Etoiles inactivesEtoiles inactivesEtoiles inactivesEtoiles inactivesEtoiles inactives
 

Kev tituba un instant, maladroitement, avant de s’écrouler. L’esprit perdu dans les brumes, la pensée annihilée par la fatigue, il se retourna. Face aux questions qui bourdonnaient dans sa tête en un manège infernal et inutile, il ouvrit les yeux. La même vacuité régnait dans le ciel. Bleu, rien d’autre, uniforme, pas un nuage pour briser son empire, rien d’autre que cet océan dans lequel se noyer. Il tourna légèrement son regard pour découvrir le soleil. Lourd, écrasant, impérieux. Il ferma les yeux, et sombra dans un état second, entre rêve et cauchemar, fatidique limite entre passé et futur incertain.

Des voix, plutôt des cris. Un homme face à lui. Il se baisse. Pourquoi faire ? Cela est bien vide de sens de se baisser ! Une épée lui passe proche de sa chevelure. D’où venait-elle ? A quoi lui sert de continuer cette stupide course sans s’arrêter ? Et brusquement, le noir, vide et infini, désespoir et souffrance. Un clignement d’œil, du sang. A nouveau le noir. Cri, sang, supplique. Souffrance, couple diabolique. Beuglement de rage cette fois, flèche face à ses yeux. Silence.

Nouveau lieu nouveau temps, mais toujours cette souffrance prégnante qui s’évertue à s’accrocher à chacun de ses nerfs alors qu’il cherche à se débarrasser de ces parasites. Inutiles débattements, toujours l’épée rouge vient tâter ses membres. Larmes, supplications ; le fouet claque ; silence ; l’épée approche. La vie supplie de s’en aller, seulement retenue par des lambeaux d’âmes s’attachant encore au corps tuméfié. Déchaînement de toutes les cellules, volonté de mourir pour survivre, pour renaître de ses cendres. Quitter cet enfer !

Coup de fouet, le cycle infernal reprend, toujours plus rapide, toujours plus impitoyable. Ecrasement de toute résistance par la souffrance, folie furieuse enfermée en toute arme et qui ne demande qu’à se répandre parmi les entailles sanglantes qui labourent la peau comme un champ, sillons dans lesquels la putréfaction s’enchante. La vie, puis la mort, à nouveau la renaissance, aussitôt corrigée par le fléau mortel ; cela pouvait durer des heures, jusqu’à ce que l’âme expire et cesse son combat perdu d’avance. Espoir brisé dans les ténèbres de la mort...

En un cri de désespoir, bref sursaut d’orgueil dans lequel l’esprit battu s’oppose aux méfaits des tortures, Kev s’éveilla. Ce cauchemar, c’était sa vie, son passé et son futur tout à la fois, une tapisserie étendue devant ses yeux, déchirée sur chaque parcelle. Aucun pan de sa vie n’avait été épargné !

Un mercenaire s’approcha, et le gifla de toutes ses forces. Alors, la face enfoncée dans l’herbe, Kev laisse libre cours à ses sanglots. Il ne savait où il était, il ne savait où étaient ses amis, vivants... ou bien morts... L’espoir s’en était allé ! Cette formidable source qui s’écoulait auparavant dans son corps s’était tarie, ne subsistait que ce vide empli de morts, meilleur engrais qui existait pour que se développe une totale désespérance.

En un ultime effort de volonté, Kev se retourna. La vue du soleil le réconfortait. Oh ce n’était pas grand-chose, mais cela lui permettait d’éviter de sombrer du côté de son inconscient. Une masse sombre se rapprocha. Le soldat se décala, et se plaça de manière à le priver de la vue de l’astre solaire, étant comme un bouclier aux divins rayons.

L’ombre recouvrit le corps de Kev, l’obscurité se fit dans son esprit. Plus rien ne le retenait... Il ferma les yeux, s’abandonnant comme un pantin aux méfaits de son destin.

* *

*

Kev se réveilla en entendant le crépitement d’un feu. Ce bruit... Il ne pouvait plus l’entendre ! Trop de mauvais souvenirs hantaient ses songes, trop de désespoir lui avait été révélé par la simple lumière d’une flamme. C’était bien le plus fourbe des éclairages, il dissimulait absolument tout ce qui pouvait vous toucher, mais vous autorisait à découvrir malheur et mort dans l’aura de ses flammes.

Il ferma les yeux, puis voulut porter ses mains à ses oreilles. Il ne le pouvait, une solide corde les retenait. C’eût été étonnant, songea-t-il avec amertume. Enfin, cela n’était que superfétatoire, en son état, il n’aurait pas été capable d’aller bien loin.

Il se démena contre ce filin, pour constater que le toucher n’était pas âpre et sa peau ne se déchirait pas sous les frottements incessants. Etrange... Cela valait bien le coup d’entrouvrir rapidement un œil. Non seulement la corde était fine - il pensait que seules les dentelles étaient si légères ! - mais résistantes - une dentelle se serait fendue suite à la pression qu’il lui avait infligé -, et de plus jolie à sa façon ; certes cela ne valait pas un collier, mais les reflets de nacre qui luisaient dans la nuit étaient de toute beauté, à en faire apprécier d’avoir un feu pour découvrir les éclats orangés. Plutôt étonné, il en oublia de refermer les yeux. Un homme, encore un mercenaire, songea-t-il, mais ce n’étaient plus les mêmes, s’approcha de lui, une fiole à la main. S’il comptait lui faire boire une immondice, il pouvait déjà aller se rhabiller ! Avait-il une tête à ingurgiter tout ce qu’on lui tendait sous prétexte qu’il était prisonnier ?

L’être lui renversa la tête en arrière, déboucha l’ampoule et versa son contenu dans la bouche à Kev. Alors qu’il s’apprêtait à recracher, il constata que finalement le goût était tout sauf mauvais. Au contraire, cela était sucré et une sensation de bien-être l’envahit. Il en aurait bien redemandé, mais son orgueil d’homme prisonnier l’en retint. Tout de même, ce breuvage était un délice !

Alors un détail lui apparut en tête, et le frappa d’étonnement. Il était prisonnier et y prenait plaisir. Il s’émerveillait devant une corde et un fluide... Quelque chose était anormale ! La veille on le torturait, là, s’il n’y avait eu les liens, il aurait été comme un invité royal ! Clairement, ce n’étaient pas les mêmes mercenaires, ou alors dans la nuit ils auraient appris les bonnes manières. Un rapide regard lui apprit qu’ils auraient aussi appris à se vêtir à peu près convenablement, et, à l’odeur, à se laver. Non, en une nuit, de tels progrès étaient impossibles. Un rire enjoué vint lui confirmer cette hypothèse : qu’un de ses anciens agresseurs se soit mis à rire, c’eût été comme si Malak était gentiment venu le délivrer. En d’autres mondes, peut-être, et encore...

