Gratur. Vous avez peut être déjà entendu parler de Gratur, au détour d'un sentier par un jour de soleil, sous un arbre doré par la lumière du jour, de la bouche d'un vieillard vouté sur sa cane. Non ? Alors, il faut que je vous en dise plus.
Tout commence toujours d'une graine. D'une simple graine, qui pousse, jusqu'a ce que naisse un arbre. De cet arbre naissent des fleurs, de ses fleurs naissent des fruits, et de ces fruits nait le bonheur. Alors, les oiseaux arrivent, chantent, pillaient, et font leurs premiers nids. Puis, attirés par les chants des oiseaux, viennent les poètes. Attirés par les poètes viennent les musiciens. Attirés par les musiciens vienne les taverniers, et enfin, attiré par les taverniers, vient le reste. C'est toujours comme ça que nait un joli monde. D'une graine. Et c'est comme ça qu'est né gratur.
Gratur, Gratur, un monde ou des gens simples vivent simplement, où les ermites se cachent, ou les magiciens font de la magie, ou les conteurs content des contes, où les chanteurs chantent des chansons, où les fermiers cultivent la terre. Bref, un monde comme les autres. Comme les autres ? Non, pas tellement, peut être avec un petit je ne sait pas quoi de plus. Un peut de mystère ? Un peut d'aventure ? Non, c'est déjà dit et redit. Disons simplement qu'il a quelque chose d'hors du commun, quelque chose de singulier, commençons par des choses simples, car tout commence toujours ainsi.
Nous voici donc dans le petit hameau de, de, de comment déjà ? C'est vrais, on se perds, il y a tellement de hameaux dans ce monde. Il n'y a pas de villages à proprement parler, seuls de petits pâtés de trois ou quatre maisons regroupées autours d'un puit, qui doivent leurs noms à leurs spécialités. Car chaque hameau à en fait une activité bien particulière. Nous voici donc dans le hameau de Forgefer, hameau où, vous l'aurez surement deviné, on forge le fer. Car on ne se complique pas avec les noms dans ce monde. On préfère vivre simplement, sans trop se compliquer. D'ailleurs, dans ce monde, se compliquer la vie est très mal perçu par les habitants, on dit malsains ceux qui pensent trop, qui ne se contentent pas de bêcher leur terre ou de cuire leur pain. C'est d'ailleurs peut être et surement pour ca que l'on n'apprécie pas trop les magiciens dans ce monde. Il y a bien des érudits, des penseurs, des philosophes même, mais ils sont rares et se cachent souvent du reste du peuple.
Mais bon, qu'y a t'il de mieux que de vivre dans un monde simple. Le feu du foyer qui brûle dans l'âtre un beau soir enneigé d'hiver, la terre fraichement battue où apparaissent les premières pousses vertes, les grands et beaux bois dans leur fourrures de verdure, l'odeur du pain chaud qui parfume un hameau, une calèche paisible qui passe sur le chemin, un bien beau monde. Et pourtant, quelque soit notre amicalité, notre fraternité et notre amour de la terre, nul n'y échappe, au sang et à la guerre. Lorsque le toxin sonne, dans les hameaux et les villes de Gratur, les hommes se réunissent sur la grande place centrale ou dans le camp le plus porche pour y être armés et entrainés. Puis ils partent, formant de grandes colonnes, marchant deux par deux, les armes aux épaules. Bien sûr, même pendant le service, on rit et on chante, mais on le fait moins, et on pleure plus souvent. Puis, quand la guerre est finie, jamais gagnée, jamais perdue, on revient avec de grands coffres blancs où reposent et reposeront à jamais les malheureux hommes tombés au combat. On les enterre au pied d'un pêché en fleur, et en été, lorsque les fruits sont murs, on en cueille un, on l'ouvre, et on enterre le noyau à côté du coffre pour qu'a nouveau pousse un pêché. Puis, chaque années, les fils du défunt reviennent seuls manger une pèche depuis l'arbre de leur père ou de leur mère pour que même après leur mort, ils continuent de les nourrir. Et si la saison n'est pas propice, on attends, car les corps des habitants de Gratur ne se perdent pas après la mort, ils restent tant qu'ils ne touchent pas la terre.
C'est d'ailleurs de par cette coutume que les grands camps militaires sont entourés d'une forêt de pêchés qui fleurissent au printemps et murissent en été.
C'est ça le monde de Gratur, un beau monde, avec ses tristesses, mais un beau monde tout de même.
Logelhof
Où en étais-je ? Je vous avait parlé de Gratur, de sa naissance, de... de... de son hameau, Forgefer, puis après je m'étais égaré. Oui, je sait, excusez moi, je m'égare souvent, il faut dire que ce monde est si beau qu'il y est dur de vous y conter une histoire sans dériver sur la beauté du vol d'un papillon ou du chant d'un oiseau.
