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 Chap 9 : A l’Aube d’un Grand Rêve

 

  

Installés sur les premières hauteurs de l’île pour observer les environs du débarquement, les vuldoniens pouvaient découvrir une bonne moitié de la Lisonge et également les sept bateaux qui attendaient paisiblement un peu plus au large. Le paysage qui s’offrait à eux ne dégageait plus ces relents douloureux qui les avaient accueillis dans les décombres de l’ancien temple mais une douceur de vivre plus paisible que les premières lueurs de l’aube drapaient de ses habituelles couleurs pastel qui débordaient généreusement sur l’océan jusqu’à le rendre irréel. Tous étaient comme enveloppés par l’incessant ressac des vagues interminables qui tantôt s’échouaient sans souffle sur la plage, tantôt se fracassaient violemment contre les façades rocheuses de l’autre versant de l’île et qui, l’un ou l’autre, résonnaient au final guère plus qu’un lointain murmure à leurs oreilles. Face à cet incessant et immuable spectacle, il était difficile pour l’Œil de Dieu d’y projeter la moindre vision prémonitoire de de ce qui allait bientôt s’y abattre. D’ailleurs, sa nervosité se mesurait aisément à son louchement grossier et ridicule, qui lui avait valu son surnom, comme s’il avait perdu le total contrôle de son œil droit. Ses compagnons, pourtant familiers à ce trouble si particulier, ne délivrèrent cette fois aucune des blagues habituelles. Au contraire, ils le fuyaient du regard pour ne pas sentir cette même angoisse monter en eux, à fixer cette image qui incarnait précisément leur lutte sur eux-mêmes.

 En fait, il était assez simple de découvrir ce qui attendrait les yhlaks dès que les équipages eldreds auraient quitté l’île, si possible avec tous les enfants comme l’espérait le prêtre. En effet, les yhlaks s’étaient principalement étalés de la plage du débarquement au temple, et plusieurs groupes avaient passé la nuit au milieu des débris du cercle de monolithes rouges. Comme Gisère avait réclamé des mouvements de foule pour amplifier l’effet de la damnation de Vuldone, les cinq prêtres s’étaient partagé les rôles : deux pour approcher des monolithes, deux pour la plage et le dernier pour cibler des groupes isolés plus au sud. Pour l’heure, ils les voyaient encore dormir sur la plage, autour des cendres des feux qui avaient été érigés pour fêter leur retour en Lisonge.

   

Puis, il y eut les premiers mouvements sur la plage, visiblement des hommes d’équipage eldreds. Ils profitaient du sommeil de leurs ennemis pour faire un rapide état des lieux. Quelques marins cherchèrent les enfants endormis, et les premiers canots commencèrent à partir. En à peine une heure, il ne resta plus que les yhlaks sur l’île. On vit alors les voiles des navires se hisser et leurs silhouettes voguer vers le large.

 Les vuldoniens n’avaient pas attendu ce moment pour descendre de leur promontoire et regagner leur position près de l’emplacement qu’avait choisi le magicien d’où il lancerait son rituel à l’aide des multiples glyphes mystérieuses et colorées au sein d’un cercle qu’il avait tracées sur le sol. Pendant le temps de leur trajet, peu à peu, les yhlaks s’étaient réveillés et commençaient à s’organiser pour cette nouvelle vie qu’il fallait rebâtir sur ces terres encore quasi inconnues pour eux. Aucun n’imaginait à cette heure encore si matinale la menace qui s’abattrait bientôt. Ainsi, ils constituèrent des groupes pour construire des maisons, d’autres pour chasser ou pour travailler la terre de manière à nourrir tout leur peuple, qui bientôt serait réuni, et enfin un dernier pour définir le nouveau projet de temple à ériger vers le cercle des pierres rouges.

 Cette soudaine énergie du peuple yhlak prit de cours les vuldoniens car elle le disperserait sur toute l’île. Par défaut, ils décidèrent de se focaliser sur ceux qui se tiendraient sur la plage et dans le giron du Monolithe rouge pour les en éloigner en attirant sur eux l’attention du mieux qu’ils pourraient. Sans trop savoir pourquoi, l’Œil de Dieu s’était désigné volontaire pour le groupe resté autour des vestiges de temple. Pour les provoquer, les vuldoniens comptaient sur leur rancœur si ancrée contre leur Ordre qui avait diligenté les massacres et la profanation de la Lisonge, ainsi que sur l’arrogance de leur tenu au milieu de cette nature, avec son bleu cobalt et sa bande centrale cyan. Bleu comme la couleur de Vuldone. Un bleu qui s’opposait avec force à celle du rouge d’Okkor et qu’ils s’apprêtaient à faire régner à nouveau sur l’île en exterminant les derniers descendants des yhlaks, après avoir saccagé, il y a si longtemps, ce sanctuaire sacré. Les religieux progressaient chacun maintenant d’arbres en arbres, de manière à peu près coordonnée, pour pouvoir approcher suffisamment de leurs cibles et dissimuler du mieux qu’ils pouvaient cette couleur incongrue dans la nature de l’île, où dominaient les bruns et les verts de toute sorte, avec parfois des bandes blanches de sable emporté par le vent sur le sol noirci d’humus.

