Rapport à l’attention du Haut Général Janos.
Conformément aux instructions qui m’ont été livrées, j’ai atteint il y a deux lunes la petite ville au nord-ouest du Saint-Empire, tel qu’il est désigné ici. La proximité de la frontière devrait faciliter la transmission de mes rapports qui, comme prévu, transiteront par l’attelage de commerçants jusqu’à la Cité Marchande et, de là, seront acheminés jusqu’à vous.
Mon premier constat ici est que les gens sont différents des Pandarians. C’est sans doute parce que c’est une société récente, bâtie sur les ruines de royaumes décadents. Tout le monde ne semble pas savoir parfaitement où est sa place. Pour ce que j’en ai vu, les gens semblent vouloir se montrer ouverts et bienveillants selon l’idéal de la Lumière mais ne parviennent pas à se débarrasser d’une méfiance assez bizarre. Pour ce qui est de cette « Lumière », je n’ai pas récolté suffisamment d’information sur leur culte païen pour en faire un rapport pertinent. La seule chose que je peux en dire, c’est qu’ils semblent nier les Trois Dieux, aussi étrange que cela puisse sembler.
Le village dans lequel je suis installé est principalement constitué d’une grande allée, son centre en est le temple. Celui-ci me semble plus récent que les autres bâtiments. L’avantage d’avoir pu m’installer ici est que nous sommes à proximité d’une garnison et que les soldats semblent avoir leurs habitudes à l’auberge de la rue — « A la bière bénie » ; leur culte semble être une obsession maladive. J’ai pu, pas plus tard que la nuit dernière, bavarder avec l’un d’eux, autour de quelques bières. Je suis parvenu à l’inciter à me parler assez longuement de leur armée et de son fonctionnement. Voici ce que j’ai appris :
Leurs soldats sont essentiellement des volontaires levés parmi la population. Ceux-ci, s’engageant, doivent quatre années de service, qu’ils pourront renouveler. Apparemment, ils n’ont pas d’obligation à s’engager mais il est bien vu d’aller servir la Lumière et ceux qui ne le font pas ont mauvaise réputation. Il y en a un dans ce cas, près de chez moi et les gens semblent l’éviter. Ce soldat à qui je parlais en était à sa « seconde levée » — ce sont ses termes. Apparemment, pendant ces quatre ans, ils sont affectés à un régiment, commencent par une année en garnison au cours de laquelle leur entraînement est peaufiné. Les deux années suivantes, ils sont envoyés sur l’un des fronts actuels — ils semblent s’éteindre au Sud, vers les jungles, en longeant la côte pour ne pas empiéter sur le territoire Aziar. Ce n’est bien sûr pas dans mes compétences mais peut-être, ai-je pensé, qu’il serait possible de créer des tensions dans cette région. Je reviens à l’armée : la dernière année est constituée de patrouilles dans le centre de l’Empire. La « seconde levée » semble sur le même modèle, excepté que le temps en garnison est moindre, les soldats étant déjà aguerris.
Un simple soldat peut éventuellement parvenir au rang de Sergent-chef mais guère plus. Les lieutenant et officiers supérieurs sont issus de la noblesse ou de l’aristocratie. Leurs forces sont divisées entre cinq Armées : une pour chacun des points cardinaux et une gardant le cœur de l’Empire. Les régiments transitent apparemment d’un commandement à l’autre de sorte que chaque Armée demeure d’une taille identique. Chaque armée a son commandement et à sa tête, un Général. La Première Armée — celle qui défend le centre de l’Empire — est directement commandée par le chef suprême, lui-même nommé par l’Empereur. Ce chef est pompeusement nommé « Maître de Guerre ».
Mon prochain rapport sera transmis comme prévu dans deux lunes.
Pour la gloire de Sa Majesté et de Pandara,
Votre serviteur.
(suit un sceau étrange représentant un œil mi-clos)
Votre missive est parvenue à destination. Nous saluons votre courage et votre loyauté pour avoir accepté cette mission, lourde tâche s’il en est. Les informations que vous nous avez transmises soulèvent la plus grande attention et seront examinées avec l’intérêt qu’il leur convient.
Dans l’attente de votre prochain rapport,
Capitaine Ethios, ordonnance personnelle du Haut Général Janos.
Généralissime,
Suivant vos instructions, j’ai veillé à la mise en place d’un réseau d’informations et de surveillance au sein du Saint-Empire. Quoique les Terres Sans Repos et les Terres Sans Maître, où veillent la Cité Marchande et les autres Cités Neutres, nous séparent de cette puissance jeune et ambitieuse, je comprends vos soupçons et vos craintes. Leur armée semble bien organisée et vu ses succès pour pacifier l’Empire et s’étendre au sud, je suppose que certains de nos traités militaires circulant dans la Capitale leur sont parvenus. Ils ont dû calquer dessus leur stratégie d’expansion et de ravitaillement.
Néanmoins, le rapport d’un des informateurs précise que leurs invasions au Sud les amènent à proximité des frontières orientales aziares. J’ai fait parvenir une missive à un marchand qui œuvre pour nous dans la région, j’attends son rapport quant à la perception de notre vieux rival quant à ces chiots impériaux. J’ai dans l’idée qu’un peu de désinformation pourrait exacerber la tension entre les deux. Cela aurait le mérite de détourner l’attention des Aziars de notre propre frontière orientale et de freiner un peu la montée impuissance de ce « Saint-Empire ». Je sais que la passation de commandement devrait avoir lieu bientôt mais vous êtes toujours le Généralissime et je m’en remets à votre commandement. D’autre part, même quand vous serez retirés, j’espère pouvoir continuer à vous demander conseil ; votre expérience me fait cruellement défaut.
