Etoiles inactivesEtoiles inactivesEtoiles inactivesEtoiles inactivesEtoiles inactives
 
Voilà un texte que j’ai écrit pour un concours local. Mon but n’est autre que de faire réfléchir, et si jamais je parviens ne serait-ce qu’à lever des interrogations, je serais déjà content ;)

Vie de rêves

« - J’ai arrêté de courir devant la bibliothèque... »

Le vieux José s’arrêta dans son récit, en proie à la nostalgie. Ses yeux ternis par l’âge luisaient au gré de la danse des flammes dans l’âtre. Un murmure enfantin le sortit de sa torpeur, et le vieillard contempla silencieux l’assemblée de ses petits-enfants. Alors, reprenant à la fois un verre d’eau et son courage à deux mains, il continua :

« - J’y suis rentré à la recherche d’une cache, et le brigand a perdu ma trace, passant sans s’arrêter devant la porte. » Après une nouvelle pause permettant aux gargouillements émerveillés d’emplir la pièce, il conclut : « Voilà comment je m’en suis tiré. » Il se releva lourdement, s’appuya sur sa canne et annonça d’un ton jovial : « allez les bambins, tous au lit maintenant ! »

En un brouhaha où quelques « bonne nuit, pépé » se firent entendre, les gamins disparurent par une porte. L’ancien sourit, repensant à sa propre jeunesse, à la fougue qui l’habitait et que les années avaient lentement tuée. Mais ses pupilles brillaient encore d’un éclat rêveur. Il se reposa finalement dans le confortable canapé, cala sa tête contre un coussin, et s’endormit.

* *

*

Des grognements furieux derrière ! José court depuis déjà des minutes, ou des heures, il ne le sait même plus, et son agresseur n’a toujours pas lâché ses basques ! Maudissant une énième fois sa mauvaise étoile qui l’a fait traversé une rue au moment où un voleur non cagoulé sortait d’un magasin dévasté, il bifurque à sa droite et s’embarque le long d’une sente. Il lance un regard terrifié vers le brigand. Ce dernier ne possède qu’un gourdin, qui se balance au gré des imprécations. Cependant le regard de dément que lui lance l’agresseur, couplé à un cri bestial, le conforte dans cette certitude peu rassurante : l’autre ne lâchera sa trique qu’une fois le bras vidé de toutes ses forces après avoir frappé sa victime - id est lui-même.

Trouvant une nouvelle force dans cette pensée, il disparaît dans une nouvelle ruelle et contraint son esprit à se focaliser sur autre chose que la masse derrière lui. José n’a plus aucune force, mais sa tête ne lui sert au moins pas qu’à cogner. Et il a un atout dans sa manche - plutôt dans sa poche - il est bibliothécaire. Il sort une clé de sa veste, s’arrête sur le palier du bâtiment, et l’enfonce dans la serrure.

José repart dès que l’agresseur déboule lui aussi, et il réalise un nouveau tour de pâté de maison. Il parvient à gagner une centaine de mètres, assez pour s’enfermer en sécurité dans la bibliothèque. Ses doigts gourds empoignent la clé, et la tournent avec rapidité. Refermant la porte en bois derrière lui, le jeune homme disparaît avec vivacité derrière le bureau, où il se terre. Les minutes s’égrènent lentement ; peu à peu, à mesure que José reprend espoir, sa respiration s’apaise, et il ose même se lever de son refuge.

Il saisit des fichiers d’emprunts, et les lit tous avec attention, comme à la recherche d’une faille dans ce mauvais rêve. Mais il n’y en a pas. Dépité à l’idée de devoir affronter cette réalité, il commence à passer dans les rayons. Il se sent à l’abri dans cette bibliothèque, et est de toute façon trop faible pour affronter une nouvelle fois les ténèbres de la nuit.

Prenant le premier livre qui lui passe sous la main, il en débute une lecture laborieuse, cherchant à déchiffrer les mots malgré l’obscurité presque prégnante. Finalement, il repose d’un geste convulsif l’œuvre et en cherche fébrilement une nouvelle du même auteur. Il l’ouvre, parcourt pareillement quelques lignes, avant de prendre un nouveau livre, puis encore un. Bientôt, un océan de couvertures jaunies ou neuves gît à ses pieds, mais il en cherche toujours plus. Des îlots de couvertures se créent, tandis qu’une mer houleuse de pages vient s’écraser contre.