 L’Œil de Dieu, en tant qu’ancien capitaine de troupes, avait davantage l’expérience du terrain. Il se déplaçait ainsi avec plus d’aisance et de méthode. Parfois, il distribuait des consignes par geste que ses compagnons peinaient à comprendre. Curieusement, chaque halte derrière les arbres lui rappelait son dernier combat à la tête de son armée. Une bataille qui s’était également déroulé dans une forêt, certes beaucoup plus dense et vaste, et qui avait abrité des elfes noirs, avec une fort étrange unité de furies. Une bataille dont l’issu avait été à l’origine des sanctions qui pesaient encore sur lui parce qu’il n’avait pas agi selon la logique de son Ordre. Et plus il s’approchait du cercle de monolithe et plus il comprenait pourquoi il n’avait pu anéantir ces elfines qui s’étaient battues avec une surprenante dignité là où il n’aurait attendu qu’hystérie et soif de sang. Contre toute attente, alors qu’elles étaient submergées par leur nombre, il leur avait, accordé sa clémence et un réel respect, en échange de leurs soins pour sauver ses hommes que le poison des lames elfiques avait ravagés. Du moins, c’était ce qu’il avait toujours cru. Aujourd’hui, il réalisait qu’il n’en était rien, il l’avait fait pour tout autre chose. Pendant un court instant, le peuple humain et elfe noir s’étaient rapprochés l’un de l’autre dans une dimension commune qu’il considérait comme universelle, une idée pourtant impensable au sujet d’une race si cruelle, et qu’il devinait aussi dans ces hommes fraîchement débarqués sur ces terres si sacrées à leurs yeux. L’Ordre de Vuldone ne l’avait pas compris la première fois puisqu’il l’avait banni de son commandement et il le comprendrait encore moins cette fois-ci. Ainsi, curieusement, alors qu’il prenait une nouvelle fois position derrière un arbre en faisant signe à son voisin de progresser à son tour, il ressentait à l’égard du peuple yhlak le même sentiment que vis-à-vis des mystérieuses furies, un mélange de respect et de compassion fraternelle pour ce qu’ils représentaient, quelque chose qui les rendait pareils à lui-même, pareils à l’ensemble des eldreds et qui l’empêchait de les condamner de la sorte.

 A nouveau, son vis-à-vis sur la gauche l’invita à progresser, cette fois-ci pour franchir les cinquante derniers mètres qui les séparaient des monolithes rouges saccagés. Il le regarda un instant, sans bouger, en se disant qu’il n’était définitivement pas comme lui. Pour se le prouver, il devait à tout prix trouver dans les instants qui lui restaient le moyen d’éviter ce carnage. Malheureusement, des hurlements du côté plage l’arrachèrent à ses pensées. Deux silhouettes bleues s’enfuyaient déjà. Il chercha des yeux d’où venait la menace mais ne découvrit rien. Seulement, l’animation et les cris parmi les rangs yhlaks ne faisaient que gonfler, se propager jusqu’à l’encercler s’il ne bougeait pas. Déjà, tous ses compagnons rompaient la ligne pour se replier. En quelques secondes, il se trouva seul face à son choix : il pouvait soit se sacrifier pour prévenir ce peuple inconnu ou soit fuir à son tour comme les autres. Lâchement, il se mit également à courir, aussi vite qu’il le pouvait afin de rattraper son retard. Pourtant, il avait bien tenté d’ouvrir la bouche pour leur dire la vérité, mais le son de sa propre voix lui était apparu trop effrayant pour prononcer un seul mot. Des mots, au pire, réduits à l‘état de bruit signalant sa position et, au mieux, inutiles dans une langue étrangère car, dans le feu de l’action, rien servait plus à parler à tous ces hommes au lourd et humiliant passé quand se tenaient devant eux les bourreaux éternels de leurs ancêtres.

 D’ailleurs, derrière lui, tout un groupe d’yhlaks le pourchassait maintenant. Alors, il ne vit plus la forêt, ni ses branches mortes sur le sol qu’il fallait sauter ou éviter à cause de leur taille. Seul son instinct de guerrier le guida au milieu de cet immense tapis de feuilles disparates qui dissimulaient la terre et volaient parfois sur son passage. Un instinct qui lui dicta de sauter par-dessus ces broussailles, un instinct qui lui évita cette zone devant lui trop sableuse qui aurait freiné sa course et qui lui cria de ne surtout pas prendre à droite mais à gauche, à cause de l’immense arbre mort qui joncherait le sol plus loin. Le prêtre chercha d’ailleurs à prévenir son voisin, dont il voyait la cadence faiblir, mais malheureusement un peu trop tard pour qu’il gagne du temps à le contourner. Et derrière lui, les yhlaks se regroupaient, s’organisaient, se stimulaient à la vue de ses proies vêtus de bleu et qui les insultaient une nouvelle fois par leur arrogance. Les plus rapides gagnaient du terrain. Partout des voix résonnaient désormais dans la forêt. D’un bref regard, il identifia un deuxième groupe à sa poursuite avec son voisin. Côté plage, c’était pire, car leurs ennemis disposaient maintenant de flèches.

