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Il existe des tonnes de secrets. Certains sont faits pour être partagés, d’autres pour être cachés. Parfois le confident, l’acteur ou le témoin l’emporte dans sa tombe, parfois il le confie à d’autres, comme pour se décharger de son fardeau, comme, si en le dévoilant, le secret perdait son sens. Rien de moins évident à cela. Un secret qui a mérité le silence conserve sa part d’horreur ou de joie. Le dilemme le plus cruel dans un secret est précisément le moment où l’on hésite à le divulguer. Partant de là, que peut-on répondre lorsqu’une question posée exige de lever le sceau silencieux qui scelle nos lèvres ? Quelle réponse donner lorsqu’on sait qu’elle peut détruire la seule chose qui nous fait vivre, alors que, dans le même temps, cette ultime confrontation nous hantait chaque jour ? La Vie elle-même, voyez-vous, renferme une part de mystère qu’il ne faut pas chercher à connaître, que l’on soit enfant, adulte ou vieillard. Voici l‘éventuelle leçon de cette histoire. Mais la vraie conclusion de ce qui va suivre serait plutôt que la Vie n’a pas de secret pour qui sait lire entre ses lignes. A vous de lire entre les lignes.

Préambule


Il regardait fixement par la fenêtre depuis de longues minutes, comme s’il cherchait un signal. Meg’nil, sa fille, savait qu’il n’en était rien. Il attendait le moment propice pour agir. Il préparait son esprit à ce qui allait se passer. Elle patientait, assise négligemment dans un coin, blottie contre le mur, les membres inférieurs nus glissés nonchalamment sous son corps tendre et désirable. Elle serrait, tremblante, sa poitrine dans ses bras jusqu’à ce que cet orage éclate. Un orage fait de colère, de cris et de morts. Et elle se faisait toute petite pour ne pas recevoir un éclair. Son père la fascinait, la cabane qui les abritait semblait toute petite lorsqu’il se redressait, toute la pièce était emplie de son ombre et de son odeur. Elle aimait voir sa carrure se dresser ainsi, son cou épais faire ressortir ses veines, sa voix caverneuse souffler son impatience. En le sentant ainsi piaffer, elle éprouvait autant d’assurance que de peur à sentir toute la tension et la colère qui l’habitaient. « Ne pas faire exploser la foudre », se dit-elle.

Soudain, il braqua un lourd regard sur elle, terriblement déterminé, rempli d’amour et de désir. Il devait la protéger. Mais surtout il fallait qu’il sauve son fils, parti à la chasse. Il l’avait ainsi éloigné de tout danger, pendant un certains temps du moins, espérait-il. Il ne fallait surtout pas qu’ils le voient. Là résidait toute son attention depuis des jours. Sa fille était déjà loin de ses pensées lorsqu’elle osa bouger ses pieds pour refaire circuler le sang. Seul son fils, Drok’ag’n, comptait à cet instant précis.

- Tu ne bouges pas, j’ai dit, hurla-t-il. Ou plutôt, si, tu vas maintenant te cacher ! Ils arrivent, je le sens ! Allez, bouge-toi au lieu de me regarder comme ça !

Meg’nill resta un instant figée, apeurée par le son de la voix, qui lui parut comme dévorée de l’intérieur. Elle connaissait cet accent si particulier, elle le craignait autant qu’elle le chérissait. Lorsqu’elle se leva, elle parut beaucoup plus grande qu’elle ne le semblait, ainsi blottie contre les murs. Elle passa sa main sur ses joues et mordilla nerveusement ses lèvres. Son corps n’était vraiment pas celui d’une petite fille, ses courbes à peine voiler l’attestaient. « Qu’attends-tu donc pour y aller ? Pas par la porte, par la fenêtre ! Bourrique ! » Elle se pressa d’exécuter l’ordre. Une fois dehors, tout lui parut effrayant. Chaque bosquet, chaque arbre pouvaient les dissimuler. Elle regarda partout autour d’elle et se mit à trembler. Le combat devait être imminent et rien ne semblait vouloir l’abriter. Elle se rapprocha de la cabane, puis décida de se glisser sous le plancher surélevé. Elle les verrait venir mais, peut-être, qu’eux ne l’apercevraient pas. Lorsqu’ils s’approchèrent, elle pensa immédiatement à l’être le plus précieux à ses yeux, Drok’ag’n. « Pourvu que la chasse ne soit pas trop bonne... Pourvu qu’il ne rentre pas trop tôt ! » Le lien qui l’unissait à lui dépassait tout ce qu’il pouvait lui-même imaginer.




