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« Paulin, pas ici. Paulin, va aux champs. Paulin, va dormir. Paulin, plus vite. Paulin, dépêche-toi. »

Il en avait marre. Toujours, toujours à travailler, toujours brimé, ordonné. Toujours à récolter, porter, entreposer. Son dos était encore rouge des coups de ceinturon qu’il recevait quotidiennement. Des cinq enfants de la famille, il était le moins apprécié. Pourquoi ? Etait-ce sa tignasse blonde, rappelant sa mère, qui importunait tant ? Son teint de lait ? Ses joues rondes ? Il penchait plutôt pour ses bras frêles. Etait-ce sa faute à lui, s’il n’en pouvait porter autant que ses frères ? Dame, il n’avait là que deux grosses bûches et quelques brindilles entre les bras, et déjà commençait-il à fatiguer.

Oh, baste ! Ses parents se contenteraient bien de ça pour chauffer la maisonnée, ce soir. Cela faisait déjà plus d’une heure qu’il était là, à chercher du bois mort, et il commençait à se lasser. Bientôt, le crépuscule se montrerait. Il ne tenait pas à être rentré trop tard, ni à ce que son dos souffre encore les violents coups de ceinturon.

Allons ! Il fit un nœud au gros sac de toile, et le mit sur son épaule, avant de prendre le chemin du retour à travers la claire forêt. Il n’aurait qu’à dire que tout le bois était encore jeune, mis à part ces deux branches.

Un craquement tout proche. L’enfant s’immobilisa. Le village était petit et très peu défendu, il était aisé pour un bandit d’y rôder alentours...

Il entendit des pas rapides, accompagnés d’un souffle haletant... Il fallait se cacher ! Ne pas se montrer à l’intrus ! Mais où, bon Dieu, où !? Où serait-il en sécurité, chargé comme il était ? Les pas étaient de plus en plus proches... Il bondit derrière un arbre. Le bandit n’était plus qu’à quelques mètres...

Puis plus rien... plus de bruits de pas... juste une respiration lourde, près de lui...

Juste un souffle haletant...

« Qui êtes-vous ? » demanda l’inconnu, d’une voix faible et peu assurée... « C’est Paulin ? »

Que répondre... Que répondre ? Paulin risqua un coup d’œil vers cet homme...

« Le vieux Toqu... » s’exclama-t-il tout soudain, avant de se reprendre : « enfin, je veux dire, monsieur Toqcé ! » Celui que Paulin appelait le vieux Toqué était un homme qui avait connu de nombreux âges, et qui connaissait même le père du père de Paulin. Il habitait seul, dans une petite maison à la lisière de la forêt, un peu à l’écart du village, une agréable cabane d’où il ne sortait jamais. Le vieil homme sourit en voyant le jeune garçon. « Ah Paulin ! Tu es ici ! »

« Oui, je ramasse du bois... mais, monsieur Tocqé, pourquoi portez-vous ce gros sac ? »

L’ancien sembla hésiter un instant, puis un faible sourire illumina son visage...

« Ah, c’est une surprise... suis-moi ! »

« Mais, et mes parents ? »

« Ne te fais pas de souci, je les ai prévenus ! Viens ! »

« Et le bois ? »

« Amène-le, tes parents disent ne pas en avoir besoin ce soir. Mais suis-moi donc ! »

Paulin s’empressa donc de suivre le vieux Toqué qui s’enfonçait dans la forêt.

Ils marchèrent une demi-heure au moins, traversèrent des zones marécageuses, grimpèrent sur de gros rochers, glissèrent sur de la mousse humide. Passant devant un buisson, le vieux Toqué apprenait à Paulin à reconnaître les baies comestibles ; en croisant des lapins, il lui dit comment fabriquer et poser des collets. Le crépuscule tombait, recouvrant de son voile rosé la haute colline qu’ils gravissaient. Les premières étoiles commençaient à scintiller dans le ciel obscur, bordé de pourpre. Ils s’arrêtèrent en haut de la colline, entourés seulement par une grande plaine. Tout au-dessus d’eux, le ciel était noir, il était violet à l’horizon. Cette vision, Paulin le savait, resterait longtemps dans son cœur.

Sans mot dire, Tocqe déposa son sac, l’ouvrit, et en sortit quelques morceaux de viande. Il se retourna vars Paulin, émerveillé par ce ciel si étrange, si contrasté. Il lui prit les bûches du dos, et entreprit de faire du feu.

« Que c’est beau ! Voyez, monsieur... ce ciel si noir au-dessus de nous, brillant de ces étoiles blanches, blanches comme les licornes... et tout autour, ce rose, ce violet, ce pourpre si riche, si éclatant... Voyez comme Dieu nous illumine de sa grâce, en cette soirée inoubliable... »

« Viens manger, Paulin. Ce n’est pas tous les jours que tu auras de la viande, crois-moi... »

« De la viande ! » s’exclama Paulin en se retournant vivement. « Un mardi ! »

En effet, deux côtes de proc grillaient au-dessus du petit feu que Tocqe avait allumé.

« Viens t’asseoir près de moi, Paulin. Sais-tu comment allumer un feu ? »

« Non, je l’ignore... »

Bientôt, l’horizon violet laissa place à la noirceur de la nuit, recouvrant tout le paysage d’un voile d’ombres, uniquement brisé par la lueur du petit feu, et par la fumée qui s’en dégageait. L’ancien enseigna de nombreuses choses à Paulin, comment avoir recours aux plantes médicinales, et comment conserver des aliments.

« Comment savez-vous tout cela ? »

« Dans ma jeunesse, j’ai déjà eu recours à ce genre de choses, quand j’allais chasser dans les bois... »

Comment se protéger de la pluie, comment fabriquer un arc et comment s’en servir. Savoir marchander, et fabriquer ses vêtements...

« C’est dommage que la fumée du feu cache les étoiles au-dessus de nous ! »

« Connais-tu le vent ? »

« Oui, il souffle et fait tout s’envoler.. »

« Eh bien, il vient de la volonté de Dieu. C’est lui qui décide où il va. Mais parfois, dieu est trop occupé à sauver des âmes pieuses, et il ne peut pas se préoccuper du vent. Alors, celui-ci souffle dans tous les sens. Comme ce soir, vois : la fumée semble venir de là où nous sommes et de là ou nous venons, et elle s’en va vers là où nous allons... »

***

Plus tard, dans la nuit, Paulin s’assoupit, au coin du feu. Le regard triste, le vieux Tocqe piétina les cendres. Il se leva, et, après avoir regardé une dernière fois le garçon assoupi, se remit en route, marchant vers l’horizon.

Même une fois le feu éteint, une âcre fumée ne cessait d’affluer vers le ciel.

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