_ N’approchez pas ! Menaça la femme noire.
Elle s’appelait Myel ainsi qu’Anissa l’avait appris le jour suivant la rixe de l’auberge. Elle avait été forcée par sa dague de sortir par la porte de derrière après qu’elle lui ait liées les mains. Johan toujours aussi calme avait pris le temps de revêtir son manteau avant de les suivre.
Depuis Myel ne faisait que se retourner à longueur de temps, invectivant Johan à rester une trentaine de pas en arrière. Ils avaient marché toute la journée dans la neige, à l’abris des arbres dans la forêt sans s’arrêter jusqu’à arriver en fin d’après midi à la lisière. Ils s’étaient alors arrêtés pour manger et y passer la nuit, Johan toujours à distance. Anissa avait alors appris le nom de Myel alors qu’elle lui déliait les mains. Elle n’avait fait que réfléchir toute la journée, sans mot dire, espérant ainsi avoir la possibilité de discuter plus librement le soir.
A la lumière du feu, dévorant son pain sec et quelques portions de haricots bouillis, Anissa avait ensuite remarqué quelque chose de spécial chez Myel. Ce n’était pas son accoutrement en cuir sombre de la tête aux pieds, ni même les fines chaînes métalliques jouant le rôle de ceinture mais plutôt son visage. Il lui avait semblé voir briller une sorte de tatouage partant de l’oreille gauche, se divisant en deux et joignant l’œil à la joue par de sobres lignes courbes et dentelées. C’était d’autant plus étonnant qu’elle n’avait rien remarqué au cours de la journée, lors des brèves haltes pour reprendre leur souffle.
Pour manger Myel attacha ses cheveux tressés en arrière. A ce moment Anissa distingua alors clairement le tatouage argenté reflétant la lumière du feu de bois. Elle décida d’engager la conversation :
_ Vous avez parlé de la stase la nuit dernière à l’auberge, de quoi vouliez vous parler ?
Quelques mètres plus loin Johan secoua la tête :
_ Je vous l’avait dit, elle…
_ La ferme Johan ! Coupa Myel.
Elle fixa alors Anissa de ses yeux sombres.
_ Je ne tomberais pas dedans, lui dit-elle, mais je suis étonnée de voir que la Stase n’utilise plus ses Chasseurs Blancs, répondit-elle.
Anissa considéra un instant ces paroles, ne voyant toujours pas à quoi Myel faisait référence. Elle tenta une nouvelle approche :
_ Sympa le tatouage, bégaya-t-elle.
Elle se mordit la langue. Johan avait pouffé de rire. Comment rompre la conversation après deux phrases. Myel le condamna du regard et toisa Anissa :
_ Si tu savais à quel point je suis fière de porter cette marque ! Je ne veux plus t’entendre à présent ! Plus un mot du tout… articula-t-elle froidement. Et ça vaut pour toi aussi ! Ajouta-t-elle à l’adresse de Johan.
Le lendemain ils avaient repris leur route, quitté la forêt et gagné des terres enneigées. Puis ils avaient passé une partie du jour suivant à descendre de l’immense plateau vers des plaines boueuses à l’herbe marron.
A perte de vue s’étalait une morne toundra, imbibée de neige fondue.
Le soleil atteignait le Zénith alors qu’ils descendaient le dernier pan de falaise du plateau. Il semblait à Anissa qu’un Géant avait posé son pied à cette limite et créé ce mur de roche qui s’étendait à perte de vue.
_ Nous nous reposerons jusqu’au crépuscule et repartirons à la nuit tombée. Dorénavant nous marcherons de nuit. Je ne veux pas rencontrer d’Orrins, avait alors annoncé Myel.
Anissa releva la tête à ce nom encore inconnu, à croire qu’ils n’étaient pas nés sur la même terre ; mais elle s’abstint de tout commentaire et massa sa cheville qui se remettait à peine de sa blessure deux semaines auparavant.
