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« À partir de quelle échelle un champ de bataille devient-il crédible ? »

« Une planète ? Un système stellaire ? Un amas ? »

« Considère que nous avons mené une guerre sur trois galaxies, plus longtemps qu'aucun conflit. À partir de quelle échelle le spectateur perd ses repères et est forcé de croire ce qu'on lui dit ? Sans contrôle, sans objectif, seulement étourdi et fasciné par l'alignement des chiffres. Mais ma question est : à partir de quelle échelle un champ de bataille devient-il crédible ? »

« Réponds-moi. À partir de quand la bataille devient seulement possible ? »

« Laisse-moi me battre ! »

« La guerre fait couler le sang, fait brûler le noir de l'espace ! Même pour un instant, même pour moins qu'une fraction dans ce recoin de l'univers une lumière aura défié les ténèbres, n'est-ce pas là le fondement d'une civilisation ?! Deux cent trente milliards d'étoiles sont les héritières de notre conflit, la cendre, la braise, et les noms mêmes donnés par les indigènes ravivent ces foyers. Notre ennemi a fait de la paix la seconde loi de l'univers, mais nos efforts ont permis que la guerre soit la première. »

« Cette galaxie à présent ils l'appellent la Voie Lactée, spirale de trente mille parsecs ressuscitée de la destruction depuis maintenant treize milliards d'années. Là se trouve le bras d'Orion, et dans le bras d'Orion un espace long de mille parsecs dans le courant d'Arcturus et jusqu'à l'amas stellaire six mille quatre cent septante-cinq. »

« Les indigènes appellent ce côté du ciel Petit-Renard, là où a brûlé Alpha Vulpeculae. Mais avant qu'elle ne brûle cette étoile a donné naissance à une civilisation qui, remontant le courant en direction d'Orion, a colonisé presque cent systèmes stellaires. C'était il y a deux millions d'années, et durant deux millions d'années les colons se sont risqués sur des distances infinies pour former ces poches de vie sur les poussières de l'univers. »

« Ce sera notre champ de bataille. »

« Les distances déjà trop grandes allaient se creusant au mouvement de la galaxie. Les voyages sont longs, les communications difficiles, les planètes inégales et les cultures trop diverses au sein d'une même espèce. À quoi s'ajoutaient les autres espèces, intégrées comme protectorats, et quand l'un de ces protectorats réclama sa place entière au sein de la civilisation, et quand cette place lui fut accordée, l'unité qui avait prévalu durant deux millions d'années, malgré la méfiance et les désaccords, cette unité laissa place à la guerre civile. »

« Ce sera notre guerre. »

« Elle dure depuis dix mille ans. »

« La guerre n'a pas changé de visage, seulement de dimension. Elle est loin l'époque où nous plongions des systèmes entiers dans la fournaise. Ici la guerre est plus discrète mais pas moins meurtrière. Les flottes se déplacent dans le vide à la lenteur des moteurs Ether, à la moitié de la vitesse lumière. Les vaisseaux derniers-nés des chantiers, comme la classe Aurée, arrivent dépassés et obsolètes sur des mondes le plus souvent sans défense. En dix mille ans les flottes ne se sont croisées que deux fois, et ces deux batailles ont été remportées par la faction conservatrice du Renard. La seconde, la bataille du dard, a été remportée par la sixième flotte Numidis, qui se regroupe à présent. »

« Ceux qui mènent cette guerre n'arrivent pas à la comprendre. Ils naissent sur les bâtiments de guerre, sans jamais voir les mondes pour lesquels ils se battent, sans espoir de les voir avant leur mort. Mais ils se battent, et pourquoi ? »

« La sixième flotte se regroupe à Cancri, à seulement douze parsecs de la Terre, à l'insu des indigènes. Sa cible : l'amas six mille quatre cent septante-cinq, que les indigènes appellent Scorpion, où se trouve la faction isolationniste et qui menace les mondes primordiaux de la civilisation. Sa mission : surprendre l'ennemi en traversant le secteur protégé dans un mouvement d'assaut qui prendra près de deux mille ans. Pour y parvenir, la flotte a besoin d'un point d'appui fortifié. Ce devait être Cancri, mais la mission est compromise. Dans l'urgence, le groupe de génie numéro trois Linput doit donc établir un nouveau point fortifié pour la flotte, au coeur même du système protégé, en s'aidant de la population indigène. »

« La mission du groupe Linput, commandé par le contre-amiral Vigil Prad, est donc de transformer la Terre en une forteresse. »

« C'est le plan Armula. »

« Est-ce que nous allons regarder sans rien faire ? Est-ce que tu comprends ce qui se prépare ? Vigil va emporter ses quatre vaisseaux, quelques quarante mille soldats sur ce monde sauvage, et aucun d'entre eux ne reviendra. Laisse-moi me battre ! »

« Laisse-moi les sauver, ces soldats sacrifiés, laisse-moi leur donner une chance ! Rien qu'une chance, même pas de gagner, juste de se battre, rien que cette chance-là face au silence de l'univers. »

« Réponds-moi ! »

« Tu veux les sauver ? Ces futurs bouchers, oppresseurs de l'amas du Scorpion ? »

« Tu veux les laisser périr, ces défenseurs de la civilisation ?! »

« Fais le calcul. La sixième flotte compte plus d'un million de soldats répartis entre cent douze vaisseaux. Le vaisseau amiral a une escorte de deux croiseurs et huit destroyers. Vingt-quatre bâtiments servent à la logistique. Les trois divisions d'assaut sont complétées de trois groupes de reconnaissance, comptant chacun un croiseur et trois destroyers, soit douze vaisseaux, et douze vaisseaux encore entre les trois groupes de génie, à raison de deux croiseurs et deux destroyers. Fais le calcul, cela laisse dix-huit bâtiments de guerre par division d'assaut. »

« La sixième flotte, bien sûr, ressort de la bataille. Elle a été renforcée pour le plan Armula, et a dû se détacher d'une partie de ses anciens bâtiments. C'est ce remaniement, entre autres, qui a propulsé Vigil Grad au commandement du groupe de génie Linput. Mais fais le calcul. Tu verras que je n'abandonne personne. »

« C'est ce remaniement qui a fait passer l'artilleur Ammeran au poste de contre-amiral en second. C'est Ammeran qui a organisé la rencontre des officiers lors de la décélération, à l'approche du système solaire et de la Terre. Il ne reste que quelques semaines après un voyage de soixante ans, septante-huit ans avant l'arrivée des premiers éléments de la sixième flotte. Les ordres de Munidis n'ont pas encore rattrapé le groupe Linput et les officiers rassemblés dans la pièce, représentant les quatre bâtiments de guerre de la flotte, sont laissés à eux-mêmes. »

« Ce sont des soldats. Nés sur des vaisseaux de guerre, sans la moindre expérience de la vie civile. Ils ont septante-huit ans pour préparer l'arrivée de la flotte, et aucun d'eux ne sait comment gérer une population indigène. »

« C'est plus grave que ça. Ils ont été formés et entraînés pour protéger de telles populations. Leur mission va à l'encontre de leurs principes. Aussi, tandis qu'Ammeran les fait asseoir, ils ont chacun de leur côté la même question en tête : comment réussir ? »

« Vigil Grad est déjà assis. De son état-major, il n'a fait venir que l'officier Medan, chargé du personnel, et l'officier Solin Rem, chargé de la logistique. Ils restent debout et à disposition à l'écart de la table. Ammeran se place derrière Vigil et ce dernier se tourne vers ses capitaines. Neden, commandant le croiseur ASS Linput, est arrivé le dernier. Neden a le plus d'expérience, et son bâtiment est en tête de formation. Quelque chose dans ses facettes s'est éteint depuis la bataille du dard. Le Linput n'a jamais été en contact avec l'ennemi. »

« À sa droite se tient le commandant Comnon, du destroyer AAS Elaes, et en face les commandants Lam, du croiseur AAS Oserin, et Humlis, commandant l'AAS Cotheron. C'est du destroyer Cotheron que vient Vigil Grad, et même s'il et à présent contre-amiral, il voit toujours Humlis comme une sorte de supérieur, ou au moins d'égal. »