Un cri retentit, mais léger, comme porté par le souffle du zéphyr. Il se tourna en direction de l’homme qui avait hélé un autre, mais ne découvrit que le feu duquel s’élevait une épaisse fumée. Finalement, un des mercenaires approcha vers lui, tendit ses mains en avant et s’accroupit. Il s’enquit aussitôt :

« - Allez-vous bien ? Nous vous avons trouvé dans un camp de mercenaires, et après les avoir tués, nous vous avons recueilli » ajouta-t-il avant toute question. Il se pencha alors vers Kev pour examiner son visage ébranlé par cette nuit de torture. Une joue boursouflée et une large entaille au niveau du front, ainsi que de nombreux ecchymoses décoraient désormais le visage de Kev.

Ce dernier désira par-dessus tout éviter de croiser le regard de l’homme - on ne savait jamais, même si l’être semblait connaître les bonnes manières, il restait toujours un mercenaire. Alors que l’homme détournait son regard, Kev saisit cette opportunité et lança un furtif regard. Regard qui fut piégé par les yeux fascinants de l’être. En effet ces derniers semblaient avoir vécu de longues années et vu de nombreuses choses, contemplé les pires désastres et brillé lors de fêtes enjouées ; et se tenaient calmement au centre de ce visage, comme témoins d’un âge passé et perdu. Pourtant, le reste de ce faciès était parfaitement jeune, d’une finesse rare chez les hommes. Le nez du mercenaire était fin, semblant comme une goutte d’eau sur une feuille de chêne, à la fois pureté et beauté. Pareillement, ses lèvres, qui traçaient un fin trait rose dans ce visage, s’inséraient avec grâce, telles la tige retenant les pétales d’une fleur au nectar enivrant. Enfin, un détail intrigua l’attention de Kev : les oreilles de l’homme étaient sans lobes, et leurs pointes se dirigeaient en une lente et harmonieuse courbe en direction du ciel. Il ne parvenait à imaginer de tels attributs sur d’autres visages, mais sur celui-ci, au contraire, des oreilles normales auraient dénaturées ce visage façonné à l’image de la nature ; la perfection émanait de cet homme, et cette perfection attirait irrésistiblement Kev !

Son regard glissa les douces courbes du visage pour venir s’échouer sur les vêtements du mercenaire. Là où l’on s’attendrait de la part d’un être de combat et d’argent à être défroqué et vêtu d’une épaisse armure à peine polie et grinçante, ainsi que de quelques habits négligemment enfilés, lui possédait dans la manière de se vêtir la même beauté que celle qui habitait son visage. Des cuissardes damasquinées, où étaient finement brodées d’un fil d’or deux plumes, montaient jusqu’aux genoux de l’homme, tandis qu’un bas de chausse de soie couvrait le reste de ses jambes. Ce vêtement était teint en marron tandis qu’un nouveau motif de plume réalisé dans un splendide camaïeu de vert ornait ses cuisses. Ensuite, il devinait aisément une ceinture de cuir à laquelle était attachée à sa gauche une dague enfoncée dans son fourreau, et à sa droite de petits sacs dans lesquels devaient reposer divers ingrédients. Enfin, son torse était couvert d’une chemise d’un marron clair - il la devinait grâce au liseré qui venait s’émousser contre le cou de l’homme - surmontée d’une fine cotte elle aussi de couleur marron. Kev fut surpris du raffinement de l’être lorsqu’il remarqua les bombardes, ces manches aux bords dentelées, qui venaient se briser sur les bracelets d’argent et d’or. Enfin une cape de couleur marron était passée au-dessus de ses vêtements et s’écoulait en pli régulier jusqu’à terre. Nul ornement sur cette dernière, et Kev devina que si l’être s’enroulait dans cette cape, il pouvait parfaitement se dissimuler aux yeux de tous et apparaître avec aisance, dague contre votre nuque. D’ailleurs, la capuche qui pendait à l’arrière de son crâne confirmait cette crainte, car, en la rabattant sous ses yeux en restant caché dans un coin d’ombre, nul ne pouvait connaître son identité.

Un rapide doute s’empara de l’esprit de Kev, mais il ne parvenait à suivre une pensée claire, brouillé par sa nuit de tortures. Pour que cet être se débarrasse des mercenaires, il devait disposer d’une puissance prodigieuse... terrifiante même ! Pourtant, il était tellement anéanti par les épreuves qu’il venait de subir que son esprit cessa d’opposer sa méfiance. Cet être lui avait sauvé la vie, une nuit de plus et il serait mort dans d’atroces souffrances, en outre l’homme faisait preuve d’un raffinement appréciable, ne basculant pas dans l’excès à insérer rubis et autres saphirs sur ses vêtements. Enfin, il possédait un visage tel qu’il ne pouvait qu’inspirer la confiance, la sagesse émanait de ses yeux... Et il était si las... A quoi pouvait donc lui servir de résister.

Par curiosité, encore intrigué par la nature de l’être, il se décida à le questionner. De par le ton de la réponse, il pourrait très bien aviser ensuite...

« - Qui êtes-vous ? De quelle race êtes-vous ? »

Kev craignit d’être allé plus loin devant le soupir de l’homme, et s’en voulut presque d’avoir été aussi franc. Il n’était pas vraiment en position de force. Une larme fugitive apparut au coin de l’œil de l’homme lorsqu’il articula :

« - Je me nomme Mälthion. J’é... Je suis un elfe de Loriath : un Ath. » Son ton était triste, et le regard de l’elfe semblait s’abîmer dans les profondeurs de la réflexion. Il continua à faible voix : « C’é... C’est une belle et luxuriante forêt, nous y avons vécu longtemps... oui, très longtemps même. »

Kev s’était attendu à toutes les réactions sauf à celle-la. Il bougonna, mal à l’aise :

« - Je comprends... »

Il aurait aimé trouver une pique à sortir sur lui-même pour redonner le sourire à l’homme. Geoffroy, lui, y serait parvenu ! Geoffroy...

« - Désolé, les remords... Athi j’étais habitué à gambader avec bonheur sous une voûte d’arbres aux feuilles colorées. » Il marqua une courte pause, avant de soupirer. « Bien des hivers ont passé ».

Kev fut alors étonné de se sentir aussi proche de l’être. Lui aussi donnait cette impression d’un passé heureux, et d’un futur tendu vers l’errance. Et dire que quelques instants auparavant il aurait douté de cet être ! Ils pouvaient se comprendre, il en était sûr ! C’est avec cette idée en tête qu’il osa déranger les pensées de l’Ath :

« - Excusez-moi, quand vous m’avez sauvé, avez-vous trouvé d’autres... d’autres prisonniers ? »

Mälthion fixa Kev, avant de souffler :

« - Désolé, aucune trouvaille de vos compagnons. »

Kev leva la main, sans savoir pourquoi. Parler ? Crier ? Pleurer ? Son bras retomba à ses côtés. Il était anéanti, le monde tournait autour de lui à une vitesse vertigineuse et il ne parvenait à y laisser son empreinte. Ses amis... disparus ?

« - Si tu es le seul à avoir était sauvé, c’est simplement que tu étais le seul à dépareiller parmi les autres mercenaires. Sinon on t’aurait peut-être tué, à longueur d’arc, on ne peut distinguer l’ennemi précisément. »

Alors il y avait encore de l’espoir. Fin, ténu même, mais n’était-ce pas grâce à un tel fil qu’il vivait depuis six ans. A force, il s’y était habitué ! Tant que ce filin d’espoir perdurait, la vie régnait. Il demanda, plus par envie de parler et de ne pas avoir à penser aux malheurs qui pouvaient être arrivés à ses compagnons.

