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Très Estimé Généralissime Amanor,

                Je me permets ce courrier pour vous remercier de l’envoi des documents dont je vous avais signalé l’éventuelle présence et de vous exprimer par la même occasion ma gratitude d’avoir épargné autant que possible l’ancien château au cours de votre campagne dans la région. Vous n’êtes pas sans savoir en effet que je compile actuellement, avec l’aide de l’historien particulier de Sa Majesté, monseigneur Cliosandre, les écrits antérieurs à la création de notre Royaume pour tenter d’établir une version aussi exacte que possible de l’histoire de notre contrée — les écrits précédents étant des plus subjectifs et l’auteur ayant pris des libertés de tons des plus désagréables sans réellement se soucier de la véracité ; ainsi y voit-on fleurir les magiciens abattant des armées après avoir sacrifié de jeunes enfants sur des boucliers dorés ou les héroïques généraux devançant leurs armées le sabre au clair et se frayant à eux seuls un passage à travers l’armée ennemie. Il serait, vous plus que quiconque me l’accorderez, fort dommageable que de telles inepties soient l’unique legs de notre connaissance aux générations futures. Ce château serait l’ancienne capitale, avant l’Arrivée et l’on m’a dit que c’était une merveille d’architecture. Je m’y serais rendu avec empressement si je n’avais été occupé par mes fonctions ici, à Port-Ceth — comprenez que les préparatifs des jubilés en l’honneur de Sa Majesté et le retour de la flotte simultanément me causent bien des tourments. Peut-être après tout ce tumulte et si la zone est moins troublée, pour calmer les craintes de mon épouse, me permettrais-je de venir la visiter. J’espère avoir alors l’occasion de rencontrer en chair et en os une légende telle que vous et je me permettrais alors de vous questionner brièvement si cela ne vous indispose sur votre famille et vos liens avec la famille royale étant donné que quoique communément respectés, ceux-ci demeurent assez abscons à ceux qui sont étrangers aux cercles royaux — même à l’aristocratie provinciale comme on se plait, je crois, à l’appeler, dans les cercles privés de la capitale.

                Je profite de cette lettre pour mander des nouvelles de l’armée et de son avancement ? Les rumeurs qui me sont parvenus font état de l’avancement de votre second, le général Janos qui vous succéderait bientôt ? On murmure en tout lieu la fin de votre illustre carrière ; j’ose espérer que ce ne sont là que ragots et que vous nous reviendrez victorieux de ces escarmouches et prêts à mener notre glorieuse armée vers d’autres conquêtes comme celles dont mes grands-parents déjà me faisaient le récit.

                En toute cordialité,

                Vast, Prince de l’Ouest.








Votre Excellence, Prince Vast,

                Nul besoin de me remercier pour une courtoisie qui me semble des plus élémentaires. Ce genre de travaux semble en effet digne d’intérêt ; j’en lirai le fruit avec plaisir. Il m’apparaît en effet absurde de laisser le récit de ménestrels enivrés comme unique témoignage historique d’une ère intéressante dont nos temps résultent. Quelques traités de stratégies m’ont d’ailleurs permis de découvrir dans ces ancêtres de valeureux généraux.  Peut-être même, si possible, me joindrais-je à vous ; ce ne sont en effet pas de simples rumeurs dont vous avez perçu l’écho : il va en effet être temps pour moi, dans un avenir proche, de laisser ma place à la tête de l’armée de Sa Majesté. Un siècle et demi de loyaux services m’ont permis de faire de celle-ci un corps efficace et prêt à défendre nos terres ; il est cependant sans doute temps de laisser place à du sang jeune pour la redynamiser et faire naître de nouvelles stratégies. Mon second, ce jeune lion de Janos est un général radicalement différent de moi : premièrement, il est bien plus charismatique et entraîne les hommes avec une facilité qui force l’envie ; mais plus encore, il privilégie des tactiques plus offensives et souvent plus audacieuses avec succès. Toujours est-il que lorsque ce sera fait, j’aurai du temps à accorder à des activités plus diverses ; si je peux apporter ma pierre à votre intéressant projet, ce sera avec plaisir. Je ne serai néanmoins plus présent au vieux château si vous parvenez à vous y rendre une fois vos occupations terminées. Les Bêtes s’agitent dans les forêts du Sud et il est plus que probable que je doive m’y rendre pour prévenir d’éventuels troubles. Je laisse toutefois une légère garnison sur place dans l’éventualité de votre venue, pour assurer votre protection.

                Ce message devrait vous arriver peu avant le début des jubilés si le messager fait bon voyage ; aussi vous serai-je gré de prévenir l’Amiral Kalio à son arrivée de la remontée imminente d’une flottille de pirates vers Port-Suase. Nos derniers renseignements n’indiquent pas s’ils ne font que remonter vers l’une de leurs îles qui leur sert de repaire ou s’ils ont des intentions belliqueuses.

                Avec tout mon respect,

                Généralissime Amanor.











Très Estimé Généralissime Amanor,

                Veuillez excuser le délai de réponse, les jubilés ont dévoré l’intégralité de mon temps libre et je sors bien exténué de toutes ces fêtes qui, heureusement, se sont déroulées sans incident. Sans doute resteront-elles dans les mémoires : l’arrivée spectaculaire de la flotte en plein milieu des festivités fut un spectacle qui restera ancré dans mon esprit pendant de bien longues années. J’ai transmis votre message à l’Amiral Kalio au moment même où il a mis pied à terre et il a dépêché deux navires pour suivre les déplacements de ces pirates. Je reste néanmoins stupéfait de ce que vous m’apprenez sur votre future retraite ; non que je n’estime point le Général Janos dont j’ai entendu le plus grand bien — il est d’ailleurs, si je ne m’abuse, lié par le sang à Sa Majesté dont il est le neveu — mais j’avoue que je n’aurai jamais cru qu’une figure telle que vous puisse un jour se retirer. Je suppose que vous êtes conscient du mythe vivant que vous représentez pour notre armée et du coup au moral que cela nous portera lorsque vous passerez la main, toutefois la confiance que vous semblez avoir en votre second me rassure quant à la transition, quoique j’avoue ne pas entendre grand-chose au jargon militaire, laissant ces questions au commandant de la garnison de Port-Ceth que je crois par ailleurs très compétent. Comme vous serez probablement déjà en mouvement vers le sud lorsque ce courrier vous arrivera, je n’aurai pas l’honneur de vous rencontrer pour le moment, d’autant que la fatigue accumulée lors des semaines passées m’incite à différer d’encore quelques jours mon voyage. Je vous souhaite donc d’emporter une nouvelle grande victoire contre les Bêtes du sud ; je pourrais à ce propos vous faire parvenir un volume rédigé par messire Cliosandre et moi-même sur la question de ces Bêtes et de leur mystérieuse origine. Je ne pense pas me tromper en affirmant que c’est des occupants de la Forêt Blanche qu’il s’agit étant donné votre position et le fait que leur dernière période d’agitation remonte à trois décennies environ, ce qui correspond généralement aux cycles d’activité de ces créatures.

                Il est probable par ailleurs que vous passiez aux alentours d’un campement d’Anciens, ces êtres étranges, aveugles de naissance qui, réunis en petite tribu, passent l’essentiel de leur temps à chanter des cantiques oubliées et incompréhensibles. J’ai lu des études à leur sujet et il est intéressant de noter que certains de ces chants ressemblent étrangement à certains de nos chants religieux voués au Dieu-Arbre, quoique dans une langue différente et différant par endroits. D’autre part, de vieux contes que m’a chanté un aède du nord, de passage à Port-Ceth l’an passé les décrivent comme des Enfants des Dieux et mentionnent que nous serions leurs descendants. Ces contes parlaient d’ailleurs des Anges et de leurs ancêtres — dont ces « Anciens » feraient aussi partie. Je ne sais où s’arrête les légendes et où commence la réalité, toujours est-il que cela m’intrigue grandement, d’autant que j’ai trouvé très peu de documents les mentionnant. Si vous pouviez vous assurer que les Bêtes ne leur fassent pas de mal, je vous en serai grandement reconnaissant.

                Cela m’amène à une autre de mes questions que je me permets de vous poser au vu de vos origines : je me pose depuis quelques temps déjà des questions quant à Sa Majesté et au mythe de l’Unification ; j’en connais certes le mythe populaire mais n’ait pas réussi à trouver un membre des Familles pour lui demander plus de détails. Aussi, si un soir, vous avez le temps de m’en faire votre récit, je vous en serai fort gré.