« La discussion traîne sur le nombre de bâtiments qui resteront en périphérie du système. »

« Le croiseur Oserin sera dédié à cette mission, mais Vigil tranche enfin et veut emmener le reste de la flotte en orbite de la planète Terre. On discute des relais et de la cartographie du système, puis Vigil Prad pose la question. »

« Comment aborder les indigènes ? »

« Que sait-on d'eux ? Le dernier rapport sur la Terre date de cinq siècles. À cette époque la planète était rongée par la maladie, les indigènes mouraient dans leurs maisons de bois et de pierre. Est-ce que l'humanité existe seulement encore ? »

« Vigil se tourne du côté de son officier Solin Rem. Humlis sourit. C'est son vaisseau, le Cotheron, qui a capté les ondes radio. »

« La planète émet. Les premiers calculs suggèrent des relais en basse orbite dont le groupe capte des reliquats. Mais plus encore. La Terre a envoyé une sonde qui, en probablement huit ans, approche de la périphérie du système. »

« En somme, songe Vigil Prad, l'humanité a survécu à la maladie, et progresse à son rythme. Il faudra de toute manière un à deux mois avant d'espérer pouvoir comprendre les langages des indigènes, mais, ironise le contre-amiral, rien ne presse. »

« Comment entrer en contact ? »

« La question rencontre un premier silence. On attend sur Neden, mais ce dernier reste muet. Il préfère observer avant de s'investir. C'est Ammeran qui, pour lancer la conversation, depuis sa place aux côtés de Vigil, propose l'option de l'occupation. Occuper par les armes, établir le travail forcé durant les deux cents ans que durera l'opération, plus longtemps au besoin, puis décrochage. L'objectif serait de réduire l'interaction au strict minimum. »

« Ammeran est fou, se renfrogne Elaes. »

« L'occupation n'est pas une option. Ou plutôt, c'est une option inacceptable. La Terre est la propriété des indigènes. Il faut privilégier la négociation. Obtenir leur coopération. »

« Alors, propose Elaes, promettons-leur le protectorat. »

« Humlis se retient de rire. Il essaie d'imaginer les indigènes à qui on propose, comme une récompense, de se soumettre à la faction du Renard. C'est d'autant plus ironique, songe-t-il, que la sixième part combattre des isolationnistes. »

« Non, tranche Vigil Prad. Ce n'est de toute manière pas une promesse que la sixième flotte peut faire. »

« Alors, offrons-leur des technologies. »

« Et si ça ne suffit pas, disons-leur ce qui est. Si le Scorpion l'emporte, si nous perdons la guerre, il n'y aura plus personne pour les protéger. Et si le Scorpion vient ici, pour s'approprier des ressources avant que le système ne quitte Orion, ils se contenteront de tuer tout le monde. Ils l'ont déjà fait dans leur propre amas. »

« Sans vouloir être pessimiste, intervient enfin Neden. Les autres officiers se tournent vers lui. Sans vouloir être pessimiste, est-ce que ces indigènes peuvent comprendre les enjeux d'une guerre civile ? Ils savent forger du métal, c'est très bien, mais nous pourrions très bien avoir affaire à des animaux. Tenter de raisonner avec eux, de négocier et de se comprendre ne fera que retarder notre mission, et peut la mettre en danger. Le Scorpion brûle les planètes par pragmatisme, pas par cruauté. Voulons-nous vraiment prendre le risque de se fier à des bêtes ? »

« La décision est finalement prise à l'unanimité. Le troisième groupe Linput coopérerait avec les indigènes. »

« Mais c'est suicidaire. »

« C'est nécessaire pour ces enfants des batailles, qui pour la plupart finiront leur carrière sur ce caillou de l'espace avec bien peu d'espoirs et bien peu de rêves. Leur faction se bat pour rétablir la civilisation. S'ils saccagent ce qu'ils protègent, leur combat est vain. »

« Mais ils vont mourir. C'est du bon sens, c'est de l'instinct. De toutes les options qu'ils pouvaient choisir… »

« C'est trop tard. Le croiseur AAS Oserin est à hauteur de la Lune, en vue de la Terre, flanqué des deux destroyers du groupe. Et la Terre peut les voir. Les radars, les antennes, les télescopes, tout est tourné vers ces titans d'acier qui défient les ténèbres. Et tandis que les équipages à bord préparent le premier contact, les indigènes font de même. »

« La planète est alors divisée en deux blocs, et ce sera au premier qui enverra sa fusée. La tension monte jour après jour, semaine après semaine, deux mois durant jusqu'à ce que Vigil Prad s'estime prêt. »

« Il émet alors, sur toutes les fréquences, dans la langue que ses soldats ont décodé, son message à destination de l'humanité. Il y dévoile la guerre civile, le plan Armula et la volonté de fortifier la Terre. Il promet en échange les technologies et la protection de la civilisation. Il garde secret le détail sur la sixième flotte et son mouvement. »

« Puis il attend. »

« Il n'a pas encore conscience qu'en communiquant dans une langue, et une seule, il a déclenché une nouvelle crise entre les deux blocs. Medan, chargé du personnel, a réuni une équipe pour les relations indigènes. Il alerte Vigil des réactions : il a, sans le vouloir, pris parti pour un bloc. Dans l'urgence, la troisième flotte répète son message dans une seconde langue, mais ne fait qu'empirer la situation. Medan est stupéfait, mais s'acharne et enfin, à la troisième communication, le monde s'apaise. Les deux blocs ont eu ce qu'ils voulaient. »

« Pour Medan, c'est une première leçon. Il n'a pas affaire à un interlocuteur unique. Il s'en entretient avec le contre-amiral et propose d'établir un système pour unifier le dialogue. »

« L'humanité dispose de son propre Conseil, sur la côte continentale. Alors qu'on l'invite ailleurs, Vigil prend la décision de s'y rendre. Il songe, en traversant l'atmosphère de la planète, plonger dans une fosse à serpents. »

« La foule qui l'y attend est gigantesque. Les gens sont fascinés par la taille du vaisseau qui se pose sur l'eau. Au moment de sortir Vigil décide de retirer son casque, et songe ainsi faire preuve de confiance. Il ne se rend pas compte que son escorte, une compagnie complète de soldats, est en train d'envahir le bâtiment. Quand il se présente enfin devant les quelques deux cents membres des factions terrestres, l'officier Medan à ses côtés pour la traduction, on le traite en envahisseur. »

« Au lieu de s'en défendre, Vigil Prad l'admet. Le plan Armula le force à occuper la Terre. Mais il demande à l'humanité de faire preuve de compréhension, et assure qu'il fera tout pour que la planète conserve sa volonté. »

« Les discussions sont confuses et contradictoires, les demandes incohérentes. Après dix minutes, Vigil décide de rester. Le contre-amiral est impressionné par ce concert de voix qui lui évoque le Conseil de la civilisation. Malgré les critiques qui pleuvent et le mur d'hostilité qu'il rencontre, il se persuade que la coopération était la chose à faire. »

« Ses demandes, à ses yeux, sont réduites au strict minimum : toutes les ressources de la planète seront mises à contribution pour la fortification. Toutes les exploitations et usines sont réquisitionnées. »

« Ce n'est pas disproportionné. Les ressources dont on parle ne constituent pas un pour cent de ce que recèle cette seule planète, et il y en a d'autres bien plus riches dans le système. S'il venait piller, il n'aurait pas choisi la Terre. »

« Mais comment l'expliquer aux indigènes ? »

« L'honnêteté de Vigil Prad s'est retournée contre lui. Il a oublié les apparences, et à présent la majorité lui est hostile. Ce qu'il croit être des demandes passe pour des ordres. Quand on lui demande ce qu'il fera en cas de refus, Vigil ne cache rien et précise qu'en soldat il conduira sa mission jusqu'au bout. Un million de soldats dépendent de lui, et au-delà de ça, vingt-trois planètes, sinon la civilisation. Ce qu'en retient la Terre, c'est qu'il n'hésitera pas à tirer. »

« Un bloc lui cède et promet de coopérer. Le second bloc refuse et affirme qu'il faudra les y forcer par les armes. Vigil est prêt à négocier. »

