Ylianthel arriva enfin devant ce qui s’appelait auparavant la Grande Forêt. Mais c’était avant la Guerre Divine. Avant que Mormo ne répande son sang corrompu sur cette terre. On lui avait indiqué qu’il pourrait trouver la créature nécessaire au rituel ici, dans la Forêt des Licornescies. Lorsqu’il la regarda pour la première fois, Ylianthel eut beaucoup de mal à contenir sa colère : la vue des arbres torturés par quelque terrible maléfice lui donna la nausée, lui qui n’avait connu que le fier et beau Gahnjus avant cela. Il découvrit des traces attestant du passage de la créature qu’il recherchait, et qui s’enfonçaient parmi les arbres menaçants.
Il ne pouvait plus faire marche arrière, sa quête commencée devant se terminer, d’une manière ou d’une autre. Il rentra dans la forêt, et suivit les traces. Celles-ci semblaient s’en tenir au chemin sur une certaine distance, mais Ylianthel savait qu’il ne trouverait pas la créature ici, sous la frondaison des saules, à cette période de la journée. Avant d’apercevoir la forêt, il avait remarqué, au loin, un troupeau de ces titanides paître dans les plaines qui séparent les Bois Malades des Licornescies. Et on lui avait indiqué que, le soir venu, la forêt leur servait d’abri.
L’elfe marcha pendant quelques dizaines de minutes dans la forêt, suivant les traces tout en essayant d’en faire le moins possible. L’endroit le rendait mal à l’aise, la forme torturée des arbres, alliée à la corruption maléfique dont semblaient être atteints les rares animaux qu’il voyait, tout cela lui fit jurer de terrasser tout suppôt de Mormo qu’il apercevrait. Enfin, il découvrit un arbre dont une des branches lui permettrait de se cacher et de surprendre tout animal qui passerait par là.
Il se débarrassa de son arc et de ses flèches, qui le gêneraient plus qu’ils ne l’aideraient lorsqu’il serait allongé sur la branche, et les dissimula dans un bosquet d’aubépines. Le calme oppressant qui régnait en cet endroit le rendait de plus en plus nerveux, et il avait hâte que cela se termine. Tout en revenant vers l’arbre dans lequel il allait se cacher, Ylianthel se saisit d’une flasque qu’il portait en bandoulière. Puis, chacune à leur tour, il enduit ses deux dagues courbes du mélange contenu dans la flasque. Ceci eut pour effet de les ternir et ainsi, de leur enlever tout reflet. Il répandit le reste du mélange sur ses bras et son visage, là où ses nombreux tatouages rituels ne recouvraient pas sa peau claire. Il se passa enfin les mains dans ses blonds cheveux coupés courts, afin de les obscurcir eux aussi. Ainsi préparé, dans la pénombre de la forêt, et vêtu de ses habits vert sombre sales, et de sa cape assortie aux couleurs des arbres, le chasseur était lui-même devenu une ombre.
Monter à l’arbre ne fut pas un problème pour Ylianthel, qui vivait dans la cité sylvestre de Vera-tre. Il s’étendit sur la grande branche qui surplombait le chemin, et il attendit, ses deux couteaux bien en main. Il s’était orienté vers l’orée de la forêt, sachant que l’animal devait rejoindre le couvert des arbres, et non le quitter. Ylianthel attendit que la journée touche à sa fin, regardant le soleil décliner juste en face de lui.
Un hennissement retentit. Là où, quelques instants plus tôt, ne se trouvait que l’astre solaire, l’elfe distingua les contours de sa proie découpés par la lumière : une licorne, noble créature équine arborant une unique corne, longue de plus d’un mètre, au sommet de la tête. Celle-ci ne semblait pas se soucier du danger qui la menaçait. Elle avançait tranquillement vers le piège qui lui était tendu, renâclant régulièrement.
Lorsqu’elle se trouva à sa portée, Ylianthel se déploya et se jeta sur le dos de la créature. Celle-ci, surprise, ne put que hennir horriblement lorsqu’il lui planta ses lames dans le flanc. Ylianthel, propulsé par sa détente, traça dans les flancs de l’animal deux larges sillons sanglants. La licorne rua alors pour se débarrasser de son agresseur, tout en continuant de pousser des cris de douleur terribles. Avant de pouvoir retirer ses armes de la chair de l’animal, Ylianthel fut projeté une dizaine de mètres devant la licorne. Il toucha violemment le sol sur le dos, et mit quelques secondes à reprendre ses esprits. La tête lui tourna lorsqu’il se releva, mais il n’eut pas le temps de penser à autre chose qu’il vit la licorne, enragée par ses blessures, le charger corne en avant.