Finalement, il se couche sur les livres et commence une réelle lecture. Un monde se crée de toutes pièces, il en imagine les contours. Rapidement, les éléments se déchaînent, les fleuves remplissent les vallées, les montagnes coupent les plaines et les nuages étendent leurs ombres immenses.

Et José se perd dans ce monde d’illusion.

Nouveau livre, nouveau monde. Le voilà en enfer. Partout ne sont que les flammes, à sa droite, à sa gauche, sous lui, en lui. Il respire mais seuls les cendres arrivent à ses poumons ; il reste immobile, tandis que des bras enflammés s’enroulent autour de lui. Il n’a pas plus tôt ouvert les yeux qu’il se trouve dans un océan de verdure. Des abeilles volent gracieusement parmi les herbes, fines tiges vertes se balançant au gré du vent. Certains insectes semblent naître des pétales, tandis que d’autres, au contraire, remontent les innombrables cordons ombilicaux verts pour se couler avec délice dans les nectars. Partout les herbes se couchent puis se relèvent, comme le ressac d’une vague. La plaine semble vivante, et il sent même sous ses pieds un pouls sauvage et bestial, créé par les foulées de milliers d’animaux. José se redresse, et commence à marcher au milieu de ce jardin d’Eden.

Il ouvre les yeux par habitude, comme si son esprit ne s’était pas encore habitué à cette capacité d’appréhender le monde sans le moindre regard. Alors l’univers bascule.

Le soleil devient lune, la plaine se fait ville, le silence mue en cri. José se retourne et voit gesticuler une nation en fuite. A ses pieds est un cadavre. Il sourcille. Ce sourcillement devient étonnement lorsqu’il découvre dans sa main une longue épée. Alors il se penche et voit la peau de l’homme se flétrir à une vitesse alarmante. Des cloques apparaissent, les veines virent au violet et des bubons se mettent à éclater. José recule, alors que l’ancien cadavre se relève. Cependant, et cela le terrorise, le corps est bien mort. L’être décédé - mais dont la vengeance semble ne pas s’arrêter à un détail si futile - s’avance résolu vers José, qui tremble. Puis, soudainement inspiré, il tend le bras, et tente un coup d’estoc. Sa victime esquive, et tourne la tête. Des lambeaux de peau suivent le mouvement, en lieu et place des cheveux. José prend peur et commence à fuir de plus en plus vite. Un martèlement lui apprend que son agresseur fait de même. Alors il lance sans même se retourner son épée et continue sa course. Derrière, de son pas pesant et claudiquant, l’autre ramasse la rapière et continue de courir. Ses pas sont lourds, et le tintement de l’acier qui sans cesse frappe la rue effraie José plus encore, qui devine la lame - et surtout son porteur - se rapprocher. Alors qu’il perçoit un fugace reflet, il ouvre les yeux.

Etrange monde que celui-ci. Le soleil est violet, l’herbe orange, comme roussi, et les troncs verts. Décontenancé, José s’avance tout de même dans la forêt qui se dresse plus loin. Parvenu à l’orée, il regarde non sans peur les branches. Celles-ci semblent aiguisées, et les rayons solaires éclatent à leur encontre, avant que des morceaux solides de lumière pure ne se propagent dans toutes directions. Alors, comme dans un cauchemar, une racine se détache de la terre, et se pose pesamment à moins de cinq mètres de José. Une autre l’enchâsse, l’empêchant de bouger. Des êtres étranges sautent soudainement des arbres. Ils ressemblent à des humains, à un détail près : les émeraudes qui sertissent leurs yeux semblent comme des gouffres verts dans lesquels les années passent et s’effondrent, sans marquer les traits des visages. Mais la blessure est toute autre : une haine indicible du temps qui passe et qui ne leur octroie pas le repos. Et José incarne ce temps, de par sa barbe naissante et ses quelques rides. L’un des êtres s’avance, le prends par la mâchoire, et lui hurle :

« - Soyez maudit ! »

José n’a même pas le temps de protester qu’ils sont déjà tous partis, même l’arbre. Alors il ouvre les yeux.

Il est dans la bibliothèque, les livres ont été rangés, il fait jour. José se lève d’entre les étals sous les regards interloqués des habitués qui ne l’ont même pas vu auparavant. Après un bref « salut » de circonstance, José sort dans la rue. Des voitures roulent à toute vitesse sur le large boulevard faisant face à la bibliothèque. Il commence à traverser, sous les cris haineux des automobilistes obligés de freiner. Arrivé de l’autre côté, il se retourne et regarde la bibliothèque. Une solide porte en acier la protège de toute intrusion.