« C'est ce qu'il fait. Pendant presque trois mois. »

« Pendant ce temps, Humlis et son destroyer Cotheron sont chargés de la gestion des ressources réquisitionnées. Le reste du groupe s'est mis au travail et a commencé l'établissement des batteries orbitales. En périphérie, Lam avance de même. Il faudra vingt ans avant que les défenses les plus basiques soient opérationnelles. »

« Ce sont les soldats du Cotheron qui, lors d'une collecte, découvrent enfin l'armement nucléaire de l'humanité. »

« Le mot nucléaire, atome, atomique, tout cela n'avait pas beaucoup de sens pour les équipages du groupe Linput. Les batteries de missiles indigènes étaient trop lentes pour seulement les inquiéter. Mais l'armement nucléaire représente un risque pour les opérations, et une faiblesse dans la forteresse qu'ils sont en train d'établir. »

« Averti, Vigil Prad demande qu'on lui remette toutes les ogives. »

« Ce nouvel élément est le clou qui met fin à des négociations qui n'allaient déjà nulle part. Le contre-amiral voit le peu de coopération déjà en place sur le point de s'effondrer, et le reste de la planète prêt à la guerre. »

« Une fois retourné à bord du Linput, sur la passerelle, occupé à arpenter la longueur de la baie, Vigil se met à réfléchir à ses options. »

« Ammeran est avec lui. N'oublie jamais qu'Ammeran est avec lui. »

« Il se tourne vers Ammeran et lui demande, de but en blanc : qu'est-ce qu'il faut faire ? »

« Que faire ? »

« Forcer l'humanité à coopérer ? Par les armes ? Depuis l'orbite, hors d'atteinte, le croiseur AAS Linput peut opérer des frappes chirurgicales. Il peut intercepter les missiles, détruire les silos, éventuellement frapper les radars. »

« Que faire ? »

« Ou bien désamorcer la situation ? Se désengager, tenter de remplir la mission depuis une autre planète du système ? Mais, sans les serres et les générateurs, le point d'appui ne serait jamais opérationnel, et il faudrait des centaines d'années pour les établir. Si Cancri se répète ici, c'est tout le plan Armula qui est compromis. »

« Alors que faire ? Pourquoi les indigènes refusent de lui remettre des armes qui ne leur servent à rien, qui ne peuvent servir, au mieux, qu'à les détruire eux-mêmes ? »

« Si tu me laisses me battre, je peux encore les sauver ! Il n'est pas trop tard, mais est-ce que tu comprends au moins ce qui se passe ? »

« Réponds-moi ! »

« Alors ce sera la guerre. Après une dernière réunion d'officiers, et un appel à la planète, Vigil Prad autorise le capitaine Neden à ouvrir le feu. À l'heure dite, L'Oserin et le Cotheron déploient le champ de brouillage et plongent la planète dans l'obscurité. »

« Neden attend encore, cinq minutes, dix minutes, une heure. À l'écart, Vigil Prad le regarde faire et se demande pourquoi son officier ne tire pas. Il ne désobéit pas aux ordres. Il attend juste de savoir si son ennemi a encore la volonté de se battre. »

« L'ennemi n'a même plus les moyens de se battre. Les missiles sont cloués au sol. Les aéronefs sont tombés comme des mouches. Sans même tirer, le troisième groupe Linput a anéanti toute résistance. Quand enfin, plus de vingt-quatre heures après, les premières communications sont rétablies, le premier bloc offre sa reddition. »

« Le second bloc résiste ? »

« Le second bloc résiste. Environ sept minutes. Le bombardement orbital commence, méthodique, avant de s'arrêter, et il faudra encore trois heures pour que le commandement réalise l'étendue de ses pertes. Il n'y a pas besoin de capitulation pour que les combats se terminent. »

« C'est comme cela que ça finit. Par la suprématie des armes. »

« Deux jours plus tard, dans son discours devant soixante-trois factions de la planète, Vigil Grad veut restaurer la confiance. Il répète ses demandes : la réquisition des exploitations, des usines, des ogives nucléaires. Il répète ses promesses : la technologie, la liberté et, au terme de sa mission, toutes les fortifications bâties par son groupe appartiendront aux humains. Il est persuadé que le dialogue est encore possible. »

« Lentement, difficilement, laborieusement, la réquisition s'opère. Medan réorganise ses interlocuteurs et inspecte les sites. L'homme se met à oppresser l'homme pour continuer à produire. Un régime de terreur s'installe en même temps que la résistance, où les armées de déserteurs forment les premiers rangs des patriotes. Huit mois après la reprise des travaux, la première usine explose. Les mines, les puits, les industries et jusqu'aux centres urbains sont harcelés par les milices. Les indigènes demandent au Linput d'intervenir. »

« Tuez les nôtres pour que les nôtres cessent de nous tuer. »

« Aidez-nous à continuer notre oppression. »

« Si vous n'arrêtez pas ces saboteurs et ces traîtres, non seulement des milliers de civils vont mourir, mais la production va ralentir. »

« Ce n'était pas de voir les indigènes détruire leurs propres usines qui choquait Vigil Prad. Cela, il arrivait encore à le combattre, aussi vain cela pouvait-il paraître. C'était de les voir s'entretuer pour y parvenir. Et même si ses propres soldats, aux points de collecte, étaient également harcelés, il était émerveillé par cette idée d'être rationnels, persuadés de sauver les leurs en les massacrant en priorité, et en détruisant les ressources qu'ils voulaient préserver. Cela, songeait-il, s'appelait le désespoir. »

« Il se refusa à intervenir. Il se refusa à bombarder depuis l'espace les positions de ses patriotes. Et pendant près de vingt ans, il resta observateur de cette situation qui ne cessait de se détériorer. »

« L'ironie voulut qu'au jour où le troisième groupe put fêter l'achèvement des batteries orbitales, la planète pouvait fêter le début de son troisième millénaire. Les progrès technologiques avaient été étourdissants et la génération née sous l'occupation se faisait peu à peu à l'idée que ces rebelles du désert étaient les vrais oppresseurs. Sans y croire vraiment, Vigil Prad espéra que ces festivités allaient atténuer les tensions. »

« Deux mois plus tard, le destroyer Cotheron explosait. »

« Les humains avaient réussi à se glisser à bord, et à y faire détoner une charge de septante-cinq kilotonnes. Le destroyer éventré avait dérivé vers la basse orbite. Le Linput s'était porté à son secours, mais sans pouvoir rétablir sa trajectoire, et les survivants durent abandonner le bâtiment. Ils regardèrent, impuissants, le Cotheron s'écraser parmi les montagnes continentales. Humlis avait été tué, avec tous ses officiers, lors de l'explosion. »

« Les humains tentèrent d'atteindre le destroyer les premiers. Neden les y battit sans peine, établit un périmètre et, voyant des milliers d'humains se lancer à l'assaut de ses défenses, il demanda l'autorisation de se défendre. »

« Vigil Prad le détesta pour cela. Mais il n'avait pas le choix. Il ne pouvait pas laisser tomber le Cotheron sous le contrôle des indigènes. »

« Avant même que cette partie du globe ne soit recouvert par la nuit, Vigil envoya un message à la sixième flotte. »

« Cotheron hors de combat. Humlis mort. Indigènes hors de contrôle. Mission en danger. Préconise un génocide. »

« Il en avait vraiment l'intention ? »

« Non. Bien sûr que non. Mais il avait fallu la perte du Cotheron, et surtout la mort d'Humlis, pour qu'il réalise à quel point la situation était devenue intenable. C'est facile de regarder, de loin, sans vouloir comprendre, sans avoir d'enjeu soi-même. Soudain il était mis face à ces deux réalités, qu'il était en train d'échouer, et que ses soldats étaient en train de mourir. »

« À ce stade, il était déjà trop tard, mais Vigil essaya encore. Il refusa les représailles, demanda l'amnistie pour tous les combattants et offrit de restituer l'armement nucléaire. »

« Il était bien trop tard. »

« Ceux qui avaient tué en son nom se sentirent trahis. Ceux qui avaient tué en leur nom se sentirent justifiés. La faiblesse fut exploitée des deux côtés et, lors des dialogues qui suivirent, les humains réclamèrent le Cotheron en échange de leur coopération. »

