Aurait-il tendu le bras, du bout du majeur, Quirinal aurait pu toucher
sa lecture. Il s’en aperçut et aussitôt tout disparut. Les murs du
petit salon étaient à nouveau des murs, les fenêtres alignées des
fenêtres et les tables de chêne de leur lourdeur le ramenaient au
château des Chroniques. Le docteur et chroniqueur, l’air le plus simple
du monde, se tourna vers son ami qu’il trouva toujours drogué, aussi
tout était-il effectivement rentré dans l’ordre, et c’est pourquoi il
lui dit :
« En effet. »
Il n’avait pas réussi à reconnaître de
quelle histoire il s’agissait. Dans la plus pure tradition littéraire,
un suspense nécessaire doublé de l’incohérence flagrante à laquelle sa
lecture avait été soumise l’en avaient empêché. C’était frustrant mais
il s’en remettrait.
« Cette histoire nous est accessible, il y en a
cinq autres dans la pile » et il désigna la pile de livres, sur l’autre
table. « Quatre, cette poésie me rebute. »
« S’ton problème, Quir’, s’ton problème. »
Son
compagnon s’était remis debout et les haillons qui le couvraient,
empestés par les drogues et l’alcool – pour l’alcool c’était toute une
histoire – lui donnèrent des allures d’épouvantail. Il avait
véritablement une tête épouvantable, toute tirée et flasque, sur
laquelle son sourire grossier se noircissait. Face à son bedonnant ami,
il avait des airs de spectre.
« Maintenant, pas de précipitation.
Nous n’irons pas au hasard. Trouvons l’histoire qui offre le plus de
documentation. Il nous faut également nous préparer, les récits ont la
désagréable habitude d’être dangereux. Enfin, nous devons en apprendre
le plus possible sur le monde qui la sous-tendra, pour savoir à quoi
nous attendre. »
« T’en fais trop, Quir’, c’doit être tes qu’torze heures de frappe. L’premier récit avec une auberge s’ra l’bon. »
«
C’est un point de vue qui se défend. » Il referma le Libra et le tendit
à son ami : « Je vais nous chercher de l’équipement, tout ce qui pourra
nous être utile. Sauf ce monstre, là. » Il désigna la machine à écrire.
« Charge-toi du Libra. Et trouve-nous un bon récit. »
Aussitôt dit,
aussitôt fait, Vlad ramassa le premier livre qui lui passa sous la main
et, rabattant le Libra sous ses loques, tendit son choix à Quirinal. Ce
dernier mit quelques secondes avant d’accepter ce mode de décision très
chroniquéen. « Prends des notes, je reviens. » Il s’était promis de ne
plus quitter le petit salon jusqu’à ce qu’un nouveau lieu s’offre à
eux. À présent que ces livres leur étaient accessibles, plus ou moins,
c’était avec plaisir que le chroniqueur comptait tenir sa promesse.
Cette petite pièce (de vingt mètres sur quatorze…) avait fini par le
lasser et même si c’était pour retrouver les couloirs avec toutes leurs
portes verrouillées, le changement lui plaisait déjà.
Sans surprise
aucune, le chroniqueur ne trouva rien qui puisse l’aider dans le
vestibule, mais constata les statues brisées et les tableaux mis bas.
Vlad lui avait plus ou moins raconté ça. Il remonta du côté de la
bibliothèque mais, une fois là-bas, n’osa pas s’enfoncer trop au
travers de l’anarchie des étagères, par crainte de s’y perdre. Lui, il
n’était pas dément. Là non plus, il ne trouva rien qui pouvait l’aider.
Ce vide était désolant.
Dès lors refusant de revenir les mains vides
– encore une fois – Quirinal partit dans le labyrinthe des couloirs,
une torche à la main pour les passages plongés dans l’obscurité, dans
l’idée qu’il ne pouvait pas partir sans avoir tout essayé. Déjà, ils
emporteraient deux torches. Cela pouvait s’avérer utile, par exemple
dans des mondes inexplicablement noirs. À défaut, ils pourraient les
utiliser comme gourdins. La perspective ne lui plaisait pas mais il
pensa que le personnage d’une histoire était toujours plein de
ressources.
Il trimballait donc avec lui deux torches éteintes en
plus de la sienne allumée quand sentant le ridicule de sa décision, le
chroniqueur fit demi-tour pour aller les remettre en place. Il en
profita pour en rallumer qui s’étaient éteintes – ça aussi, Vlad le lui
avait expliqué – et s’étonna qu’elles aient pu brûler si longtemps
(s’il savait…) avant d’être surpris par un grincement. L’une des
portes, près de lui, s’était ouverte.
38 - Vérité, on se prépare
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- Écrit par Vuld Edone
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