Forgefer est donc le hameau ou vivait Logelhof, un jeune forgeron ambitieux qui rêvait de devenir le meilleur forgeron de Gratur. Un rêve de jeune homme. Né de parents forgerons, car la forge n'était pas réservée aux hommes, il vivait paisiblement comme tant de gens dans sa magnifique contrée. Il se levait tôt, tout les matins, pour pouvoir contempler le lever du soleil sur les hautes montagnes qui couvaient chaudement le petit hameau. Il partait ensuite, la matinée, découvrir et redécouvrir la grande forêt de chênes qui s'érigeait non loin, hautes et calmes, bercées par le chant des oiseaux. Et chaque fois, il découvrait et redécouvrait le petit ruisseau à l'eau claire et douce qui y coulait entre les arbres. Puis il allait silencieusement marcher dans la foret de pêchés familiale pour, même s'il n'avait connut aucune des personnes qui s'y trouvaient, leur porter hommage. Puis il rentrait à la maison pour manger le repas du midi, chaud et fumant, goûteux surtout. Il passait ensuite son après midi dans la forge à travailler le fer chaud qu'il battait, modelait, et affinait à sa guise. Il devait généralement faire des fers pour les chevaux ou des outils pour les fermes. Il n'avait fait que deux épées de toute sa vie, la guerre étant tout de même rare dans le monde de Gratur, et il ne s'en plaignait pas. Mais, au fond de son cœur, il voulait partir, voir le reste du monde, et c'est ce qu'il fit. C'est en tout cas l'histoire qu'il m'a raconté lorsque je l'ai vu, marchant sur le chemin.
Mais au fond de vous, je sait que vous vous demandez qui je suis.
Moi ? Qui suis-je ? Disons le simplement, car j'aime les choses simples. Je suis un marcheur, un conteur du monde de Gratur, je suis le sentier comme je suis le fil de ma vie, et je l'aime. Vous en saurez peut être bientôt plus sur moi, mais je ne sait pas si je vous connait assez pour vous conter mon histoire. Peut être viendra elle clore mes aventures, peut être viendra elle en ouvrir de nouvelles, qui sait ? Bon, je vous en toucherais quelques mots pendant nos promenade, mais je ne me sent pas à la continuer. Maintenant, si vous le voulez bien, marchons ensemble.
Pendant ce temps, que fraisais-je ? Je marchais, je suivais le petit sentier de pierre avec mon nouveau compagnon, Logelhof. Il etais bavard et silencieux, rieur et morose, bref, c'etait un garçon que j'appréciait.
"Et toi, où vas tu ?"
La question était venue de lui. Elle était calme, posée, enrobée dans un ton ni trop gai, ni trop triste, juste comme il le fallait.
"Où, je ne saurais te le dire. Je vais, j'ère joyeusement. J'aspire à voir les montagnes comme à leurs premiers jours, hautes, majestueuses, fières. J'aspire à visiter les forêts de ce monde pendant une saison de printemps. J'aspire à contempler biches et oiseaux vivant paisiblement en ce monde paisible. Tout cela je l'ai déjà fait mille fois, mais j'aspire à le refaire, encore et encore.
-Et comment gagne tu ta vie, seul sur le chemin.
-Je chante, j'écrit, je fait des poèmes. En veut-tu une, de chanson, en voilà une qui me vient.
-Volontiers."
Le chemin nous devance
Et le passé nous suit
Nulle peine ne panse
Ce bonheur infini
Le monde est si beau
Si beau et magique
Si je lui devais un mot
Ce serais magnifique
La vie passe vite
Sur le sentier de terre
Une grande paix m'habite
Et la vie m'est légère
Nul vent ne souffle
Et nul vent ne fuit
La nature en son souffle
Aura dompté la nuit
Car nulle ombre s'avancent
De ces collines blanches
Car nulle nuit ne tombe
Elle repose en sa tombe
La suite reposait en un coin embrumé de mon esprit, si bien que je ne put la saisir pour l'en extirper.
Nous avions passés la nuit dans une auberge, le Cœur. J'avais chanté en échange de nos couches et de nos repas. La salle avait aimée, elle avait chantée avec moi, puis, lorsque j'étais monté, elle avait continuée de rire et de chanter...
Nous avons dormis paisible, un bon début pour un voyage que nous pesions faire paisiblement. Cependant, nous nous trompions. Le matin fut agité par une terreur sans nom, une terreur que ne n'oublierons jamais.
Alors que les premiers rayons du soleil avait piquetés les tissus du rideau de petits points lumineux, le Cœur avait hurlée, le rez de chaussée s'était agitée, le métal avait frappé le métal, puis le métal avait frappé la chair et la chair avait hurlée.