« Combien de temps faudrait-il pour réparer le Cotheron ? »

« Un siècle ? Suggéra Solin Rem. Avant même de songer à lui faire quitter l'atmosphère de la planète. »

« Il n'est pas question de le leur donner, évidemment ? »

« Évidemment. Les fortifications sont construites à partir de leur travail et de leurs ressources. Ils peuvent les réclamer. Mais ils n'ont aucun droit sur l'AAS Cotheron. Et puis, il y a le moral de la flotte. »

« Le moral ? »

« Les soldats n'ont plus envie de protéger ces indigènes. Nous avons près de six mille morts. Nous sommes des soldats. Nous pouvons encaisser. Mais nous ne leur faisons plus confiance. »

« Et eux, pourquoi nous feraient-ils confiance ?! S'exclama Vigil Prad. Nous sortons de nulle part, armés jusqu'aux dents, nous occupons leur planète et nous l'avons bombardée. Et nous leur demandons de nous faire confiance ! Alors si nous en demandons autant, ne sont-ils pas en droit de faire de même ? »

« Et leur céder le Cotheron ? »

« Si c'est la seule manière de les apaiser. Si c'est la seule chance qui reste pour arrêter ces hostilités absurdes dont les indigènes sont et restent les premières victimes. Donnons-leur une dernière chance de prouver qu'ils sont civilisés ! »

« Il y a la confiance, et il y a l'aveuglement. Observa Neden. »

« Et les milliards de morts à travers le bras d'Orion ? À quoi bon leur sacrifice, à quoi bon cette guerre interminable ? Je ne me bats pas pour protéger une poignée de mondes, je me bats pour rétablir la civilisation ! C'est une guerre qui ne se gagne ni par les armes ni par les passions, mais par la raison ! »

« Si les humains avaient été raisonnables, ils auraient conclu que même en tuant plusieurs millions des leurs ils n'avaient pas réussi à ralentir les travaux du groupe Linput, et qu'ils avaient abattu un destroyer sur une flotte de cent bâtiments de guerre. Mais l'humanité n'était pas raisonnable, et convaincue d'être oppressée par ces envahisseurs, elle se défendait. En s'emparant du Cotheron les factions avaient deux buts : prendre le dessus sur les autres factions, et développer des armes pour abattre les autres vaisseaux aux abords de la Lune. »

« Vigil Prad céda, et demanda à Neden de se retirer du Cotheron. »

« Pourquoi moi ? Demanda-t-il plus tard, à bord du Linput, au capitaine sur la passerelle. »

« Neden fit mine de ne pas comprendre la question. »

« Pourquoi le groupe l'avait élu lui, Vigil, au lieu d'Humlis, au lieu de Neden. Ses décisions allaient à l'encontre du bon sens, et lui-même avait la rage au coeur d'abandonner le Cotheron. Il tourna le regard vers cette planète, disque noir dans l'éclat du soleil, et il songea à voix haute à quel point il aurait été simple de s'imposer par les armes. »

« Voilà pourquoi, justement. Nota Neden. L'humanité se croit désespérée, mais nous le sommes plus qu'elle. Je n'ai pas vécu le dixième d'une guerre qui semble devoir encore durer cent mille ans. Chaque matin je me demande si ces combats ont du sens, ou si nous ne sommes vraiment que des bêtes en quête d'excuses, qui défendons notre os. Est-ce que je suis seulement sûr que la planète d'où je suis censé venir existe vraiment ? Si ça ce n'est pas de l'aveuglement… »

« Neden ne sembla pas vouloir continuer. Il y avait eu comme un tremblement dans sa voix, comme un soupçon d'émotion contraire à la nature même de leur peuple. »

« Mais alors, pourquoi moi ? Insista Vigil. »

« Neden le regarda. Puis lui dit : parce que de nous tous tu es le seul à y croire encore. »

« Il était de toute manière bien trop tard. À présent le troisième groupe de génie se faisait broyer par la lente chimiomécanique de cet univers. Les hommes s'entretuaient et imputaient chaque mort de plus à l'envahisseur. Sans tirer un coup de feu, Vigil Prad n'en devenait qu'un peu plus despote. »

« La réponse à son message envoyé à Munidis arriva beaucoup, beaucoup plus tôt que prévu. C'était le premier groupe de reconnaissance qui, l'ayant capté, lui répondait par la négative. Ce n'était même pas la peine de relayer le message : ce n'était même pas envisageable. Le contre-amiral Verem ajoutait, en fin de message, que Vigil Prad devrait remettre son commandement en question, s'il était vraiment prêt au crime. »

« Vigil Prad se sentit trahi. Il encaissa, et continua sa mission. »

« La dernière faction prête à dialoguer avec lui, faite de réfugiés désireux que les carnages cessent, lui demandèrent combien de temps l'occupation durerait encore. Et Vigil Prad, à nouveau, répondit honnêtement : deux siècles, au minimum. Un quart de sa vie à lui, trois fois celle de ses interlocuteurs. Comme si les humains en prenaient conscience pour la première fois, ils réalisèrent qu'ils mourraient avec, dans ce ciel, les batteries orbitales toujours présentes. Cette faction, à son tour, entra secrètement dans la résistance. »

« Ce fut cette faction qui, pacifiste jusqu'alors, soucieuse de mettre fin à l'impasse, planifia la destruction du Linput. Ils se jurèrent de faire tomber ce tyran insensible qui regardait la misère de l'homme sans intervenir, qui semblait s'y complaire. Leur plan était fou, impossible, mais ils misèrent tout sur l'aveuglement de Vigil Prad, et ils montèrent parmi les factions humaines une coalition capable de mener ce plan à bien. »

« Depuis vingt-sept ans les envahisseurs asservissent l'humanité, forcent les uns à opprimer les autres ou les aveuglent à coups de promesses, de richesses et de technologies. Ces collaborateurs, ces traîtres, croient vraiment aux histoires qu'on leur raconte. »

« Mais alors, pourquoi est-ce que les aliens ne nous tuent pas, tout simplement ? »

« Parce qu'ils veulent nous utiliser comme main d'oeuvre, ou comme bétail. Ils ne veulent pas se salir les mains avec la basse besogne. Nous sommes leurs esclaves, rien d'autre. »

« Et pourquoi est-ce qu'ils ne font jamais de représailles ? »

« Et qui dit qu'ils n'en font pas ? Qu'est-ce que tu en sais ? Quand on débarquera sur leurs vaisseaux, on découvrira des piles de cadavres dont ils se servent pour se nourrir. Que crois-tu qu'ils mangent ? »

« Beaucoup de légumes, à en croire les dépôts. »

« Ils nous affament, oui ! Des années qu'on nous rationne, et qu'ils stockent ce qu'ils appellent la 'biomasse' ! Mais maintenant, nous avons volé assez de leurs armures, de leurs vaisseaux et de leurs armes pour riposter ! Et une fois à bord de leurs vaisseaux, grâce à la ruse diplomatique, ce sera notre tour de leur rendre la pareille ! »

« Et tu vas laisser faire ça ? Tu vas laisser faire ça sans rien faire ? Juste dire, c'est leur faute, ils n'avaient qu'à être moins stupides ? »

« Laisse-moi me battre ! »

« Tu vas regarder des bêtes massacrer des bêtes, ou bien la fin de la civilisation ? Réponds-moi ! La dernière chance d'une dernière guerre dans cette galaxie de désolation ! Tu vas rester là sans rien faire, alors que je t'ai donné toutes les armes pour vaincre ?! »

« Sauve-les ! »

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Portrait de Mr. Petch
Mr. Petch a répondu au sujet : #20145 il y a 9 ans 4 mois
Alors... J'ai une impression vraiment ambivalente avec ce texte. Il y a des côtés très réussis et d'autres nettement moins convaincants. Je commence par les seconds.