« Comme toujours » songe-t-il, avant de regagner sa maison. Après une bonne dizaine de minutes, il y est. Tout en terre-plein, à même le niveau du sol ; un vrai paradis ! Il franchit la porte, fait une bise à sa femme et serre dans ses bras ses enfants, avant de prendre le repas. Puis, comme il se fait tard, il va se coucher.

« - Passe une bonne nuit, ma chérie. »

« - Oui, fais de beaux rêves, mon amour. »

Le réveil sonne. José ouvre les yeux, passe encore quelques minutes dans la quiétude douillette de son lit, avant de se relever pour prendre son petit-déjeuner. Il saisit son attaché-case, et descend les escaliers. Tout autour les immeubles sont hauts, José ne peut s’empêcher d’être admiratif. Une fois arrivé, il tapote sur son ordinateur pendant toute une journée, avant de repartir. Un jour normal en somme.

Alors qu’il franchit le palier de sa maison, la voix claironnante de sa femme retentit :

« - Chéri, nous avons un invité ! Viens vite manger. »

Il jette son sac dans l’entrée, puis serre la main de l’homme avec déférence. S’asseyant, il commence à scruter l’être. Tout en lui est absolument banal, pourtant un sentiment étrange retient son regard, l’attire presque. Mais il ne parvient pas à mettre un mot dessus, ni même une sensation.

« - A votre santé » fait l’invité, levant son verre.

« - Trinquons » approuve José.

Après avoir dégusté des plats succulents, l’homme se tourne vers son hôte et dévisage José. Gêné, ce dernier se détourne et questionne, par pure politesse :

« - Que faites-vous dans la vie ? »

« - Je fais des choses de ci de là, voyez-vous. Disons que je passe le temps. »

« - Intéressant » remarque José, sans le penser le moins du monde.

« - A qui le dites-vous ? D’ailleurs, monsieur, je vous ai déjà vu il y a longtemps. Peut-être ne vous en souvenez-vous plus. »

« - Je ne pense pas. »

« - Rares sont ceux à s’en rappeler. »

« - Que voulez-vous dire ? »

« - Nous voyons et croisons tant de gens dans notre société que nous ne parvenons pas à nous souvenir de chacun, ne pensez-vous pas ? »

« - Je le pense. »

« - Maintenant vous vous souviendrez de moi au moins ! »

« - Exactement. »

José se lève, et par ce geste élude toutes les autres remarques ennuyantes que son interlocuteur s’apprêtait à dire.

« - J’ai été ravi de faire votre connaissance, monsieur. »

« - Moi de même. A la prochaine, José. »

L’autre pose son chapeau sur sa tête, et s’arrête sur le palier. Lançant un dernier regard en arrière, il fixe à nouveau José, hoche pensivement la tête, avant de se reprendre.

« - Bonne nuit ! »

« - Oui, à vous aussi » grogne José, avant de fermer à clé aussitôt derrière lui. Si l’invité a oublié quelque chose, tant pis pour lui.

Il s’avance jusqu’à son lit et s’endort presque aussitôt.

José ouvre les yeux. A l’Est le soleil darde avec parcimonie ses premiers rayons. Des ombres gigantesques se dessinent dans la ville. José cligne des yeux, et se les frotte, avant d’enlever une mèche grisonnante en travers de ses yeux. Les rayons sont étincelants, et ces maudites fenêtres sales s’entêtent à briller intensément, sans pour autant vraiment éclairer la pièce.

Puis, par habitude, il sort dans la rue, et marche jusqu’à son travail. Après une journée tout aussi ennuyante que les précédentes à scribouiller une pile de papier qui semble ne jamais descendre - et même augmenter sensiblement après chaque pause -, il rentre chez lui. Le dîner est prêt.

« - Les enfants ont téléphoné. »

« - C’est bien » commente-t-il laconiquement.

« - Ils disent que les études se passent à merveille. »

« - Encore mieux. »

« - Ils nous souhaitent de même. »

« - Et ? »

« - Rien » répond sa femme.

« - J’aurais cru. »

« - Comment cela ? » questionne sa femme, intriguée.

« - Qu’il y aurait plus de parole, plus de sentiments partagés que ce strict échange purement formel. »

« - Fais gaffe » se moque-t-elle, « ton boulot déteint sur ta personnalité. »

« - Cela est possible. »

Puis il va se coucher. Il ferme les yeux.

Il Marche sur un nuage.