Comment avait-on put s'en prendre à Gradur, un monde aussi paisible. J'avais oublié que Gradur n'était pas seulement le peuple des Latis, le peuple auquel j'appartenais. J'avais oublié que Gradur comprenait d'autres peuples, beaucoup plus agressifs, et que la paix des Latis n'était assurée que par les Templiers blancs qui peuplaient ses principales frontières. Le mal avait con pénétré notre petit cocon de paix, et il avait frappé. D'où venait-il ? Je n'avais pas le temps d'y penser, Logelhof m'avait tiré de ma torpeur et semblait m'inviter à me jeter par la fenêtre, chose que je fis sans hésiter lorsque les premiers coups sourd frappèrent à ma porte.
Les carreaux se brisèrent sous mon poids, volant en un millier de petits éclats tandis que je chutait pour tomber lourdement sur terre. Logelhof avait suivi peut après, il m'avait fixé, pâle de terreur, et m'avait demandé, presque suppliant :
"Qu'est-ce que c'est ?"
Je n'avais put que lui répondre de courir, et de courir vite, ce qu'il fit avec moi tandis que derrière nous, le Cœur hurlait toujours.
Nous avions finis par nous endormir au pied d'un arbre. Fatigués d'avoir couru, fatigués d'avoir tremblé, malgré la chaude nuit que nous avions passés, nous avions besoin de repos.
Lorsque nous fumes réveillés, le soleil se couchait. J'enfilait un épais manteau pendant que Logelhof m'attendait, assis sur une épaisse racine.
"Toujours levé avant moi."
La remarque que je lui lança lui arracha un petit sourire difficile. Il semblait perdu dans de quelconques pensées moroses et difficiles. Il était déjà paré, sac sur le dos, et contemplait le coucher du soleil.
"Je ne l'avais jamais vu, autrefois. Je me couchait toujours plus tôt pour en voir le lever. J'ai toujours trouvé triste d'aimer regarder une lumière qui s'en vas pour laisser place à la nuit, mais maintenant que je la regarde, je trouve tout autant de fascination que j'en trouvais à son lever. Le jour part disparait, mais il le fait en beauté. Je pourrais bien rester là, de longues heures, assis sur cette branche pour contempler ce point qui s'efface, pour oublier ce que je viens de vivre, mais je pense que le chemin nous appelle toujours. N'est-ce pas ?
-Oui, Logelhof, nous devons partir. Je pense que nous devrions aller à Barihil, la ville blanche, je ne pense pas que ce que nous avons vu ce matin, en tout cas entendu, ne soit de bonne augure. J'irais à Barihil et je ferais mon service, je pense, et je reviendrais soit en portant de grand coffres blancs, soit endormi dans l'un de ces même coffres.
-As tu peur de la mort ?
-Non, je n'ai pas peur de la mort, j'ai peur de l'absence, de l'oubli. On oublie toujours les vies disparues, seules de rares marquent ce monde, et même ces rares vies finissent par être oubliées. Je n'ai pas à proprement parler peur de la mort Logelhof, j'ai peur de l'oubli qu'elle engendre."
Puis nous nous étions tus, j'avais enfilé mon sac et nous étions partit. Une légère angoisse ne cessait de nous tourmenter, nous nous retournions souvent avec l'étrange impression d'être épié, mais à chaque fois, nos regard se heurtaient aux pavés du sentier, visiblement sans présence humaine. Puis, au bout de trois jours, bien que le souvenir restait persistant, la crainte primitive de ce que nous avions vécus était passée. La paix avait s'était de nouveau installée.
Un jours, nous avions croisées une longue fille d'hommes en tenue militaire qui portaient de grands coffres blancs. J'en avait hélé le chef qui m'avait annoncé tristement une défaite. La guerre semblait bien étrangement avoir pénétré notre paisible pays. Les hommes du nord, barbares sanguinaires, s'étaient regroupés autours de nos frontières pour les attaquer sans relâche. Et déjà un bon nombre de Templiers Blancs étaient tombés. Alors, nous nous étions assurés que nous étions bien sur la route de Barihil et nous avion continués sur le même chemin jusqu'aux portes de la cité.
Barihil
Majesté, splendeur, somptuosité, magnificence. Les mots m'étaient venus dès les grandes portes passées. La grande route de dalles grises était parsemée d'une multitude d'étals colorés. Les marchands criaient leurs prix à tout va, les caléchiers arpentaient la rue dans leurs charriots de bois, transportant diverses marchandises pour alimenter les bâtiments voisins. Pourtant, on pouvait lire dans cette foule une certaine tension, une certaine inquiétude. Parfois, on parlait tout bas, le visage sombre, on contait d'étranges choses, des carnages sans noms, d'auberges entières saccagées et de leurs clients retrouvés égorgés dans leurs lits. Logelhof frissonna au nom du Coeur, énoncé par un caléchier partit de sa ferme pour se réfugier en ville. On parlait surtout des Sombres, des maraudeurs sans pitiés qui venaient par petits groupes de l'est pour piller et saccager les hameaux. Cependant, margés ces évènements marquants, nul n'arrivait à se défaire de sa torpeur habituelle, nul ne décidait de se reprendre en main au lieu d'espérer en imaginant les sombres loin de la cité. Depuis l'attaque du Coeur, je me sentait autre.
