« Ragor revenir, sinon esprits des bois tuer lui aussi ! » Le cri inhumain qui suivit ces paroles convainquit le dénommé Ragor que le chef de sa bande n’était plus. Le Gor regarda autour de lui, il était seul désormais, tous les autres hommes bêtes envoyés par Skral Cinq-Cornes, le chef de la horde, dans la forêt pour ramener du bois et des créatures à dévorer avaient disparu les uns après les autres, sans un bruit ou en hurlant. La nuit commençait à tomber, et bien que l’homme bête soit une créature démoniaque crée par la magie impie du Chaos, la peur s’était infiltrée dans sa tête, et il ne restait plus du fier combattant qu’une créature apeurée. Tournant sur lui-même pour observer les environs et éviter de se faire prendre à revers, il contempla les arbres millénaires, antiques sapins couverts de neige à la stature menaçante. « Ragor pas avoir peur, Ragor être grand Gor, Ragor va rejoindre clan... » Il se tu quelques instants en réalisant que le grand chef Skral le tuerait s’il revenait sans bois. Tenant plus fermement sa hache, il s’approcha d’un vieux sapin à moitié mort, bien décidé à remplir sa mission. Il leva sa lame, et au moment de l’abattre, un grand craquement eut lieu derrière lui. Tremblant de peur, il se retourna pour contempler un des sapins sortir de terre, et étendre ses branches vers lui. Poussant un hurlement de terreur, l’homme bête se mit à courir à l’opposé de l’arbre. Maudissant ses sabots malhabiles qui glissaient sur la neige, il jeta un regard en arrière pour voir si le sapin le poursuivait, et rassuré de ne plus voir aucun mouvement, il ralentit, avant de se réfugier dans un petit bosquet de petits arbres morts.
« Ragor doit dormir, Ragor fatigué, lui plus voir arbres bouger après dormir » Ce fut en se répétant cela que l’homme bête s’endormit , les mains toujours serrées sur le manche de sa hache. Pour la première fois de ses souvenirs, ses rêves ne furent pas hantés de batailles sanglantes, de massacres de faibles humains ou des luttes avec les autres Gors. En effet, il se retrouva dans une forêt éthérée, et distingua de l’activité dans une clairière voisine. Curieux, malgré son appréhension, il approcha et pût voir un groupe de druides en train de danser autour d’un vieil arbre. Leur chant hypnotique parcourut le cerveau primitif du Gor, réveillant des souvenirs d’une existence enfuie. Il se vit, simple animal et homme à la fois. Un chasseur à n’en pas douter, et un cerf. La proie ne se doutait de rien, et ne vit pas le lourd chasseur nordique l’approcher et se jeter sur lui, un long couteau de chasse dans la main. Alors que l’homme tentait de trancher la gorge de l’animal qui se débattait, ils se figèrent soudain, et l’odeur de la peur envahit les narines de Ragor. L’homme leva la tête et vit un nuage de couleur changeante passer dans le ciel et des particules vertes tomber sur le sol. Le cri de douleur intense parcourut tout le corps des deux êtres, et là où la pierre chaotique touchait leur corps, ceux-ci mutaient d’une façon horrible. Emplis de terreur, ils virent leur chair s’étirer l’une vers l’autre et s’unirent, mêlant l’homme et l’animal. Heureusement pour eux, ils perdirent connaissance avant la fin de l’union de leur corps. La silhouette se releva quelques instants plus tard, et, baissant les yeux vers son corps, découvrit l’immonde transformation qu’elle avait subie. A la place de la peau lisse de l’homme se trouvait une peau épaisse et couverte d’une courte fourrure brune. A la place de la stature quadrupède, l’être se découvrit deux mains. Puis, comme si le temps s’était accéléré, il vit les saisons changer, et les souvenirs s’enfuir. Il se vit rejoindre la horde des hommes bêtes, créature monstrueuse parmi tant d’autres et participer au massacre de villages humains et le temps reprit un cours normal quelques secondes pour lui montrer une famille humaine, atrocement massacrée, une famille qui éveillait quelques choses dans sa mémoire, une famille à laquelle il avait appartenu autrefois.