Monologue 1


Enfin les voilà. En barrant l’entrée de la porte, je sens la lumière du soleil me chauffer le visage. Ils m’ont vu, je les vois hésiter. Oui, il va falloir venir me chercher… Que croyez-vous ? Je ne vous fuis pas impunément. Allons, l’heure à sonner ! Que ma colère s’abatte sur vous comme un tronc d’arbre. Je piaffe de combattre. Pendant que mon sang va bouillir, je veux sentir la sueur de leur peur, leurs crânes se briser, leurs corps s’éventrer ! Que ma bouche hurle ma rage !


Ils s‘arrêtent. Mon hurlement a fait son effet. C’était juste pour me mettre en voix. Attendez qu’il m’emporte avec lui, pauvres inconscients. Vous n’aurez pas mon fils, ou alors vous ne serez plus en état pour lui faire peur !

Je ne vous avais pas vu si nombreux, peut-être avez-vous appelé des renforts ? C’est bien, vous serez encore plus nombreux à mourir avec moi, car dorénavant c’est la mort qui habitera cette cabane. Vous pouvez venir, mais je vous le dis, je suis la mort. Ecoutez son cri ! Ca y est, mes yeux m’abandonnent, je ne suis plus que sensations, je suis dans mes ennemis, je peux lire dans leurs âmes et j’y vois la résignation. Allez, vous pouvez crier pour vous donner du courage, je suis prêt, je vous attends et je ne tremble pas.


Ils n’ont pas encore monté la dernière marche que je suis déjà ivre de combat. Les premiers morts ne m’apportent aucune joie, j’ai besoin de plus de sang sur moi pour libérer ma colère. Vous n’aurez pas mon fils ! Non, vous ne l’aurez pas. Le sang ! Le sang ! La soif ! La soif de sang ! Un, deux, trois morts ! Mon bras devient acier ! J’ai reculé pourtant ! Je suis dans la pièce maintenant. Je suis libre de tous mes mouvements. Je recrache une oreille. Je brandis ma hache, j’esquive leur lance ou leurs épées. Ils remplissent peu à peu la salle, ils marchent sur leurs propres morts et leurs yeux sont aussi fous que les miens. J’ignore la douleur de mon dos, j’ignore le sang sur mon bras. Le sang, partout le sang et les cris. Ce n’est plus le leur, c’est le mien mais ma colère se décuple dans la cabane comme un torrent après l’orage. Ils n’auront pas mon fils. Ils ne l’auront pas ! Regardez, ce n’est que le début de ma fureur ! Deux, quatre morts ! Mais combien en faudra-t-il encore pour qu’ils comprennent ?


Je me redresse, recule de deux pas pour créer un espace entre eux et moi. Et je fonce à nouveau sur eux, la tête en avant, les bras écartés pour mieux les emporter. Une, deux, trois lances me transpercent. L’une d’elle se brise déjà ! Je n’entends plus aucun bruit, je ne vois plus rien, je ne suis plus que fureur et mort pour qui me brave.




Monologue 2


Depuis combien de temps courons-nous ainsi ? Je déteste le clair de lune qui donne cet air si lugubre à cette forêt. Nous sommes deux à nouveau et j’ai encore plus peur que si j’étais toute seule toute seule. Il me faut le protéger.

- C’est marrant mais c’est au cœur de la nuit qu’on voit le mieux la lumière…

- Arrête !

- Ben quoi ?

- J’ai dis arrête !

- Mais j’ai rien dit !

- Arrête, je sais pertinemment où tu veux en venir. Et je n’ai vraiment pas besoin de ça ce soir !


Mon frère va me rendre folle. Pourquoi ai-je accepté ? Qu’est-ce que je dis ? J’ai rien accepté du tout. Je ne sais pas si j’y arriverais, mais, promis, père, je ferais tout pour y parvenir ! Mon Dieu, ne nous laisseront-ils jamais en paix…

- Allez, arrête de bouder et viens vers moi !