Je ne sait pas si c'est le bon mot pour qualifier cet étrange sentiment d'absence à moi même qui m'envahissait inlassablement, mais je ne sait pas comment je pourrais le décrire autrement. J'avais l'impression de me détacher de ce monde idyllique que je m'était façonné dans mes voyages pour basculer dans le monde réel, un monde plus dur et plus cruel, un monde sans poésie, un monde sans paix. Loghelof semblait aussi perdu que moi, sombre, inquiet, il se perdait dans le mouvement continu de ses pieds qui venaient frotter le sol en laissant à chaque pas un peut plus de l'épaisse semelle de cuir qui couvrait le dessous de ses lourdes bottes.
Soudain, la caserne jaillit, haute, avec ses grandes aiguilles de bois au dessus desquelles patrouillaient bon nombre de gardes. Tous avaient la mine grave, tous semblaient conscients de ce qui se passait sur le territoire, tous semblaient prêts. Prêt serait peut être trop dire. Résignés plutôt. Un gaillard grimaçant nous accueillit de son sourire aux dents jaunes.
"Alors, retombés les pieds sur terre ?"
J'esquissais un sourire maussade, répondant à l'affirmative par un léger signe de tête. Logelhof restait absent, perdu. Il suivait juste.
"Et le gaillard à côté de toi, y veut faire quoi ?"
La question sembla le secouer, il cligna des paupières, releva la tête et demanda encore perdu.
"Je ne sait pas. Je pensait partir aux forges.
-Ici on pense pas, on fait, les forges c'est la bas, à gauche. Bon, et toi le jeune, c'est l'armée qui te plaît.
-Ca ne me plaît pas, mais j'estime que c'est mon devoir.
-Et bien suis moi, on vas t'apprendre à couper des têtes."
Toute la poésie qui planait sur les armées de Gratur s'était envolée à mon entrée dans cette caserne. Ceux que l'on disait rieurs et fins étaient en fait bourrus, sombres, maussades, garnis d'un humour passable et pathétique. Pourtant, je devais les suivre, je devais me battre. Je ne sait pas quelle ferveur m'y poussait. Ce n'était pas l'amour de ma terre, ce n'était pas l'amour de la paix, peut être étais-ce le devoir, qui sait ? Et qui ne saura jamais. Maintenant, avec le recul que j'ai put prendre, je pourrais tenter de dire que c'était une sorte de recherche de mes limites, une course pour ne plus penser.
J'atterrissais donc dans l'immense salle d'entrainement, sans cesse emplie des grognements des combattants qui s'acharnaient sur leurs adversaires respectifs. Les officiers emplissaient les salles de leurs voix graves et injuriaient leurs hommes, les traitant de vermines et de raclures. J'eut à peine le temps de souffler qu'une épée mal aiguisée me tombait dans les mains et qu'un soldat se postait devant moi, prêt à frapper.
Voyant sa lame approcher, je me jetait sur le sol. Une terre poussiéreuse et sèche s'engouffra dans ma bouche en, délivrant un infâme goût de moisissure. Je prit sur moi pour l'ignorer, je me retournait brusquement, mais je n'eut le temps de réagir, le fer de mon adversaire, d'un geste parfaitement maitrisé, piqua ma gorge de sa lame. Je restait là, étendu sur le sol, le souffle court.
"Voilà comment ça se bat un sombre, c'est l'un des rare de notre caserne à pouvoir leur tenir tête en duel. Tu sait à quoi t'attendre."
Une solide poigne me prit par les épaules pour me relever, et je refit face à mon ennemi. Celui-ci attendit que je porte mon premier coup pour l'esquiver avec agilité et passer derrière mon dos en glissant sa lame sous ma gorge. Puis il me repoussa et m'invita d'un geste à réattaquer.
Je fit mine de viser son crâne mais au dernier moment, je baissait ma lame vers sa hanche. Il para le coup du long pommeau de son épée, la leva pour m'attaquer d'un coup a la nuque puis, lorsque sa lame rebondit sur la mienne, recula, effectua un petit cercle de la pointe de son épée, emportant la mienne dans son mouvement, et me désarma d'un bref coup du plat de sa lame.
"Ce n'est pas comme ça que tu gagnera"