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On connait de ces récits retrouvés dans les circonstances les plus improbables, bouteille jetée à la mer ou codex de tombe. Et plus ces gens mettent d’efforts à nous convaincre de leur découverte, et moins nous les croyons. Moi dont la profession m’a amené si souvent à retrouver, dans quelque grenier ou cave, ces manuscrits rongés par l’âge ou dans les tiroirs des journaux anodins parés de tout ce qui fait l’acte littéraire, j’apporte du crédit à ces parcours étranges, véritables aventures sur l’aventure, qui nous remet que notre siècle pour des objets aussi insignifiants que l’écriture n’est pas encore vide de surprises.

Voilà mon tour venu, de présenter ma trouvaille, dont on niera avec tant de forces la péripétie qui me permit de l’obtenir. Qui blâmerais-je ? La prudence en cet art et le doute calculé sont nécessaires pour ne pas tomber dans des pièges trop ridicules. Certainement, la manière dont j’acquérais cet ouvrage, s’il avait été le fait d’un autre, je m’en serais moqué aussi. Ridicule ? Absurde. Il me faut bien à présent le rapporter.

Car ce que j’allais lire me marqua si profondément qu’encore à présent ma main hésite à le décrire. Si je dis main je devrais dire autre chose, et ce fut plutôt le coup du sort quand quittant le congrès je tombai sur cette coupure de journal, datée du jour passé, qui reprenait mot pour mot mes préoccupations. Mon voyage me menait en la tranquille, la paisible ville de Lable où je ne parvenais pas à retrouver l’édition, au lieu de quoi ma pérégrination de rencontre en rencontre trop fantastiques à mes yeux pour être rapportées ici, de fou en fou aboutit au sous-sol d’une maison quelconque dont seul le carrelage me reste en mémoire. Là entre les pieds d’une chaise en bois je trouvais un épais rouleau scellé tant de fois que je crus qu’on me jouait un tour.

J’y ai découvert l’histoire de royaumes qui n’existent pas et que je ne peux rapporter à aucune carte. Le lieu encore n’est rien : j’y lisais une société sans logique, une histoire qui m’échappe en cette heure toujours  totalement.

Sans doute est-ce parce que je n’ai pas fini de le déchiffrer, tant la lecture devient difficile arrivé en fin des  textes. Si dans mon agacement j’ai brisé tous les sceaux, je n’ai pas encore lu ce qui suit le dernier. Rien que la syntaxe m’a subjugué, car jamais je n’avais vu de phrases aussi compliquées, aussi tordues pour rien ! Je me suis appliqué à les reformuler, à rendre leur lecture possible, leur sens explicite malgré l’impensable confusion de l’ensemble. Ce travail de clarification ne pourra que jouer en faveur du récit, lequel ne gagnait rien à des expressions embarrassées et ces tournures si insensées qu’elles en étaient insignifiantes. Là où je n’ai pas pu corriger, qu’on m’en excuse, et qu’on saute ces passages.

Enfin il me faut justifier tout ce travail et que quelqu’un se donne la peine d’en profiter. À la fin cette histoire est devenue mon histoire – non que je m’y sois vu agissant, ne soyons pas grotesques – mais je ne lisais plus la destinée de ces personnes et de ces lieux, j’en prenais la charge et décidais de leurs actes, non encore que le texte fut magique ou qu’à sa lecture les événements se déclenchaient autour de moi, mais parce qu’à l’intérieur tout était possible. Dans ce récit sans frontière j’ai pu me perdre et sans le labeur de la traduction qui me pèse de plus en plus, j’aurais la tentation de n’en plus revenir.

Car au fond, et c’est une question qui vaut de se poser, est-ce bien à moi de faire vivre ce que contient le texte, ou est-ce au texte de me faire exister ?

 

Higuain Barnable

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