« - Te revoilà ! »

Surpris, José tourne un regard presque désespéré vers la voix. Effectivement, cela est bien son ancien invité. Comme si l’autre n’était pas assez barbant dans la vraie vie, il fallait en plus qu’il vienne errer dans ses songes.

« - Comprends-tu ce que je t’ai dit la dernière fois, comme quoi rares sont ceux à se souvenir de moi ? »

Il secoue la tête, et dévoile des yeux verts d’une étrange intensité.

« - C’était un rêve. »

« - Pas plus que ne l’est ta vie, vois-tu, José. Tu es maudit. »

« - C’est cela, à d’autres. Les histoires à dormir debout, ça ne prend pas sur moi. »

« - Mais, tu dors déjà. »

« - En étant couché. »

« - Futile détail sur lequel, vous autres, vous vous plaisez à vous attacher. Il n’y a rien de plus malléable qu’une illusion. »

L’homme fait un geste dans les airs, et apparaît sur le nuage un lit. D’un autre tour de main, le matelas se redresse, puis se tourne lentement vers José.

« - Vois, tu dors debout ! »

« - Mes perceptions sont biaisées. »

« - Etrange » annonce pensivement l’homme. « Etrange... »

« - Quoi ? » interroge férocement José, déjà fatigué par cet échange stérile - normal, songe-t-il, il dort en ce moment même.

« - Les hommes préfèrent se fier à ce que leurs perceptions leur dictent de voir, et non à ce que leur perception dessine face à eux. L’on pourrait réduire les immeubles à de simple façade que vous y verriez encore une vie grouillante à l’intérieur. »

« - A d’autres ! » crache presque José à son interlocuteur.

« - Et vous êtes terriblement impatients ! »

« - Pourquoi me parles-tu, étranger ? »

« - Je t’ai maudit. Désormais tu dois affronter la vérité. »

« - Laquelle ? »

« - La vraie. »

« - Lapalissade que cela » ironise avec sarcasmes José.

« - Pas tant que cela : depuis toujours tu écoutes la vérité de ton cœur, non celle de tes perceptions. »

« - Qu’est-ce à dire ? »

« - Le monde mute que tu ne t’en rends même pas compte. »

« - Je ne suis pas aveugle ! »

« - Oh mais non, tu vois parfaitement. Seulement, ton âme cache à ton cœur ce que tu ne veux pas voir. »

« - Tu me préconises les illusions ! »

« - Non, je t’offre une parcelle de réalité. En ce monde il n’y a pas de vérité ! »

« - Où veux-tu en venir ? »

« - Tu dois découvrir la vérité en dessous de tes connaissances. »

« - Quelle vérité ? Je croyais qu’il n’y en avait aucune ! »

« - Exactement, je parle de la réalité. »

« - Quelle réalité alors ? »

« - Celle que tu jugeras bonne et qui te rendra heureux. »

« - Et là, présentement, que devrais-je comprendre ? »

« - Tu es en train de rêver. »

« - Je sais, sinon je serais déjà loin de toi. Mais ce nuage n’est pas assez grand. »

L’autre rit, puis réalise un mouvement du doigt. Tout disparaît, le nuage, mais aussi la terre et les étoiles. Un néant les entoure.

« - Es-tu en train de me dire que cela est la réalité ? »

« - Aucunement, tu n’as ici que des illusions. Ton coeur se borne à ne voir que cela, mais ton esprit va bien au-delà. »

« - Et justement, que me dirais mon esprit ? »

« - Que tu rêves. »

D’un claquement de doigt, tout disparaît autour de José.

Le voilà dans une piaule minable. Il se lève fébrilement et regarde dans la glace. Il est normal, âgé de vingt ans... Sortant dans la rue pour prendre son petit-déjeuner, il sursaute à la vue des immenses gratte-ciel. Où est-il donc ? D’un pas d’automate, il parcourt les rues, marche dans les boulevards et s’interroge devant les affiches qui défilent devant lui à toute vitesse. Tous autour de lui semblent courir, être pris par un temps définitivement trop court. Lui seul erre, perdu. Sans regarder, il s’avance et traverse le long d’une voie rapide. Des pneus crissent derrière lui. José tend les bras, mais cela n’est pas suffisant pour stopper cette voiture lancée à toute allure. Alors il ferme les yeux. Les ouvrant à nouveau, il se trouve encore au milieu du boulevard. Tous les piétons, et même les automobilistes, ont stoppés leur course éperdue pour constater ce prodige : la voiture lui est passée au travers !

