Le chariot se renversa devant l’entrée du bureau administratif, presque
contre la porte laissée grande ouverte, soit autant que le permettait
l’encombrement de meubles. Les deux chroniqueurs après une forte
inspiration se baissèrent en même temps pour saisir ce monstre qu’était
la machine à écrire. Ils la firent entrer dans l’étroite pièce, non
sans efforts, et l’installèrent dans un coin dégagé de toute feuille.
Le meuble grinça en recevant cette charge de métal et de ressorts.
« Le livre de cuisine. » Demanda Quirinal d’un ton docte, d’autant plus
qu’il était fier d’avoir résolu leur problème. Vlad lui ouvrit le livre
à la page où était l’extrait de texte. Il attrapa au hasard une feuille
volante, l’inséra dans la machine, retira vivement ses doigts et après
un soupir de soulagement, avec prudence, il pressa une touche. La suite
de grincements atroces le fit bondir en arrière.
Enfin le travail commença. Le Libra ouvert, l’autre tome par-dessus, il
se mit à rédiger ce début de texte. La porte derrière eux se referma,
du fait d’un courant d’air qui battit en même temps l’ensemble du
papier entassé dans la pièce. Ils sursautèrent mais brave, le docteur
continua à taper sur les touches mécaniques de la machine. Le texte
baveux d’abord, à mesure qu’il séchait, prenait de plus en plus forme.
Avant qu’il ne comprenne, Quirinal avait couvert la page entière, il
tirait la feuille pour la remettre à l’envers et taper le verso. Et
ainsi pour la seconde page, pour la troisième, il les alignait à
présent sans peine de plus en plus vite, à mesure que les pages
s’accumulaient à côté d’eux. Mais aucun d’eux ne prêtait plus attention
au tas cohérent qui se formait. Ils étaient pris l’un sur l’épaule de
l’autre dans le mouvement de frappe de la machine, dans la succession
de lettres qui apparaissait.
Trop tard pour faire machine arrière : cette option n’était pas dans
les possibilités d’une machine à écrire. Les deux chroniqueurs se
regardèrent une fois encore, d’un air victorieux. Puis ils se
plongèrent dans le cliquetis de la machine qui alignait les mots et les
phrases, qui vibrait et grondait à chaque retour de ligne.
Aïo
Au point final le capitaine Kyrena de la CITL (Confédération
Internationale des Territoires Libres) retira son rapport de
l’imprimante. Il regarda sa montre puis par la fenêtre l’espace noir et
profond. À ce stade de la rotation la Lune apparaîtrait bientôt.
La porte de son bureau coulissa, laissant entrer le général Oïc.
- Vous êtes prêt, Kyrena ?
Le général ne prononçait pas le prénom correctement.
- Prêt, général.
- Vous serez trois. Le professeur Jean Valdes a travaillé autrefois au site B. C’est un expert biochimique, il vous sera utile.
- C’est lié au site B ?
- Bien sûr que c’est lié au site B.
Le capitaine soupira. Tout le monde était mort au site B. Le moins il
en saurait, le mieux il se porterait. Ce scientifique était une gêne.
Oïc s’était emparé de son rapport.
- Inutile de vous rappeler qu’en cas d’échec, nous nierons toute
implication. Une fois en mission, vous serez coupé du monde. Ne faites
confiance à personne.
Le général se retourna le dossier en mains pour partir. Kyrena l’interpella depuis la fenêtre. La Lune venait d’apparaître.
- Et le troisième membre ?
- On ne nous a pas communiqué son nom. Il devait être affecté à une
autre mission mais son affectation a été changée en dernière minute.
Une fois Oïc parti, Kyrena comprit qu’il voyait Aïo pour la dernière fois.
80 - Ouvert, administration
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- Écrit par Vuld Edone
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