Pendant trois nuit durant ils marchèrent sans relâche, ne s’arrêtant qu’à l’aube. Le temps que Myel lie son pied à celui d’Anissa au moyen de sa ceinture de fer léger, cette dernière dormait déjà à coup sûr, épuisée par le voyage et ne se réveillait qu’en fin de journée pour manger et reprendre le trajet. Malgré la condition physique de Myel, Anissa avait remarqué qu’ils avaient ralenti l’allure. Johan restait constamment à une cinquantaine de pas sur leur droite, légèrement en arrière. Mais elle ne l’attribuait pas au fait qu’elle les ralentissait… En effet il paraissait que Myel était de plus en plus tendue à mesure qu’ils avançaient, ne cessant de jeter des regards de droite et de gauche, scrutant l’horizon lorsque Anissa s’asseyait pour boire le temps d’une pause.
Malgré le froid ils ne faisaient plus de feu de peu d’être repérés et parfois Anissa se surprenait à redouter quelque signe à l’horizon sans pour autant savoir ce que Myel redoutait.
Après dix jours de voyage harassant Anissa commença à distinguer des oiseaux blancs et noirs qu’elle reconnu, sans jamais en avoir vu, comme des mouettes. L’air se faisait plus salé et le vent plus cinglant. Bien qu’elle n’y soit jamais allée, elle compris qu’ils approchaient de la mer. Cette vaste étendue d’eau profonde et salée dont elle avait entendu parler par quelques voyageurs perdus.
Portée par l’excitation de découvrir quelque chose de nouveau elle s’était risquée :
_ Quand cela finira-t-il ?!
_ Neuf jours de silence ! Est-ce là tout ce que tu peux accomplir ?! Tais toi un peu veux tu ?!
Anissa avait crut au départ à une blague mais Myel s’arrêta et posa son sac à terre, sortant de quoi manger, mettant fin à la discussion. Johan avait fait mine de les rejoindre.
_ Ne vous approchez pas ! Menaça Myel.
_ Oh ça va ! Vous me faites …
_ Reculez ! fit-elle se relevant dague au point.
_ Je pourrais vous couper en morceaux avant même que vous la lanciez. Je n’ai plus de vivres et si j’avais voulu vous tuer je l’aurai fait le jour dernier dans votre sommeil.
_ Je n’ai pas dormi ! Clama Myel.
En effet, comme l’avait parfois remarqué Anissa, elle faisait tout son possible pour rester éveillée et surveiller Johan la journée.
_ De toutes façons mon employeur de voudra pas de vous ! Ajouta-t-elle à la hâte, sentant qu’elle perdait l’avantage.
_ Nous verrons fit Johan en s’asseyant aux côtés d’Anissa.
Myel soupira et attacha ses cheveux. Elle les regarda tout deux, le soleil se levant lentement dans son dos.
_ Reposez vous aujourd’hui. Nous ne sommes plus très loin mais je préfère attendre la nuit je ne tiens pas à ce que vous sachiez où nous allons exactement.
Pendant qu’ils mangeaient, Myel ferma les yeux sur quelques bribes de conversation entre Johan et Anissa. Cette dernière prit alors le temps de le dévisager à la lumière du jour. Il avait une vingtaine d’années et sa carrure était déjà imposante, ses cheveux bruns courts étaient en batailles et ses yeux bleu vert captivaient son regard à chaque fois qu’il la dévisageait elle aussi. Ils ne purent aborder le sujet de leur présence respective sans que Myel y mette rapidement fin.
Anissa jeta de temps en temps de furtifs coups d’oeils à Myel, tentant de la dévisager. Elle évitait autant que possible son regard de peur d’être prise sur le fait comme lorsque l’on essaie de comprendre quelqu’un que l’on craint, quelqu’un que l’on a peur de regarder. Elle remarqua alors que le tatouage qu’elle avait vu quelques nuits plus tôt n’était pas visible. Myel capta ses coups d’oeils et lui lança un regard lourd de menaces.
Ainsi Anissa appris à mieux connaître Johan sans entrer dans les détails. Sa voix calme et son caractère posé, ne parlant pas plus que nécessaire, Johan et elle avaient peu à peu lié conversation à mesure que le soleil se levait et Anissa y trouvait un peu de cette chaleur qu’elle avait laissé dans son village. Ce rapprochement la fit se détendre un peu plus puis elle fini par laisser la fatigue du voyage la gagner pour s’endormir d’un sommeil réparateur.
