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Tout va changer, tout… C’est aujourd’hui que va se dérouler la grande bataille, la plus grande d’ailleurs à laquelle j’aie jamais participé, lorsque j’y pense. Il faut dire que j’en ai vu tant et si peu à la fois. Mais là, quelle folie que d’imaginer autant de mes frères venus des quatre coins d’Ulthuan pour la gloire du roi phoenix ! Quelle grandeur dans le mouvement, et quelle réjouissance pour l’âme que de savoir tant des nôtres à nos côtés pour ce combat. Peut-être y a t’il encore de l’espoir, finalement…


Mais je dis n’importe quoi… Oui, comme tout les autres, j’étais émerveillé par le cortège des soldats, par le défilé des troupes, par les armures des fantassins, les magnifiques destriers des cavaliers, la masse imposante de chars en bon ordre et l’immense bannière des princes dragons de Caledor venus de leur lointaine province se joindre au peuple et le protéger. Oui, j’étais sûr alors que le peuple elfique s’était réveillé, que nous étions enfin prêt à combattre, que nous allions vaincre et enfin connaître paix et sérénité !

Seulement je sais trop bien que tout cela ne vaut rien. Nous partons à la guerre… Pas seulement mener l’une des nombreuses escarmouches presque banales, aussi malheureux cela soit-il, mais la vraie guerre, et je sais trop bien aussi que nos ennemis seront nombreux, qu’ils auront eux aussi fait un défilé qui m’aurait tout autant impressionné, et qu’ils pensent aussi avoir la victoire à portée de main. D’ailleurs, si ce n’était pas le cas, il ne serait pas là, en face de nous, ce matin.

Allons, assez de mauvaises pensées, il est temps de rejoindre l’armée, la bataille est imminente et chacun doit être à son poste, moi aussi donc. Mon armure, mon bouclier et mon épée… Ils m’ont sauvé si souvent que je ne saurais à ce jour leur rendre assez hommage pour tout les services rendus, et je ne peux que regretter que l’épée eut à rendre le plus mauvais du tas. Combien de mes frères sont morts sous cette lame vengeresse ? Combien ont péri, et pourquoi fallait-il que mon frère en fasse partie ? J’ai sauvé ma vie, je me suis condamné de la même manière.

Je me souviens encore de la vie paisible que nous menions auparavant, dans la petite ferme des mes parents. Que nous étions heureux alors ! Petit frère venait me voir et ensemble nous allions découvrir la forêt, les ruisseau et l’herbe qui verdit au soleil et dont le contact moelleux rendait nos chutes aussi douces que les caresses de notre mère. Elle nous grondait, parfois, mais ce n’était que pour des détails, pour le plaisir de gronder, gentiment, sans vraiment y penser, et, au final, je ne me rappelle pas d’une seule vraie dispute dont nous ne savions pas d’avance l’heureuse issue. Et petit frère qui pleurait un peu pour que mère le prenne dans ses bras et qu’il puisse alors s’endormir en son sein…

Petit frère, pourquoi n’es-tu pas resté à la ferme ? Pourquoi fallait-il que tu grandisses et que tu suives tes amis dans cette quête de pouvoir insensée, que tu te rebelles contre nos anciens, contre nos lois et contre le roi ? Trouvais-tu l’harmonie qui étais notre quotidien trop ennuyeuse, insuffisamment hargneuse à ton goût ? Ne pouvais-tu te satisfaire de la vie et des bienfaits de la terre ? J’ai pleuré, je te l’avoues, lorsque j’appris de ta bouche que tu avais réussi à pousser ton amie à te suivre, et que tu voulais qu’elle soit à jamais ta femme pour t’aider à régner sur les races inférieures. Je me la rappelle si affectueuse, rieuse et capable d’apprécier chaque jour qui nous était accordé… Puis-je t’accuser d’en avoir fait le monstre assoiffé de sang et de conquête qu’elle est devenue ? Ou dois-je simplement penser que tel était son destin.

