Au matin les portes s’étaient ouvertes, une cohue folle s’était pressée
aux multiples entrées chariots et foule mêlés, toute la masse qui
transitait des champs aux marchés, des maisons aux fermes, au travers
des rues mal pavées qui couraient des quartiers chargés de maisons
jusqu’à l’enceinte de la cité et après la muraille côtoyaient encore
les habitations sur la distance, puis s’achevaient dans les champs, à
peu de distance de la forêt. L’ermite venait de la forêt, l’ermite en
était sorti pour se joindre à la foule, pour s’y faire presser et
disparaître, loqueteux parmi les autres loqueteux malgré sa cape de
voyage un peu plus riche et les feuillages qui y étaient encore
accrochés. Les gardes l’avaient laissé passer sans un regard pour lui,
il n’était qu’un miséreux de plus qui abondait dans les rues. L’ermite
riait de leur ignorance, à tous, il riait et se moquait d’eux comme il
se moquait de lui-même.
Dans les rues lorsque la foule s’était peu à
peu espacée, le vieux fou à moitié courbé, la barbe épaisse qu’il
dévorait, le visage sauvage, jetait des regards de tous les côtés
oppressés par les bâtiments et toutes ces présences, cette puanteur. Il
découvrait pour la première fois de sa vie la capitale, bientôt sa
capitale, c’était dans l’ordre des choses. Ce que personne n’avait vu
il l’avait vu avant tout le monde, les premiers succès étaient si loin
à présent, si loin. Il ne gardait de son passé qu’une dague
sacrificielle au manche retors, courbé sinueux dans sa main et sans
fourreau. L’ermite ne s’en séparait plus, il marchait dans les rues
armé sans que personne ne le remarque, il riait de leur ignorance, eux
qui ne le connaissaient pas encore. Il ne venait pas pour rien à la
cité des seigneurs.
On avait brûlé son journal. Jamais il ne
pardonnerait à celui qui s’y était osé, or celui-ci s’était manifesté
une fois, rien qu’une fois, récemment, en venant l’épier, en
contemplant sa victoire. Le fou qui l’avait défié était un devin, la
seule pensée de son existence le rendait fou. Il se sentait fou parfois
sans pouvoir déverser le flot de ses pensées dans un ouvrage, sans
pouvoir écrire, sans ce geste de certitude, il sentait son esprit
dériver. Et il n’y avait personne à qui expliquer, personne avec lui.
À
présent ce maudit devin s’était montré, une fois de trop : il avait
montré une patte de la pire couleur. L’ermite s’était presque étouffé
de rage en voyant étinceler l’or dans cette ruelle. Dans les tempêtes
qui rendaient presque indiscernables les visions de la Perception il
avait distingué ce singe et la précieuse couleur or qui lui avait paru
trop pure pour être vraie. Alors la pensée de ce concurrent lui avait
fait perdre toute mesure. Il avait décidé que ce devin devait
disparaître, qu’il allait le tuer comme il en avait tué d’autres ou
qu’il mourrait en essayant mais cela, cette dernière option, le vieil
ermite ne l’envisageait pas. Il avait toujours réussi, il était voué à
réussir : c’était sa destinée. Ce château qui dominait la cité, la
Lumière de cendres, avec ses murs noirs et ses hautes tours, serait son
château bientôt quand il aurait achevé sa tâche. Quand ce devin
tomberait entre ses mains, soudain, tout serait résolu, enfin les
énergies seraient siennes et il ne serait plus le misérable qui crevait
avec les autres sur la Voie magique du quartier sud, à l’ombre de la
Lumière.
Il arriva devant une taverne. Celle-là ou une autre,
c’était égal, toutes conviendraient. La Hache Brisée lui inspirait
aussi exactement ce qu’il voulait, la violence qui jouait dans son
corps et le poussait à vouloir un cadavre de plus dans lequel plonger
sa lame. Trouver le devin ne lui suffisait pas, il aurait besoin de
mercenaires capables d’assassiner un manipulateur aussi puissant, des
mercenaires prêts aussi à le voir passer à l’acte sans tomber dans de
futiles états d’âme ou céder à la panique. Les portes s’ouvrirent sur
une salle presque vide, il n’était que le matin, il attendrait le soir.
Soudain son regard fut attiré en un point précis de la salle : il
ricana, comme une bête, comme une hyène, encore sur le pas de la porte.
Celui qui essayait de se cacher là-bas, maladroit dans ses habits trop
riches, celui-là était un noble que n’importe qui d’autre aurait dû
remarquer. Il fut irrésistiblement attiré par cette personne qui
respirait la peur, une crainte latente et ridicule. Les rumeurs le
renseignèrent mieux que personne sur l’identité de celui que nulle
autre ne voulait remarquer. C’était Mederick T’Nataus, dont l’ami était
victime d’un mal incurable et qui était en disgrâce.
68 - Pion, ermite
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- Écrit par Vuld Edone
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