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Le mage - Le guerrier - Le voleur

Voici une courte trilogie sur les figures habituelles de la fantasy à la dongeons et dragons... Objectif, soulever peut-être quelques richesses intérieures qu’on ne saurait soupçonner quand on les voit dans leurs univers habituels...

Mon nom est Souffle

Mon nom est Souffle. Pour l’instant, on peut dire souffle court, parce que Souffle court. Je crois que je n’ai jamais couru comme ça, avant. Mon coeur est un tambour sauvage, mes poumons des soufflets de forges qui exhalent de courts panaches de vapeurs. Comment peut-il faire aussi froid dans une maison ? Le pavé irrégulier du couloir blesse mes pieds mal protégés. Mes bottes de cuir fin, à la semelle de crèpe silencieuse, ne sont pas taillées pour la course. Moi non plus, d’ailleurs. D’habitude, je fais plutôt dans le discret, dans la disparition éclair, dans le mystère. Pas de mystère aujourd’hui. Il faut juste que j’aille un peu plus vite.

Je ne prends même pas le temps de regarder derrière ; de toute façon, cela ne servirait à rien. Je peux toujours foncer, que je serais de toute façon rattrapé. Il s’agit juste de gagner quelques secondes. Pourquoi ? C’est vrai, après tout. Pourquoi ? Un instinct de survie mal placé, peut-être. En voilà un qui ne se laisse pas abattre aussi facilement. Je ne peux m’en plaindre. Il m’a déjà éloigné de la faucheuse. Mais, la vraie raison, c’est revoir mon soleil encore une fois.

Tiens, l’escalier est déjà là ? Je dois courir assez vite, finalement. Il me semble percevoir un rire joyeux, dans le lointain. Sauter sur la rambarde en bois poli, comme quand j’étais enfant, et se laisser glisser pour grappiller quelques secondes. La haute porte en bois sombre me domine, entrouverte. Quelle est hautaine, cette porte. On croirait l’entendre se gausser. Je me faufile comme une ombre.

Dehors, il fait beau. C’est étrange. J’aurais plutôt imaginé un hiver, sombre et glacial. La trille d’un oiseau m’accueille, de concert avec le clin d’oeil du soleil. Les gens me regardent avec stupéfaction. Il n’ont jamais du voir ça. Quelle course ! J’aurais dû être messager, peut-être. Ce doit être moins dangereux. Descendre l’avenue, éviter l’étal du poissonnier, le vendeur d’étain, dévaler la pente de la berge. Le temps est distance. Me voilà sous le pont. C’est mon univers.

Le froid, à nouveau. La douce couverture du soleil est oubliée. J’ôte la planche qui cache l’entrée de ma planque. Ai-je couru assez vite ? Il semble. Je ne peux même plus reprendre mon souffle. Il est perdu. Souffle, murmure une petite fille. Je ne peux pas. Mais j’ai réussi. Je l’ai revu, le seul vrai soleil de ma vie. Il ne parviens déjà plus à réchauffer mon coeur fatigué. Souffle, murmure-t-elle encore. Je lui fais signe de se taire, et sort de ma poche un autre astre. C’est une perle qui luit comme un sourire d’enfant. Ce sera mon dernier présent, un cadeau qui me coûtera cher. Je me suis surestimé. Je ne pourrai même pas lui dire à quel point je l’aime, mon petit coeur. Mes machoires sont serrées, à m’en briser les dents.

Le froid coule dans mes veines, maintenant, et avec lui, la nuit vient doucement. Le poison moqueur qui pulse dans mon sang a fini par me rattraper. Un piège si stupide ! Je lève les yeux vers ma fille. J’ai du tomber. Elle pleure. Il ne faut pas, petit coeur. On ne peut pas gagner à tous les coups.

Egoïste, chuchote-t-elle dans la nuit profonde, alors que son Souffle s’en va.


Mon nom est Lame

Je suis Lame, machine de guerre dressée pour tuer. Je refuse toute mort ! Mon nom est un cri de défi dans la brise, l’axe d’un vie passée à combattre. Depuis que la guerre des plaines a commencé, je suis en première ligne, abattant des peaux vertes comme d’autres abattent les arbres. Mécanique soigneusement huilée, parer, frapper, dégager la hache, un orque après l’autre. Je suis Lame, forgée dans le sang pour plonger au coeur de mes ennemis.

Le soleil couchant peint le champ de bataille de teintes chaudes. Au bout d’un moment, on ne perçoit plus vraiment de sons ; cris, vibrations des tambours, gémissements, tout cela passe en arrière plan. Il faut rester concentré sur chaque mouvement, anticiper la charge du prochain adversaire. Tuer avant d’être tué, c’est d’une simplicité mortelle. Le soleil a maintenant disparu ; le ciel est rose comme une parure de noble. Des filaments incandescents disparaissent les uns après les autres ; quelques vies s’éteignent encore. Je suis Lame, trempé dans la mort de centaines de guerriers, fléau de chair et d’acier.

