Etoiles inactivesEtoiles inactivesEtoiles inactivesEtoiles inactivesEtoiles inactives
 

     La quête a abouti. Mais Shaes ne détenait que les clés du passé, impossible de comprendre le présent sans la Haine. Alors qu’elle s’approche de Tane, la citée royale, elle se rapproche du Haut-Roi et de sa chute…

     Le voyage fut bref et rapide. Elle plongea dans le Styx. Le courant l’emporta et quelques instants plus tard, elle marchait sous le noir soleil de son plan d’origine. Les ruines de Tane s’étendaient à ses pieds. Elle était juché sur une le sommet d’une colline et contemplait les murs de pierres qui formaient un complexe labyrinthe. Chaque pierre était une antiquité, vestige de l’Avant et de cette époque de bonheur emprisonné. Elle descendit de la colline…

     À mesure qu’elle se rapprochait, la cité se reconstruisait et reprenait vie. Les morts se relevaient de leurs tombeaux à ciel ouvert et l’eau des fontaines s’élevait de nouveau dans les bassins asséchés. Les arbres aux branches meurtries par la mort se couvraient de bourgeons orangés, rouges et blancs.

-Ainsi, tu as vu Tane.

-Oui, Haine.

-Je ne suis plus Haine. Je suis redevenu celui que je n’aurais dû toujours être, même si cela aurait du signifier la mort d’Albion. Je suis Iluxys.

-Pourquoi Albion serait-elle mort ?

-Parce que le bonheur est un poison. Eutrophique mais mortel au fil des siècles.

     Le soleil se mit à briller. Non plus noir mais blanc. D’une blancheur qui l’aveuglait. Chaque ressuscité affichait un sourire niais, naïf. Le sourire de quelqu’un sans soucis. De quelqu’un sans liberté. Sans pouvoir. Le sourire de quelqu’un qui ne connais rien à rien. Qui est totalement soumis.

     Elle s’approcha de ces silhouettes immobiles, prisonnières du temps qui s’était écoulé.

-Pourquoi ne bougea-t-ils pas ?

-Parce qu’ils sont morts depuis des siècles. Morts depuis leur naissance en fait. Même si tu as revécu ce temps ou Albion était sous le Haut-Roi, ils étaient déjà morts à cette époque. Nous étions quatre à être vivants.

-Qui ?

-Mort, Haine, Amour et le Haut-Roi.

     Tane était figé. Le paysage avait l’aspect d’un tableau confus et flou. Paysage rayonnant certes, mais mort.

     Elle continua son chemin, morte parmi ces désuètes statues de chairs et de sang. Les maisons s’étaient reconstruites, seuls éléments agréables dans cette atmosphère stagnante.

     Ainsi revécut-elle les derniers instants de ce monde décadent, soumis et sans avenir. À mesure qu’elle se rapprochait du Palais du Haut-Roi, elle sentait la décadence et le bonheur qui s’étendaient sur tous les cœurs et tous les esprits.

     Enfin elle le vit. Une statue. Mais une vraie, pas ces pâles imitations vivantes mais immobiles de la splendeur minérale taillée par l’homme.

     Le cercle d’épines qui lui sert de couronne contraste avec les vêtements ouvragés que porte l’homme. Il est le seul à ne pas sourire bêtement et garde sur son visage une expression sérieuse, inquiète même.

     Chaque pas qu’elle fait sur les dalles de granite résonne avec brutalité dans les sinueux couloirs du temps. Les regards affolés qu’elle lance aux alentours transpercent l’illusion du bonheur pour enfin comprendre le sens des paroles de Shaes.

     Albion avait vécu un bonheur unique, programmé et monotone. L’art n’avait pas sa place ici, la mort était banalisée, l’aspect contrôlé. Les habitants ne connaissaient ni la grandeur de la littérature ni la beauté mystique de la poésie. Ni les bienfaits reposants de la religion. Une civilisation morte, cataleptique et agonisante. Une société morte sur un monde resplendissant de vie.

     Elle comprit enfin ce que ressentait son père lorsqu’il repensait à toute cette beauté invisible aux yeux des indigènes. Un crime.

     Et toutes ces constructions artificielles, matérielles, fabriquées par l’homme qui viennent souiller l’impétueuse nature de l’Île, alors que leur place est dans les tréfonds des cauchemars humains…Et ce palais d’or et de sang, qui fait horreur à la Création…Et cet homme, de blanc et sang, qui insulte l’homme par son visage éclatant et son aura angélique…

     Albion pleure sur elle-même tandis que résonnent les faux rires des concubines déchues dans l’immensité violée des forêts de conifères. Le soleil s’éloigne de cette partie maudite du monde que des siècles de beauté n’ont pu remettre sur le droit chemin.