 

Au fur et à mesure qu’on s’enfonçait dans les terres, le bois qui les entourait se faisait plus dense. Broussailles et branches entravaient fréquemment sa course. Et toute son attention se focalisait sur ses seuls appuis et ses trajectoires à optimiser. Comme tous ses compagnons convergeaient vers Gisère qu’on n’apercevait pas encore, les archers les auraient bientôt tous à porter. Alors la curieuse image du bâton au cœur du cercle se fixa dans son crâne. Le magicien les avait prévenus… Il fallait qu’il y soit encore planté sinon… De combien de temps le magicien aurait-il besoin quand il les verrait? Il l’ignorait. « Pas longtemps en tout cas, car sinon nous serons tous morts. Et pourvu qu’aucun yhlak ne l’ait déjà repéré !». Il leva rapidement la tête. Devant lui, la pente se redressait, il accéléra encore pour prendre son élan. Désormais, d’imposants rochers parsemaient le sol, annonçant une prochaine avancée montagneuse. Des troncs d’arbre plus imposants y sortaient leurs racines comme d’énormes serpents qui se frayaient leur passage dans la terre pour la retenir. Enfin, un peu plus haut, se tiendrait une clairière sur un léger plateau où les attendait ce foutu magicien.

 L’Œil de Dieu avait déjà rattrapé son voisin moins entrainé. Les autres étaient à guère plus de vingt mètres devant lui. Derrière, il devinait les yhlaks toujours en train de grignoter du terrain. Comme il l’avait prévu, ses compagnons du côté plage avaient fini par ramener sur eux la menace des flèches. Parfois, elles sifflaient dans l’air et déchiraient les feuillages avant de s’encastrer de plein fouet dans un tronc tout proche. Heureusement, une centaine de mètres restait à parcourir. On apercevait désormais Gisère qui avait pris sa position dans le cercle, toujours avec le bâton toujours planté en son milieu.

 A nouveau un cri, tout près de lui. Il se retourna brièvement. Un des prêtres venait de tomber par terre. Une flèche dans la cuisse. Il l’aperçut en train de se redresser, avec une affreuse grimace, et claudiquer dans sa course. « Mon pauvre, tu t’en sortiras jamais. » Devait-il le sauver au risque de mourir tous les deux? Et cela servirait-il Vuldone pour autant ? Son instinct lui dicta de ne pas ralentir sa course. Toujours et encore l’instinct. Pourtant, il n’en eut pas le moindre besoin pour se savoir infiniment lâche.

 Dorénavant, tous courraient en zigzagant et se servaient des arbres pour se protéger illusoirement des projectiles qui pleuvaient de plus en plus régulièrement autour d’eux. Encore des cris. Plus loin. Juste derrière. Il ne se retourna pas cette fois-ci. Plus près encore, des sifflements de flèches avec leur bruit d’impact.  Sec, violent, dans le bois. Ou, dans une envolée de feuilles, assourdi par le sol sableux.  Un peu plus loin devant lui, Gisère s’agitait davantage, comme s’il avait été pris de cours lui aussi par la rapidité de la menace. Sans doute même avait-il commencé le rituel. Pour la première fois, une flèche se logea non pas derrière mais devant lui dans la terre. Plus loin, un autre prêtre tomba sur sa gauche, la poitrine traversée par une pointe acérée. « Mais, bon Dieu, inutile de l’aider celui-là, se dit-il en voyant pourtant un prêtre se pencher sur lui. Il avait cru hurler l’ordre mais il n’en fut pas sûr. Son souffle se faisait court et sa cadence ralentissait elle aussi.

 A quelques mètres de lui s’ouvrait la clairière qui accueillait le cercle. Gisère avait la main sur le bâton et les regardait de l’air suppliant de celui qui n’avait plus le choix. De nouveaux sifflements de flèche. Plus près. Plus fort. Sans jamais deviner leur direction. Juste attendre l’impact et serrer les dents plus fort, au cas où, pour ne pas cesser de courir. Puis, sa bouche cracha un râle.A chacun de ses pas, une douleur, vive, déchira soudain sa chair au niveau de la poitrine. « Pas le poumon, j’espère !» Devant lui, il n’y avait plus d’arbres pour se cacher mais cette belle zone à découvert qu’offrait la clairière et qui ferait plaisir aux archers. « Tiens bon, plus que trente mètres ». Il grognait un peu plus fort malgré lui. «Courir en serrant les dents, rajouta-t-il, tu l’as déjà fait, alors, bon sang, cesse de te trainer !». Les yhlaks se tenaient juste derrière lui.

  

 Dans les yeux du magicien se lisait maintenant un immense effroi, avec sa main toujours cramponné au bâton qu’il hésitait à retirer. Sa voix commençait à psalmodier des mots que lui seul devait comprendre. Quelques projectiles prenaient aussi sa direction, mais un vent semblait les affaiblir et les détourner. Il observait la scène, pour l’heure impuissant.