« - Vous êtes vous-mêmes mercenaires, j’imagine. »

« - Absolument pas... Disons qu’avec mes amis nous parcourrons le monde à la recherche de choses et d’autres... »

« - Ce doit être souvent passionnant » remarqua Kev, sans réellement s’engager dans la conversation.

« - Ca pourrait l’être, si on ne faisait pas constamment de telles rencontres... Bandits de grands chemins, voleurs se croyant plus malin que leur poignard... Mais on vit avec. »

Kev aurait apprécié d’oser changer de sujet et aborder directement le problème qui lui tenait à cœur. A la place de cela, il ne trouva qu’à répondre bêtement.

« - Vous permettez toujours à des innocents de survivre. »

« - Pas forcément aussi innocents que cela » lâcha Mälthion avec une pointe de sarcasmes. « Mais sûrement plus que ceux que l’on tue, c’est sûr » finit-il avec ironie.

Kev sourit à moitié, comme s’il avait oublié la manière de sourire pleinement ; visiblement son âme refusait d’être à nouveau heureuse !

« Tu veux de nouveau de la potion, tu me sembles bien pâlot. »

« - Je veux bien » accepta avec plaisir Kev, « c’est juste que je me fais du souci pour mes amis... »

Mälthion ria avec légèreté, avant d’expliquer :

« - Tu n’es pas commode comme enfant. D’habitude les gens que nous sauvons sont bien assez heureux comme cela pour ne cesser de nous louer, toi tu es perdu dans ta tristesse et te plaint de ne pas avoir tes amis proches de toi. »

Kev voulut protester, mais l’Ath le coupa avant même qu’il ait eu le temps de parler :

« - C’est bien, tu as en toi des valeurs dans lesquelles je crois aussi. »

Un des elfes - Kev le devina aux oreilles pointues, sûrement une caractéristique des Aths songea-t-il - s’approcha de Mälthion et lui murmura quelque chose à l’oreille. Ce dernier se tourna vers Kev, et lui apprit d’un air contrit :

« - Nous repartons demain : rapport de mon éclaireur, des hommes sont dans le coin, faut se méfier. Nous feras-tu l’honneur de nous accompagner ? »

Cette remarque était faite avec gentillesse, et Kev ne sentit nulle hypocrisie dans l’étiquette de politesse. L’homme commença à balbutier, avant d’être à nouveau coupé par l’elfe :

« - Tu as le temps pour décider, la nuit en fait. »

Après un instant de silence, Mälthion souffla à faible voix :

« - Je sais à quoi tu penses, à tes amis. Ce choix est compliqué à réaliser, je le comprends, laisse-moi donc t’indiquer les deux possibilités, après tu pourras décider. »

Kev se tourna avec intérêt vers l’elfe, qui continua :

« - D’un côté, tu nous accompagnes pour un temps. Ne t’inquiète pas, tu pourras partir ensuite si tu le souhaites. Certes sans tes amis, mais malheureusement en l’état tu ne peux rien faire, et nous ne pouvons t’aider.

De l’autre, tu restes ici et nous laisses partir. A pied... Tu as à peu près autant de chance de te faire découvrir par le reste de la troupe de mercenaires - certes ils auront normalement tes amis, et encore... - que par les ennemis de ta nation. Même trouvé par ceux de ton royaume, seras-tu réellement accueilli dans un tel état, ne doutera-t-on pas de ton propos ? Ensuite, imaginons le cas où tu parviennes à trouver tes amis. Seuls, sans arme, que pourras-tu faire à part leur signifier que tu les apprécies ? La mort t’attendra, mais elle sera seule ! »

« - Si je ne peux faire que cela, je serais déjà heureux ! »

Mälthion s’arrêta dans sa harangue, surpris par les paroles de Kev. Comment, à cet âge, l’on pouvait parler avec un tel détachement ? Comprenant à quel point le jeune homme était désespéré, Mälthion s’accrocha au dernier espoir qui lui restait pour faire entendre raison à Kev.

« - Sois conscient que prendre cette option est donc courir après l’espoir, mais souvent son reflet est trompeur et il est aisé de s’abîmer dans sa faute pour ne jamais en ressortir vivant ! L’autre est suivre la voix de la raison, celle que tes amis aimeraient que tu suives. »

Kev se surpris à répliquer plus violemment qu’il ne l’aurait voulu :

« - Tu parles d’un choix ! Que sais-tu de l’espoir d’ailleurs ? »

Un malaise entoura cette question, et Kev comprit avec crainte son erreur lorsqu’il remarqua tous les elfes se lever d’un air rageur. Mälthion se redressa alors de toute sa hauteur, fit signe à ses compatriotes de se calmer, et se tourna à nouveau vers Kev :

« - J’en sais plus sur l’espoir que tu ne pourrais même imaginer durant toute ta vie. Nous avons souvent suivi l’ignoble reflet de l’espérance pour découvrir à chaque fois des impasses. On pense toujours que l’on peut faire demi-tour, mais cela n’est que foutaises. Non, si tu réalises un mauvais choix maintenant, quand tu te retrouveras face à la mort, tu ne pourras que te maudire. Il sera trop tard, tu saisis. Quand à savoir si tu iras ensuite en Althior ou dans toute chose... » Une lueur de folie brilla dans les yeux de l’Ath, avant d’être remplacée par ce même éclat terne de tristesse. Là où sa voix avait été pleine d’une puissance maîtrisée, il acheva d’un ton las : « je ne te force pas, mais un mauvais choix te coûterait très cher... »

Kev acquiesça, convaincu.

« - Sellez un cheval supplémentaire, dans ce cas.

Mälthion s’autorisa un fugace sourire, avant de répondre sardoniquement avec maintes mimiques destinées à détendre l’atmosphère :

« - Il en sera fait ainsi. »

Mälthion lança un regard en direction d’un nouvel elfe. Ce dernier avait le visage énervé de celui qui a perdu trop de temps et pense que toute sa vie s’en trouvera anéantie. Il soupira. Etait-ce sa faute s’il aimait passer du temps avec certains hommes qui lui apparaissaient purs ?

Après avoir regardé d’un œil fatigué l’elfe rentrer dans la tente, Kev se mit en tête de trouver un endroit assez confortable pour dormir. Une fois installé à proximité du campement, il se mit à rêver en regardant les étoiles. Avec ses compagnons, ils s’étaient trouvés une constellation à sept étoiles - dont jamais il n’avait connu le nom - et avaient passé de nombreuses veillées sur les toits des maisons à l’observer. Cette pléiade formait un cercle quasi-parfait. Pendant quatre ans, ils s’étaient considérés aussi unis que cette constellation, imaginant que rien ne pourrait jamais les séparer... Espoir illusoire qui s’était traîtreusement retourné contre eux...