     Le Temps ne s’écoule plus car l’Île est devenue indigne de subir l’éternel cercle que représente ce temps qui file. Seuls bougent le Haut-Roi, symbole du pouvoir des Dieux en ce monde et elle, emblème du pouvoir qu’on les humains à décider de leur destin. Et les Trois. Pas encore liés par les liens du crime mais unis par les idéaux de liberté. Cinq. Cinq vivant parmi les statues immobiles du vice et du la joie. Un qui subira le Temps, un qui le contemple et trois qui le maîtrisent…

-Qui a subi le temps ?

-Le Haut-Roi

-Et qui l’a observé ?

-Toi.

-Mais je n’y étais pas la première fois !

-Il n’y a jamais eu de première fois. Toutes sont la seule et unique fois. Tu y as été une fois, tu y seras toutes les autres…

-Mais le temps n’est-il pas une ligne ?

-Non. Le temps est une multitude de cercles qui ressemble à cela.

Iluxys désigna un fin tissu accroché à un cadre de porte, servant ainsi de porte primitive.

-Et lorsqu’un voyageur traverse ces cercles, voila ce qu’il advient.

Il pointa le plafond sur lequel est dessiné une fresque semblable à la première mais légèrement différente.

-La marque que laisse un voyageur du Temps est ineffaçable. Chaque seconde correspond à un cercle infime. Plus on se rapproche plus cercle originel, plus on est près du Commencement. Vu que tu as traversé le temps, ta marque sera présente dans chaque seconde que tu as vécu, même si tu n’étais pas encore née. Chaque seconde du temps recommence dès qu’elle atteint sa fin, le temps devient alors un cercle qui se répète à l’infini et s’agrandit au fur et à mesure que la limite du présent est repoussé.

-Et peut-on modifier le cours du temps ?

-Non. Les Dieux nous on permis de le traverser mais jamais de le changer. Le voyageur n’est qu’une ombre imperceptible.

     Les Trois l’entourent, l’air de rien, tel le serpent étouffant sa proie inconsciente. Le Haut-Roi pleure, il sait qu’il va mourir et que d’une certaine façon, il doit mourir. Mais il a vécu le Commencement et ne peut s’empêcher de penser que jamais il ne connaître l’Achèvement. Tous trois se rapprochent. Shaes, Mort, qui affiche une avide jalousie et cet immortel l’idéal qu’est la liberté. Iluxys, Haine, dont le visage est déformé par le triomphe et la peur d’échouer. Lshnas, Amour, pleure la mort de cet être qui lui fut cher mais qui incarne le passé immobile et chante des louages à l’intention de celui qu’elle aime.

     Le triangle mortel s’est formé. Tous sont prêts à tuer, chacun selon leurs pensées. Lui, immobile et étalant la splendeur de son monde, respire avec lenteur cet air qui lui appartient. Et, sans un bruit, il meurt. Shaes le transperce de sa liberté de vivre, Iluxys de sa haine de cette beauté irréelle, Lshnas, par son amour fraternel.

     Mort, Haine, Amour.

     Une douleur sans fin qui s’ouvre sous ses pieds mais les Dieux veillent. Le Haut-Roi s’envole, divinité qui a accompli ce qu’il devait faire. Le seul son qui perce l’opacité de la mort est son cri. Un cri intense, vivant et unique. Les Trois, anges qui tombent dans les abysses de l’intolérance, maudissent le monde en ayant voulu le sauver.

     La Mort s’étend sur l’Île en un éternel filet. Vie qui devient Mort. Hymnes de la Négation qui enveloppent Albion. Et le Cycle qui change. Vie, Mort. Mort, Mort. Vide isolé. Styx qui se détourne. Mort. Mort, Mort. Vie qui s’envole, ne laissant que quelques zones de lumière. Soleil qui s’obscurcit. Mort. Mort d’Albion. Mort, Mort, Amour.

Tous se consume, se mélange et s’égare. Mort, Haine, Amour.

Mohaam. L’unique. Le grand Tout. Le Cycle déchu. L’Ensemble.

Elle observe, regarde et vit.

Elle entend le cri d’adieu du Haut-Roi. Un son qui lui déchire les oreilles, la jette à terre et la fait pleurer de rage.

Elle pleure. Parce que la mort est mortelle. Parce que tant de beauté ne peut être vivante.

Elle pleure devant tant de regrets, tant de haine et tant d’amour.

Elle pleure la mort d’Albion l’ancienne et la renaissance de ce monde qu’elle connaît.

Elle pleure la Négation qui ouvre les yeux et éteint les cœurs.

     Elle a entendu la Complainte du Haut-Roi, lorsque réapparaît la réalité morte. Elle est morte. Albion est morte. Seul restent les Trois et elle. Elle a vu Shaes, elle a compris le passé. Et elle vit dans Haine. Iluxys, le présent. Elle y vit. Avant que Lshnas l’emporte en son royaume maudit, l’endroit que tous redoutent et craignent…

Connectez-vous pour commenter