 Plus que dix mètres. La blessure de l’Œil de Dieu ralentissait sa cadence. Il n’entendait plus seulement les voix des yhlaks mais leurs pas fougueux, leur souffle. Très près. Bien trop près. Une nouvelle douleur le transperça. Dans la cuisse, cette fois-ci. Puis, un vuldonien tomba. Mort à quelques mètres du but. Comme ce malheureux, lui aussi était à deux doigts de s’effondrer. « Le cercle… Le cercle », martela-t-il pour se motiver. Le souffle court et encore plus douloureux, il donna toutes ses forces sur les derniers mètres. « Ce cercle… Enfin ce foutu cercle ! ». Il s’affala dedans, épuisé. Un autre prêtre venait in extremis de le devancer pendant que la voix de Gisère, encore plus érayée et aiguë que d’habitude, monta dans l’air, mais avec une puissance insoupçonnée. Son visage aussi était transfiguré par la concentration. Quand, enfin, il arracha du sol le bâton en poussant un grognement rauque, ils étaient seulement deux vuldoniens à avoir réussi. Tout autour, les yhlaks se précipitaient sur eux en mettant toute leur rage pour parcourir les quelques mètres qui les séparaient de cet étrange personnage qui les défiait dans son arrogante immobilité.

 Alors, tout sembla changer comme si la nuit tombait. Plus aucun son ne parvint à l’Œil de Dieu, seule la voix du magicien continuait de couiner à s’en boucher les oreilles. Le monde extérieur n’existait plus, la forêt n’existait plus, la menace des yhlaks n’existait plus, tout avait disparu, comme si tous les trois étaient cachés dans un cocon. Un étrange sentiment de calme s’empara de l’Œil de Dieu, malgré l’intensité de la douleur de la blessure et de son poumon transpercé. Lentement, il se redressa, aidé par son dernier compagnon, lui-même blessé. Chacun se regardait sans comprendre. En même temps que cette sensation d’apaisement les enveloppait, la nuit autour d’eux avait aussi quelque chose de profondément oppressant dans cet espace si étroit qui les cloitrait. La voix, toujours cette voix, résonnait autour d’eux, mais le prêtre ne l’entendait plus vraiment. Elle devenait comme une musique, comme le bruissement du vent, comme un écho lointain d’un monde en train de disparaitre. Et plus elle se perdait dans sa tête, et plus il eut l’impression que la nuit s’agrandissait autour d’eux.

 Puis, un grésillement parcouru le sol, là où le magicien avait inscrit ses signes, avec une douce lumière qui en émanait, accompagné d’une succession de petits sifflements. Et là, un ciel immense s’ouvrit à eux avec, à la place des étoiles, comme des filets de petites cascades lumineuses vert-de-gris dans tous les sens. Au fur et à mesure que la nuit se parait de la sorte, les sifflements gagnaient en puissance, mais ses oreilles les ignorèrent à leur tour, comme si seul le spectacle devant leurs yeux avait une réelle importance. L’Œil de Dieu se sentait bercé par tous ces bruits, tandis que sa tête tournait sous l’effet de la fièvre. Soudain, des mains le soutinrent tellement son corps restait lourd. Une autre voix plus lointaine se mêla à celle du magicien. « Attention qu’il reste bien dans le cercle ! ». Cette phrase brisa quelque chose en lui et lui donna l’impression d’être un duvet de plume porté par le vent et, partout au-dessus de lui, le ciel restait rempli de ce noir pourtant si lumineux.

 Alors, il fut submergé par une horrible angoisse. Il comprit que ses vagues sifflements cachaient sans doute la voix des centaines d’yhlaks en train de mourir. Qu’ils fassent si peu de bruits à ses oreilles en devint encore plus effrayant. Au contraire, il aurait voulu entendre leurs hurlements sans fin pour saisir l’horreur à laquelle il avait pris part. Pourtant, cette angoisse qui le saisissait venait d’ailleurs, tout du moins d’une voix qui le replongeait dans le monde du monolithe qu’il avait un jour défié. Il y avait en elle toutes les souffrances de ces martyrs mais aussi une autre qui s’y ajoutait, indéfinissable, et qui touchait les fondements d’un monde en train de vaciller, un monde dont le monolithe aurait gardé le secret et qui l’appelait au secours. Son souffle devint court et il peina à respirer. Il se sentit pris de panique et hurla à son tour. On se saisit de lui pour le calmer, mais il se tordait si fort que, pendant quelques secondes, le magicien interrompit  le rituel.

