Etoiles inactivesEtoiles inactivesEtoiles inactivesEtoiles inactivesEtoiles inactives
 

Suite à la perte de son électronique le Dominant ne disposa plus d’aucun moyen de communiquer avec son port d’attache. Habitué au bruit des vagues l’équipage découvrait cet état de quiétude étrange l’absence d’activité les rendait nerveux. Ils allaient et venaient de par les ponts, ils cherchaient une fin à l’océan.

Ceux de la tourelle trois avaient ouvert toutes les trappes pour préparer leur quart, l’officier de pont ne leur donna pas d’heure. Elle était occupée à compter le fret rapporté des cales, les réserves crues des frigos et magasins dont ils ne savaient quoi faire. Les caisses allaient glisser sur le pont crocher contre les grilles épaisses, en lieu et place les rations avaient été ouvertes. Elle rendit compte aussi des postes de radio que les équipes rapportaient, les marins croyaient les entendre fonctionner pour se rendre compte, une fois sur le pont avant, qu’elles n’émettaient pas. Il s’agissait le plus souvent d’échos, parfois de leur propre voix.

Néanmoins le commandant ordonnait de chercher encore. Arnevin se tenait à la proue, les genoux dans l’eau il semblait se noyer à chaque fois que le navire listait par l’avant. Des officiers venaient jusque-là lui annoncer que rien n’avançait, qu’ils ne pouvaient rien faire. L’horizon lui paraissait trop large, trop vaste pour y comprendre quoi que ce soit. Les paroles de Roland dans sa tête le martelaient, toujours dépourvues de sens. En même temps il cherchait à chasser un autre souvenir aussi récent, qui n’était pas l’explosion de la bombe. Sans son grade ou son air grave il ressemblait au reste de l’équipage.

Tout ce qu’il avait jamais pu penser roulait libre plus terrible que la coque du cuirassé, sonnait creux dans son esprit, il jeta un regard par-dessus son épaule les superstructures écrasées et les tourelles leurs canons comme intacts défiaient les nuées.

Il se rendit compte que le lieutenant Colin avait quitté le haut de la tourelle un, voulut savoir où il était allé sinon à son poste, dans la noirceur du compartiment blindé. Ce dernier parlait avec Bramelin, il les trouva occupés près de la trappe arrière en plein débat. Il répétait que sa tourelle pouvait tirer, elle soulignait l’absence d’hydraulique, le poids des charges. Que la tourelle puisse fonctionner ou pas ne leur était plus d’aucune utilité, malgré la flotte qui venait, ils devaient trouver des radios fonctionnelles. « Il n’y en a donc nulle part ? » L’officier de maintenance le renvoya à Roland. Elle savait, pourtant, qu’il existait des unités de réserve dans les magasins, l’idée de s’en servir lui échappait.

Le bord avait du surplus pour à peu près tous les équipements, la redondance avait été un principe dans la conception même. Même le matériel inactif avait souffert des armes de dernière génération les boîtiers avaient grillé un à un, il en restait cependant. Le lieutenant officier magasin aurait pu transmettre cette information, cet officier n’appartenait plus au bord. Arnevin donna raison à son capitaine puis revint à la proue attendre que quelqu’un lui apporte sa radio. Il n’y croyait plus vraiment.

Quelque part dans un coin de l’horizon progressaient trente à quarante bâtiments de guerre armés de missiles rasants. Leur blindage n’était plus en état d’encaisser de nouveaux tirs. Il demanda à l’officier Hersant le temps qui leur restait, soit trois heures et dix-sept minutes, du fait des formations. L’officier de pont ajouta qu’elle avait apporté une radio en état de marche. Il s’agissait d’une radio de la passerelle que sa position en coin avait épargnée, comme le reste du matériel elle avait été désactivée au passage de commandement. Il avait fallu l’équipe de pilotage pour l’aider à la traîner dans les couloirs jusque sur le pont.

Ses batteries avaient été changées récemment.

En voyant cette radio baignée par l’eau à ses pieds, le témoin rouge ne brillait pas tant il y avait de lumière, il observait ce métal grésillant. Les officiers à la nouvelle s’étaient regroupés autour de lui ils se préparaient à convoyer ordres et annonces, leurs équipes profitaient du soleil. Arnevin demanda au capitaine Londant de contacter Beletars avec pour message de leur envoyer des remorqueurs. Des boutons à cran, des lignettes couvraient la face avant du bloc secondaire, le codeur attaché aux câbles étanches disposait de ses propres commandes. Entre ses doigts le métal lui échappait, le capitaine recula, désorienté.

