Du pain en question il ne restait que quelques tranches qu’ils se
partageaient encore. Accompagné d’œufs, de crème, de lard et de beurre,
un pain fait de blé cru n’était pas si mauvais. Il avait juste tendance
à coller aux doigts.
Un mot l’avait accompagné et la mine sérieuse, le docteur le relisait.
Il était pensif. Face à lui assis sur sa chaise comme un ours de cirque
sur un tabouret, le chroniqueur drogué avalait son œuf cru recouvert de
tant de poivre – si c’était du poivre – qu’il faisait tousser à la vue.
Les manières du jeune homme flasque, engoncé dans ses haillons,
valaient son apparence. Il avait plus sali la cuisine que ne l’avait
fait toute la suie des hottes.
Ce mot joint au pain de blé était de Naïa. Elle ne revenait décidément
pas à Quirinal, qui se disait qu’à présent le nom lui était familier
mais que c’était bien tout. Elle expliquait son expérience. Celle-ci
consistait à comprendre la relation entre le verrouillage des portes et
le Libra.
« D’après elle » expliqua le chroniqueur à son compagnon qui ne
l’écoutait que d’une oreille, « c’est le Libra qui tient les portes
fermées. Je crois comprendre. Ne pouvant agir sur les Chroniques, le
Libra crée un calque sur lequel il agit, et qui est limité dans
l’espace. Il s’agissait moins de protéger les Chroniques que de
permettre l’emploi du Libra. »
Tout cela n’intéressait plus du tout le drogué qui après sa dernière
bouchée s’était mis à respirer une petite poudre orange tirée de sa
bourse. Il la laissait sur son doigt et se contentait de la tenir sous
ses narines, la tête penchée au point que le capuchon couvrait ce qu’il
faisait. Au fond, ce qui tenait les portes fermées, ça ne les avançait
pas à grand-chose.
Leur priorité était de retrouver Naïa, le reste n’était que du détail.
Ils le savaient tous deux et malgré cela Quirinal, si désireux d’agir
en intellectuel, perdait son temps à décortiquer une note.
Mais quant à retrouver la chroniqueuse, c’était un défi certain. Il ne
restait d’elle aucune trace à part cette note, la note laissée sur la
porte devant et la note qu’ils avaient remise en place sur le mur
bloquant l’accès aux archives. Or son écriture ne leur rappelait pas
quelqu’un prêté aux jeux de pistes, mais pragmatique et qui aurait dit
tout de suite où la trouver si elle avait voulu être suivie. Elle se
promenait dans un livre, restait à savoir lequel.
« Eh ben, perdu ? T’sais plus quoi faire ? »
« Je n’ai pas abandonné l’espoir de comprendre tout ce cirque. Les
Chroniques sont désertées, les portes verrouillées, un Libra fait son
apparition et pour ne rien soustraire au tableau, les textes sont
devenus incohérents. »
« Suffit d’trouver c’te Naïa ! »
Quirinal se referma sur lui-même. Il supportait mal le détachement de
son compagnon, lequel passait à présent son temps à lécher le bout de
ses doigts. Il reposa la note de la chroniqueuse là où était apparu le
pain de blé, sur le plan de travail, puis se leva. Au fond, tout ce
qu’elle avait fait n’était pas plus incompréhensible au visiteur que ne
l’était la destruction engendrée durant son sommeil, vers l’entrée des
Chroniques. Les circonstances expliqueraient tout et hélas, il
détestait se l’avouer, Vlad avait raison.
« À mon avis, nous ferions mieux de chercher le second Libra. »
Il était à présent persuadé qu’il y avait deux de ces livres et que
Naïa avait été en possession du second. Elle avait pu l’emporter avec
elle mais le livre lui-même appartenait aux Chroniques. Ils le
trouveraient certainement au dernier endroit où elle s’était trouvée
avant son départ. Si elle n’était pas passée par la porte, sans doute
se trouvait-elle dans une aire de lecture. Il y en avait plusieurs de
ce côté du château.
La porte n’était plus verrouillée. Le docteur l’ouvrit sans peine, il
retrouva le couloir familier des Chroniques et sortit avec un
soulagement certain de cette pièce si atypique, si insensée des
Chroniques qu’étaient les cuisines. Si Vlad n’en montrait aucun signe,
un tel lieu pour sa part l’avait ébranlé. Il savait pour avoir vécu en
ces lieux longtemps qu’il existait des cuisines, mais comme un mythe ou
un concept, pas comme une réalité à part entière.
77 - Ouvert, occulte
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- Écrit par Vuld Edone
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