Combien de jours déjà ? Je n’ai souvenir que de ces journées de guerre, et de ces nuits qui ne sont guère différentes. Toujours le même cauchemar : un combat sans fin, mon corps qui se décompose à chaque mort, et pour finir, ne reste qu’un squelette grimaçant aux phalanges crispées sur la garde de son arme, attendant une mort qui ne viendra pas. Quand au réveil, les yeux rouges, je m’effondre au coin d’un feu de camp palot, dans l’aube froide, un brouillard de visages inconnus flotte autour de moi. Chaque matin, la cohorte de mes compagnons de combat change, défilement incessant de morts en puissance, et le récit de ces rêves meurt sur mes lèvres. Il n’y a personne pour m’écouter.

Un Orque noir, massif, vient s’effondrer en mugissant contre moi. Parfois, on croise le regard de celui que l’on vient de toucher mortellement ; les orques ont les yeux humides quand ils meurent. Si les peaux vertes puent comme l’enfer, leur dernier souffle n’a pas d’odeur ; il est trop ténu. D’ailleurs, les parfums s’estompent comme les sons. On ne peut se permettre d’y prêter attention. La nuit fait son lit ; l’obscurité va venir stopper cette folie. J’attends du coin de l’oeil la première étoile. Elle ne devrait plus tarder. Nous avons un petit secret, elle et moi. Si je la guette chaque soir, elle m’accueillera un jour. Je grogne. Les orques ont la tête dure ; au bout d’un moment, le bras le plus solide finit par s’ankyloser. Je suis fatigué, fatigué de tuer, fatigué de vivre. Je suis Lame, rongé par le doute, ébréché par l’ennui.

Je lève encore le bras, inutilement. Je suis seul. Il n’y a guère que le vent pour lutter un peu. Je ne sais même plus où est la ligne de front. Des sillons de morts germent dans le crépuscule de bras levés, d’armes brisées, de silhouettes tendues dans l’agonie. On tirera surement de ce massacre une geste émérite, un chant épique dans des demeures riches et chaleureuses. Mon souffle devient râle.

Dans un moment d’hésitation, sur un fil de rasoir, je regarde ma main, crispée dans la déchirure de ma cotte. Alors, comme de son propre chef, elle s’ouvre. Un sourire sanglant se dessine sur mon ventre, laissant échapper les circonvolutions fumantes de mes entrailles. Je me laisse aller à fermer les yeux ; le début d’un vertige me prend. C’est presque fini. Certain diront que je suis mort en héros. Ils auront tort. Ma vie, soufflée, a réchauffé moins de monde que l’étincelle d’une chandelle.

Je suis larme, pâle reflet d’étoile, tombant d’un oeil vide, vers une nuit sans fond.


Mon nom est Flux

Mon nom est Flux, je suis comme la lune, qui sent la mer venir à elle. Je suis comme la vague, qui sent la falaise se rompre sous son coup de butoir. Je ne suis déjà plus vraiment humain, à quelques centimètres du but d’une vie. Quelques millimètres maintenant, la distance qui sépare ma lame de noire obsidienne de la jugulaire de ma dernière victime. L’anticipation du pouvoir est aussi extatique qu’une lente montée vers l’orgasme, un de ces grondement du corps qui enfle sans limites, quand le coeur et le ventre hurlent ensemble leur plaisir. Je ne connaitrai plus jamais cela. L’immortalité, perte de l’humanité.

L’ombre d’un regret, comme un nuage devant la lune, vient assombrir encore la noirceur de mon âme. Dans le cercle des âmes damnées qui tournoie autour de moi en un anneau hurlant, un vif reflet d’or brille un instant. Détournant ma dague, je regarde pensivement des souvenirs décomposés émerger du tombeau de mon passé. Ils retrouvent rapidement la chaleur du soleil qui brillait sur nous à cette époque. Elle et son sourire, ses yeux brûlants, assouvis, fermés, son amour sans arrières pensées. Elle fut la première, en cette nuit définitive, à qui j’ai volé la vie. Première étape, tuer le coeur de sa vie. Depuis, nulle joie, que cette soif, que je vais enfin étancher.

Et l’amour ?, chuchote sa voix qui s’éteint. Je lève ma lame noire en réponse, qui brille un moment dans la lumière froide de la lune. La jeune fille engourdie à mes pieds lève un dernier regard vers moi, les mains crispées sur son ventre rond comme l’astre qui nous regarde. Dernière étape, tuer la vie à venir. La lueur terrorisée dans ses yeux est l’écho de cette première et terrible mort. Alors, dans un cri, je plonge ma lame dans ce Flux de haine, et mon sang brise les sceaux maudits. Comme une vague retourne à l’océan, la puissance fuit dans le tourbillon des âmes libres, et je m’affaisse, libre quelques secondes de l’aimer à nouveau.

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