Un message leur parvint sur cette fréquence, une voix qu’ils ne reconnaissaient pas. Le signal venait bien de Beletarsule, quoiqu’aucun à bord n’aurait pu le confirmer, il se présenta à eux brièvement. En peu de mots le général leur résuma la situation, la flotte du Liscord envoyée les achever, la nécessité, absolue, qu’ils soient coulés. Arnevin demanda l’envoi de remorqueurs, essuya un refus. Le port d’attache ne leur enverrait aucun secours, pas même un ravitailleur. S’ils revenaient par eux-mêmes, les côtes avaient consigne de leur refuser l’accès. Il répéta encore que le Dominant devait couler.

Alors le commandant demanda : « Pourquoi ? »

Sa volonté parlait pour lui, il refusait de perdre le cuirassé. Sa propre voix dans la radio, par le faible écho rendait des tons électriques, comme mécanisés, le commandant ne la reconnaissait pas. Il comprit qu’il hurlait sans être sûr de ce qu’il disait, ses gestes précédaient sa pensée. De s’en rendre compte l’obligea d’arrêter, le général coupa court. Sans Roland pour le soutenir, la volonté du capitaine chancelait. Londant le secoua par l’épaule, l’informa qu’ils avaient perdu le contact, à nouveau seuls. L’officier de tir n’hésita pas, fit savoir qu’ils devaient se battre à n’importe quel prix.

Cela il l’avait entendu une infinité de fois le commandant s’y refusait car ils n’avaient aucun moyen pour se battre, sinon leurs poings. Il fit chercher le lieutenant Colin, lui demanda s’il pouvait faire tourner sa tourelle. Colin n’en doutait pas. La charger, l’armer, élever les canons, verrouiller les culasses, tout cela le sous-officier le considérait faisable. Pour les pièces de cent cinquante-cinq les systèmes avaient été entièrement informatisés, les mécanismes reposaient sur la technologie la plus moderne tandis que les tourelles de cinq cents n’avaient reçu que de faibles modifications, elles disposaient encore de leurs premiers systèmes sur le principe manuel, la mécanique fondamentale.

« Impossible » fit remarquer Bramelin.

Le lieutenant corrigea : « Une erreur. » Il avait l’attitude d’un enfant.

Plutôt que des ordres Arnevin se contenta de donner raison à tout le monde, il leur dit de faire au mieux. Aussitôt Colin et son capitaine s’éloignèrent réunir le personnel nécessaire à la manœuvre des canons. Derrière eux l’officier transmissions alla trouver le pilotage et les machines, les organisa en chaînes pour communiquer entre les postes. Ils devraient pour cela garder les portes ouvertes même en situation de combat, ce qui déplut à Hersant.

Bientôt une fausse activité régna sur le pont avant, une fébrilité à la perspective du nouveau combat. Ils désignaient ce qu’ils soupçonnaient être le nord, calculaient d’où pourrait venir la flotte, se l’imaginait alignée quelque part les navires serrés coque contre coque. Leur commandant allait d’un groupe à l’autre se renseigner sur leur condition, les poussait à continuer, des minutes durant, cette préparation. Hersant annonça pour le bord un quart d’heure avant le contact, l’ordre étant de les couler en troisième écran. Ils regardaient parfois les tourelles de cinq cents toujours immobiles, s’imaginaient qu’elles tournaient, qu’elles tonneraient au-dessus de leurs têtes, ils en avaient eu des images dans la presse, lorsque leur bâtiment avait défilé devant les quais de la capitale.

Des bruits de réacteur les surprirent, les réacteurs soufflaient haut dans le ciel. Ils cherchaient aveuglés par le soleil d’où venait ce bruit quand du pont arrière apparurent bien en vue les quatre chasseurs de l’escadrille en reconnaissance, haut dans le ciel ils filaient figures noires sur le fond terne s’enfoncer dans les nuages, ils tournaient au-dessus d’eux en cercles. La voix d’Hersant interpella les hommes du bord, elle leur ordonnait de se replier dans la citadelle, ils devaient abandonner le pont avant que n’apparaissent les bâtiments de la flotte.

À leur suite allait le commandant, il fut parmi les derniers à gagner les trappes, en se retournant il hésita, longtemps. Il dit vouloir au moins, avant de verrouiller, voir au loin les premiers navires. Cette chance lui avait échappé à la dernière bataille, il voulait en profiter au moins une fois, cette occasion unique avant que tout ne se termine. Pour convaincre Hersant le commandant fit valoir que cette dernière attaque, à six kilomètres et moins de leur bâtiment, serait un baroud d’honneur.

Les verrous tombèrent, l’obscurité les fit sombrer. Ils s’avancèrent dans les couloirs, rencontrèrent la chaîne de Londant disposée au premier pont inférieur, les corridors bourdonnaient de pas. Accompagné d’Hersant le commandant se dirigea vers le poste secondaire plus à l’arrière les chemins se confondaient, elle conseilla de remonter dans la tour arrière les bruits s’atténuaient, par la cage ils pouvaient entendre la chaîne s’interpeller. La flotte ennemie serait en vue, l’officier confirma, ils se trouvaient en profondeur du second écran. Son prochain calcul aurait dû être l’ouverture du feu.

Derrière eux dans le noir les appels donnaient toutes les tourelles à deux, un éclat de voix dit : « Chargez ! » Cet écho se répéta des dizaines de fois. Le capitaine Arnevin chercha à entendre ou le bruit des tourelles ou les détonations, son oreille plaquée contre la cloison les grondements internes remontaient jusqu’à lui plus sensibles, les craquements à la ligne de fond, le balancement des flancs, il aurait pu croire entendre le lest. Ce qu’il n’entendait plus venait des compartiments inondés que les pompes devaient réduire, il n’entendait plus le raclement des tuyaux.

La chaîne fit passer une correction, une autre encore avec l’élévation, les canons devaient alors pointer sur leur droite et presque à l’horizontale, ou supposait se trouver la flotte du Liscord. Ensuite vint l’annonce du chargement complet pour une salve, toutes les tourelles en position, ils n’avaient rien entendu de cela. Des clameurs montaient de tout le niveau de la citadelle, les membres d’équipage qui encourageaient les artilleurs. Ils n’entendaient que ces voix, sans bien comprendre Arnevin demanda ce qui se passait, combien de temps s’était écoulé. L’officier de pont n’aurait su dire, son chronomètre tournait toujours.

Enfin la voix de Radens fut portée par l’ensemble de la chaîne, en manière de mèches multiples, son écho se répercuta dans les quatre directions, il ordonnait l’ouverture du feu. Ils attendirent, rien ne venait, le silence se perpétuait autour d’eux. Chacun avait été persuadé que les tourelles venaient de faire feu, ils se préparaient pour la seconde salve. La voix de l’officier ne leur répondait plus, la chaîne muette reposait dans l’obscurité. Ils avaient roulé au sol, certains évanouis, la citadelle avait servi de sourdine aux déflagrations, dans laquelle ils n’arrivaient plus à entendre ni leurs mots ni leurs pensées.

De nouvelles secousses les firent trembler, la structure souffrait le choc sous leurs doigts, sous leurs pieds, les pressions leur faisaient vriller la tête. Ils se sentirent prisonniers d’un gigantesque mécanisme de rouages dont les dents les broyaient, ils se repliaient dans les salles, fermaient les portes. À la violence des chocs les hommes s’enfermaient le plus profondément possible, sans s’entendre, sans plus rien dire, ils fuyaient. Les charges isolées éclataient aux abords de la coque, sous les coups portés le bâtiment gémit.

Un son de cloche étouffé les atteignit qui venait de l’extérieur.

À quarante kilomètres au nord-est le croiseur Dine réaffecté à la première escadre tournait et s’ouvrait sous leur pluie de leurres, à l’ouest les divisions formaient écran, ils se déployaient pour la bataille. Douze kilomètres au sud du cuirassé remontait le Lamat de la quatrième flotte dont la ligne de bataille se brisait pour les formations cristallines, leurs propres fusées brûlaient dans la clarté du ciel, les deux flottes se voyaient parfaitement. Le Dominant avait décidé pour eux, à bord du Lamat l’amiral ordonna l’ouverture du feu. Le champ de bataille était saturé par les contre-mesures et le brouillage rendait les radars aveugles, ils se tiraient à bout portant. Une salve d’obus de deux tonnes mit hors de combat la troisième escadre en réserve, les munitions à tête de verre avaient franchi les défenses, enfoncé les coques, emporté les bâtiments dans leur chute.

