était si imprévisible et possédait parfois un humour si noir que tout pouvait autour de lui s’effondrer en un instant. Qu’importe, son autorité vacillante bénéficiait d’un nouvel éclat et plus personne n’osait rire de lui. Dorénavant, il respirerait le front haut et le regard droit.
Les préparatifs étaient déjà fort avancés. En quelques semaines, les choses évoluèrent à une vitesse comme jamais Reyv’avih ne l’avait vécu. Une grande excitation régnait partout sur son passage et lui redonnait confiance.Reyv’avih réfléchissait beaucoup sur ce qui s’était passé et de tout ce que cela avait engendré. Les Pierres avaient bien parlé et seule une grande puissance en aurait eu le pouvoir, une puissance située bien au-delà de ce qui est humain, du moins, c’est ce qu’il avait fini par se persuader... Depuis quelques temps, ses doigts semblaient se raidir avec d’étranges picotements lui rappelant irrémédiablement le contact glacial du monolithe. C’était comme s’il avait ainsi tissé un lien invisible avec lui. Il refit une dernière fois le signe de soumission à son Dieu et harangua une nouvelle fois la horde. Les villages voisins s’étaient rangés sous ses ordres si bien qu’il n’avait jamais eu autant d’audience. Sa voix tonnait dans l’espace comme le torrent au printemps. Et, plus il parlait, plus il se sentait lui même puissance. Personne excepté lui n’avait maintenant le moindre doute sur ce qu’il restait à faire. Une nouvelle armée était en marche.
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Lors de chacune des nuits qui suivirent, le devin fixa le ciel à la recherche d’un signe confirmant tout ce qu’il avait déclenché, comme si tout n’avait été qu’illusion. Il commençait à sentir le poids de l’immense responsabilité de ce qui se dessinait sous ses pas, mais rien de ce qu’il attendait si fiévreusement ne se produisait. Cependant, à la lueur du jour, après que le sommeil l’eût emporté dans ses fils de soie, il se sentait chaque jour plus fort à son réveil.
Un matin, il fut saisi par une violente hallucination. Tout le ciel était rempli de rouge, comme si toute autre couleur en avait été soustraite. Nul nuage ne pouvait l’expliquer ni le soleil, ni la lueur évanescente du jour. Dans le même temps, au fond de sa tête, un bourdonnement sourd et puissant envahissait ses tympans, en même temps qu’une partie de lui semblait perdre l’équilibre sous l’effet du bruit. Son cœur se mit à battre non pas plus vite, mais juste plus puissamment. Emporté par ce déchaînement intérieur, il s’agenouilla pour tacher de se ressaisir. Il comprit alors que quelque chose cherchait à lui parler. En fait, le vacarme qui résonnait dans son crâne ne semblait avoir aucun sens, mais tout son corps y réagissait comme s’il s’agissait de véritables mots, des ordres absolus venus des profondeurs de son être.
Tout autour de lui, des dizaines de guerriers le regardaient avec ses yeux à moitié fous, ses mains en train de se vriller dans la neige. Peu à peu, il glissait, s’enfonçait dans la poudreuse de la nuit et finit par onduler comme un serpent qu’on aurait tué et dont les nerfs continuaient à animer le corps. Un vent d’effroi fit reculer tout le monde. C’est alors qu’il hurla d’une voix venant de nul part. Elle exprimait une autorité telle que tout le monde s’agenouilla à son tour, frappé de stupeur et de respect.« Dorénavant vous m’appellerez Grug’Martenden, celui qui voit, clama le devin au milieu de son armée, les Dieux guident nos pas ! »
Ses guerriers formaient maintenant plusieurs vagues humaines autour de lui.
« Je vois ce que nul ne peut voir ! Je suis celui qui vous mènera à la victoire ! Des signes sont apparus ! Tous concordent ! Et nous serons prêts ! »
Une immense clameur retentit dans la toundra. Certes, les pierres avaient parlé mais les hommes, plus fort encore, avaient hurlé.