Petit frère, il m’arrive si souvent de penser que notre race est maudite…

Ces armures sont décidément longues à enfiler, et fatalement si faciles à transpercer… Si seulement elle donnait à tout ces jeunes que j’ai aperçu hier, l’œil fier d’appartenir à l’armée du roi, autant de temps lors des combats que lors de ajustement sur le corps. J’ai parlé à un camarade, hier. Je ne le connaissais pas, lui non plus ne m’avais jamais vu. On s’est abordé, il m’avait semblé confiant comme j’avais aussi cru l’être, mais j’ai vite compris que lui aussi redoutais l’affrontement et avait saisi la seule chose que ce combat allait nous apporter. J’ai cru voir une larme couler sur sa joue, mais j’étais trop occupé à retenir les miennes. Lorsque je le quittais, il me dit en un éclair, avant de disparaître, que tout cela était nécessaire, et qu’il ne fallait jamais abandonner.

Je t’ai compris, tu sais, mon ami d’un jour… Moi aussi je rêve du retour des jours meilleurs et de l’harmonie en notre terre. Je rêve trop disait mon père, mais je suis certain qu’il m’approuverait en cet instant, s’il vivait encore. Mais franchement, qui sommes-nous pour y penser, nous, deux êtres parmi des milliers...

Allons, assez de souvenirs, assez de ces lamentations ! Mes frères d’armes, ma nouvelle famille, ma femme et le roi comptent tous sur moi, comme sur chaque elfe amené en ce lieu aujourd’hui, et je ne serais pas des faibles qui tourneront le dos à l’ennemi ! Jamais, plutôt la mort que le déshonneur ! Sortons de cette tente, ce doit être elle qui me fait tourner ainsi la tête.

Enfin de l’air frais… Je désespérais d’en trouver ce matin. La brise souffle fort, je pense qu’elle veut nous faire comprendre quelque chose, je suis sûr qu’elle nous parle. Essaie-t-elle de désigner le vainqueur, ou de nous montrer que nous n’avons rien à faire là ? J’ai d’abord cru que le vent était sage, puis j’ai dû accepter la vérité… Le souffle de l’air aussi a été corrompu par le chaos, comme tout en ce monde semble-t-il.

Ne réfléchis plus, mon esprit, et concentres-toi ! Allons, alignes-toi avec les autres, et meurs avec eux pour la gloire du roi et celle du peuple elfique… Oui, c’est vrai, j’ai envie de partir, de fuir, oui, je voudrais être loin d’ici, être chez moi, dans les bras de mon amie et y trouver là le repos de l’âme que j’attends depuis si longtemps. Oui, c’est exact, je voudrais au moins revoir mon fils, lui expliquer que la guerre tue, et qu’il ne faut pas lui en vouloir… Je voudrais avoir une chance de le faire changer d’avis et l’amener à ne pas prendre part à cette lutte sans fin que même son absurdité n’a pas su faire cesser. Oui, j’aurais dû prendre le bateau que m’offrait mon ami, et le suivre au bout du monde vers cette forêt peuplée des nôtres et y vivre en paix. Ce rêve serait possible, il est vrai, et j’ai beaucoup songé à l’y rejoindre avec les miens. Mais j’ai fait allégeance, j’ai promis de défendre Utlhuan et se rivages contre tout ses ennemis, quels qu’il soit, et ce au prix de ma vie s’il le fallait. Partir serait déserter, rompre ma promesse… Si j’avais su, l’aurais-je vraiment faite ?

Enfin il est temps de charger ! En avant, camarades, et vengeons ceux qui doivent l’être ! Que la fureur des Asurs consume les traîtres, pour le roi et nos fils ! Mais que dis-je ? Nos fils sont en face, et moi, je cours avec les autres, épée au vent, pour leur enlever la vie… Mais les ordres sont là, et il nous faut les exécuter. Quand je pense que j’aurais pu rester à l’arrière plutôt que de risquer mon existence ici, en première ligne. Quelle tête fis-tu, mon ami, lorsque je t’annonçais que je serais au devant des troupes, et que je comptais bien y rester. Tu m’as cru fou, je ne l’étais pas. J’en ai marre de cette vie, marre de ce chemin sans but qui tourne en rond autour d’un gouffre sans fond ! Oui, je vais risquer ma tête auprès de mes camarades malgré la sécurité que l’on m’avais offert, et lorsque le régiment me demanda ce qui avait motivé mon choix, je leur avais juste répondu que tant que je vivrais, aucun ne devait tourner les talons. Mes frères avaient courbé la tête, je les emmenais avec moi à la mort, pour la gloire d’Ulthuan.

