Gyan remontait le long d’une vaste avenue. Comme partout dans Hjula, la seule cité aquatique de Fokor, il y règne une effervescence incomparable. Car le peuple aquatique de Hjula est avant tout commerçant. Du gamin qui essaye de vendre ses " trésors " à un plus jeune que lui au vieillard demandant quelques bulles pour une histoire, tous n’ont qu’une seule et dévorante passion : la richesse, le gain, l’argent, le flouze, le fric, l’oseille,...Tous ces mots ne désignent qu’un unique objet : Une bulle d’air. Car, même si le peuple de Hjula tire son air à même l’eau, il est le principal moyen d’échange.
Cette situation quelque peu saugrenue prend toute son importance lors des échanges avec l’Extérieur ou Ailleurs...Les Dekus ne sont pas seuls sur leur planète. Hors de l’eau une civilisation brillante a vécu, et y vit toujours ; les Deots. Mais pendant des millénaires ils ont pollué eau, air et terre, provoquant l’anéantissement quasi-complet des Dekus mais ces derniers ont survécu en inventant une machine permettant de recycler l’eau polluée en hydrogène et en oxygène. Ainsi de l’eau propre fut recrée, les excédents d’oxygène furent vendus aux Deots en échange de matériaux introuvables dans l’eau. Ceux-ci durent alors augmenter le rendement de leurs industries pour pouvoir transformer les produits demandés par les Dekus plus rapidement. Alors un précaire équilibre s’installa ; les Deot polluent l’eau et l’atmosphère pour pouvoir fournir les Dekus, qui eux, en échange leurs donnent de l’air propre et, parfois, de l’eau non-polluée. Les bulles d’air, moyen le plus sur de transporter de l’air sont donc devenues la monnaie officielle de Hjula. Gyan continua donc de nager, indifférente aux ondes ultrasons, seul moyen de communiquer sous l’eau, qui vibraient autour d’elle. La deku s’arrêta finalement sur le seuil un bâtiment de corail. Elle entra par le Sas d’échange, passant ainsi sous un symbole de pierre ; un cercle plein d’où partaient quatre flèches, l’une vers le haut, plus grande que les autres, surmontée d’un demi-cercle plus épais au milieu de sa circonférence, trois autres d’une taille réduite pointant la droite, le bas et la gauche, représentant respectivement le Guam, le C’if et la Tud. Ce signe est celui du Deku Yetdo Hmos, le jeune homme vierge qui dirige Hjula.
Gyan mis quelques secondes à s’habituer à l’absence d’eau dans le bâtiment. En effet, l’endroit, comme la plupart des constructions modernes, était isolé de l’Océan par le Sas d’échange, monumentale porte faisait la transition entre l’élément extérieur liquide et l’intérieur sans gravité dont l’air était chargé d’un parfum à la fois stimulant, reposant et agréable. La jeune deku gagna son mince siège de verre et s’y assit. Elle n’était séparée de ses collègues de travail que part une fine paroi de sable blanc. Durant plusieurs heures, elle éplucha divers rapports, notant la moindre anomalie. Elle alluma ensuite son Dedyu ; elle était la seule à en posséder un, privilège dû à son poste. Le magnésium tiré du sel qui abondait dans l’Océan se mit à circuler dans les circuits organiques, réveillant les mémoires et le veas. Et, comme elle en avait pris l’habitude depuis des années, envoya à son supérieur, grâce à Ynternat, le réseau où était connectés tous les Dedyu, un rapport de ses activités. Cette menue tâche accomplie, elle retourna d’où elle était venue. La quatrième heure de la deuxième Duean s’achevait, on était au milieu de la journée. En sortant, la deku sentit ses sens s’agiter, ils étaient en manque. Ils avaient besoin d’entendre, d’écouter les Prêtres de Wyncal chanter. Au bout de quelques minutes, ses sens étaient toujours en ébullition, Gyan se mit alors à accélérer son allure. Marchant rapidement au début, courant après une dizaine de secondes. Elle s’engagea dans de tortueuses ruelles, descendant de plus en plus vers les fonds de Pyoth, le Gouffre de Saphir. Ainsi, elle s’éloignait des habitations les plus luxueuses car, à Hjula, la richesse et le rang social de chaque famille était égal à la hauteur à laquelle se situait le Ielsali, l’habitation, de la-dite famille. Le palais du Deku Yetdo Hmos étant situé à la séparation de l’eau et l’air. La deku entra dans une maison que l’aurait pu qualifier d’agréable si ce n’était les monticules d’ordures éparpillés au-devant, les pans de murs à demi écroulés et la dizaine de mendiant miséreux qui se tenaient autour de la demeure. À l’intérieur de l’édifice, tout était dévasté, comme si la maison avait été saccagée dans une crise de folie. Gyan se mouvait avec aisance au milieu des débris de tables, lits et autres qui flottaient dans l’eau. Elle arriva finalement devant une grande armoire de corail qui semblait avoir échappé à la folie destructrice. Lentement, elle s’en approcha et souffla sur un bas-relief représentant une créature semblable à un serpent mais quelque peu stylisé, la sculpture s’enfonça dans la pierre. Lentement, le sol sous les pieds de