Un nuage, porté par le zéphyr nocturne, s’écoula paresseusement dans le ciel, jusqu’à recouvrir deux étoiles de cette constellation. Pierre et Richard avaient été absorbés par les ténèbres de cette même façon, sans pouvoir lutter, aucune chance de survie ne leur avait été laissée... Ses deux chers amis ! Sous le regret, il ferma les yeux. Ses jeux d’adresse avec Pierre lui semblaient si proches, et pourtant si loin. Le bilboquet était encore chez lui, mais il savait que jamais il n’y retoucherait. Le vide causé par son ami tuait l’intérêt des anciens bonheurs simples... Depuis leur assassinat, il remarquait d’ailleurs que son monde avait changé : toutes les pensées qui procuraient un réconfort le désespéraient dorénavant ; et au contraire il trouvait une aide dans ses anciens obstacles. D’ailleurs, jamais son père ne lui avait semblé si proche, comme s’il avait fallu que la mort frôle son fils pour qu’il se rende compte que ce jeune était autre chose qu’un triple idiot entouré de peau... Oui, le monde changeait, et sans Pierre et Richard pour se tenir près de lui, il n’avait plus la force de lutter.

Il rouvrit faiblement les yeux. Le nuage avait encore avancé, et de la constellation ne restait plus qu’une seule étoile. D’où Kev se tenait, cette étoile semblait privée pour toujours de la proximité de ses six congénères. Une nouvelle vie l’attendait !

Refermant les yeux, il s’endormit aussitôt, anéanti.

Dans le ciel, la nébulosité progressa inexorablement, et la dernière étoile se trouva à son tour avalée par l’obscurité.

* *

*

Geoffroy s’éveilla brusquement. Sa tête bourdonnait intensément, et un profond mal de crâne lui était une torture de tout instant. Des liens noueux lui enserraient les poignets, et lui lacéraient la peau à chacune de ses respirations. Il eut beau tirer, forcer, gratter la terre, rien n’y fit. Le seul et unique changement fut que la corde, à l’origine de couleur terre, se teinta de rouge à en devenir poisseuse. Si seulement cela lui avait permis de la couper, il aurait accepté cette souffrance supplémentaire. Là, non seulement sa tête, mais aussi ses poignets, l’élançaient. Il ne faisait pas bon se faire capturer !

Comme il n’avait rien d’autre à faire que d’attendre - il ne savait quoi, mais rien d’enchanteur, il le devinait sans mal - il laissa son regard errer le long des visages de ses trois compagnons.

Mav dormait à ses cotés, et à part une vilaine plaie le long de son front, ainsi qu’une entaille à sa cuisse droite, il semblait ne pas être trop amoché. Certes le sang séché lui donnait mauvaise mine, de plus la souffrance lui avait arraché un teint pâle mais Geoffroy avait confiance.

Arthur, un peu plus loin, allongé de tout son long, présentait un visage légèrement moins rassurant. Il avait du se prendre un pommeau d’épée, ce qui expliquerait la large tâche bleue qui recouvrait à peu près tout son visage. Sa peau tuméfiée semblait se taveler à vue d’œil et à sa mâchoire manquaient clairement quelques dents ! Là encore, Geoffroy se força à rester optimiste : Arthur était tout de même un grand gaillard ! Il en avait vu d’autre, certes jamais de tels coups durs, mais il y survivrait et son sourire serait intact. A se demander comment Arthur pouvait être aussi joyeux en toute circonstance ! Cependant, ce sourire risquait de se trouver entaché, soupira Geoffroy avec un pessimisme grandissant.

Son regard se décala alors vers Gontrand. Des trois, il était très certainement le plus amoché. Toute la peau non recouverte par des vêtements était couverte de nombreuses balafres. Ce n’étaient pourtant pas ces quelques entailles qui angoissaient Geoffroy, même si cela était impressionnant à voir : sûrement ces coupures n’avaient pour origine que des branches. D’ailleurs, après quelques coups de fouet, lui-même aurait de telles empreintes sanguinolentes. Non, ce qui l’angoissait était le ventre de son ami. Sur toute cette partie ses vêtements étaient empreints de couleur rougeâtre, et il devinait même un trou béant. Probablement une flèche... Il fixa alors intensément un point très proche de la poitrine de Gontrand, et garda les yeux largement ouverts. Une première fois ce point disparut, puis encore une deuxième fois. Tant que Gontrand respirait, il était vivant !

Ils étaient prisonniers, mais pas désespérés : La situation aurait pu être bien pire, surtout au vu de l’intensité des attaques ! Il ne savait où il était, ni par qui il était capturé, mais était simplement heureux d’être vivant.

N’empêche, sans ses trois amis qui l’avaient bigrement aidé lors de l’attaque, il ne savait ce qu’il serait devenu. Eux trois avaient été magnifiques, eux trois avaient combattus avec courage, eux trois... qui étaient quatre au départ. Geoffroy lança alors un regard terrifié partout alentour pour saisir que Kev n’était pas parmi eux. Il se força à se rassurer, il avait été clair que les ennemis voulaient capturer le jeune homme, non le tuer. Il devait simplement être... ailleurs. Mais où ?

Mav se réveilla à son tour. Se tournant vers Geoffroy, il remarqua, la bouche pâteuse :

« - T’as pas bonne mine. »

Geoffroy se força à rire, et acquiesça :

« - Personne a bonne mine. »

« - Toi, ça a été quoi ? » s’enquit à basse voix Mav, alors qu’il cherchait à se poser dans une position plus confortable.

« - J’ai vu deux gars face à moi encocher une flèche. J’ai sauté de mon cheval. Tu vois, les gens à habits verts, j’ai plus confiance ! » Mav opina silencieusement, alors que Geoffroy continuait sur le même ton atone : « Je me suis plutôt mal réceptionné sur la tête. Heureusement que j’avais un casque ! »

« - Alors t’as été le plus chanceux ! Après m’être pris une lame au niveau du front, puis un autre idiot qui est tombé contre ma jambe, ils ont voulu me capturer. Ca a été un coup de poing dans mon ventre. J’avais plus d’oxygène, mais j’étais encore debout. Donc j’en ai reçu quelques autres jusqu’à ce que je m’évanouisse. »

« - Les salauds, ils auraient pu te frapper à la tête plus simplement. »

« - J’aurais aimé leur faire la remarque » approuva Mav avec un sourire rapide « mais ils ne m’ont pas laissé le loisir de parler... »

Après un regard de connivence où haine et ironie se mélangeaient, Mav souffla avec inquiétude :

« - Tu penses qu’ils sont là. » Il n’y avait nul besoin de plus de précisions : ce « ils », chacun des compagnons y songeait à tout instant de la journée, peaufinant leur vengeance à chaque heure.

« - J’en suis quasiment sûr. Je sens la haine en mon cœur... »

Ils restèrent alors silencieux, n’éprouvant plus le besoin de parler. Ils étaient épuisés, tellement rongés par la peur qu’ils ne parvenaient même plus à détourner leurs pensées de leurs amis, de Pierre, de Richard et de Kev... Ils se sentaient à la fois proches, en leur cœur vivaient ces trois amis, mais aussi si loin, quasiment persuadés que jamais ils ne les reverraient avant leur mort.

Une heure après, un homme à l’aspect rustre entra dans leur tente, découvrant les deux amis dans la même position, immobiles, ressassant en un éternel leitmotiv leur haine. Il s’approcha de Gontrand qui geignit, recevant un coup de pied dans les côtes, puis gifla Arthur, qui beugla d’une rage impuissante.