Encore dix mètres… huit mètres…six mètres… Qu’ils sont laids, vu d’ici, dans leurs armures noirs ! Et cette lueur de rage au fond des yeux… trois mètres… Nous aurions pu être amis, autrefois, et je vous aurais offert avec plaisir le gîte et le couvert. Mais les dieux ont voulu que vous veniez ici, et vous leur avez obéi…. Un mètre… Désolé, mais je n’ai pas l’intention de me laisser faire ! Aujourd’hui, vos femmes seront veuves !

J’avais pensé que le choc allait être plus violent que cela… Au final, ils durent avoir peur et ralentir. Quelle déchéance pour ces êtres jadis si fier et puissants. Et moi qui continue à frapper, à frapper encore et toujours pour leur arracher tripes et boyaux et faire couler leur sang. Je suis un monstre en cet instant. Finalement, peut-être est-ce dans notre nature de tuer. Cela expliquerait en tout cas deux choses : que nous n’ayons pas su nous satisfaire de la paix et que je prenne autant de plaisir à enfoncer ma lame dans le corps de cet enfant. Il est si jeune. Quelle horreur que de penser que sans moi, il n’aurait pas hésiter à tuer. Asuryan, comment peux-tu laisser faire cela ?

Enfin ils fuient. C’est certainement un piège, je le sens, ils sont encore trop nombreux pour sentir leur fin proche, mais mon bras ne répond plus et mes jambes sont si faibles. Il faut consolider, il faut se retrancher et récupérer un peu. Oui, nous avons réussi, nous avons enfoncé leur ligne et peut-être que nous allons gagner, finalement. Nous allons gagner, mais à quel prix. Mes amis, mes camarades, je regrette maintenant de vous avoir emmené avec moi, j’aurais dû vous épargner, désigner un autre régiment ! Trop tard. De toute manière, voici la riposte. Combien sont-ils, je ne saurais le dire, mais une chose est sûr, nous sommes encerclés et allons être littéralement broyé sous la masse. Non, mes amis, je n’irais pas au centre ! Je vous ai déjà tant demandé, et j’ai pris sur moi de sacrifier vos vies ! Je ne fuirai pas, je dois faire face.

Esquiver, repousser, frapper, esquiver, re-frapper, rabattre, coup à droite, coup à gauche, feinte… Vite, le bouclier ! Non, esquiver, parer, re-parer, parer encore… Alors te voilà, toi que j’attendais depuis si longtemps ? Ton visage ne me dis rien, je pensais que mon assassin aurait au moins le goût d’être une de mes anciennes connaissance, comme celles dont je fus le bourreau… Et puis qu’importe, au fond. J’expire, je m’en vais pour un voyage qui, je le sens, va enfin donner à mon âme le réconfort que cette terre n’a su lui offrir. Oui mon roi, je te quitte, et le peuple avec lui. J’ai tenu ma promesse, mais aujourd’hui, ce sont les dieux qui m’en relèvent, et cela, vous n’y pouvez rien. De toute manière, ma place est bien plus enviable que la vôtre, vous qui allez continuer à envoyer nos fils combattre nos fils. Asuryan, aujourd’hui le prince de Deathor se meurt, celui qui jouait avec son petit frère au bord des ruisseaux va rejoindre le grand océan de la mort. Mes amis, mes frères, mes soldats viennent de perdre leur chef : qu’importe ? Ils m’ont déjà tous précédé, sauf les derniers d’entre eux qui m’ont précédés lors de cette charge suicide. Je n’ai pas trahi, ni mon roi, ni mes soldats, ni ma famille, dont je sais, je peux enfin l’avouer à présent, qu’elle a été massacrée il y a trois jours, alors que je m’apprêtais à faire cesser cette folie et à rentrer chez moi. Je suis chez moi, ici, et plus ni elfes ni dieux ne pourront amener le chaos en ce lieu.

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