 Pendant ce court laps de temps, la nuit irréelle autour d’eux vacilla et des centaines de hurlements déchirèrent leurs tympans. Tous se bouchèrent les oreilles encore longtemps après que le cocon autour d’eux ne se refermât instantanément dès le moment où Gisère reprit sa longue litanie morbide. Seulement chacun garda en lui cette marque que les cris avaient imprimée en eux, comme si le voile pudique du silence du cercle rouge avait soudain été déchiré et laissait se déverser dans l’air qu’ils respiraient ce qu’il avait dissimulé pendant des siècles. Le temps pouvait désormais durer infiniment, ils avaient eu accès à cette petite parcelle d’horreur qu’ils avaient commanditée, comme s’il n’y avait eu en face d’eux des animaux qu’on menait à l’abattoir, alors que la souffrance déchirante de ces hommes en train de périr leur avait révélé, dans une impudeur effroyablement violente, que tous portaient en eux la même humanité. Désormais, chaque sifflement, aussi peu perceptible fut-il, leur susurrait, comme une confidence, cette soudaine vérité si simple et si évidente qu’ils venaient de détruire une partie d’eux-mêmes.   

 Quand le magicien finit par se taire, complètement épuisé et ne tenant debout que grâce au bâton à nouveau planté dans la terre qu’il tenait tout près contre lui, la lumière du jour réapparut comme si rien n’avait changé. Et d’ailleurs, l’île autour d’eux restait strictement la même, si ce n’était le sinistre spectacle d’ossements volés en éclats et surtout, partout, du sang qui éclaboussait de sa couleur le paysage. Parfois des restes de corps inertes jonchés sur le sol dans des postures improbables et torturées dont les visages sans vie et sans yeux les défiaient en sondant leur âme, comme si les ylaks avaient explosé de l’intérieur, déchirant leur chair et libérant leurs viscères. Tous se regardaient, sans oser comprendre ce qu’ils voyaient. Au-delà du sinistre spectacle qui commençait à attirer toute sorte de volatiles, l’odeur putride les saisissait jusqu’au cœur. Ils n’avaient plus que le silence à affronter, qui même lui semblait avoir capitulé pour mieux se taire.

 Gisère restait quant à lui immobile, les yeux perdus dans le vide, avec des larmes qui lentement en débordaient à leur tour pour serpenter le long des rides creusées de son visage. On l’aida à se relever sans qu’il ne semble comprendre. Peu à peu, même si chacun d’eux découvrait que, partout où ils portaient le regard, ils avaient la preuve éclatante qu’ils avaient rempli leur mission, personne n’éprouvait de joie ou de fierté d’avoir redonné un sens au surnom de Lisonge, l’Ile Rouge sacrée des yhlaks. Au contraire, une honte sans nom leur nouait le ventre, aussi forte que l’odeur de plus en plus insupportable qui les écœurait jusqu’à vomir à tour de rôle.

 Pourtant, une poignée d’yhlaks avait survécu à l’ombre du Monolithe rouge. Pour l’heure, ils étaient incapables de bouger, comme s’ils cherchaient toujours à comprendre ce qui s’était passé ou à s’extraire d’un cauchemar qui n’avait plus d’autre issu que de les réveiller. Plusieurs d’entre eux étaient pris de spasmes, d’autres prostrés dans un silence qu’ils déchiraient sans prévenir en hurlant comme des fous pendant de longues et insupportables secondes. Parmi eux se tenait Reyv’avih. A cette heure, il n’avait plus de rôle à incarner ou à cacher qui il était vraiment pour que son peuple croit en lui. Une rage grondait en lui, empli de toute la révolte qu’on ait pu s’acharner sur eux avec une telle cruauté aussi lâche, alors même que jamais lui n’avait été plus sincère pour les aider à vivre leur rêve. Et cette poignée d’eldreds avait rendu inutile toute velléité de se battre. Il errait des pierres rouges à la plage de sable blanc, de la plage blanche à l’écran de verdure du bois sans jamais voir autre chose que des corps éventrés et affreusement désarticulés et toujours ce sang qui recouvrait tout, comme si les vuldoniens avaient voulu les humilier en leur crachant dessus la couleur d’Okkor. Plus ce spectacle peuplait son âme et plus il aurait voulu déchaîner toute sa colère contre l’immense monolithe. En même temps, son ombre l’avait sans doute préservé, ainsi que la poignée de survivants qu’il croisait sans les voir et qui ne le voyait pas non plus, comme si tous appartenaient désormais à un autre monde fait de solitude et d’ombre infinie. Il n’y avait plus lieu de chercher la lumière mais à s’en cacher de manière à ne plus être aussi lucide sur le sort de son propre peuple.

  

 Pour les vuldoniens, il ne restait plus qu’à s’enfuir au plus vite à l’aide du sloop qu’ils avaient dissimulé en arrivant sur l’île. Et là, au milieu des vagues de l’océan et sous le ricanement des mouettes, chacun scruta longtemps l’horizon comme pour détecter les premiers signes susceptibles de les sortir du royaume des morts.