Lorsqu’il reprit ses esprits, Gurg, puisque dorénavant tel serait son nom, fut complètement perdu. Lonstroek et Ilda avaient veillé sur lui toute la nuit et une partie de la journée De tout ce qui s’était passé, seules quelques bribes étaient restées dans sa mémoire. Une partie de lui était inquiète : derrière toute cette crise, il sentait qu’un pan de sa personnalité se défaisait. Et il se demandait si ce n’était pas le seul auquel il s’était attaché. De plus en plus, il éprouvait le besoin d’une présence. Finalement, en y réfléchissant, il n’avait jamais rien demandé avec une réelle conviction. Par le passé, il avait exécuté ses taches quotidiennes avec simplicité, mais sans zèle. Pourquoi avoir été choisi ? Avant, on le regardait à peine et, là, d’un seul coup, il était craint comme la foudre ! L’écart entre le passé et le présent prenait une dimension incongrue, presque ridicule. Il doutait toujours de ce qui lui arrivait. D’un autre côté, il sentait que tout ceci s’était profondément ancré en lui, alors qu’il aurait voulu rester le même. Pour le vérifier, il se saisit d’une motte de terre encore givrée, l’huma et la mit dans sa bouche. En l’avalant, il sut qu’il n’avait pas changé, car, cette terre, il la détestait toujours…
Suite aux derniers incidents, de nombreux chevaliers s’étaient joints à eux, convertis par la nouvelle éloquence fiévreuse du devin. Il n’arrivait pas à être entièrement dans ce mouvement. Certes, il aimait maintenant haranguer ses troupes, il sentait, dans ces moments, toute sa puissance monter dans son corps. Sa volonté était leur seule boussole et, plus que ses pouvoirs, Grug découvrait toute la force du Verbe.
Pourtant, tout n’était pas net dans son esprit. Au contraire, une complète incertitude l’habitait lorsque, au milieu de la nuit, un grand voile rouge s’emparait de lui. Cette couleur le laissait perplexe, elle n’appartenait pas à son Dieu, sa signification le perturbait, car tous les changements qu’il ressentait le plongeaient droit dans un océan d’incohérence. En aucun cas, Mùrd, le Dieu Rouge des Démons Soldats, n’aurait pu parler ainsi à un adepte de la magie, à lui, le lâche, qui se cachait derrière les bois pendant les combats, qui ne maniait pour ainsi dire jamais l’épée face à un ennemi. Seule la couleur violet aurait dû régner sur son destin. Telle était la volonté de son Dieu, Okkor, tout au moins de ce qu’on lui avait répété.
Encore et toujours, il se demandait s’il n’était pas simplement fou et si c’était cette folie qu’il dispensait autour de lui avec tant de conviction. Pour être honnête, il ne se sentait pas différent d’hier, ses pouvoirs n’étaient pas plus puissants qu’avant, son bras soulevait son épée avec la même force. Tout n’était qu’illusion. Rien n’avait foncièrement changé. Seul ce voile rouge et une violente impulsion à détruire ce qui s’opposait à lui l’habitaient depuis peu.
Pourtant, un autre signe le rongeait maintenant. Il ne supportait plus de voir le ciel limpide d’hiver, ni l’eau claire de la fonte des neiges, ni l’uniforme outremer de ses ennemis. En fait, il exécrait cette couleur bleue. « Le Bleu et le Rouge donnent la couleur de mon Dieu, se rassurait-il, voila le signe que je cherchais ». Pourtant elle n’expliquait ni sa répulsion de l’un ni son attirance vers l’autre. Il se contenta de cette unique et maigre justification, la seule un peu valable à ses yeux. Il se demandait si les picotements de ses doigts n’en étaient pas également une. Il regarda ses mains mais il ne vit rien, si ce ne fut qu’elles lui parurent plus belles et plus impitoyables.
Pour l’heure, il menait ses hommes au Sud. Déjà, la neige avait disparu de la terre qu’ils piétinaient. Une douce chaleur se répandait en caresses invisibles sur leur corps ravagé par le froid. Bientôt, ils seraient au coeur de l’Eldred et, bientôt encore, il en était persuadé, il saurait le pourquoi de cette direction. Tandis qu’il regardait au dessus de sa tête l’azur immaculé, un tremblement violent s’empara à nouveau de lui. Ses hommes le regardaient lutter contre cette pulsion en train de le dévorer, avec le respect de ceux qui ne souhaitaient vivre eux-mêmes cet étrange calvaire ou de ceux qui préfèrent obéir, plutôt que payer leur dîme à des Dieux si capricieux.
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Seule la nuit lui offrait parfois quelques heures de vrai répit. Il faisait fréquemment un rêve très bref : une femme se tenait devant lui au milieu d’une lande crépusculaire, vêtue d’une grande houppelande brunâtre ; elle l’appelait, la tête inclinée, laissant tomber dans le vide de longues mèches de cheveux prématurément gris mais magnifiques. Son visage mat et creusé faisait saillir ses deux pommettes maladivement pâles, tandis qu’un léger sourire sur ses lèvres gercées atténuait la dureté de son regard. Partout sur elle, on pouvait lire la souffrance Et lorsque ses mains étaient sur le point de la toucher, elle lui jetait son vêtement au visage, dévoilant une robe bleu nuit toute simple sur son corps amaigri. Cette couleur le répugnait encore plus, même sur cette femme pourtant si désirable et qu’il mourait d’envie de protéger. Et, face à son regard perplexe devant ce geste, elle éclatait alors d’un rire qui se transformait très vite en bourdonnement rauque à en devenir inaudible mais qui envahissait tout son être. Il se réveillait toujours à ce moment précis, avec un terrible mal de tête, comme si son cerveau lui refusait toute réponse.
Au matin, lorsqu’il sortait de sa tente, quelque fut son état de fatigue, il était respecté, voire déifié plus que jamais. Certains villages ennemis s’étaient même rendus à sa seule vision. A perte de vue autour de lui se tenait maintenant une immense armée. Des généraux de plusieurs nations l’avaient rejoint pour offrir leur expérience et leurs conseils. Fondamentalement, Grug n’avait plus qu’à offrir sa présence, parfois donner une direction, un but, mais toute son armée se déployait sans lui. Il était, pour les uns un gage de bonne fortune ; pour d’autres, la certitude d’être dans la Vérité au milieu de ce chaos. Mais, au bout du compte, chacun menait à bien avec ferveur sa propre destinée dans une volonté commune. Son rôle se réduisait peu à peu à celui de catalyseur. Pourtant, plus que jamais, il était rongé par le doute. Et si ce bruit si vague qu’il avait entendu ce fameux jour n’avait été que celui d’un animal ? Et si la mélopée n’avait existé que dans sa tête ? Et si le message des pierres sacrées n’avait jamais été délivré ? Ou pire, qu’arriverait-il s’il l’avait volontairement mal interprété pour en tirer personnellement profit ? Toutes ses douleurs qui le meurtrissaient dans son corps et sa tête n’en étaient-elles pas la preuve manifeste?
De plus en plus seul, il n’avait aucune échappatoire pour se distraire de ces questions. Pour être honnête, il avait maintenant la certitude de s’être trompé. Mais pourquoi alors lui offrir tant de gloire et de puissance ? Pour lui, une partie de la réponse se cachait certainement dans sa phobie du bleu et une autre dans la sensation qui envahissait à présent entièrement ses deux bras. Il avait l’impression que tout son corps réclamait le contact du Monolithe. Et cela l’effrayait au plus haut point car il avait tout à perdre à l’affronter à nouveau. Alors qu’un voile rouge s’abaissait encore sur ses yeux brillants, il accueillit, d’un regard las, le messager qui lui annonçait que, bientôt, ils allaient affronter la plus puissante armée depuis leur départ d’Ylhak, sans doute le dernier obstacle avant d’atteindre la Vallée de Feu.
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Les siens se battaient maintenant depuis plusieurs jours sous un soleil de plomb. Un air brûlant circulait à peine au milieu d’une végétation mourante, avec l’ombre comme plus grande richesse. Grug, lui, restait enfermé dans la claire obscurité de sa tente et mangeait à peine. Il était maintenant hanté par la mélopée qui semblait même hurler dans sa tête. Et à chaque fois, il buttait sur cette fin prématurée et abrupte. Et le vide qui lui succédait était plus que jamais le sien. Il avait besoin d’une présence, de chaleur et… de froid. D’ailleurs, tout ceci se confondait de plus en plus avec le rêve de la femme au corps famélique. En fait, l’idée le répugnait mais il devenait malade à être séparé du monolithe. Il avait envie de hurler ce besoin. C’était pour lui l’unique solution pour rompre la solitude qui l’accompagnait depuis des mois. Il lui semblait ne plus appartenir à ce monde. Sa destinée était de regarder le monolithe, de le protéger, de l’écouter chanter. Et il était certain qu’il chanterait à nouveau rien que pour lui ; et enfin, il connaîtrait la suite de la mélopée et, surtout, au bout de l’aboutissement de ses souffrances, il trouverait la Paix.
D’un seul coup, tout changea en lui. Il lui avait suffit de réussir à chasser le nouveau voile rouge intérieur, qui embuait de part en part son esprit, pour faire naître la lumière : il devait rejoindre immédiatement le monolithe. Peut-être la roche l’appelait-elle ainsi parce qu’elle était en danger ? Ou peut-être n’avait-elle pas fini de délivrer son message ? Il interpella autour de lui quelques soldats pour qu’on se préparât à rebrousser chemin. Ses hommes le regardèrent comme un fou, effrayés d’être abandonnés par leur guide. Pour que la nouvelle ne répandît pas trop vite et que son armée gardât confiance, il donna de nouvelles consignes, qu’il inventa de toutes pièces, en justifiant son départ comme une nécessité pour accroître son pouvoir. Il savait qu’il n’en était rien et que ce retour constituait un aveu d’échec face à la puissance du monolithe.
Une cinquantaine d’hommes l’accompagnait pour le protéger. Il les avait acceptés plus pour rassurer cette armée qui avait été la sienne que pour sa propre sécurité. En fait, il n’avait plus aucune conscience du véritable symbole qu’il était devenu aux yeux des siens et de ses ennemis. Et il s’en moquait, tout comme l’indifférait l’issu de cette ultime bataille. Seul le contact de son cher monolithe lui importait, comme un puit sans fond. Le chemin fut long. Ils s’étaient enfoncés si loin au sud que plusieurs semaines furent nécessaires pour retourner en Ylhak. Et ses compagnons regardaient Grug, inquiets, se tordre de douleur et hurler dans une langue qu’ils ignoraient. Il leur semblait entendre comme un nom. Parfois, ils distinguaient dans ses cris comme une mélodie à la fois terrifiante et apaisante. Curieusement, dès la première nuit qui suivit son départ, Grug avait trouvé la suite de la mélopée. Elle le hantait plus que jamais, tout comme le besoin physique de sentir le contact de la roche. Et il avait même entendu son nom, beau comme une femme: Vyréelle. Vyréelle, comme la femme qui hantait son rêve ?
Enfin, ils arrivèrent au village. Le cercle de Pierres était toujours là. La neige avait reprit ses droits en recouvrant leur sommet d’un bonnet de laine. La petite communauté y accompagna le devin. Sous le regard effrayé de ses frères, il se précipita, en hurlant, vers le Monolithe. Personne parmi eux ne vit que la roche avait changé de teinte. Le violacé s’était fait bleu nuit. Grug, lui, l’avait instantanément remarqué. C’était pour lui un nouveau signe. Que signifiait-il ? Il l’ignorait. Mais il avait la certitude qu’en le touchant à nouveau il le saurait. C’était une évidence, comme la lune dans la nuit. Devant cette réalité externe à lui, toutes les pesantes sensations qui régnaient sur le devin semblaient prêtes à s’enfuir, comme une délivrance.
Il tendit la paume de sa main. A son approche, l’air se remit à vibrer et la neige à fondre à grande vitesse. Il lui restait un peu moins d’un mètre à faire. Après une légère hésitation, il pressa la surface. Il perçut immédiatement le chaud froid si terrifiant produit par la pierre et la peur montée en lui. Il hésita un long moment, comme si une voix intérieure lui criait de s’arrêter et de fuir, mais il garda sa main appliquée sur elle. A cet instant précis, il l’aima de tout son être. Il avait besoin de la chérir, de la caresser, de se fondre en elle pour briser l’immense solitude qui régnait sur sa vie.