« - C’est bon, sont enfin réveillés » s’écria le mercenaire, avant de sortir aussitôt de la tente. Un autre archer entra alors.

Sa prestance forçait le respect malgré la haine qu’éprouvaient les amis à l’égard des gens vêtus d’une telle manière : d’une cape verte. Avant même que de regarder le visage, les compagnons s’étaient fixés sur ces deux détails : cape verte, et dans le carquois des flèches qui brillaient au soleil. Vraisemblablement un liseré d’or ! Une haine froide inonda Geoffroy, le plus réveillé des quatre, en somme celui qui s’était fait le moins amoché lors de leur capture et qui pouvait donc ouvrir en entier ses yeux. Cette rage était d’une telle intensité, encore plus forte que celle qu’il avait déjà connu - et pourtant c’était un sentiment qu’il avait maintes fois éprouvé - à tel point qu’il pouvait encore réfléchir calmement. D’abord, comme à la chasse, avant que de traquer un animal, mieux valait repérer les forces et faiblesses de ce dernier.

Le chef mercenaire était vêtu plutôt simplement : il chaussait des bottes de cuir simples, sans aucun raffinement, qui paraissaient plutôt légères. Pas de tiges de fer pour maintenir un semblant de rigidité ni de soleret pour se protéger efficacement les pieds. Leur ennemi était donc plutôt dans le genre discret que dans le genre bourrin, préférant sans nul doute la cache d’un arbre pour tirer qu’un champ de bataille exposé. Ensuite, il portait un pantalon assez moulant et de couleur verte. Cela ne faisait que confirmer la première impression. Le vêtement laissait clairement comprendre qu’il n’y avait aucune protection dessous, et cela confirma nettement la première impression. Cet être était forcément plus agile que fort, sa protection ne résidait pas dans une armure, mais bien dans sa souplesse et sa capacité à se mouvoir tout en évitant les coups. Ensuite, il était vêtu d’une chemise vert clair, surmonté d’une première courte cape cette fois-ci couleur feuille de chêne, puis enfin une seconde cape, plus longue, d’un vert foncé. Enfin, ses cheveux se trouvaient enroulés dans une ceinture de cuir qui protégeait efficacement des coups pour un poids minimal, ainsi que d’un turban vert. Un tel portrait aurait pu presque être joli à regarder en tableau, mais pas en réalité, tellement une odeur âcre émanait de tous les vêtements de l’homme, à croire qu’il l’avait fait exprès afin de leur infliger une nouvelle torture. Ce raisonnement ne tenait pourtant pas la route : beaucoup d’hommes sont prêts à infliger la torture à d’autres, mais pas à eux-mêmes ! Aucun être sensé ne pouvait supporter une telle odeur !

Geoffroy dirigea ensuite son regard en direction des yeux de l’homme, profitant que ce dernier ne l’observait pas : il n’aurait jamais osé que l’archer remarquât qu’il le dévisageait. Une puissance régnait dans ces pupilles, un pouvoir bien plus grand que celui qu’il avait déjà trouvé dans celui du duc Jules, comme si cet être était capable à lui seul de bien des prodiges. Une telle constatation aurait suffi à le faire paniquer, mais il remarqua en plus briller une lueur de tyrannie. L’homme ne devait pas en être à son premier crime et la folie meurtrière ternissait ses rêves de pouvoir. Enfin, derrière le sourire carnassier de ce chef, Geoffroy y décela des dents d’une blancheur inquiétante, à l’aspect presque pointu, comme s’il se les limait !

L’être s’agenouilla au centre de la tente, afin de ne pas toucher les anneaux métalliques qui pendaient, et dévisagea chacun des compagnons comme pour y lire dans leurs pensées. Devant la force d’un tel regard, chacun se sentit presque percé à nu. Mais ils étaient tous faibles, donc moins résistants à ce genre d’agressions.

« - C’est donc vous qui avez tué neuf de mes hommes » commença leur agresseur, « on ne dirait pourtant pas, à vous voir ainsi... » Il pesta en silence, et les compagnons devinèrent qu’il se maudissait autant qu’il les détestait. « Vous avez bien de la chance qu’on me propose un bon prix... »

Il sortit sans plus de paroles de la tente. Visiblement ce n’était pas le genre de type à aimer discuter, et encore moins à accepter ses torts...

Le soir, les quatre amis sortirent enfin de cette tente à l’ambiance morbide pour être traînés, enchaînés les uns aux autres par les poignets, jusqu’à un feu de camp. Là, des coups de poings leur firent comprendre qu’ils devaient s’asseoir, même s’ils étaient déjà étendus dans la boue. Ensuite, une fois que tant bien que mal ils s’étaient prostrés dans une position jugée convenable, deux gardes passèrent et leur jetèrent la nourriture à terre, réprimant avec hilarité des remarques du style « Oh, fallait sortir vos assiettes. » Puis ils repartirent, les quolibets des archers accompagnant chacun de leur pas. Peu importait tout cela, les quatre compagnons se jetèrent avec avidité sur la nourriture. Cela faisait tellement longtemps qu’ils n’avaient pas mangé !

Après sa première bouchée, Mav se releva et regarda tout autour de lui. A voir les mercenaires les pointer du doigt et s’esclaffer, nul doute qu’ils les considéraient comme des animaux. Ils se tenaient comme s’ils assistaient à un spectacle attrayant, eux quatre étaient leur divertissement, rien de plus. En d’autres mots, se mit à craindre Mav, quand les rires cesseront et qu’ils nous jugeront incapables d’encore les divertir, nos vies cesseront aussi.

Les rires s’arrêtèrent pourtant tous brusquement lors de l’arrivée d’une troupe de cavalerie menée par un homme à l’aspect plutôt déroutant. D’aucuns auraient dit qu’il était inquiétant, d’autres franchement grotesque.

Les vêtements étaient tous teintés d’un rouge amarante criard, et celui qui à sa vue ne devinait pas que cet homme était un Mormundien ne pouvait qu’être aveugle ! Ses larges bottes aux bouts ferrés s’enfonçaient avec pesanteur dans le sol, laissant penser qu’en fait cela n’était qu’un soleret déguisé de cuir. Là, la couleur rouge était en partie cachée par la boue qui s’y était accumulé. Ensuite, au vu des pièces d’armure que le roi ennemi portait, les compagnons devinèrent qu’ils auraient beau lancer une charge de cavalerie contre Malak, les lances se briseraient plutôt que de transpercer les différentes couches d’armure. Jamais ils n’avaient vu un tel excès accordé à la protection, à se demander comment son cheval, lui aussi caparaçonné, pouvait y survivre. Ce n’était pas possible, mais ce qu’il chevauchait devait être un cheval de trait, non un destrier ! Ses jambes étaient préservées par un cuissard, et ensuite son torse protégé par une cuirasse sur laquelle un haubert laissait s’écouler ses milliers d’anneaux métalliques. Rien de tel pour refroidir les ardeurs du premier chevalier venu. Ensuite, au-dessus de ces deux armures, reposait une broigne, épaisse tunique renforcée d’anneaux métalliques - à se demander comment il pouvait s’habiller puis se tenir debout ! -, de couleur rouge écarlate. Ses mains se trouvaient couvertes d’un gantelet, tandis qu’un gorgerin et une salade mettaient à couvert le visage des coups ennemis. Enfin, afin de cacher un peu le métal - dont le simple reflet devait se confondre avec celui d’une armée, utile pour faire une diversion, songèrent les quatre amis - était une cape de couleur rouge cramoisie, qui s’harmoniait avec une certaine élégance aux deux autres rouges de ses vêtements. Sous cette cape, les compagnons découvrirent une longue épée qui pendait négligemment contre la monture. Ils ne mettaient en doute la force du roi, et nul doute que lorsque cette colichemarde à deux mains s’abattait sur un ennemi, les chances de survie étaient faibles.