_ Debout ! Il est temps de partir !
Si près du but de leur voyage, Myel semblait de plus en plus pressée de rencontrer son employeur et lui montrer ce qu’elle lui rapportait, en l’occurrence Anissa, qui s’éveilla rapidement et se dépêcha de se préparer évitant ainsi la colère de sa ravisseuse. Le soleil venait à peine de se coucher à en juger par les dernières lueurs à l’Ouest. Johan avait déjà pris ses marques et préparait son sac à une cinquantaine de mètres de là, sûrement où il avait dormi afin d’entendre Myel arriver si elle lui cherchait quelques noises.
Ils se remirent donc en route. Plus ils avançaient et plus un vent frais soufflait, charriant un air humide et salé. Sur leur gauche, au sud, apparu peu à peu ce qui était un petit bois. Finalement ils firent une brève halte après une heure de marche au bord est d’une grande crique s’ouvrant sur une mer ou un océan, Anissa ne pouvant faire la différence. La crique s’évasait en triangle vers le sud et le petit bois qui surplombait la falaise. A ce point une série de gigantesques rochers sortaient de l’eau comme semés en ligne, menant à un plus gros rocher, d’une centaine de mètres de haut. Il se détachait peu du ciel voilé de nuages en cette nuit sans lunes. Le faible contraste entre le ciel sombre et ce pic noir acéré s’élargissant à sa base était ce qui avait empêché Anissa de le voir au loin.
La falaise à leurs pieds descendait en à pic sur une plage s’élargissant le long de la ligne qui partait vers le nord. De l’autre côté la baie s’élargissait vers le sud ouest. L’océan donnant un peu plus de lumière au décors une fois leurs yeux habitués les laissèrent apercevoir une forêt dense à quelques kilomètres vers l’ouest dont la ligne se perdait vers le nord. Entre eux et la forêt sur l’autre rive, continuait la baie qui creusait encore un peu plus vers les terres au nord. Myel laissa ses compagnons de voyage embrasser du regard cette baie avec en son centre l’énorme pic rocheux à un kilomètre devant eux à vol d’oiseau. Pendant ce temps elle fouilla son sac et en ressortit deux bandeaux. Elle les leur présenta en leur demandant de se bander les yeux.
_ Nous bander les yeux ?! S’exclama Johan. Vous rigolez j’espère et si on tombe de la falaise ?
_ Si vous voulez voir mon employeur c’est votre seule option, quoiqu’il en soit, dit elle en s’adressant à Anissa, toi tu n’a pas le choix. Je ne veux pas que vous sachiez où l’on va exactement.
Sur ce elle mit le bandeau de force sur les yeux d’Anissa qui se tint tout à coup très droite, de peur d’osciller vers le vide et la plage une cinquantaine de mètres en contrebas.
Johan réfléchit un moment. Il se trouvait assez près du bord, un fait sûrement voulu par Myel qui voulait sans doute l’y pousser s’il n’obéissait pas. Bien qu’il se savait capable de la tuer avant qu’elle ne fasse un pas, il la considéra quelques secondes avec le bandeau dans la main.
_ Je veux voir votre employeur, ne vous y trompez pas. Et si je sens à un moment où un autre que vous cherchez à me guider vers la falaise je vous tuerai sans hésiter.
Myel ne dit rien et remit son sac sur le dos, attendant que Johan fasse quelques pas préventifs pour s’écarter de la falaise afin de mettre son bandeau. Anissa trouvait un peu de réconfort dans le fait que Johan les accompagnait. Elle espérait secrètement qu’il l’aide si elle se trouvait en danger. Ses pensées allèrent rapidement à Marian dont elle se trouvait loin à présent éloignée pour un court moment l’espérait-elle aussi.
_ Bien, en avant fit Myel. Si vous ne parlez pas vous serez en mesure d’entendre mes pas et de me suivre au bruit. Il n’y a pas ou peu de trous dans le coin, ne vous souciez donc pas d’où vous posez les pieds. Je garderai un œil par-dessus mon épaule, gardez vos bandeaux ou vous le regretterez.
Anissa hocha rapidement la tête à l’aveuglette.
_ En route.