Le même picotement glacé et brûlant l’envahit plus profondément encore. Puis, une impression de bien être sembla se diffuser par ondes successives en emplissant sa tête de couleur bleue ; pourtant, dans le même temps, ses tempes semblaient éclater par l’action d’une douloureuse vibration qui le vrillait jusqu’à la nuque. Une nouvelle forme de terreur le gagnait parce que ce contact lui procurait une sensation inconnue et dont il ignorait l’interprétation : était-ce un appel à retirer sa main ou au contraire un invitation à fusionner avec la pierre ? Pour la surmonter, il l’entoura de ses deux bras, comme il avait l’habitude de le faire avec des arbres pour sentir la puissance de la Vie.Rien de similaire ne se produisit. Son esprit semblait flotter dans les nuages ; au loin, il entendit de vagues voix l’appeler, pendant que ses yeux se troublèrent ; cette fois-ci, il fut envahi par un voile bleu. Il serra encore plus fort la roche. Son cœur battait au rythme saccadé de l’étrange mélopée, en même temps qu’un flot de tendresse se déversait en lui à grandes vagues. Il savait qu’il était tout près de la Vérité et qu’aucune couleur ne le tracasserait jamais plus. Il se mit à chanter de cette voix qui ne lui appartenait pas, tout en posant avidement ses lèvres sur cette surface froide et rugueuse, qu’il chérissait maintenant. Pour la première fois depuis fort longtemps, il se sentit complètement apaisé, détendu, son corps vidé des pulsions si contradictoires qui l’étreignaient à le rendre malade. Vyréelle… Reyv’avih… Vie réelle… Rêve à vie…
Et, soudain, la pierre ne fut plus froide ou chaude, elle n’exista littéralement plus pour lui, tout comme Grug le puissant et le victorieux. Une idée curieuse lui trotta dans la tête : son sang n’était plus rouge mais bleu. Reyv’avih avait l’impression de danser avec une femme gracieuse aux cheveux gris qui l’emmenait toujours plus haut dans le ciel. Cette délicieuse spirale le happait à son tour comme une bouche affamée. Tandis qu’un harmonieux mélange de bonheur et de sérénité se distillait dans ses narines et ses veines, son étrange cavalière à la peau glacée et rêche lui sourit avec un rictus amer mais complice. Et tous les deux, ils dansaient et tournaient, encore et encore, au rythme pourtant tribal de la mélopée … Tout s’évanouissait peu à peu dans ce mouvement ascendant et gracieux. « Soyez un Tout, soyez l’Unique ». Alors, autour de lui, il n’y eut plus de nuages mais seul l’azur infini, réceptacle incandescent et éternel de sa folie passée.
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Bien plus au Sud, là où le Sable ne cédait sa place qu’aux montagnes, treize Pierres surplombaient la Vallée de Feu. Douze d’entre elles dessinaient un cercle beige parfait avec, au centre, un splendide monolithe aux mystérieux reflets orange. Depuis des millénaires, elles régnaient sur ce paysage brûlant et fuyant. Selon la légende, elles devaient un jour livrer un message pour tous les adeptes du Dieu Halam. Et seule une sorcière était censée le comprendre. Vyréelle avait hérité de cette mission des anciens, en fonction de critères qu’elle ignorait aujourd’hui encore, fixant ainsi sa destinée jusqu’à la mort.
Au début, elle accueillit sa nomination avec honneur, voyant là l’occasion de réaliser de grandes choses, voire une vie unique si le destin et Halam lui étaient favorables. Mais les saisons se succédant inexorablement sans que rien ne changea à leur immuable spectacle, le regard des autres lui montra petit à petit sa très exacte valeur : tant que les Pierres ne parleraient pas, elle ne serait rien, ou alors juste une sorcière médiocre qu’on sollicite lorsque la fièvre s’empare des corps de fragiles enfants ou affaiblit le plus coriace des guerriers. N’étant pas elle-même très charismatique ni gracieuse, elle paraissait pour beaucoup comme un parasite dans cette société qui devait lutter chaque jour contre la soif et le sable. Elle était juste la toute insignifiante sorcière d’une troupe d’Esslim, ces nomades libres comme l’air et sans pitié
.- Et d’abord, à quoi ça peut bien ressembler, un message de gros cailloux ?
Dressé devant elle au milieu des dunes, elle regardait fixement, comme toujours, le monolithe central d’un brun orangé.