la deku se mit à descendre. Ainsi, lentement mais sûrement, Gyan s’enfonça dans la pierre bleuâtre de la falaise. Au bout d’un temps indéterminable, la plaque s’arrêta devant un sombre couloir parsemé de quelques hydrogampes. Au fur et à mesure que le couloir descendait, l’eau se rafraîchissait et la pression augmentait. Le corridor, long de plusieurs centaines de mètres se s’enfonçait pourtant qu’à une moindre distance, soit une dizaine de mètres sous le niveau du Gouffre. Au bout du chemin se dressait une statue qui touchait presque la voûte pierreuse du couloir. La sculpture, placé au centre exact du passage, ne reposait que sur un piédestal haut d’une dizaine de centimètres. Arrivé à l’endroit où l’ombre de la statue, projetée par une quantité importante d’hydrogampes placée derrière l’être de pierre et une quantité moindre d’où venait la deku, s’arrêtait, Gyan s’agenouilla. Son front toucha le sol de dalles et ses mains, repliées sur son dos, se collèrent, les paumes pointant chacune dans une direction opposée, soit l’est et l’ouest, et formèrent un angle parfait avant qu’elle n’écarte ses mains, laissant ainsi filtrer entre les membranes qui reliaient chacun de ses six doigts une douce lumière bleutée. Elle prit trois légères inspirations par l’entremise de ses branchies et releva la tête. Ainsi, elle put s’adonner à la contemplation de l’idole. La sculpture représentait un être reptilien recouvert de fines écailles, semblables à une mince armure de peau, son crâne, long et quasi-triangulaire, se terminait par deux trous d’un diamètre infime. De la bouche, longue et séparant le visage jusqu’aux yeux, sortait une langue d’une longueur impressionnante qui se découpait en trois à une vingtaine de centimètres de la mâchoire. Les épaules, repliées vers l’avant, donnaient naissance à deux bras qui sortaient de la roche telles deux flèches, se terminant par une main de trois doigts dépourvus de toute forme de corne et, chose étrange pour une créature aquatique, de membrane ou autre artifice ayant remplacé avantageusement une nageoire. Le corps maigre et pourtant gracieux de la créature descendait en ondulant avant de se diviser en deux jambes minces qui se terminaient chacune par un pied composé de cinq orteils et là encore, sans ongles ni membrane. L’artiste ayant réussi à imprégner à la pierre une symbiose de mouvement, de grâce, de faiblesse mais de force intérieure, il en résultait que l’atmosphère du lieu était quelque peu sombre, noire néanmoins pleine de jouissance et d’ambition. Ainsi, la deku se leva et se mit à chanter, avec un air extatique empreint sur le visage :
Oh ! Wyncal, toi,
Dieu des Taeions,
Maître du Chant,
Premier des Vainnes,
Donneur de Jouissance,
Commandeur de la Voix,
Chef de la destiné du Claolan,
Toi, celui dont j’invoque le nom,
Entends-moi,
Et que ta colère foudroie les impies...
Une fois son appel lancé, Gyan s’effondra sur le sol, épuisée par un effort à la limite des ses capacités et physiques et mentales ainsi que par le manque. Dans son inconscience, la deku se sentit transportée par un chant. La voix, qui pourtant était de toute beauté, fit apparaître à son esprit des paysages dévastés ; noircis par des pluies incessantes, des nuages de poussière, ou brûlants sous le feu de l’astre du jour. Tandis que faune et flore se mourraient dans une atmosphère cendreuse et irrespirable . Curieusement, Gyan ne ressentit aucune tristesse ou désespoir devant cette vision apocalyptique mais plutôt un sentiment de bonheur, un remerciement muet à Wyncal pour avoir béni le peuple des Dekus et qu’il puisse vivre ainsi dans une eau pure et claire tandis que l’Extérieur se mourrait. Lorsque finalement la voix s’éteignit et qu’elle revint à elle, Gyan était allongée devant un lit de pierre qui était quant à lui occupé par la créature que représentait la statue dont le pouvoir avait fait sombrer la deku dans les limbes du Chant. Elle se releva en titubant, manquant de tomber mais se rattrapant de justesse à la pierre. Ce ne fut qu’une fois debout, qu’elle identifia la créature.
-Un Vainne, put-elle s’empêcher de murmureer.
-Oui, fille de Wyncal, c’est un Vainne ; ccréature venue d’Ailleurs, parfait prêtre de notre dieu. Ce dieu même, qui part l’entremise de la Statue, t’as désignée aux Taeions, c’est à dire aux Élus, à notre peuple, comme digne d’accéder à la Jouissance.
Gyan se retourna juste à temps pour voir une forme noire sortir après avoir prononcé ces paroles et une lourde porte de pierre glisser lentement ; l’isolant dans cette pièce octogonale. Elle se tourna de nouveau pour contempler le Vainne et remarqua alors qu’il s’était éveillé. Alors, la créature ouvrit la bouche et se mit à moduler le Chant. Gyan se sentit transportée dans un univers de béatitude, d’extase et de bonheur. Ainsi, son esprit s’envola ; laissant un corps sans vie au milieu d’une pièce froide tandis que son psyché serait accompagné de la vie de Chant tout au long de l’éternité.