Ils baissèrent ensuite les yeux pour observer le cheval, à l’allure tout aussi massive - mieux valait pour lui d’ailleurs -, un caparaçon de cuir et un écu reposaient contre ses flancs sur lequel le blason de la famille royale était finement reproduit. Ce n’était autre qu’un serpent assez long qui s’enroulait autour d’un heaume. De sa gueule ouverte, et qui laissait voir des crocs luisants de poison, s’échappait une lance de cavalerie. A proximité de la pointe une cornette avait été réalisée, sur laquelle le même motif était réalisé semblait-il à l’infini. Certes un tel blason inspirait la crainte, mais de par sa recherche il émerveilla les quatre amis. L’héraldique n’avait pas été autant développée à Foy, à l’origine le peuple ne devait être qu’une même famille, tandis qu’ils découvraient brodé le long de chaque caparaçon un blason, certains différaient entre eux, d’autres non. A dire vrai, ces blasons étaient de véritables œuvres d’art, nul défaut ne s’y trouvait, et il n’y avait aucun excès dans les représentations, pas de serpents à la gueule trop emplie de crocs, pas plus d’une lance de cavalerie... En eux tout n’était qu’harmonie, comme le fruit d’évolutions de dizaines de générations.

« - Vous êtes donc enfin arrivés » commença mielleusement le chef des mercenaires. « Nous allions partir. »

« - Vous ne seriez pas partis avant que j’arrive » rétorqua le roi Malak, l’air hautain. « Où est donc la marchandise ? »

« - Ici même, sire » répondit l’archer avec tout le raffinement dont il savait faire preuve, tout en pointant son index en direction des quatre compagnons.

Le roi s’approcha des hommes à terre, et prit leurs visages dans ses doigts joufflus. Cela laissa tout loisir - façon de parler - aux hommes de l’observer. Ses yeux noirs - à l’image de son cœur, nota Geoffroy - étaient injectés de sang - qu’est-ce qu’un roi ne ferait pas pour afficher la couleur de son peuple ? se questionna Geoffroy, tandis que Mav se demandait si en ses yeux n’était pas tout le sang que Malak avait fait coulé - et les pupilles semblaient ne jamais pouvoir s’arrêter de bouger. En effet, elles se propulsaient de droite à gauche à une vitesse alarmante, évaluant d’un regard expert la marchandise qu’il allait acheter - une qualité détournée à bien mauvais escient, pensa cette fois Arthur - et préparant déjà les défauts qu’il allait pouvoir répliquer à ce mercenaire. Le nez de Malak semblait comme une hache dans un tronc tandis que son sourire démoniaque qui vibrait au rythme de son excitation se confondait avec les vagues rageuses qui s’abattaient depuis l’éternité contre les falaises. Enfin, les rares cheveux qui s’échappaient du casque étaient poisseux et huileux. Visiblement le roi partant à l’assaut ne perdait pas de temps à se laver - ça lui ferait pourtant pas trop de mal songea Geoffroy alors qu’il plissait son nez de dégoût, et détournait finalement son regard : le supplice d’un tel visage devait cesser sinon il régurgiterait le maigre repas qu’il avait reçu.

Comme le roi avait finalement fini son inspection, il se retourna et rétorqua au chef mercenaire :

« - Vous m’en aviez promis cinq en bonne santé. Voilà que je me retrouve avec quatre torturés et affaiblis. » Sa voix tonnait de colère. Il sortit une lourde bourse, avant de ricaner : « cela va faire baisser le prix. J’espère pour vous qu’ils peuvent encore parler ! »

« - Vous n’oseriez pas ! » commença avec menace le chef mercenaire. Il se ressaisit aussitôt et continua d’une voix aussi douce que possible, dans laquelle perçait l’hypocrisie : « Nous sommes désolé, mais nous avons trouvé une meilleure offre pour l’un d’entre eux... Mais ne vous inquiétez pas, ceux-là n’ont quasiment pas été torturés. Surtout comparé à l’autre » se moqua-t-il.

Geoffroy, Mav, Gontrand et Arthur, blessés par cette révélation, se regardèrent les uns les autres, une expression de haine indicible leur déchirant le visage. D’habitude, une telle expression est fugace, mais cette fois-ci, elle semblait gravée dans leur faciès, comme si jamais plus elle ne partirait, comme si ce ressentiment ne pourrait jamais s’effacer de leur cœur et rancœur.

En de tels moments, la réflexion n’a aucune prise sur l’homme, les actes sont impulsifs, dirigés par la fureur là où la raison devrait être. D’un même mouvement, et bien que parfaitement conscient d’être tous enchaînés, les quatre se levèrent violemment. Avant même que les mercenaires n’aient le temps de réagir, Arthur beugla et chargea Malak. Ce dernier n’eut le temps de réagir, et il trébucha lourdement à terre. Sa bourse s’envola pour atterrir plus loin sur la tête d’un malheureux archer. Le pauvre perdit aussitôt connaissance pour ne plus jamais s’éveiller.

Deux mercenaires, arme au poing, courraient vers eux. Les autres, moins futés, avaient tiré leurs arcs, menace bien futile que pouvaient ignorer les quatre fugitifs. Tant qu’ils étaient une marchandise dont on avait besoin vivant, on ne les tuerait pas.

Le premier homme armé les atteignait déjà, et tendit sa lame contre la gorge de Mav. Ce dernier, sans réfléchir, leva les deux poings, avant d’enrouler la corde le long de l’arme. Il tira sèchement dessus, sans que le mercenaire ne réagisse, afin de se libérer. Les liens se coupèrent largement, tandis que l’épée rebondit à terre. Sans perdre un instant à ramasser l’arme, Mav s’élança en avant et frappa rudement l’homme à la mâchoire, qui s’évanouit.

Le deuxième mercenaire, sentant son ami en danger, hurla de toutes ses forces pour détourner l’attention de Mav, et s’élança dans sa direction. Cela était une grave erreur, car ainsi faisant il négligeait le danger que les trois autres compagnons représentaient. Une lame plantée dans son dos vint le lui faire comprendre. Se retournant, il découvrit un hideux sourire sur le visage de Geoffroy. Avec négligence, ce dernier retira l’épée du premier mercenaire du corps du deuxième, puis laissa ce dernier tomber à terre en un dernier gargouillis sonore.