   

**

 *

 

  

D’abord, il y eut une rumeur, une immense et folle rumeur qui partit de Valdec pour conquérir pas à pas tout l’Eldred. Une rumeur qui tantôt donnait une incommensurable fierté d’appartenir à un peuple qui détenait les secrets d’une telle puissance, notamment pour tous ceux qui croyait si fort en Vuldone, tantôt un soudain dégoût d’être dirigé par une nation qui était désormais incapable d’imposer sa loi autrement que dans l’horreur, notamment pour toutes ces provinces que les eldreds avaient asservi par la force au fil de leur histoire. Et tout en haut, l’Empereur contemplait l’affreux vacarme que la victoire au final si amer avait apporté. Dès que l’Ordre lui avait annoncé sa volonté de recourir à Gisère, il avait su en lui cédant combien il allait dévoiler à tous ses adversaires sa propre faiblesse, qui devenait maintenant celle de tout son peuple. L’Empire des eldreds n’était plus la plus grande nation humaine, mais une multitude d’intérêts désormais divergents qui allaient soit se faire valoir de cette victoire aux yeux des autres, soit réclamer leur indépendance. Dans sa ferveur fanatique, l’Ordre de Vuldone n’avait certainement pas encore mesuré les conséquences de son acte. La seule issue pour l’Empereur consistait à faire, à partir de maintenant, régner partout la terreur avec l’aide de Gisère, un individu qu’il exécrait et qui, en fonction de son bon vouloir, aurait tout pouvoir sur lui. Loin de calmer les ardeurs des armées qui avaient franchi les frontières, le sort des yhlaks avaient décuplé leur volonté car ce formidable magicien ne pourrait jamais puiser infiniment dans ces forces obscures qu’il avait invoquées et déchaînées.

 Loin de ces enjeux, la communauté yhlak, qui était restée en arrière avec les blessés et qui campait non loin de Valdec, entendit elle aussi cette rumeur que d’abord on se refusa à comprendre. On la prit pour une basse manœuvre des eldreds pour les déstabiliser. Puis, à force de l’entendre, à force de précisions que colportaient les yhlaks natifs d’Eldred qui continuaient d’affluer, rien ne sembla capable de lever l’effroyable doute auquel chacun s’accrochait. Puis, chaque nouvelle qu’ils continuaient de recevoir confirma cette horrible rumeur, suffisamment pour que chaque femme commençât à comprendre qu’elle était sans doute devenue veuve, même s’il se disait qu’un groupe avait survécu à l’abri du monolithe rouge. On réunit alors ses affaires pour reprendre la route à leur tour et regagner au plus vite l’île sacrée. Tout au plus deux jours de marche seraient nécessaires pour atteindre Valdec. Peu importe comment ils feraient pour naviguer jusque là-bas, peu importe ce qu’ils y trouveraient, ils avaient ce besoin de se confronter à la réalité et de quantifier cette impensable vérité.

 Au milieu de tous, Lonstroek ressemblait à une ombre qui s’effaçait avec la nuit. A ses yeux, il était responsable de ce massacre qui n’était rien autre que son propre échec pour comprendre le mantra, justement parce qu’il avait fini par ne plus croire en lui. A plusieurs reprises, Vyréhel avait cherché à le bousculer pour qu’il réagît et répondît aux besoins de son peuple, mais elle le trouvait à moitié léthargique, recroquevillé sur lui-même et ses sombres pensées. Elle lui arracha parfois quelques consignes mais elle se douta qu’il les donnait principalement pour qu’elle le laissât en paix. Même le soir arrivé, sous leur tente, elle n’osa lui parler ou même le toucher. Il fixait le feu, se parlait à lui-même comme si elle n’existait pas, comme s’il faisait déjà partie d’un autre monde, celui de tous ces morts qui gisaient sur l’île. Quand il l’effraya trop, elle le prit par l’épaule et le conduisit sur leur couche. Et là, il resta dos à elle, toujours à fixer les cendres mal éteintes du feu qui rougeoyaient légèrement dans la nuit à travers l’entrée restée ouverte pour la fraîcheur. Elle se colla alors contre son dos et caressa longuement avec infinie tendresse sa joue et ses cheveux, comme le faisait sa grand-mère quand elle était triste, sans qu’il lui fût possible de savoir si elle parvenait à son tour à diffuser en lui le même apaisement.

 Puis, le lendemain, il y eut au loin cette masse informe qui s’approchait inexorablement d’eux, à la manière d’une armée. On envoya immédiatement les cavaliers pour jauger de sa puissance. A dire vrai, aucun yhlaks n’avait le cœur ou la force de se battre véritablement. Ils agissaient par instinct, voire même par routine et se seraient certainement laisser mourir plutôt que de se cramponner follement comme par le passé à cette vie qui avait abandonné tant des leurs. A nouveau, Vyréhel se mit à la recherche de Lonstroek pour qu’il remotive leur peuple et les guide dans leur ultime bataille qui se profilait à l’horizon. Elle finit par le retrouver tout à l’arrière de la longue caravane qui progressait au rythme des buffles qui tiraient d’innombrables chariots, avec une bouteille à la main, les yeux déjà brillants. Le voir se conduire ainsi la révolta. 

  • Tu n’as pas le droit de laisser tomber ton peuple ! Tu as peut-être celui de te lamenter, de te complaire dans le rôle de l’imposteur, mais aux yeux de tous, tu restes notre chef. Ils ont plus que jamais besoin de croire en toi !