Comme tu t'essayes au même exercice délicat du "dialogue sans narration" que moi dans Les Confins, je constate ce qu'il peut avoir de difficile côté lecteur. Sur ce terrain là, j'ai l'impression que tu t'embrouilles. En fait on retrouve les mêmes problèmes auxquels j'ai été confronté :
- problème d'identification des protagonistes : ici, a priori, j'en distingue deux. Un belliqueux et un pacifiste. Mais par moment ces voix s'entremêlent et on ne sait plus trop qui est qui, qui explique quoi à qui, qui raconte quoi à qui. Ce ne serait pas forcément un problème si l'entremêlement était mieux organisé, de façon progressive ou en fonction du contenu. On sent par exemple que tu as essayé que le grand récit central transforme ce qui était d'abord un débat en un récit à deux voix. Mais ce n'est pas tout à fait convaincant, ne serait-ce que parce que les voix ne sont pas si différentes au début. Par exemple, sur cet enchaînement :

« La guerre fait couler le sang, fait brûler le noir de l'espace ! Même pour un instant, même pour moins qu'une fraction dans ce recoin de l'univers une lumière aura défié les ténèbres, n'est-ce pas là le fondement d'une civilisation ?! Deux cent trente milliards d'étoiles sont les héritières de notre conflit, la cendre, la braise, et les noms mêmes donnés par les indigènes ravivent ces foyers. Notre ennemi a fait de la paix la seconde loi de l'univers, mais nos efforts ont permis que la guerre soit la première. »

« Cette galaxie à présent ils l'appellent la Voie Lactée, spirale de trente mille parsecs ressuscitée de la destruction depuis maintenant treize milliards d'années. Là se trouve le bras d'Orion, et dans le bras d'Orion un espace long de mille parsecs dans le courant d'Arcturus et jusqu'à l'amas stellaire six mille quatre cent septante-cinq. »


Ici l'interlocuteur A, que j'avais identifié comme le "pacifiste savant" donne une explication, puis l'interlocuteur B, que j'avais identifié comme le belliciste, semble la poursuivre d'un même mouvement. Il n'y a pas assez de différence de ton entre les deux personnages pour que je les identifie clairement. Ici la relation entre les deux parties n'est dictée que par leur opposition de fond (faire la guerre ou laisser vivre ?) et il manque, je trouve, une opposition de forme qui permettrait d'en dire plus sur leur relation.
Du coup, quelles étaient tes intentions en construisant le dialogue ? Pour toi, comment définirais-tu A et B ?

- l'autre souci est dans l'utilisation du discours direct que tu tentes à certains endroits, dans la longue partie de récit :

« Ammeran est fou, se renfrogne Elaes. »

« L'occupation n'est pas une option. Ou plutôt, c'est une option inacceptable. La Terre est la propriété des indigènes. Il faut privilégier la négociation. Obtenir leur coopération. »

« Alors, propose Elaes, promettons-leur le protectorat. »

« Humlis se retient de rire. Il essaie d'imaginer les indigènes à qui on propose, comme une récompense, de se soumettre à la faction du Renard. C'est d'autant plus ironique, songe-t-il, que la sixième part combattre des isolationnistes. »

« Non, tranche Vigil Prad. Ce n'est de toute manière pas une promesse que la sixième flotte peut faire. »


Par moments il y a confusion entre le dialogue initial de A et B et le dialogue intra-diégétique, ici entre Elaes, Virgil Prad et Humlis. Il y a vraiment un moment où je me suis demandé, à cause des "propose Elaes" et "tranche Virgil Prad" si je n'avais pas raté quelque chose et que A et B étaient en fait les protagonistes de ce dialogue dans le dialogue.
Bon... Je comprends bien ce que tu as souhaité faire ici, et dans le fond j'adhère à ce choix : le dialogue des généraux se confond avec le débat A-B. Les enjeux sont les mêmes, et le dialogue dans le dialogue prend la place du débat initial. C'est un défi intéressant. Mais malgré tout, je ne peux m'empêcher d'avoir une gêne à la lecture ; je me dis qu'il manque des effets d'articulation, ou le choix d'un discours indirect... Pour qu'il y ait confusion "volontaire" et qu'elle fonctionne, il faut d'abord qu'il y a une séparation franche, sinon tout se fond dans un brouillard.

- d'une façon générale, je trouve le texte vraiment long. Non pas au long au sens d'une densité de propos, mais long au sens où j'ai décroché par instants puis repris la lecture sans que ça ne gêne vraiment ma compréhension.
En fait, et c'est intéressant et tu en tireras les conclusions que tu souhaites, je peux pointer le moment précis où j'ai vraiment été captivé par l'histoire, mais où avant je lisais en diagonale sans trouver de point d'accroche. C'est ici :

« Le croiseur Oserin sera dédié à cette mission, mais Vigil tranche enfin et veut emmener le reste de la flotte en orbite de la planète Terre. On discute des relais et de la cartographie du système, puis Vigil Prad pose la question. »

« Comment aborder les indigènes ? »


Je ne sais pas pourquoi, mais ici précisément j'ai commencé à m'intéresser au dialogue alors qu'avant, j'avais zappé la longue litanie des généraux et les incantations un peu vaines de A et B sur la guerre. Ça me rappelle exactement l'explication de Zara quand il avait lu mon dernier épisode des Confins : il avait vraiment accroché au moment où apparaissait Marie, alors que tous les enjeux précédents (les traces dans le sable, qu'est-ce qu'il y a après l'Apocalypse) l'avait barbé (je résume). Là c'est pareil, la question des indigènes, peut-être parce qu'elle renvoie à des choses plus connues, permet de rendre crédible un discours jusqu'ici très abstrait. Je pense qu'il y a une progression à rechercher pour que le lecteur soit captivé dès le départ.

**

Les points forts, maintenant.

Ce qui m'a le plus impressionné, c'est que tu arrives à traiter le thème : "un texte triste". Incontestablement, j'ai trouvé ce texte triste. Et c'est une tristesse que tu arrives à intégrer dans tes thématiques vulpiennes classiques, notamment ici la nécessité de la guerre et des morts pour atteindre un Bien. Ici notamment :

« Ce n'était pas de voir les indigènes détruire leurs propres usines qui choquait Vigil Prad. Cela, il arrivait encore à le combattre, aussi vain cela pouvait-il paraître. C'était de les voir s'entretuer pour y parvenir. Et même si ses propres soldats, aux points de collecte, étaient également harcelés, il était émerveillé par cette idée d'être rationnels, persuadés de sauver les leurs en les massacrant en priorité, et en détruisant les ressources qu'ils voulaient préserver. Cela, songeait-il, s'appelait le désespoir. »


Il y a un côté souvent très didactique, parfois grossièrement didactique, mais globalement j'ai réussi à passer outre à la lecture et à "ressentir" vraiment des émotions. La qualité tient sans doute au personne de Vigil Prad qui est très réussi dans sa volonté d'éviter la guerre à tout prix, et même au prix de la guerre, finalement. À côté, j'ai eu plus de mal à identifier les autres personnages, mais ça c'est habituel dans tes textes.

En un sens, et je l'ai apprécié, ces thématiques rendent ce texte extrêmement actuel (par la référence à la guerre froide) par rapport aux autres de tes textes des bêtes qui touchent des enjeux philosophiques plus abstraits. Ici le lien avec l'actualité ou l'histoire du XXe siècle est très net. Pour moi, c'était inattendu chez toi. Paradoxalement, le fait de te positionner à une échelle cosmique met en valeur les questionnements les plus humains du texte.

Une autre chose que j'ai apprécié, c'est ce choix d'imbriquer un vaste récit (qui se déroule sur plusieurs dizaines d'années !) dans ce qui commence dans un dialogue (et donc dans une immédiateté). Si je mets à part les problèmes de structure et d'enchassement cités plus haut, l'idée en elle-même m'intéresse. Notamment pour Les Confins : c'est quelque chose que j'aimerais réussir : changer de temporalité par le dialogue, passer d'un échange restreint à une grande histoire. Comment as-tu abordé cette question, précisément ?

Et j'en reviens à Homs. Je ne sais pas si c'est un texte avec Homs que celui-là, mais fatalement j'y ai pensé. Ne serait-ce que parce que les narrateurs sont identifiés, ce qui n'est pas le cas dans tes autres textes. Je me suis demandé si, par cette méthode du "dialogue sans narration" tu n'essayais pas justement de faire apparaître Homs ?
Portrait de Vuld Edone
Vuld Edone a répondu au sujet : #20146 il y a 9 ans 3 mois
C'est la quatrième fois que j'essaie de répondre et bon sang c'est difficile.

Homs n'est pas présent dans ce texte, mais la problématique est la même : l'humanisme.
Dans les Anges, Homs passe son temps à chercher des traces d'humanité au sein d'une population de bêtes. Sa méthode d'évaluation est assez intéressante, d'ailleurs... s'il arrive à calculer, à deviner le raisonnement de la bête, alors cette bête n'est pas humaine. Si le raisonnement défie son calcul, alors elle est humaine. C'est le principe de volonté : la capacité à aller à l'encontre de sa nature, de sa programmation.
Dans ce texte, qui n'est pas lié aux Anges, Vigil Prad se bat au nom de la "civilisation" tandis que l'humanité en face est traitée sauf erreur de bêtes, d'animaux et au minimum de sauvages. Il y a au moins une fois la mention de progrès. Du point de vue de Vigil Prad, la Terre est un mini-laboratoire où appliquer ses idéaux pour voir si, tout simplement, la civilisation existe.

D'où le titre du texte.
Au départ je réfléchissais au terrorisme et à une métaphore spatiale où la Terre jouerait le rôle du Moyen Orient (Afghanistan en tête) et les aliens l'Europe / USA, sur le principe que le lecteur prendrait naturellement parti pour la Terre. Je n'avais aucune intention de l'écrire mais en y réfléchissant j'y ai vu le moyen d'écrire sur le fait que je n'arrive plus à écrire.
Fondamentalement parce que, comme l'équipage de Vigil Prad, je n'arrive plus à y croire.

Dans la toute première version du texte, les aliens venaient carrément défendre la Terre contre une invasion. Sauf que l'invasion ne devait pas arriver avant mille ans, minimum.
Et déjà là je me rendais compte que le lecteur n'allait juste pas comprendre. Mille ans, ça paraît une éternité, mais à l'échelle galactique c'est très court, les aliens agissent dans l'urgence. Mais surtout, j'imaginais ça au travers d'un personnage humain, et même dans la seconde version (Armula) il fallait encore deux siècles avant que l'histoire ne commence vraiment. Minimum trois générations de personnages humains ! C'était juste impossible, dans les 4-6 chapitres que j'imaginais, de maintenir l'identification du lecteur à une série de personnages.
Le lecteur n'est pas capable de suivre des intrigues sur d'aussi longues périodes de temps, sur des distances aussi grandes et surtout avec des enjeux aussi "abstraits".

Bref.

Au départ le texte devait être une narration simple mais où le narrateur n'arrêterait pas de souligner que tout ce qui se passe est impossible. Mais avec tes dialogues tu m'as poussé à tenter une discussion entre deux narrateurs, qui commençait par "mais bien sûr que c'est possible !" Et qui établissait comme règle que si c'est imaginable, c'est possible. Le texte était alors la démonstration que cette histoire n'était pas imaginable.
Je me suis rendu compte que ces narrateurs n'étaient pas assez impliqués, et je les ai retravaillés en, comme tu dis, un pacifiste et un belliciste, avec ce "laisse-moi me battre". Mais à ce stade j'aurais encore abandonné le texte s'il n'y avait pas eu Zara' et son objectif que "le lecteur perde à la fin, quoi qu'il fasse". Ce qui, pour un texte sur l'échec, était trop tentant.
J'ai donc tout retravaillé avec cette fois un unique narrateur qui s'adresserait toujours au lecteur, et auquel le lecteur ne répondrait jamais. Imagine une personne seule dans une pièce vide, qui s'adresserait à un fantôme. Il parle littéralement avec lui-même.

C'est ce narrateur qui rapporte les discours des personnages : les personnages ne parlent jamais directement. C'est d'autant plus clair à la toute fin, avec ce dernier discours assez radical pour appartenir à l'Apocalypse, et moqué avec l'histoire des légumes. Il est en train de caricaturer des discours sans doute réellement tenus dans l'histoire, mais sans doute pas sous cette forme.

Ce qui m'amène à cette idée qu'il faut une guerre et des morts pour atteindre un Bien.
Mais quand ce bien est justement d'éviter la guerre ?
Quand ce bien est justement de ne pas soumettre par les armes, de ne pas soumettre par le mensonge et la manipulation (avec son extrême, le contrôle mental) ou encore le chantage ?
Si la guerre que mène Vigil Prad se réglait juste à coups de bombes, elle serait vite réglée. Mais Vigil se bat pour préserver la "civilisation". Et justement la guerre et les morts ne permettent pas, bien au contraire, d'atteindre ce "Bien". Tout ce que permet la guerre, on en discutait avec Zara', est de rendre les choses meilleures pour un certain groupe, en général au détriment d'un autre. Autrement dit, Vigil Prad mène une guerre perdue d'avance.

D'où la phrase qui revient si souvent : "laisse-moi (une chance de) me battre".
Et la question du départ : à partir de quelle échelle la bataille (pour la civilisation) devient possible ? Pas à l'échelle de la Terre, et pas à l'échelle du bras d'Orion, apparemment. Et spoiler, pas à l'échelle d'une galaxie.

Et si se battre est vain, alors il est vain d'écrire.
Portrait de Zarathoustra
Zarathoustra a répondu au sujet : #20152 il y a 9 ans 3 mois
J’ai un peu de mal à rentrer dans le texte. A deux reprises je me suis arrêté pour la rependre un autre jour. D’abord à cause de la multiplication des nombres qui font qu’effectivement ils sont aussi abstraits qu’une langue étrangère. Puis ensuite, à cause de la multiplication des noms (de personnages, de navires, etc.).
Ensuite, il y a le début. On se sent vraiment agressé. Je dirais qu’on rentre dans le texte en ne se sentant pas bienvenue ; Il n’y pas de présentation, et boum, tout de suite dans le vif du sujet.
J’ai donc réussi à lire jusqu’au bout, mais j’avoue ne pas avoir trop envie d’y retourner immédiatement, parce que j’ai trouvé l’ensemble un peu long. Et le paradoxe, c’est qu’on a presque l’impression de lire un résumé de ce qui aurait dû être un roman de 500 pages… Et j’ai lu les commentaires de Petch, et finalement, je crois que e texte a produit les mêmes effets sur moi.

Enfin, le choix du dialogue me dérange, surtout qu’en cours de route, tu conserves ta présentation alors que tu n’es plus dans l’esprit d’un dialogue. Tout du moins, tu passes du dialogue direct à l’indirect (exemple : « Ammeran est fou, se renfrogne Elaes. ») Puis à des moments, le contenu n’est même plus un dialogue mais du récit. Au début, je me demandais pourquoi, puis, j’ai fini par accepter sans me poser de questions, parce que, ce qui me dérange, j’ai justement de me poser des questions de ce type alors que je ne devrais pas m’en poser. A la place, je devrais m’interroger sur ce que je lis.

Je ne saurais dire quand exactement, (en gros quand on rentre dans l’histoire avec la Terre), la lecture est plus aisée, mais comme je ne sais pas toujours qui est qui précisément, j’ai l’impression de louper un peu le coche concernant la portée du texte. Il y a effectivement des paradoxes que tu soulignes avec habileté (se battre pour la paix ou le bien ; agir en ne faisant rien ; mieux perdre pour gagner etc.). Et j’avoue que j’ai été surpris de trouver des thèmes aussi explicitement concrets et contemporain dans un de tes textes.
Petch souligne que c’est un texte triste. Je dirais plus que c’est un texte tragique. Il y a une sorte de résignation assez terrible.

J'ai donc tout retravaillé avec cette fois un unique narrateur qui s'adresserait toujours au lecteur, et auquel le lecteur ne répondrait jamais. Imagine une personne seule dans une pièce vide, qui s'adresserait à un fantôme. Il parle littéralement avec lui-même.

La difficulté que j’ai avec ce texte, c’est que, contrairement Au Renard au Harnais, je n’ai pas l’impression d’être invité dans ton texte. C’est un texte sur l’échec et qui met en scène son échec, mais qui ne cherche pas à gagner. Tu dis que tu t’adresses au lecteur or à la lecture, j’ai plutôt eu l’impression que le texte ne me parlait pas. Le texte se parle à lui-même (en soi, ce peut être un succès si ton intention était de parler dans une pièce vide).

La difficulté que j’ai également avec ce texte (mais parfois aussi avec tes autres textes), c’est que les personnages sont quasi là pour étayer une idée, comme s’il s’agissait des inconnus d’une équation. Tu peux en mettre 2 ou 3 ou 10, pour moi, ils sont tous pareils. Ce sont des noms plus des personnages mais des leviers pour obtenir un résultat à la fin. Je veux dire par là qu’ils ne vivent pas vraiment. Ils peuvent avoir des fonctionnements différents des autres, jamais je ne me dirais que je peux les rencontrer dans la rue.

C’est à la fois la force et la faiblesse de tes récits. Ils sont fascinants par l’habileté qui déploie pour leur donner une profondeur insoupçonnée, mais ils restent profondément cérébraux. On en revient à Fleur Bleue. Chez toi, l’émotion passe par le cerveau (et je fonctionne moi aussi comme ça dans la vie de tous les jours, je cherche à comprendre les émotions plutôt que de les sentir ou les vivre). Or c’est malgré tout ce qui caractérise un personnage (qui peut d’ailleurs fort bien être cérébral et ne pas sentir ses émotions), or chez toi, on dirait que c’est toujours la pensée qui doit donner vie à l’émotion. Pour ma part, et depuis peu, je découvre que, loque quelqu’un est triste, par exemple, il n’attend pas qu’on lui explique pourquoi il l’est, mais juste qu’on compatisse, qu’on se mette (un peu) à sa place, bref, qu’on partage sa peine, et non qu’on la lui explique analytiquement. J’ignore si ça t’aide parce que, là, je dérive sur des choses qui me concernent d’une manière assez personnelle. Ce que je veux dire, c’est que je découvre que la primauté du cerveau sur les émotions est un leurre. Tout comme l’inverse.

Reste ce titre. « Impossible ». Et malgré ce que je viens de te dire, plus je pense à ce titre par rapport à ton texte, et plus je me dis qu’il est intéressant et qu’il mérite une seconde chance. Et qu’effectivement, il est rempli de choses impossibles et qui pourtant lui donnent sa raison de vivre. Et que, malgré ce que je viens de te dire, je me dis que, malgré qu’il soit éminemment cérébral, le récit m’affecte soudain d’une manière toute autre. L’idée d’écrire sur quelque chose d’impossible et par conséquent de mettre en scène cet échec est effectivement d’une grande tristesse, qu’aucun grand débordement émotionnel n’aurait pu transcrire. Seulement, le résultat aurait-il été moindre si tu n’avais pas cherché à être si froid et si détaché avec le lecteur ? Crois-tu que parler dans une pièce vide soit le meilleur moyen pour communier avec lui ou pour l’aider à rentrer dans ce texte ?
Portrait de Vuld Edone
Vuld Edone a répondu au sujet : #20153 il y a 9 ans 3 mois
Non, pas vraiment, mais j'ai écrit ce texte dans la précipitation, comme dit, en retardant même la MàJ pour le sortir.
Le plan initial aurait dû être sur 4-6 chapitres. Même avec le vieux format à 8 pages, ça représente minimum 30 pages, bien au-dessus de ce qu'on a ici. Et ce qu'on a ici n'est qu'un résumé en accéléré de ce qui était prévu. Je savais par avance que c'était... impossible.

Mais l'intrigue demande aussi ce côté cérébral. Les personnages de la flotte sont cérébraux, comme à mon habitude, et ce sont ceux qui sont prêts à regarder les choses froidement et éviter les morts inutiles. Les personnages humains auraient été plus humains, certainement, avec une fois encore le discours radical à la fin, et pensent avec leurs tripes, leurs émotions.
C'est parce que les humains ne peuvent pas s'identifier avec les aliens, parce que ces derniers leur semblent trop distants, trop étrangers et incompréhensibles que le seul résultat possible est le massacre. Si les deux camps étaient purement rigoureux, le triomphe de Vigil Grad ne serait pas nécessaire mais il serait presque assuré.

Autrement dit, le lecteur est responsable de ce qui arrive. Il peut tenter autant qu'il veut de prendre le parti de la flotte : il est humain, et il justifie au final l'attitude des indigènes.

Cela dit... récemment j'ai dû créer un personnage, pilote de course, que je voulais justement banal et "humain". Qui se préoccuperait uniquement de ce qu'il a mangé ce matin, qu'il n'est pas rasé et que quelqu'un a fait une rayure à son capot. Des mesquineries, en somme, mais bien terre-à-terre et concrètes, qui lui donnent des centres d'intérêt immédiatement identifiables.
Je n'y suis pas arrivé.
L'intrigue, pour une fois, exigeait que le personnage soit justement émotionnel et normal. Mais je n'ai pas réussi à l'imaginer se levant le matin, avec sa petite migraine, se passer de l'eau sur le visage et oublier son rendez-vous à la gare. J'ai effectivement ce réflexe de les faire se préoccuper d'enjeux bien plus abstraits.

Alors oui, c'est impossible (naturellement) pour le lecteur d'éprouver des émotions face à ces personnages "cérébraux".
Mais j'observe aussi que c'est très difficile pour moi d'écrire un personnage normal.

Ou tout du moins, je n'arrive pas à intégrer de tels personnages dans mes intrigues...
Portrait de Zarathoustra
Zarathoustra a répondu au sujet : #20154 il y a 9 ans 3 mois
Ce qui me dérange dans ton approche, mais tu n'es pas le seul, c'est ta volonté d'embrasser tout un ensemble en le réduisant à un fonctionnement primaire comme si toute individualité était impossible. Les français sont comme ça. Les allemands comme ça. Les elfes et les nains sont comme ça. Les Terriens comme ça. Les aliens comme ça. Moi, ça m'intéresse pas. Pour que je m'intéresse
à une histoire, je dois sentir la complexité de l'être et en aucun cas avoir un mode d'emploi. Quand on dit que les allemands étaient des nazis, on oublie que les opposants ont été exterminés, que, malgré le ragime de terreur, certains faisaient de la résistance (ce qui étaient encore plus courageux que de le faire en France) etc. Que dans la résistance, il y avait des communistes et des nationalistes etc.
Ton approche permet, certes, de prendre de la hauteur et de développer quelque chose "vue d'en haut" et de dégarder ce qui fait qu'un allemend ne fontionne peut-être pas exactement comme un français ou un italien et qu'on trouve logique que Descartes appartienne à l'un et Kant à l'autre. Elle n'est pas fausse mais tout aussi réductrice que de le nier .

Quelqu'un de cérébral comme moi (et certainement comme toi, non?) s'intérese à ce qui est vrai ou faux, en utilisant des valeurs universelles. Quelqu'un qui fonctionne avec ses sentiments s'intéressera à ce qui est bien ou mal, à c qu'il aime ou pas et utilisera des valeurs personnelles. Entre les deux, il n'y a pas un fonctionnement qui domine l'autre, l'un donnera de meilleurs résultat dans certains cas, et l'autre sera plus laborieux dans l'autre. Et on voit que ça rejoint un peu tes réflexions: est-ce que" faire le bien", c'est "vrai"? Cette question n'a pas de sens dans la mesure où la notion de "bien" se fait avec des valeurs personnelles. Or ce qui est "vrai" est universelle. Si j'osais, je dirai que le bien n'est pas quelque chose d'universel. Les islamistes sont persuadés de faire non pas le mal mais le bien. Les nazis pareils. Ils veulent un monde meilleur; Et nous luttons contre eux pour empécher ce monde parce qu'il nous parait horrible. Et c'est assez effrayant que deux visions soit aussi opposées et de se dire que l'autre vision puisse être plus "vraie" que l'autre... Le mot "vraie" ne colle d'ailleurs pas, on attend plutôt le mot "juste". La monde de la justice est par essence un monde relatif et de compromis.