- Quoi ?

- Allez, viens… Serre-moi fort !


Tu ne peux pas comprendre, pourtant tu me fais peur. Tu es parfois si… étrange. Ce lien si secret qui me lie à toi et pour lequel tout mon être tremble me dévore de l’intérieur. Je t’aime plus que tout, tu sais, plus que la vie. Et pourtant quand je te vois si près de moi, c’est comme si j’étais fière et terrifiée par ce que j’ai fait. Mais, toi, non, ne me regarde pas comme ça !

- Dis, Meg’nil, pourquoi tu as peur ?

- Et bien, parce qu’ils sont bien trop nombreux pour que nous puissions avec nos quatre petits bras y faire quelques chose ! Et je ne crois pas qu’ils nous pourchassent depuis deux jours pour nous amuser…

- Tu sais, moi, je suis déjà très fort, et ils me font même pas peur !

- Oui, je sais, mais j’ai promis à papa de t’empêcher de faire des bêtises, et je crois que ce que tu viens de dire en est une !

- Vilaine !

- Méchant !

- Pas belle !

- Petit sauvage !

- Rattrape-moi !

- Non, reviens ! Reviens ! J’ai dis : REVIENS ! Si je te rattrape, je te dévore de bisous !

- C’est ça ! Mais tu ne pourras jamais me rattraper !

- Oh si ! Si je veux, je vais aussi vite que le faucon ! Mais, cours plutôt par là si tu veux que j’essaie, pas derrière !

- Oui, mais sinon, je pourrais jamais me battre contre eux !

- Je ne te suffis plus pour te battre ?

- Non ! Enfin, si ! Mais c’est pas pareil !

- Ca y est, t’es mon prisonnier ! Tu vois que je peux te rattraper !

- Tu as triché !

- Non !

- Si !

- Chut ! J’ai entendu quelque chose ! Cachons nous !


Ce sont eux ! Ils sont à la fois beaux et effrayants. Ils se déplacent comme des chats et sont aussi déterminés et froids que l’acier. Je serre mon frère autant pour le rassurer que pour moi-même. Ils sont couverts de sang ! Du sang ! Encore du sang… Petit frère, surtout ne fais pas de bruit… Ils sont tout près, je sens leur odeur si étrange, leur voix résonnent autour de nous. Et j’entends les mêmes bruits qu’il y a deux nuits… Ne nous abandonneront-ils jamais ? Je ne suis rien et mon frère est si jeune… Non, il ne l’est plus, regarde-le, le jour où le petit enfant qui est en lui abdiquera, tu n’auras plus besoin de jouer à cette maman-là. Ouf ! Ils ne nous ont pas vus, ils s’éloignent…

- J’ai peur !

- Tu vois qu’ils sont méchants ! Et tu voulais les battre ?

- Oui, je veux me battre quand même contre eux, mais n’empêche que j’ai peur. Tu as vu ? Leurs yeux restent clairs même au milieu de la nuit ! Et papa, dis, il reviendra nous aider ?

- Pas tout de suite. Pas tout de suite !

- Tu mens ! Il pourra jamais !

- Mais si, il pourra ! Pourquoi tu dis ça ?

- Parce qu’il est mort, papa !

- Mais non, papa est bien trop fort !

- Alors pourquoi tu pleurais quand tu es revenue ?

- C’est pas le moment ! Allez, viens, on va passer derrière la rivière pour regagner le sanctuaire ! Peut-être auront-ils peur de nous chasser sur un lieu sacré ?