Face à tant de souvenirs, le Gor s’écroula au sol, pleurant pour la première fois de sa deuxième vie. Un des druides s’approcha alors de lui
« Ces souvenirs sont à toi Reng, et aussi à l’animal que tu étais. Il t’appartient de choisir ton futur, maintenant que tu connais ton passé »
L’homme bête leva la tête vers l’être qui lui faisait face
-Choisir ? Mais choisir quoi ? Moi était deux, et maintenant un, quoi pouvoir faire contre ca ? »
L’homme sourit
-Nous pouvons essayer de te rendre ta nature, mais les risques sont élevés, la mort est peut être la seule chose que tu y gagneras »
-Tant pis, moi vouloir essayer, préférer revivre, plutôt que continuer vie comme ca, mais pourquoi vous faire ça ?
Le druide soupira
-Nous cherchons à rétablir le pouvoir de la nature, et à repousser les pouvoirs du Chaos grâce à la puissance des éléments. Tu as pu voir que les arbres vivaient dans notre forêt, et cela, c’est la nature qui nous le permet
-Moi comprendre, quand commencer rituel ?
-C’est déjà fait
A ces mots, l’homme bête retomba au sol, inconscient et plusieurs druides emportèrent son corps et le déposèrent sur un autel en pierre.
Quand il ouvrit les yeux, Ragor comprit qu’il se trouvait à nouveau dans le monde des rêves. En effet, il était deux une nouvelle fois et des esprits éthérés volaient autour d’eux. Certains chuchotaient des promesses de puissance et de gloire, tandis que d’autres gémissaient la souffrance dûe au Chaos.
Plusieurs formes apparurent alors à quelques mètres des deux Ragor. La première à parler était une sorte d’humanoïdes de près de trois mètres de haut, à la peau semblable à du métal liquide et aux immenses ailes membraneuses. Reng frémit en réalisant la ressemblance qu’il avait avec ce un prince démon. Il parla d’une voix caverneuse, dont le timbre fit trembler les deux Ragor :
« La voie du Chaos t’attend, si tu la suis, les dieux feront de toi un de leurs favoris, tu dirigeras bientôt une des hardes les plus colossales que Norska ait connu, ton nom sera connu jusqu’aux confins des Terres du Sud et des Grandes Plaines à l’Est des Montagnes, tu dévasteras tout le Nord du Vieux Monde, et les dieux te récompenseront en faisant de toi un être immortel, tu deviendras un des grands princes démons au service du Chaos. Alors suis moi et reste au service de tes maîtres tout puissants
A côté du démon se trouvaient deux formes : Reng, vêtu comme un druide, accompagné du cerf, l’homme prit alors la parole d’une voix douce et calme :
-Si tu choisis la vie et non la mort, tu suivras la voie des druides, ils t’accueilleront dans leur société, et tu pourras réparer les dégâts de tes errements. Comme eux, tu oeuvreras pour sauver la nature, et ne laisseras pas le Chaos détruire le fragile équilibre. Et tu retrouveras la vraie nature de tes êtres, tu ne seras plus constitué de deux âmes dans un seul corps.
-Tu sais ce que tu recherches, gloire, fortune, puissance, immortalité, le Chaos peut t’offrir tout pourvu que tu l’honores encore, reprit le démon, tu veux être un éclair dans le ciel de l’histoire plutôt qu’une fourmi perdue dans l’herbe.
-Alors que l’éclair détruit, la fourmi protège et construit, veux tu d’une éternité de destruction aveugle ?
Reng ne pouvait plus écouter les deux êtres continuer leur dispute, le choix était devant lui, et il avait parfaitement saisi les implications de chacune. Il ne lui restait plus que le choix que la vie lui offrait : la gloire et la damnation, ou le bien et l’anonymat. La décision se marqua au fer rouge dans son esprit quand la décision logique lui apparut enfin.
Le Gor grogna, et se leva, la tête encore engourdie par le sommeil. « Ragor avoir fait rêve étrange, y avoir humains avec vêtements verts, et gros démon. Ragor plus se souvenir, mais Ragor savoir maintenant que Skral Cinq Cornes pas être assez grand chef pour la horde, et Ragor tuer Skral... » Il continua de parler de sa gloire future et de son rêve seul, en partant vers l’orée de la forêt, là où était établi sa harde. Alors qu’il atteignait la lisière du bois, il entendit un rire inhumain venir du fond de la forêt. Un rire de joie malsaine et moqueuse envers la nature et ceux qui luttaient pour la défendre, alors que le Chaos venait de remporter une nouvelle âme.