Cela dit... récemment j'ai dû créer un personnage, pilote de course, que je voulais justement banal et "humain". Qui se préoccuperait uniquement de ce qu'il a mangé ce matin, qu'il n'est pas rasé et que quelqu'un a fait une rayure à son capot. Des mesquineries, en somme, mais bien terre-à-terre et concrètes, qui lui donnent des centres d'intérêt immédiatement identifiables.
Je n'y suis pas arrivé.

D'abord, là aussi tu intellectualise ton personnage. Tu ne lui donnes aucun véritable affect. Quand tu me le présentes, je me dis dès le début qu'il a quelque chose d'inhumain. Il a le côté gratte papier qui pourrait envoyer des wagons entiers d'hommes, femmes et enfants se faire gazer sans sourciller d'un iota. Donc si ton but est d'écrire un personnage "normal", pars plutôt de ses sentiments et non de ses actes. Fais-lui éprouver des choses banales. Et je pense que te forcer à écrire à propos d'un personnage féminin t'aiderait car on leur projette plus de sentiments. Tu veux un truc concret? Crée un personnage de mère qui s'occuppe de son enfant avec des sentiments de mère (le sentiment maternel, le désir de le protéger, de le garder près d'elle, son amour aveugle). Mais en faisant ainsi, on lui donne des émotions, un "fonctionnement", mais ce n'est pas encore assez, car, à ce stade, quelque part, on a le même résultat que ton personnage de pilote de course: on a une mère lambda, comme toutes les autres. Créer un personnage, c'est le rendre unique. Invente-lui un passé qui l'aurait façonné, des traits de caractère dominants, ce que l'aime et ce qu'elle n'aime pas. Là tu auras un vrai personnage.
Et si tu veux un truc tordu ou cérébral, amuse-toi avec l'enfant. Fais-en un démon ou une bête, et son sentiment maternel l'empêcherait de l'admettre, ou je ne sais quoi.

Pour en revenir à ta pièce vide, tu dis que tu t'intéresse toujours au lecteur à travers ce texte. Je dirais que tu t'intéresse uniquement à certains lecteurs. A ceux qui placent la pensée avant le sentiment. Et parmi eux, en plus, tu t'adresses à ceux qui utilisent la pensée vers l'abstraction plutôt que dans le concret ou le matérialisme (comme le ferait un ingénieur); Quelqu'un qui, quand il lirait ton texte, aurait envie de chercher ce qui est caché. La pièce est vide en partie parce que tu ne veux pas parler à tous. Dans mon texte, je parle aussi d'un lecteur qui ne tomberait pas dans le piège et que c'est le rêve de tout auteur. Sur ce point, on se rejoint mais, en soi, je ne crois pas que ce soit le rêve de tout auteur, c'est le rêve de ceux qui ont un rapport plus fort avec l'abstraction et la cérébralité, ce qui ne nous rend pas meilleurs que les autres mais différents; Tout comme il y a des lecteurs différents, il y a des auteurs différents. Et donc des personnages différents. Quand j'ai dit ça, c'est vrai que ça nous fait une belle jambe...
:laugh:

Bref, sur le fond, tu as en partie raison si on réfléchit à la question "pour qui on écrit". Ecrit-on pour les lecteurs ou pour soi? La verité, c'est qu'on écrit d'abord pour soi en espérant qu'il y ait un lecteur un peu comme nous. Et qu'il est très réconfortant de se dire qu'ils sont le plus nombreux possibles. Mais au fond, écrire, c'est, je pense, se découvrir également soi-même. Qu'importe qu'il y ait une pièce vide ou pleine pour nous lire. Si écrire te permet de te découvrir, ou de découvrir les autres, de t'enrichir avec cette expérience, l'exercice n'est pas vain. Et lire produit la même chose: on découvre un être humain qui a écrit ou on se découvre davantage soi-même. Lire et écrire, à mon sens, doivent produire un enrichissement; Certains textes sont lus par beaucoup, mais n'enrichissent pas beaucoup (sauf leur auteur...), mais ils divertissent. Et c'est une autre vocation de l'écriture et de la lecture. Mais je ne crois pas que tu recherches ça... Ni que ça ne te motiverait pour écrire.
Portrait de San
San a répondu au sujet : #20426 il y a 8 ans 8 mois
Bon moi j'ai bien aimé :)
Alors, petite remarque préliminaire : y'a plus moyen de cliquer sur les étoiles pour noter un texte? (mince alors, c'était déjà pas très utilisé comme fonctionnalité, mais alors là un menu drop down pour noter, c'est juste pas possible :D)

Vuld, depuis que tu nous as exposé le concept de présenter tout le texte dans sa première phrase, j'ai moins de peine à rentrer dans tes textes. Ces réflexions sur les techniques d'écriture sont très utiles.
Vu la présentation, en discours libre, j'ai choisi de ne pas trop me prendre la tête. A l'heure qu'il est je ne sais toujours pas trop qui parlait quand dans ce texte, ni ce qu'est au juste Linput. Ca ne me dérange pas plus que ça.

Alors comme ça, on a une constellation et une étoile à son nom, hein? ^^ Veinard, va :) J'ai bien aimé en début de texte me promener dans l'espace d'une mention stellaire à une autre. Où as-tu déniché Cancri?
Par la suite j'ai eu l'impression de passer à l'envers du décor de Independece Day, côté Alien donc, en me disant que c'était une bonne trouvaille. Il faudrait que je revoie Independence Day du coup, voir si on peut soutenir cette réflexion plus de quelques minutes. Ca me fait penser à la saga des ombres d'Ender aussi (l'as-tu lue?)
J'ai trouvé ce point de vue amusant et je suis complètement passée à côté de toute notion de tristesse du coup. Pour moi ce texte n'est pas triste. Intéressant, plein de clins d'oeil, ironique, pas triste.

En lisant les commentaires, je me rends compte qu'un des enjeux pour toi était que le lecteur se place d'un côté ou de l'autre, alien ou terrien. Je crois que ça me fait ça à chaque fois dans les textes de science fiction. Je ne me sens pas concernée par l'humanité décrite, pas plus que par les aliens, je lis ça comme des aventures qui arrivent à un peuple que je ne connais pas, mais qui m'intéresse. Pareil dans les récits de fantasy. C'est censé être des images de notre société, et ce n'est pas du tout ça que je cherche dans ces récits, et ce n'est pas ce que j'y trouve.

La fin du texte me semble extrêmement courte, et ne marche pas du tout pour moi. Les 4 dernières tirades jetées en vrac me laissent sur ma faim. Autant au début ça ne me gênait pas de ne pas savoir qui parle, autant là, je ne comprends pas. Peut-être qu'il s'agit d'un problème de présentation ou de formattage. Peut-être que c'était le but. En tout cas ce n'est pas le genre de fin que j'attendais de ce texte, pas après la première phrase qui est une question philosophique. J'ai bien envie de dire que, ça ne m'étonne pas du renard ça.

PS : Ah oui, et les nombres, pourquoi ils contiennent tous septante? :D Tu tenais à insister sur ton particularisme national? ^^
Portrait de Vuld Edone
Vuld Edone a répondu au sujet : #20457 il y a 8 ans 7 mois
Et on commence le marathon du "je-réponds-à-Sàn" !

Tout le monde se plaint de mes fins. Ici c'était un dialogue, masqué, je trouvais normal de finir par un dialogue et surtout de souligner que tout le texte était une dispute à mi-voix. Mais bon.
Il y a un peu d'Independance Day mais plus bêtement j'ai été influencé par le film "Battleship", entre autres. Dans ce film les aliens, au départ, semblent avoir de vraies motivations, une logique, blablabla... avant de finir à la fin par être des caricatures de meuchants.
C'est vrai que très souvent les aliens sont juste une facette humaine, ou carrément une métaphore de telle communauté, genre les Klingons c'est les russes... Je préfère essayer d'imaginer un peuple et de comprendre leur logique. Par exemple, des aliens qui vivent dans le void (l'espace entre les galaxies), comment ils voient le monde ? Ça fait bizarre de se dire que pour eux la matière c'est du déchet.

Bref, pas grand-chose à dire à part que oui, j'avais passé du temps à lire les cartes des astres et c'est super compliqué... et que je fais de la pub nationaliste, oui ça aussi.