  • Mais tu ne vois pas que je suis un mauvais chef et que je vous ai tous conduits vers ce massacre…  

  • Avec ou sans toi, les eldreds nous auraient de toute façon massacrés un jour. On le savait tous dès le moment où nous avons posé nos pieds sur cette terre. Alors arrête de te morfondre égoïstement. Bouge ! Agis !

  • Mais, ma belle, si tout est aussi simple, alors prends ma place, je te la laisse ! Et si tu as peur du regard des autres, alors je te présenterai à tous et ferai un beau discours… Tu verras, je suis très doué pour les beaux discours…

 Sa voix accentuait son air pitoyable en même temps que des gestes approximatifs cherchaient à donner une emphase à ses mots. La jeune femme le contemplait, la bouche ouverte de colère. Il la fixa avec un sourire à l’ironie effrayante et but à nouveau une longue gorgée à la bouteille. Elle aurait voulu le provoquer, le gifler, mais elle avait trop l’habitude des risques, d’autant qu’elle gardait ses craintes que lui avait transmises sa mère face aux hommes trop ivres pour être lucides et qui avaient hanté toute son enfance, comme le fameux fantôme qui s’était abattu sur sa mère, un soir, malheureusement pour elle trop isolée. Elle se résigna à l’abandonner à son ivresse et à le retrouver lorsqu’il serait juste bon à se coucher et à dormir. Après tout, elle n’avait pas à le juger, et elle n’était pas de force à lui ôter le poids qui l’écrasait à cet instant ; tout au plus, elle pourrait l’aider, lorsqu’il se réveillerait avec sa gueule de bois, à ne pas reprendre une autre bouteille. Elle l’abandonna définitivement à son sort quand elle devina, à l’agitation qui montait autour d’elle, que les cavaliers étaient revenus.

 A sa grande surprise, elle ne lisait pas d’inquiétude mais au contraire l’expression d’une sorte de soulagement. En effet, devant eux ne se tenait pas une armée mais l’improbable procession des habitants de Valdec qui venait réclamer leur pardon. La jonction des deux peuples eut lieu à mi-parcours de la grande ville portuaire. Lorsqu’elle découvrit devant elle tous ces eldreds silencieux qui n’osaient quoi dire devant son peuple blessé, elle fut surprise par l’abondance de femmes et de leur regard plein de détermination. Visiblement, elles étaient à l’origine de la démarche. Un groupe de dignitaires s’approcha d’eux. Il leur expliqua que toute la ville se proposait de les aider à regagner l’île s’ils le souhaitaient. Bien que chacune de leur parole nécessita des traductions et donna un caractère protocolaire à l’étrange rencontre, les yhlaks semblaient comprendre chaque mot. Il faut dire que régulièrement des phrases d’indignation sortaient de la foule citadine qui condamnait l’action des vuldoniens. En fait, tous ces pères et mères culpabilisaient d’avoir piégé ce peuple alors qu’il avait tenu sa parole en leur rendant leurs enfants, d’autant qu’ils ne cessaient d’en voir partout dans cette communauté perdue. Mais les palabres ne purent vraiment durer, déjà des femmes perçaient les rangs et apportaient des victuailles, d’autres s’approchaient des blessés pour les aider ; des groupes d’hommes se constituaient pour envisager la logistique du futur transbordement de tous ces chariots et bétails qui constituaient l’essentiel des difficultés.

 Cependant, au fil des échanges et des préparatifs, et devant tant de reconnaissance, les yhlaks commencèrent à véritablement prendre conscience de l’horreur de la réalité. Jusqu’à présent, s’ils l’avaient refusée car ils ne pouvaient imaginer qu’une telle mise à mort eût pu être commise sans que le ciel ne changeât de couleur ou qu’on ne le sentît pas au plus profond de son cœur, mais l’inexorable disparition de tous ces êtres chers prit peu à peu corps dans leur esprit.

 Paradoxalement, les premiers à réaliser l’atrocité de la vérité furent les enfants. Peu à peu, il y eut parmi eux une agitation faite de sanglots et des cris douloureux qui appelaient leur père, d’abord timides puis incontrôlables qui plongèrent tous les yhlaks dans la stupeur. Quand ils comprirent soudain que tous ces visages étrangers en face d’eux exprimaient une sincère compassion, les femmes furent à leur tour comme frappées de stupeur. En un instant, elles ne seraient plus que mères, épouses ou sœurs de défunts. Au lieu, de s’abandonner aux cris ou à l’hystérie, elles s’obstinèrent à consoler ces enfants, les yeux tout embuées de larmes, la voix parfois tremblantes ou restèrent prosterner dans un mutisme effrayant. Quant à celles qui s’effondrèrent, les hommes s’employèrent à leur tour à leur venir en aide, en les serrant dans leurs bras, en les soutenant comme ils pouvaient jusqu’à leurs tentes pour qu’elles puissent s’abandonner entièrement à cette peine qui les submergeaient et qu’elles ne pouvaient contrôler.