                Avec mes salutations et mes remerciements les plus distingués,

                Vast, Prince de l’Ouest





Votre Excellence, Prince Vast,

                Mes remerciements tout d’abord pour avoir transmis le message à l’Amiral Kalio ; j’ai reçu des nouvelles de sa part et il semblerait que la flottille se soit retirée sans problème, d’après son rapport. Deux navires seront néanmoins délégués pour surveiller leurs activités — de même que nos espions sur leur repaire au large de nos côtes — et vous tiendront informés de leurs déplacements : en effet, la position de l’île de ces malandrins fait de votre Duché la cible la plus évidente. Soyez assurés que tous les efforts possibles seront faits pour qu’ils soient remis à leur place ; l’Amiral Kalio souhaiterait même aller les déloger en personne mais la position de leur point de ralliement en fait une place forte qui amènerait la perte de nombreux navires de notre côté pour pouvoir les vaincre, ce pourquoi j’y ai opposé mon veto. Mais je perds à nouveau en vocabulaire militaire, veuillez m’excuser. Vous avez vu juste, nous sommes en effet en route pour la Forêt Blanche avec la Troisième Légion et arriveront probablement dans une semaine à l’heure où j’écris ces lignes et je précise que la lecture de ce volume dont vous me parlez m’intéresserait grandement ; en dépit de tous les combats menés contre cette engeance, je suis bien forcé d’avouer que j’en sais assez peu sur eux et que toute information pourrait permettre de faire évoluer nos tactiques à leur encontre. C’est ce genre d’ouvrages qui me font affirmer que votre travail, celui de ce messire Cliosandre est vital et devrait être bien plus encouragé ; je crains néanmoins que ce ne soit pas très à la mode dans notre belle capitale et simplement considéré comme une lubie ; c’est fort dommage.

                Nous tenterons d’éviter le campement d’Anciens ; mes éclaireurs me l’avaient en effet signalé et je m’arrangerai pour qu’on ne les trouble pas. J’en avais déjà croisé lors d’une campagne il y a quelques décennies de cela et cette rencontre m’avait marqué tant ces êtres semblent vivre hors du temps. Je connais certaines légendes les concernant mais aucune ne fait mention de ce dont vous me parlez ; c’est sans doute lié au fait que ce soit un aède nordique qui vous les ait conté ; ces peuples, à tort considérés barbares, se transmettent oralement toutes leurs légendes avec assiduité et semblent posséder une bien meilleure mémoire du passé que nous autres. Une fois que j’aurais laissé l’armée de Sa Majesté entre les mains de mon second, j’espère pouvoir m’y rendre et me renseigner sur ces légendes ; peut-être m’accompagnerez-vous, vous qui semblez si intéressé par le passé ?

                Je profite qu’il y ait encore suffisamment de lumière pour répondre à votre interrogation sur le mythe de l’Unification que je connais en effet sans doute mieux que la plupart des ménestrels divers. Vous avez certainement déjà entendu la version la plus répandue — et la plus raccourcie — du mythe, selon laquelle alors que ces terres, divisées en provinces, étaient en proie à des guerres incessantes semblables à celles qui agitent les « Terres Sans Repos », Sa Majesté, le Premier Roi Unificateur serait descendu des Cieux et aurait peu à peu pacifié les Terres, véritable envoyé des Dieux en faisant de chacune de ces provinces indépendantes un Duché — comme le votre — et en confiant l’armée et la capitale à ses suivants qui l’auraient accompagné depuis les Cieux. Voici celle que l’on m’a raconté, il y a longtemps de cela : les Duchés, provinces indépendantes, luttaient sans cesse dans un jeu d’alliances et de trahisons, myriades de minuscules conflits nés de la cupidité et de haines se perpétuant — haines dont il demeure certaines traces encore de nos jours — lorsque se présentèrent au porte de l’Eternelle Cité, Pandara, un groupe d’une cinquantaine d’hommes et de femmes, tous grands, charismatiques et semblant revenir d’un long et rude voyage. Se présentant comme des émissaires des Dieux, ils demandèrent à rencontrer le Duc de Pandara, qui, jeune homme encore, venait de succéder à son père mourant. La nature des miracles qu’ils accomplirent pour prouver la véracité de leurs dires s’est perdue avec le temps, toujours est-il que le peuple, fasciné par ces êtres venus apporter stabilité et puissance à leurs contrées déchirées par la guerre, les acceptèrent immédiatement ; la suite ne diffère que peu : leur dirigeant fut couronné et désigné comme le Roi Céleste, brandissant les artéfacts désormais symboles de son pouvoir. S’ensuit alors l’Unification, qui se fit parfois par la foi, mais souvent par le fer et le sang. Les vieilles croyances païennes furent remplacées par le Panthéon aujourd’hui encore reconnu et révéré et le Roi se présenta comme le Pont entre nous autres mortels et ces Dieux, attestant de cela par ses pouvoirs qui soutinrent mentalement et physiquement son armée, lui apportant la victoire. Peu à peu, cette petite contrée, isolée et meurtrie, devint le fondement du vaste royaume qu’il est aujourd’hui, dont la taille a triplé et qui contrôle tout l’Ouest du continent. Voila ce que je sais et dont je suis presque certain ; rien dans ce que j’ai narré n’est embellissement de ménestrel car c’est directement issu des archives de ma famille. D’où venaient-ils exactement ? C’est là un mystère pour moi ; peut-être la famille royale en sait-elle plus.

En espérant vous avoir éclairé quelque peu,

Respectueusement,

Généralissime Amanor.


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