Décidément, non, tu n’es pas si petit… Tu comprends beaucoup de choses, même ce que tu as tout le temps de comprendre…Oui, il est mort ! Il est… mort ! J’ai encore son dernier sang plein les cheveux… Ce sang… Il coulait à travers le plancher sur moi ! Au milieu des cris, je sentais chaque goutte me tomber dessus, paralysée par l’horreur que j’imaginais au-dessus de ma tête. Je laissais même ce sang descendre sur mes yeux, derrière mon cou, partout, tellement je n’osais bouger. Et ce bruit, ces gémissements ! Quelle horreur ! Pourtant, père, malgré tes blessures, ton ventre ouvert, tu as trouvé la force de me parler ! Quand je les ai entendus partir, j’ai voulu voir. Mais je ne pouvais te regarder ! Dans un dernier effort, tu as trouvé l’ultime force dans tes mains poisseuses de me prendre mon visage et, là, tu m’as regardé droit dans les yeux… Et je n’oublierais jamais ton regard ! Au milieu de ce massacre, il m’a complètement calmé. Il n’y avait plus de râles, plus de morts, tout ça avait disparu. Seule ta voix me parvenait. Et tu m’as dis : « Meg’nil, tu vas me promettre de ne jamais leur laisser notre Drok’ag’n ! Hein, Meg’nil, tu ne le leur laisseras pas ! Ce serait trop terrible ! Et surtout tu ne lui diras jamais rien, hein ? Tu me le promets ! Tu sais ce qu’est une promesse pour moi ? Hein ? Tu ne lui diras pas… » Et c’est tout ! C’était fini… Pas un mot pour moi ! Juste pour Drok’ag’n ! Et je ne t’en veux pas ! J’ignore même comment tu as pu faire pour me parler, car, soudain, tout le spectacle m’est réapparu. Dans quel état il t’avait mis ! Papa, je ne te l’ai pas dis, mais je t’aime. Je t’aime malgré tout ce que tu m’as fait ! Tout ce mal et tout ce bien qui me rendent aujourd’hui folle ! Allez, le Roi est mort, vive le Roi…

- Qu’est-ce qui t’arrive, Meg’nil ?

- Rien. Ils me font peur !

- Ne t’inquiète pas ! Je suis là pour te protéger !

- Je sais, je ne m’inquiète pas ! Mais tu sais ce que c’est, les filles…

- Ouais. C’est pas drôle, vous pleurez tout le temps !

- Oui, c’est ça, petit frère, nous sommes là pour pleurer… Pleurer pour tout le mal qui existe partout sur cette terre… Tu as raison, petit frère, il fait nuit, montre-moi juste où est cette lumière…




Monologue 3


Ma sœur est décidément bien faible. Et les faibles ne méritent pas de vivre ici. C’est papa qui le disait tout le temps. Pourtant, non, je veux pas ! Je veux qu’elle reste avec moi ! Pour ça, il faut que je les tue. Oui, il le faut. Elle finira bien par s’endormir, alors je pourrais les tuer.

- Allez, petit frère, dors et cesse de regarder cette lune ! C’est la lune rousse, la lune du malin !

- Oui. D’accord, je vais dormir… Dis, ils l’ont bien tué, papa ? Et arrête de me mentir !

- Oui, c’est vrai. Ils l’ont tué… Il n’a pas pu se protéger de tous car ils étaient bien trop nombreux. C’est pourquoi je ne veux pas que tu y ailles. Allez, dors !

- Allez, bonne nuit ! Et repose-toi aussi, tu tombes de sommeil ! Et si demain tu veux pouvoir me rattraper quand je courrai, il te faudra toutes tes forces !


Tu parles que je vais dormir. J’ai trop envie de me mesurer à eux. Oui, je vois mieux la lumière pendant la nuit. Tu m’as pas compris quand je parlais de nuit. Je disais ça comme ça, parce que je me sentais perdu. C’est tout. Et puis, aussi parce que j’ai senti quelque chose en moi qui m’a donné du courage. Oui, nous sommes seuls au monde, tous les deux. Nous sommes perdus, tu le sais mais tu veux pas l’entendre. Mais, moi, ton petit frère, je vais nous sauver… J’ai cette petite lumière qui me guide…

Je sens qu’ils m’appellent. Ils se croient plus fort que moi, mais ils se trompent ! Papa était fort ! Mais je sais qu’un jour je serais plus fort que lui ! Je les déteste ! Ils sont horribles ! Ils veulent tuer ma sœur et je les en empêcherais. Papa sera fier de moi ! Même si tu es déjà mort, papa, je veux qu’ils le paient ! Et les plus faibles périront comme le veut la loi de la Nature, hein papa ?

Je crois qu’elle dort. Elle n’est décidément pas faîte pour vivre dans ce monde. Papa le savait. J’ignore si elle sait…

Je les sens tout prés de moi. Venez, je vous défie !

- JE VOUS DEFIE !

C’est bien moi qui crie ainsi ? Je veux les voir mourir, je veux entendre leurs os se briser, je veux sentir leur sang chaud sur mes mains et mon visage ! Toi aussi, papa, tu aimais ça, hein ? J’ai l’impression, père, de te sentir à mes côtés. Oui, ils vont connaître la peur ! Je la sens aussi en moi, mais elle me donne aussi de la colère. Une colère comme une tempête. Une colère faite de feu et de sang, comme un rubis, comme cette lune rousse qui me regarde.

Tu peux dormir, Meg’nil, ton petit frère te protègera ! Jamais ils t’approcheront ! Et tu voulais pas que je me batte ? Et bien, tu vas voir ! Je serais le plus fort parce que, si, moi, je veille sur toi, papa, lui, me protègera !

Les voilà !

Ma tête tourne et mes yeux se troublent. J’ai envie de hurler comme eux ! J’ai pris une bûche dans chaque main. Je suis prêt !




Epilogue


Il fait maintenant très froid, l’aube arrive, mais le jeune homme ne frissonne pas. Il regarde, hagard, tout autour de lui. Ses mains sont lourdes. Elles traînent, par les cheveux, deux têtes arrachées dont on devine encore les oreilles pointues et un visage fin et racé malgré les multiples souillures qui les recouvrent. Il semble l’ignorer. Son esprit n’a plus qu’une idée en tête en forme de question. Ses sabots martèlent sèchement le sol comme pour en prendre possession. Il s’approche de l’abri de sa sœur. Elle dort. Il a cette marque sur le front qui lui fait mal. Il ne peut pas la toucher, ses bras sont trop lourds. Tout son corps pèse une tonne. Tous ses muscles sont durs. Tout ça, il l’ignore aussi. Il veut juste une réponse à sa question.


- Réveille-toi ! C’est fait !

- Hein, quoi ? De quoi tu parles ?

- Voilà, c’est fait !

- Qu’est-ce qui est fait !

- Tu es sauvée, ils sont tous morts.

- Qu’est-ce qui t’es arrivé ?

- C’est rien ! Viens, suis moi !

- Arrête ! Laisse-moi !

- Viens, suis moi !

- Arrête, tu me fais peur !

- Oui, je te fais peur ! Mais tu le savais, non ? Viens !

- Non !

- VIENS !


La voix de Drok’ag’n a comme déchiré les tympans de sa sœur. C’est bien la sienne, pourtant, mais elle avait comme deux sonorités distinctes, dont une complètement nouvelle, perdue dans ce corps d’enfant. Elle déplie ses pattes de bouc, se lève et prend ses affaires. Quelque chose dans son esprit la panique, un funeste pressentiment. Lorsqu’elle sort de la cabane, le soleil est déjà haut, nul oiseau ne chantait pourtant la levée du jour. Son frère est couvert de sang, comme elle l’avait été lorsqu’elle s’était cachée sous le plancher de leur chalet, le fameux jour du massacre. D’ailleurs, elle en est toujours toute souillée car elle n’a pas eu le temps de se laver. Pour l’heure, son frère se moque bien de la voir si crasseuse, ce sont des pensées toutes autres qui le rongent. Dehors, il la regarde droit dans les yeux. L’estomac de sa sœur se noue car elle a reconnu ce regard sur elle. C’est exactement le même ! Non, le Roi n’est pas mort… Et elle a doublement le même sang qui coule dans les veines, exactement le même sang….


- Et maintenant, sœurette, je veux entendre ce que t’a dit père avant de mourir ! Inutile de me mentir, je sais qu’il t’a parlé !


Elle regarde le ciel et nulle lumière n’est assez puissante pour la faire sortir de son cauchemar. Tout vacille autour d’elle. Tandis qu’elle s’agenouille, complètement défaite, elle sent une partie d’elle-même partir au loin, tout près de la source rassurante de tous ses maux, tout près de son père. Aucune larme ne lui vient, juste un murmure résigné : Papa, que m’as-tu fait promettre ?

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