La licorne empala Ylianthel à hauteur de l’épaule gauche. Celui-ci fut soulevé du sol par l’impact, mais demeura embroché sur la corne. La licorne, continuant sa course, remuait frénétiquement la tête pour essayer de se débarrasser du chasseur, qui était secoué dans tous les sens. Malgré la douleur, Ylianthel parvint à garder connaissance, et, alors que la licorne continuait de se débattre, réussit à se saisir d’un de ses couteaux, qui était resté dans le flanc de l’animal. Hurlant à la fois de douleur et pour se donner du courage, l’elfe frappa à plusieurs reprises l’encolure de la licorne, de son bras droit resté valide. Le temps s’écoulait très lentement pour Ylianthel, jusqu’à ce que la licorne percute un obstacle. Le choc fut terrible et la corne déchira la chair et les os de l’elfe, qui sombra dans l’inconscience.
Lorsqu’il revint à lui, Ylianthel était étendu au sol, près de la licorne. Elle haletait et gisait dans une mare de sang. Ylianthel tenta de se relever, mais le mouvement lui rappela la gravité de sa blessure à l’épaule, et il ne put étouffer un hurlement de douleur. Tentant de surpasser sa souffrance, l’elfe se glissa jusqu’à l’arbre tout proche, et s’adossa à lui. La tête lui tournait. Il se retourna vers la licorne.
Elle vivait encore, mais il lut de la douleur dans ses yeux. Elle était allongée sur le flanc gauche, un couteau planté dans l’encolure, où il avait provoqué de nombreuses blessures. Elle avait perdu beaucoup de sang, à moins que celui répandu au sol ne lui appartienne à lui aussi, ce qui était fort probable. La créature respirait péniblement, de l’écume pourpre coulant de sa gueule. Ses yeux étaient remplis de douleur, mais Ylianthel pouvait toujours lire de la rage au fond des noires prunelles de la licorne. Il souhaitait en finir le plus vite possible, avant que d’autres cré½atures ne viennent rôder dans le coin. La nuit était tombée, et il ne savait pas combien de temps il était resté inconscient.
De son bras valide, Ylianthel se saisit d’une bourse qu’il avait suspendue à son cou, sous sa veste. Il en tira une poignée d’herbes sèches, qu’il mâcha avec difficulté. Il attendit quelques instants que les herbes fassent leur effet. La douleur commençait à s’estomper. Le bras gauche ballant, l’elfe se remit debout. Il tituba pendant quelques secondes, le temps de recouvrer parfaitement ses esprits, puis il se dirigea vers la licorne. Il se baissa et ramassa son arme. Tout en caressant la tête de la licorne, Ylianthel lui parla :
" Que tu devais être belle, avant que la corruption de Mormo ne te touche, noble licorne. Mais il m’est impossible de t’aider en ces instants. Ce qui a été corrompu doit disparaître. J’ai fait voeu de détruire l’engeance des titans, et je dois te tuer !"
Des larmes coulaient sur son visage lorsqu’il trancha la gorge de la licorne. Les yeux de l’animal perdirent alors tout éclat, et la forêt redevint silencieuse lorsque le halètement de la licorne s’arrêta. Ylianthel porta alors son attention sur la corne. Contrairement à celle des licornes dont Ylianthel avait entendu parler dans les légendes, celle-ci n’était pas circulaire, mais plate, et dentelée pour pouvoir découper la chair facilement. C’était là l’oeuvre de la corruption de Mormo. Ne souhaitant pas s’éterniser là, Ylianthel découpa avec sa lame aiguisée la corne. Puis il prit le chemin du retour et s’en alla sans un mot.
Lorsqu’il atteignit enfin l’orée de la forêt, Ylianthel soupira, de soulagement et de désespoir. Il se retourna une dernière fois, puis se dirigea vers le nord-est. Au bout d’une centaine de mètres, il s’effondra de fatigue. Parvenant à se mettre à genoux, il enfouit ses mains dans la terre, et implora Denev.
"Denev, Terre-Mère, pourquoi avoir laissé de telles choses se produire ? dit-il d’une voix où se mêlaient la colère et le désespoir. Me voilà réduit à supprimer de la face du monde des créatures que j’aurais du protéger ! Donne-moi au moins la force et l’énergie de continuer ma quête !"
Une lueur verte l’entoura, qui provenait du sol, là où ses mains étaient enfouies. Sa blessure commença à cicatriser, mais Ylianthel hurla lorsque, en plus de la bénédiction de Denev, il recevait la colère de la terre corrompue par Mormo. Il retira aussi vite qu’il le pouvait ses mains du sol et, secoué par l’énergie négative qu’il avait ressenti, resta quelques instants haletant, agenouillé.
Lorsqu’il se releva, il vit un groupe de cavaliers approcher. Il se refusa à se réfugier dans cette forêt où régnait le malheur, et les attendit. Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu’il vit que les cavaliers étaient des elfes. Lorsqu’il vit qu’ils portaient tous la même arme, une lame de licornescie, l’espoir emplit à nouveau le coeur de l’elfe. Il se releva, et les cavaliers s’arrêtèrent face à lui.
"Ylianthel, fils de Denev, protecteur du Gahnjus, nous t’accueillons parmi les Disciples du Renouveau !". lui dit celui qui menait la petite troupe. Il lui désigna un cheval qui n’avait pas de cavalier, et Ylianthel lui sourit. Une nouvelle vie venait de commencer...