Respectueusement,
Haut Général Janos.
Rapport à l’attention du Haut Général Janos.
Les gens commencent à s’habituer à ma présence et mon commerce voit le passage de clients réguliers. Je vais sous peu commencer à me montrer plus osé auprès d’eux quant à mes interrogations, dans l’espoir de vous apporter des informations plus complètes.
Mes investigations quant au culte impérial ne sont pas encore achevées, j’ai bon espoir de pouvoir vous faire part de mes découvertes dans mon prochain rapport. Pour l’heure, c’est sur la justice impériale que j’ai pu rassembler un certain nombre d’informations. Je n’étais pas sûr que cela entre dans le cadre de ce que je suis censé glaner mais je me suis dit que connaître son ennemi ne pourrait qu’aider nos armées.
C’est en allant à la taverne que la force des choses m’a poussé à examiner la manière dont fonctionne leur justice. A peine arrivé aux abords de l’auberge, un gredin me percuta en tentant de fuir des soldats qui le talonnaient. En me renversant, il perdit lui aussi son équilibre et fut donc attrapé et entraîné de force par les soldats. Je dus les suivre pour qu’on s’assure qu’il ne m’ait rien volé et par curiosité, je restais dans l’espoir d’assister à sa condamnation, qui fut prononcée par le plus gradé de la garnison, un lieutenant, après avoir écouté l’avis d’un prêtre. Le voleur ne fut ni exécuté, ni battu, ni fouetté mais il dut, entre autres, rembourser sa dette. Tout cela ne put que m’intriguer et j’ai pu me renseigner sur la manière dont sont sanctionnés les méfaits.
Leur justice se veut à la fois garante de l’ordre mais elle est aussi prononcée au nom de leur Lumière. C’est pour cela qu’il faut un prêtre pour chaque condamnation. Un délit mineur entraîne une obligation de remboursement mais celle-ci est double : le voleur a certes volé un autre homme mais il a aussi « insulté la Lumière », disent-ils. Il doit donc rendre ses biens à sa victime, le dédommager et dédommager également le temple de la Lumière le plus proche. Comme, évidemment, le voleur ne peut généralement pas payer de dédommagements et parfois ne peut pas rembourser sa dette, il est assigné à des travaux publics, comme réparer une route ou participer à la construction d’un bâtiment. Dès lors, il obtient théoriquement une paie qui sert à financer sa nourriture et à rembourser sa dette. Je n’ai pas pu avoir de renseignement sur combien de temps ce genre de travaux prenaient effectivement, les personnes à qui je m’adresse n’y ayant apparemment pas fait attention. Quant à l’insulte à la Lumière, elle n’est plus dédommagée par l’argent, dès lors que le voleur ne peut pas rembourser directement. A la place, on va lui attacher aux poignets, pendant toute sa condamnation, de petits objets en métal très lourd représentant des outils de voleur, ou autre, qui lui rappelleraient son crime. Comme son travail en est rendu bien plus pénible, l’idée est qu’il en viendrait à mépriser son ancienne activité et revenir dans « le droit chemin » et accepter la Lumière. Je ne suis pas certain que cela soit très efficace mais j’ai trouvé cela intéressant.
Les crimes et autres actes graves sont punis plus sévèrement mais il y a une certaine sobriété qui est conservée. En général, c’est la peine de mort qui est pratiqué, par décapitation ou par pendaison. Ils n’emploient néanmoins jamais les supplices et autres tortures, comme cela se fait en général dans les Terres Sans Repos, dans certaines Cités Neutres et, m’a-t-on dit, chez les Aziars. Sans doute à cause de leurs croyances. En tout cas, la Lumière a aussi son mot à dire vis-à-vis de ces peines : selon la gravité du crime et l’attitude du condamné, un prêtre va lui graver au fer rouge un signe différent. L’un signifie que l’exécuté a commis un crime mais qu’il continue d’exister, l’autre signifie que la Lumière ne peut pardonner à l’individu, qui n’existe plus à ses yeux. Cela est toutefois très lié au culte que je devrais pouvoir vous décrire plus précisément dans mon prochain rapport.
Pour les actes du quotidien, que ce soient des disputes familiales ou des désaccords commerciaux, il faut s’en remettre à un émissaire de l’Empereur ou au soldat le plus gradé de la garnison s’il n’y a rien de tel, comme dans la ville où je me suis installé, pour certains cas et pour d’autres à un prêtre. Je ne sais pas exactement comment l’on sait à qui s’adresser, cela se fait plutôt par habitude. Il semblerait que ce qui se passe dans la rue ou à l’extérieur concerne l’ordre public tandis que ce qui se passe au sein des maisons soit pris en charge par le prêtre.
Pour la gloire de Sa Majesté et de Pandara,
Votre serviteur.
(suit un sceau étrange représentant un œil mi-clos)
Votre missive nous est bien parvenue. Quoique le rapport ait été jugé intéressant et donne lieu à certaines études spécialisées, vous devez vous rappeler que votre mission est certes d’en apprendre plus sur ce jeune Empire mais principalement dans une visée militaire. Aussi cette description de la justice impériale est probablement moins utile que le rapport que nous attendons sur les croyances de ce peuple.
Dans l’attente de votre prochain rapport,
Capitaine Ethios, ordonnance personnelle du Haut Général Janos.