Une flèche fusa dans leur direction, et troua les vêtements de Geoffroy sans toucher la peau. Vu la précision de ces mercenaires, il devinait aisément que l’homme n’avait pas voulu le tuer. Cette forfanterie avait été risquée, et il aurait pu encore faire baisser leur prix - louée était cette valeur - ce qui le gratifia d’une flèche dans l’œil. Le chaos régnait dans le camp ennemi, c’était parfait ! Le chef mercenaire hurla de toutes ses forces, et bien que les amis ne saisirent ce qu’il disait, la faible distance qui les séparait les poussèrent à se remettre à courir.

Mav se releva aussi vite que possible, et haleta :

« - Qu’a-t-il dit ? »

Geoffroy, qui s’efforçait de couper avec célérité les liens de ses deux autres amis sans emporter un doigt, répondit, concentré :

« - Quelque chose comme : si vous faites pareil, je fais pareil. »

Ils savaient tous les quatre que malgré le résultat assez spectaculaire que leur fuite avait provoquée, ils n’avaient aucune chance de liberté. Cela n’importait que peu, ils n’avaient rien à perdre - à part quelques journées de tortures en plus - et ne risquaient aucunement leurs vies. Ils étaient décidés à faire payer ces mercenaires de leurs crimes dans ce dernier sursaut de leur liberté. Au fond, ils étaient conscients que quelque part derrière ce campement, des milliers de soldats Mormundiens n’attendaient que de les voir débouler pour les capturer.

Ils réfléchirent à toute allure à un moyen de prolonger cette évasion. Malak et le chef mercenaire n’avaient toujours pas bougé, mais en face étaient moins de ces fichus archers verts à la précision si démoniaque.

« - J’en tiens un ! » s’écria l’un des mercenaires, sa dague plaquée contre la gorge de Gontrand. Le gredin s’était dissimulée derrière une tente ! Toujours est-il qu’il n’eut pas plus le temps de fanfaronner : visiblement il ne savait pas qu’il avait capturé un des guerriers les plus aguerris du royaume de Skefoy. D’un revers de la main, Gontrand éloigna la dague tranquillement, presque nonchalamment, de son cou, puis, se retournant, il envoya valser l’ennemi deux mètres plus loin. Enfin, saisissant d’un geste fluide la dague par la lame, il l’envoya d’un geste sûr derrière Geoffroy. Ce dernier constata alors non sans surprise un ennemi s’écrouler comme un pantin à terre en une chute désarticulée.

Il remarqua alors que la victime avait un carquois bien garni et un arc long de toute beauté. Sans hésiter, Geoffroy s’en saisit, puis commanda de reculer, ce que firent sans broncher les compagnons. Gontrand en profita pour ramasser sur le mercenaire, grognant encore de sa chute, une épée, puis il finit le travail.

L’esprit de Geoffroy bouillonnait dans une des plus rapides réflexions qu’il eut jamais à mener ! Il lui semblait être bien trop loin des arbres pour s’y réfugier : courir une centaine de mètres le dos tourné, et ils ne pourraient plus anticiper les manœuvres commandées par le roi et le chef mercenaire. En effet, ces deux derniers, par défi, s’étaient clairement placés face à eux, à une vingtaine de mètres, et n’avaient toujours pas bougés.

Eux quatre étaient au centre d’un espace vide, et ils pouvaient contrôler toute avancée ennemie en se plaçant en cercle. Sauf que leur but n’était pas de se défendre, mais d’attaquer ! Visiblement, ses trois autres compagnons en étaient arrivés à la même conclusion, au vu de la manière dont se tenaient rageurs Arthur et Gontrand, dos à dos, les épées pointées en avant, ainsi que Mav, une dague dans chaque main.

« - Prêts à éprouver notre destin ? » questionna d’un ton de défi Geoffroy. Sa voix n’était pas résignée, et la joie y régnait presque. Il était heureux que ce soient eux quatre qui aient l’initiative, alors que les mercenaires et chevaliers étaient dix à vingt fois plus nombreux. C’était le problème quand on ne voulait pas tuer, mais quand on ne voulait pas être tué non plus.

« - Et comment ! » tonnèrent les trois autres.

Alors, avec vivacité, Geoffroy encocha une flèche, qu’il décocha sans réfléchir vers l’être qui représentait la plus grosse cible parmi tous ceux assemblés en face. Sans surprise, le trait se dirigea vers Malak.

Ce dernier, soit complètement fou, soit sacrément sûr de son armure - même s’il avait des raisons assez objectives - laissa la pointe rebondir contre le métal. Il prit ensuite la flèche dans ses mains et la brisa en deux, avant de la jeter dans leur direction.

Après un rapide regard, durant lequel les compagnons purent remarquer que nul autre n’avait bougé, Geoffroy murmura avec ironie :

« - C’est pas lui qui va me faire une bonne cible. »

Mav sourit, et malgré la détresse dans laquelle ils se trouvaient eux quatre, se moqua :

« - Changes-en si tu veux pouvoir toucher. »

Sans crier gare, à une vitesse ahurissante, Geoffroy arma un autre coup qu’il décocha avec précision en direction de l’être qu’il haïssait le plus : celui qui avait vraisemblablement tué ses deux amis, et torturé Kev. Cela n’inquiéta pas outre mesure l’homme, qui avec une facilité déconcertante, s’écarta à petits pas alors que la flèche semblait s’être comme ralentie devant la puissance du chef mercenaire. Cependant, il ne dut la vie sauve qu’à Malak qui projeta son bouclier face au visage du chef. Une flèche s’y enfonça clairement. Geoffroy s’autorisa un sourire, constatant que sa ruse fonctionnait toujours aussi bien.

Un instant plus tard, il ravala profondément ce sourire. Visiblement, le chef mercenaire, conscient que finalement ses quatre prisonniers étaient un danger potentiel, lança tous ses hommes face à eux. Geoffroy savait qu’il pourrait en tuer un ou deux, et il saisit alors l’importance qu’eux quatre devaient représenter pour ce chef ! Soit ce dernier avait vraiment besoin d’argent, soit il avait peur des représailles de Malak en cas d’échec... Ce dernier ordonna ensuite brièvement à ses chevaliers de les prendre à revers. Le roi devait avoir peur que le chef meure et que plus personne ne vive pour contrôler les mercenaires et les empêcher de tirer, ce qu’ils auraient tous faits pour protéger leur vie.

Les jeux étaient faits, ils n’avaient plus qu’à occasionner le plus de morts ! Que ces mercenaires se souviennent à jamais de ces quatre prisonniers qui refusèrent de se laisser capturer !

Deux flèches - et deux morts - plus tard, et les mercenaires étaient déjà sur eux. Geoffroy fit un bond de côté pour éviter le premier coup de poing, et en para un deuxième avec le carquois. Il frappa alors un des hommes avec l’arc, qui se brisa plutôt que de briser le crâne de l’agresseur. Piètre arme au corps à corps, il n’y avait pas à dire ! Il sortit une flèche qu’il fit tournoyer dans les airs. Cela fit une fine entaille dans le tissu d’un des archers, mais sans attaquer la peau. Il voulut alors l’enfoncer dans la chair de l’homme, mais ce fut la hampe qui se cassa. Un poing se fit voir à ses côtés. Il s’apprêta sereinement à le recevoir sur sa tête, simplement heureux d’avoir pris autant de vie.