 Devant ce spectacle, les eldreds sentirent l’inconvenance de leur présence, d’autant que des mouvements d’agressivité à leur égard commencèrent à se faire jour. Afin d’éviter que cette tension ne dégénèrât, ils décidèrent de revenir le lendemain matin, le temps que les yhlaks fissent, si une telle chose était possible en si peu de temps, leur deuil pour envisager à nouveau l’avenir. Sur le retour, plus que jamais, la ville de Valdec se retrouva face à son effroyable culpabilité, tandis que le peuple martyr cherchait en vain un sens à tous ses morts et quel but aurait mérité de vivre encore sur l’île sacrée.

 

  

**

 *

 

  

Sur les terres de Lisonge régnait plus que jamais un insoutenable silence que même le fracas de l’océan et les cris incessants des oiseaux marins ne parvenaient plus à déchirer, sauf qu’il avait débordé du cercle des monolithes pour s’étendre à perte de vue sur l’île. Les hurlements des morts avaient à ce point meurtri de leur douleur les survivants qu’ils semblaient tous devenus sourds. L’un d’eux se mit en tête de compter tous ces morts qui gisaient partout et que les oiseaux et les charognes dévoraient. Au bout de quelques heures, ses compagnons faillirent à leur tour par le massacrer quand il leur demanda, après s’être interrompu en identifiant l’un des corps, où il s’était arrêté avec ses yeux fous et suppliants, comme si tout ceci était pour lui le seul moyen de comprendre. Alors, à la place, il se mit à compter les vivants et arriva à ce chiffre effrayant : quatre-vingt-deux.  Autour d’eux, gisant par terre, il y avait donc sans doute plus d’un millier de cadavres.

 Très vite, l’urgence ne fut plus de compter ou de se nourrir mais de regrouper tous ces corps pour en faire des charniers que l’on incendierait pour éviter les maladies et la puanteur de la décomposition sous l’effet du soleil, qui brillait déjà généreusement, et des vermines et autres charognards qui déjà étaient à l’œuvre. La relative étroitesse du périmètre du massacre rendait irréel ce travail macabre à force d’exhiber tant de cadavres. Il n’y avait plus lieu de connaître ou non celui qu’on portât, d’abord seul, puis à deux, à force de fatigue. La réalité ne prenait véritablement forme que lorsque l’amoncellement devant soi ne permit plus d’en empiler d’autres. Alors on chercha un autre endroit pour en déposer. On privilégia d’abord les hauteurs des plages, mais marcher dans tant de sable constituait un effort inutile et l’on craignait que l’océan n’avançât trop pour emporter dans ses vagues tous ces compagnons de route qui s’étaient éteints.

 On finit par faire deux équipes qui, en alternance, creusait les trous pendant que l’autre les remplissait. Aux yeux de tous, Reyv’avih, à cet instant, n’était plus un devin, mais un simple yhlak qui, tour à tour, creusait, puis portait lui aussi des corps. Bien que sa tête fût sans doute aussi vide que celle de ses compagnons, à chaque coup de pelle, à chaque cadavre porté puis jeté, il sentait en lui l’appel du monolithe. Derrière tout cet effrayant silence, il n’entendait que sa voix, elle emplissait chacun de ses membres jusqu’à nouer sa propre gorge. Il avait envie de hurler pour libérer à son tour cette détresse en lui qui montait à ne plus en finir, avec la même fureur que la nuit où il avait déterré Hilda. A chaque pas, il luttait pour ne pas lui céder, alors il puisait encore et encore dans ses dernières forces pour accomplir son travail jusqu’au bout. Curieusement, à force de s’abrutir dans la tâche, le silence se glissa dans ses yeux, qui ne virent plus rien si ce n’est du vide. Il creusait. Un gouffre, un néant sans fond que son cerveau refusait de comprendre. Il soulevait les corps. Des corps puis des corps, dans un monde soudain absurde. Une partie de son cerveau refusa d’abdiquer et se mit à monologuer sans cesse, peut-être pour prouver qu’il était encore bien vivant. Les mots le laissaient errer d’un corps à un autre comme s’il déversait en lui un mal nécessaire pour avoir le droit de vivre encore parmi tous les siens transformés en morts, en même temps que répéter à l’infinie son soliloque intérieur l’épuisait, l’abrutissait dans un besoin de ne pas être totalement seul avec lui-même, comme si se parler ainsi aurait pu changer son écœurement d’exister toujours au milieu de cette désolation.

 « Creuse… Et ne cherche pas à comprendre. Creuse… Sans comprendre… Le Silence… Le Silence partout. Oublie le silence… Creuse… Encore creuser… Toujours creuser le silence… Tout ce néant en toi… Ta tête pleine de néant… Absurde… Un monde absurde… Ne plus rien voir… Oublie de voir… Le vide… Tu dois oublier le vide… Te remplir de néant… Soulève encore ce corps sans vie… La mort… Porter… Porter la mort, porter le néant… Reportes-en un autre, resoulève-le et marche en oubliant tout et en ne voyant rien... Encore et encore. