Etoiles inactivesEtoiles inactivesEtoiles inactivesEtoiles inactivesEtoiles inactives
 

Quand il rouvrit les yeux, ce n’était plus vraiment le petit salon dans le château des Chroniques qu’il vit, mais pas vraiment encore un autre lieu. Cela lui sembla normal, après tout, il avait connu des drogues qui faisaient plus d’effet. Quirinal toujours à son travail saisissait les mots sur le volume rouge – de nouveau ce volume-là – et tandis qu’il écrivait, des silhouettes passaient autour d’eux, des décors sans vie, des figures de gens innomés, des paysages sans distinction aucune. Ce qu’il écrivait s’affichait aux sens de son compagnon loqueteux, qui découvrait ainsi le contenu d’un texte vraiment vide.
« J’crois qu’ça y est, Quir’. »
« Excuse mon emportement mais je ne veux plus entendre de théorie abracadabrantesque qui justifiera que nous réussissions là où le seul effort et la détermination devraient prévaloir. »
« S’tu l’dis. »
Et Vlad laissa son ami continuer le patient travail de restauration (hem). Il se contentait de regarder tout cet étrange fatras de scènes édulcorées, dont le déroulement prévisible ne menait nulle part et qui se répétait un peu partout autour de lui. L’incohérence était indescriptible. Il sentait, il voyait et même il entendait parler des personnages d’aventure dépeints de malfaçon. Plus Quirinal écrivait et plus ces scènes gagnaient en vigueur – ou bien le mental du drogué se dégradait – et plus les murs du petit salon se disloquaient dans les teintes multiples et monochromes de l’histoire.
Puis tout disparut. Dans un long étirement, le ressort de la machine à écrire finit de se tordre et de grincer. Le chroniqueur avait tiré un mouchoir pour s’éponger le front, sans imaginer un instant ce qu’il venait de perdre.
« Je te laisse continuer, je n’arrive plus à sentir le bout de mes doigts. Cette machine descend d’une longue lignée de déferreurs pour bête de somme. »
Mais au lieu d’aller s’assoupir dans un coin le bonhomme se mit à faire les cent pas dans la pièce, la mine renfrognée, sans arrêter de guigner aux fenêtres en bougonnant. Sans arrêt alors qu’il travaillait à retranscrire le livre, Quirinal avait songé au petit manuscrit brûlé, au recueil sur le désert, parce qu’il ne voyait plus que cela comme solution. Or après avoir appris, laborieusement, ce que Vlad avait vécu – la cache du Libra, le piège, la bête – il lui était apparu de plus en plus fortement, le clavier devait y être pour quelque chose, comme obsédant que les derniers événements vécus ressemblaient fort à ce qui s’était passé dans ce fameux recueil. Soit, ce n’était pas la même histoire. Et néanmoins…
Là s’achevait sa réflexion. Au mieux se bornait-il, d’un avis du reste tout à fait humble, à constater qu’il y trouvait de la ressemblance. Puisqu’il avait constaté le pouvoir du Libra, et après tant d’événements qui avaient défié la logique, il ne lui était plus si impossible d’admettre qu’un livre pouvait influencer un monde – en fait, le contraire l’aurait surpris – mais aussi qu’un monde, après tout, pouvait en influencer un autre.
« Non, non et non. » répéta Quirinal à haute voix, en s’adressant à Vlad qui était resté silencieux. « J’ai dit que je ne voulais plus de théorie tirée par les cheveux. » Il avait les siens légèrement dégarnis, rien de grave.
« C’est qu’tu souffles. T’as pas l’air bien, t’es sûr qu’ça va Quir’ ? J’t’apporte que’que chose ? »
« J’ai l’impression d’être passé à côté de quelque chose d’énorme et d’évident. »
« C’est l’cas. R’lis c’que t’as écrit. »
Il s’exécuta. La relecture avait toujours été une étape très importante. Les piles de pages transcrites encombraient tout un côté de la table. Il se mit à les lire, au hasard, et au hasard commença à se laisser absorber par sa lecture. Là, il y avait quelque chose, là, autre chose. Il passait d’un texte à l’autre sans même y songer et peu à peu ses yeux ressortant des tas de feuilles ne regardaient plus le texte mais ces personnages imprimés dans les murs, puis marchant sur le plancher, qui mimaient l’indescriptible incohérence, jusqu’à ce que Quirinal veuille bien admettre qu’il avait percé le texte.

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