Mav regarda avec rage à sa droite, pour voir tomber à terre son ami Geoffroy. Déjà que lui était malmené avec ses trois ennemis, qui pourtant n’avaient aucune arme de tirée - à part l’un d’entre eux, un peu plus intelligent, qui brandissait un bâton - alors si d’autres arrivaient... Une main lui agrippa la gorge, profitant de ce léger moment d’inattention. Mav voulut planter sa dague dans le bras, mais une nouvelle main l’en empêcha. Pas grave, il avait deux dagues. Il précipita alors sa seconde arme en direction de l’homme qui l’étranglait, mais ce coup fut intercepté par une dextre. Combien avaient-ils donc de mains ? fut la dernière pensée de Mav lorsqu’un coup de poing bien senti le faucha par derrière.

Les agresseurs n’eurent pas les mêmes facilités avec Arthur et Gontrand. Ces deux guerriers expérimentés se débrouillaient à merveille et maintenaient un cercle de terreur autour d’eux. Déjà trois corps gisaient à leurs pieds. Pour les battre, il aurait fallu des individus armés, mais nul mercenaire n’osait même défourrer son arme. La peur de se prendre une flèche dans la tête avait de quoi refroidir les ardeurs de plus d’un soldat !

Un bruit de cavalcade fit se retourner tous les combattants sans exception, avant que les mercenaires ne s’écartent en une preste débandade. Les chevaliers chargeaient. Aucun n’avait tiré de lance de cavalerie, mais la simple présence de colichemardes était déstabilisant. Pour autant, les chevaux passèrent en deux rapides rangées de chaque côté des amis sans les toucher. Gontrand et Arthur, qui avaient d’abord protégé leur tête avec le tranchant des armes, afin de parer aux éventuels coups, baissèrent leur garde, surpris de cette manœuvre nouvelle à leurs yeux. Cruelle erreur ! Deux pommeaux vinrent les cueillir dans les dents. Ils s’évanouirent aussitôt.

Malak éclata d’un rire puissant, au bonheur de ses chevaliers.

« - J’aime les individus coriaces comme eux ! Ils donnent plus de saveurs quand on leur soutire des informations ! » Le roi se tourna ensuite vers le mercenaire, et feinta de s’inquiéter : « Je pense que nous pouvons reprendre nos affaires, bien entendu, seulement si vous êtes à même de mener à bien une telle mission.

Durant un bref instant, les deux se lancèrent des regards chargés de haine, avant que le mercenaire ne se contente de dire :

« - Prends-les quatre, quand à moi, je garde la bourse. »

Le roi susurra alors d’une voix pleine d’onctuosité hypocrite :

« - Oh, même si j’ai eu le plaisir de voir qu’ils t’ont pris beaucoup de tes hommes - dix, si j’ai bonne mémoire, sans compter celui que tu as toi-même tué, à quatre, alors que l’on est lié et prisonnier sans arme, c’est quand même un beau record, je n’aurais pas fait mieux - je ne pense pas qu’ils vaillent une telle somme. »

« - Avec ta bourse, tu as tué un de mes hommes ! » répliqua au tac au tac le chef mercenaire.

« - Erreur, ce sont eux-mêmes qui l’ont tué. Si tu avais aussi attaché leurs jambes, tout cela ne serait pas arrivé ! Enfin, ce doit être cela l’orgueil des mercenaires, n’est-ce pas ? »

L’archer cuisait de rage, mais il n’osait pourtant s’emporter, sachant qu’il n’était pas en mesure de négocier face à un tel homme. Même si Malak avait pris un cuisant échec à Skefoy, en partie à cause du désistement au dernier moment de ses archers, le chef mercenaire ne dirigeait toujours pas assez d’hommes pour s’opposer à la volonté du roi Tel était pris qui croyait prendre !

« - Alors la moitié de ton or, et on en parle plus. »

« - Et encore » se moqua avec une voix doucereuse Malak, « je t’épargne d’avoir à me payer le coup reçu par ce large homme. Pour une fois que quelqu’un parvient à me déstabiliser, je peux bien mettre cela sur le compte de la rigolade. »

« - Tu es bien bon » grinça avec haine le mercenaire, les dents serrées.

« - C’est ce qui fait la différence entre toi et moi » fit désinvolte le roi, « la puissance. Moi je peux me montrer clément ou féroce, qu’importe ? Tandis que toi, te voilà obligé de te montrer soumis. »

Un sourire rageur lui répondit. Heureux de cette pique, Malak ordonna d’un geste qu’on ligote les quatre hommes sur des chevaux. Geoffroy, le seul à avoir repris connaissance, se laissa faire. Il n’avait plus la force de résister, et avant qu’il n’ait le temps de se lever un coup de poing l’aurait fait se rasseoir. Alors que ses pieds étaient attachés fermement aux étriers des chevaux, il comprit que le roi ne laissait rien au hasard, contrairement à ces mercenaires qui semblaient ne pas avoir l’habitude de faire des prisonniers. Eux quatre n’auraient plus l’occasion de s’échapper comme ils venaient le faire.

Les cavaliers, menés par un Malak ricanant, s’éloignèrent finalement du campement dévasté des mercenaires. Alors qu’ils perdaient de vue les tentes, Malak se tourna vers ses chevaliers et souffla à voix assez haute pour que toute sa compagnie puisse entendre :

« - Tuez-les. Laissez ce couard de chef fuir. Un clown aussi talentueux... Ce serait bien dommage de gâcher un tel talent ! » Son rire malsain s’éleva, soutenu par la clameur de ses troupes. D’un geste de la main, la moitié se retourna, abaissa lances et visières, et se prépara à la charge.

Devant cette ignominie, Geoffroy retint sa respiration. Ces hommes allaient tuer tous les mercenaires par surprise ! Quelle horreur que ces troupes asservies qui ne savaient se rebellaient contre les ordres ! Les paladins allaient souffler ces archers si remarquables - une qualité qui plaisait malgré tout à Geoffroy, même si c’était d’un être aussi talentueux que Pierre et Richard étaient morts ! - comme un balai nettoie la poussière. Visiblement, tous ces chevaliers partaient à l’assaut comme eux sept allaient auparavant dans une taverne !

Il se retourna, pour voir une tête voler puis retomber, loin de son corps. Ce spectacle était répugnant, et pourtant il ne pouvait en détacher son regard ! Si le peuple mormundien était si cruel, comment allaient-ils être traités dans la demeure de ce roi ? Etre torturé, il le savait depuis longtemps, mais il craignait qu’un sort encore pire s’abatte sur eux.

Dépité, il laissa dodeliner sa tête, avant de prendre une terrible résolution. Il avait assez d’énergie et de courage pour la mettre en pratique à cet instant, et il savait que jamais plus une telle occasion ne se présenterait ensuite. Littéralement anéanti, subjugué par des sentiments contraires, il s’efforça de donner un coup d’étrier dans le flanc de sa monture. Cette dernière accéléra brutalement, à la surprise de celui chargé de le surveiller qui en lâcha la bride. Geoffroy ralentit ensuite à proximité du roi, puis lui cracha au visage toute son aversion. Malak lui renvoya un sourire mauvais, les yeux teintés de tyrannie. Geoffroy se détourna, pour voir une lame se précipiter vers son cou.

Connectez-vous pour commenter