Quand enfin la radio de Londant se mit à crépiter, son canal corrigé le bord put comprendre ce qui s’était passé dont ils n’avaient pas eu conscience, la quatrième flotte avait remonté les îles jusqu’à eux, une heure durant ils avaient tenu le nord en respect, la lutte ouverte avait lieu entre les deux armadas. Un fourmillement du contre-électronique rendait l’entente impossible, Arnevin demanda de répéter plusieurs fois, le Lamat passait par leur arrière pour engager la première escadre.

Sa réserve en déroute, sa mission en péril la première flotte du Liscord prit le parti de désengager. Ils avaient fait feu par toutes leurs armes sur une fenêtre de dix-huit minutes, la quatrième flotte était en flammes. L’amiral Prévert repoussa son écran au-delà du Dominant, après quoi il ordonna la fin du combat, ils devaient se retirer jusqu’à Beletarsule, la frontière ne les protégerait plus.

« Amiral, » salua Arnevin.

L’amiral Prévert abordait par le pont avant du Dominant. « Où est votre commandant ? » Ils se saluèrent selon les formes, Prévert exigea de disposer du journal de bord remis par Hersant. La flotte donna ses consignes pour remorquer le bâtiment, les chaînes remplacèrent les câbles, ils amenèrent leurs propres systèmes de pompage à bord. Les équipes trouvaient l’équipage replié dans les pièces, les faisaient remonter au pont arrière où ils recevaient leur premier repas chaud. De voir les destroyers naviguer si près leur donnait l’impression d’une baignoire ou d’être sur la terre ferme. Des voix rassurantes les prirent en charge, ils remplaçaient leurs uniformes humides les hommes et femmes se préparaient pour le retour à Beletarsule.

Ce retour n’aurait pas lieu avant trente heures.

Des lames hautes fouettaient la proue malgré la faible vitesse l’avant s’enfonçait dans les flots, les soulevait, ils listaient toujours. Entouré de ses officiers le commandant côtoyait Prévert, ils supervisaient les manœuvres. L’amiral regrettait de ne pas pouvoir se tenir à la passerelle de son bâtiment amiral. Ils avaient demandé au lieutenant Colin de réaligner les tourelles sur la ligne centrale, ce dernier s’excusait.

Arnevin voulut savoir quel serait le sort du Dominant.

Il serait donné à la découpe, l’opération prendrait plusieurs mois.

À présent le croiseur Lamat dirigeait la flotte, ils avaient pris plein est par sécurité. Avec l’intervention de la quatrième flotte l’escalade suivait son cours, tout était contrôlé. Les radios à nouveau libres ne cessaient plus de bourdonner. Arnevin fit remarquer qu’il pourrait encore naviguer. « Sans ordinateur ? » Il avait toujours Roland. Cette remarque laissa Prévert contemplateur, il se rabattit sur le défaut logistique, les dommages encaissés et les risques politiques d’un nouvel engagement. Le commandant lui abandonna son état-major, lui-même retourna dans les étroits couloirs de son bâtiment.

Sur l’autorisation du Lamat les portes de la citadelle avaient été ouvertes, il pouvait accéder aux ponts arrière. Plusieurs fois l’absence de plancher l’obligea à un détour, sa lampe fouillait les murs, se cognait au plafond, les semelles soulevaient aux flaques de petits éclats. Les dortoirs n’existaient plus ou n’avaient jamais existé, rebroussant chemin le capitaine trouva le contrôle des dommages en pleine activité. Il se rappela le chantier de Tiersule, le fourmillement à Beletars autour des grues.

Le rai de sa lampe le guidait pour le retour, il s’enfonça encore au sein de la citadelle jusqu’à retrouver le compartiment isolé, à la porte dont les charnières grinçaient et cassaient, il piétina les débris de chaise. Arnevin referma la porte derrière lui.

Selon les rapports adressés à la présidence ce jour-là l'ordre d'envoyer la quatrième flotte émanait du général de corps Edone, de l'Armont. De même ce dernier avait rendu le droit d'accostage à Beletarsule. Un autre rapport indiquait que les bombardiers après avoir décollé de Tiersule, une fois atteint la côte Reinale étaient rentrés.

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