Ils reprirent ainsi le voyage vers ce qui semblait à Anissa être le sud est, à gauche du pic qui leur faisait face alors qu’ils le contemplaient du nord.
Anissa ne sut pas trop combien de temps ils marchèrent ainsi les yeux bandés, les sens un peu brouillés par le fait de toujours réfléchir où elle posait les pieds. Après quelques minutes elle s’était concentrée sur le fait que c’était comme si elle marchait d’une nuit noire pour rentrer chez elle après un tour dans la forêt avec Marian, ce qui leur arrivait de plus en plus souvent alors qu’ils découvraient les plaisirs de leurs corps. Quelques larmes coulèrent sur sa joue alors qu’elle se demandait si ces temps étaient à présents révolus.
Après ce qui lui sembla des heures, Anissa se senti un peu à l’abri du vent alors que le sol devenait un peu plus meuble sous leurs pieds. Il lui sembla entendre des feuillages bouger et elle compris qu’ils avaient atteint le petit bois au sud est de la crique. Quoique son sens de l’orientation soit un peu brouillé par le manque de visibilité, elle sut que le pic rocheux qu’ils avaient vu plus tôt devait se trouver sur leur droite à présent, bien qu’elle ne pouvait être sûre du nombre de fois où elle avait tourné, ou cru tourné en se concentrant sur les bruits de pas de Myel. Cette dernière s’arrêtait de temps en temps, s’assurant qu’ils gardaient bien le bandeau.
Puis le sol devint complètement dur sous leurs pieds et le vent ne se fit plus sentir, ce qui indiqua à Anissa qu’ils devaient se trouver dans une sorte d’abri. Sur une centaine de mètres ou bien un kilomètre, elle ne pourrait dire ils marchèrent en tournant parfois jusqu’à ce que Myel s’arrête plus nettement cette fois çi.
_ Donnez moi vos armes Johan si vous voulez voir mon employeur. A présent vous n’en avez plus besoin.
Anissa écouta et sentit la réticence de Johan avant qu’un bruit de tissu et quelques bruits métalliques lui indiquent qu’il obtempérait.
_ Vous pouvez maintenant enlever votre bandeau.
Anissa retira son bandeau et sentit tout d’abord l’air frais sur son visage provenant d’un trou dans la roche. Ses yeux s’habituèrent lentement à l’obscurité puis discernèrent quelques lanternes voilées posées dans divers endroits de ce qui semblait être une pièce souterraine. En effet le plafond était fait de la même roche sombre que les murs et le sol sans délimitation particulière.
La pièce dans laquelle ils se trouvaient était assez chichement meublée. Un grand tapis rectangulaire pourpre et noir recouvrait la plus grande partie du sol. La pièce devait faire une dizaine de mètre de large et autant de longueur. Sur la droite d’Anissa, un meuble long et bas était accolé au mur sur lequel quelques objets divers étaient posés ainsi que ce qui lui semblait être les armes de Johan. Sur le mur du fond derrière une table et un grand lit étaient accrochés des armes au mur. Sur sa gauche un grand buffet faisait le coin de la pièce. En face d’elle, un large trou dans la roche supprimait le quatrième coin de la salle.
Sur le rebord plutôt large, un homme, qu’Anissa n’avait pas distingué plus tôt, était assis. Apparemment Johan l’avait déjà remarqué et le fixait. Sans savoir pourquoi, Anissa savait que Johan avait déjà repéré l’homme devant lui, la position de Myel et une éventuelle sortie en cas de problème ce qui la rassura plus qu’autre chose. Sa démonstration de réflexes à l’auberge lui revint à l’esprit et elle se rapprocha de lui d’un pas sur sa gauche glanant comme elle le pouvait un peu plus de sécurité. Myel sur sa droite lui lança un regard noir et hocha la tête en direction d’un point derrière eux. Anissa jeta un coup d’œil par-dessus son épaule et vit un sombre trou dans le mur où s’engouffra un garde. Sûrement le couloir qu’ils venaient de prendre pour arriver.
Myel prit la parole, Anissa retint son souffle.
_ Me voilà de retour Me’Vynoch.
Elle fit une pause puis en désignant Anissa elle ajouta :
_ Avec un présent.