Alors il rit, et ferme les yeux.

Le voilà à nouveau dans la bibliothèque. Dehors la nuit règne encore. Honteux de s’être ainsi endormi, il se relève, et entreprend de ranger les livres à terre.

« - Inutile de vous donner cette peine. »

José sursaute. Cette voix, il la connaît !

« - Mais qui êtes-vous à la fin ? »

« - Je suis le brigand, mais aussi ton bourreau et l’invité inopportun. Je suis un tout, et je suis content ! »

« - Pourquoi ? »

« - Je crois que tu as finalement compris la leçon. »

« - Laquelle ? » s’enquit José.

« - Que la vie est un rêve. A toi de la transformer en paradis ou en cauchemar ! »

Il secoue la main, et José sent un frisson l’envahir, tandis qu’un filament rosâtre s’extirpe laborieusement de son corps. Il a beau tendre les bras, mais ce filet est inconsistant et ses mains n’ont aucune prise.

« - Qu’est-ce que ce prodige ? » demande-t-il finalement, désespéré.

« - Un futur possible. Je viens de te retirer ta malédiction. »

« - Mais alors, tout ce que j’ai vécu était un rêve ? »

L’être secoue la tête d’un air résigné, se lamentant dans sa barbe :

« - Visiblement il n’a pas tout compris. » Puis il reprend à voix haute : « le rêve d’une vie, un rêve très long. » Devant l’attitude sidérée de José, complétée par une bouche béate, l’être annonce : « tu comprendras plus tard. »

Puis il disparaît. Alors José finit de ranger les livres.

* *

*

« - Oh, papa, tu as encore dormi dans le canapé ! » gronda la fille de José.

« - Pépé, ‘passé une bonne nuit ? » interrogea l’un des gamins, se cachant à moitié derrière les jupes de sa mère.

José ricana un instant, avant d’acquiescer.

« - Viens, je vais te raconter une belle histoire. »

« - Voyons, pas à cette heure, papa ! »

« - Laisse-le » répliqua son mari, « vois comme notre chérubin est heureux ! »

La femme abdiqua, non sans un dernier regard teinté de reproche à son père - et de ressentiment à son mari pour ne pas la soutenir.

« - Quelle belle histoire cette fois-ci ? »

« - Des songes, des songes d’une vie, mon petit. »

« - Mais de quelle vie ? »

« - De toutes les vies, je pense. »

« - Je ne comprends pas » s’indigna le petit enfant, pour lequel tout devenait inintéressant dès lors que cela s’éloignait de ses centres d’intérêts.

« - Je crois que moi non plus » avoua en riant José.

L’enfant imita le regard de sa mère, provoquant l’hilarité encore plus grande de José et du mari de sa fille - bien que dans son cas son rire stoppa dès qu’il comprit qu’on l’attendait en cuisine.

« - Allez, j’vous laisse » annonça-t-il.

« - Je pense que ce sont les rêves de ma vie en fait » continua le vieillard. « Mais si je dis cela, une personne risque de ne pas être contente. »

« - Ah bon, qui ça ? »

« - Je ne le sais pas vraiment. »

Outré que cette figure emblématique incarnant la sagesse dévoile qu’elle ne sache rien du tout, l’enfant fit mine de se lever des genoux de son grand-père, qui le retint.

« - Pas si vite, je n’ai même pas commencé. »

« - Mais tu dis ne pas savoir. »

« - Ah, ces gamins, tous les mêmes » se moqua gentiment José.

Il commença son récit. Rapidement, l’enfant ferma les yeux pour mieux s’imaginer les mondes décrits par son pépé. Son expression passait alternativement de l’émerveillement au dégoût, mais elle marquait des pauses plutôt longues sur l’incompréhension. A la fin, il souffla comme s’il venait de parcourir un marathon dans les réminiscences de son papi.

« - Et bien » fit-il admiratif.

« - Ce qu’il faut que tu comprennes, mon petiot, c’est que la vie va t’apparaître étrange par moments. Alors, fais comme moi, ferme les yeux et rêve d’un autre monde, perds-toi y, du moment que tu sois heureux. Rêve ta vie, et libère-toi de ces chaînes.

« - De quelles chaînes, pépé ? »

« - Des chaînes de la réalité. »

Il lança un regard en direction de la cuisine, où sa fille supervisait la préparation des plats, avant de serrer contre lui son petit-fils.

Au fond, tout ceci n’était rien de plus qu’un rêve, mais un beau rêve !

Connectez-vous pour commenter