" Écoutez, écoutez ! Écoutez cette aventure qui survint il y a de cela bien des années, alors que moi, Arthur pendragon, chef-roi de l’île des forts, étais encore jeune et vaillant. Écoutez comment il advint que, dans l’antre même des démons, mon courage et ma vaillance me couvrirent de gloire. Et comment par la même occasion, je découvris une vérité qui a marqué la suite de mon existence.
Il n’y eut en ce temps point de bras plus puissant, de coeur plus vaillant, d’existence plus louée et de courroux plus redouté que ceux qui furent miens.
Voilà des mois que Le Grand Dragon écumait le pays, se dérobant sans cesse à mon châtiment. Mon courage étant sans limite, je poussai la traque jusqu’à la tanière de la bête, l’acculant au fond des souterrains, qui seraient sa dernière demeure. Je n’emportai avec moi que mes compagnons les plus fidèles : Mon robuste destrier, Tornado, à la robe de jais, vif comme le vent du nord, ma lance sainte Swiffer, vive aussi, et mon indestructible bouclier blanc, et bien sur Excalibure, qui me fut donnée par la dame du lac en personne, à la fois robuste, vive et indestructible. Pareillement accompagné, seul le seigneur eut pu se dresser face à moi et me faire plier le genou.
Tandis que je progressais vers les ténèbres, je fus assailli par d’innombrables bestioles vendues au Monstre. Mais elles ne ralentirent point même ma route. Il suffit d’un éclair pour qu’elles gisent de côté, plus mortes que vive. Car rien n’arrête l’invincible Pendragon, chef-roi de l’île des forts ! Guidé par le souffle et l’odeur de la bête, je parvins rapidement à l’entrée du refuge où elle se terrait, tremblant dans l’anxieuse attente de ma venue. Je vis sa respiration se suspendre alors que ma puissante carrure surgissait dans l’encadrement de l’ultime grotte.
"Te voilà enfin, misérable cloporte ! Jusqu’à quand croyais tu parvenir à fuir ma justice. Car Moi, Arthur Pendragon, chef-roi de l’île des forts, fils de coeur de Lion, protecteur de la veuve et de l’orphelin, et aussi des enfants, même si ils ont encore leurs parents, je vais t’occire en ce lieu pour tous les méfaits que tu as perpétrés. Et ..."
Mais la peur, la terreur même est le meilleur stimulant, et avant que je n’achève mon épique discours, le Grand Dragon bondit, et fut sur moi. La lutte fut féroce et acharnée. Sa puissance gigantesque contre ma vivacité d’esprit, ses crocs contre mes armes, son souffle rouge contre mon bouclier blanc. J’évitais un coup terrible en roulant de côté, et frappant de ma lance sainte Swiffer, je lui portais vilaine blessure. Mais la violence de son assaut me fit lâcher prise. Fichée dans les entrailles du monstre, ma lance était inaccessible. Je dégainais alors Excalibure, et me préparais à porter le coup qui serait fatal. En un instant, je fus perché sur son dos, et ayant avec grande peine progressé jusqu’a sa tête, je passais les défenses d’écaille qui la recouvraient, jusqu’a atteindre mortellement la monstrueuse bête dragonique, qui s’affala violemment de côté, m’envoyant rouler dans la poussière.
C’est alors, qu’ayant défait le monstre et sauvé des centaines d’innocentes vie, j’allais affronter périls bien plus périlleux ...
"Arthuuuuuuuuur !" Quelle voie stridente et effrayante ! Je restai figé.
Et voilà la vérité que j’acquis ce jour là : Les adultes n’ont vraiment pas d’imagination, et en plus, ils gâchent tout.
Ma mère contemplait horrifiée la scène du combat. Il faut dire que son salon était méconnaissable. Ses plantes vertes taillées et cassées pendaient lamentablement ci et là, des feuilles en lambeaux éparpillées sur le sol. A leur côté gisaient misérables nombre de coussins défoncés. Au fond de la pièce, le canapé retourné, le balai-brosse fiché entre deux lattes. Et puis Black, mon labrador noir, une serpillière attachée au moyen de grosse ficelle sur le dos, et les rideaux entre les dents, surpris, nous regardait alternativement, ma mère et moi, ne sachant quoi faire. Moi, Arthur Dubois, fils de sa maman, et chef de l’équipe de bridge du collège, je trônais au centre du massacre, droit mais pas bien fier, la planche à saucisson de plastique blanc dans une main, une tringle à rideau dans l’autre, une nappe à fleur sur les épaules et pour compléter le tout, la passoire métallique comme couvre-chef.
Et ce jour-là, quelque chose fut brisé. Je fus constitué prisonnier dans le donjon après avoir subi maintes humiliations insupportables pour un chevalier.
Je crois que m’a mère ne m’avait pas pardonné d’avoir fait rentrer le chien alors qu’il devait vivre dans le jardin..."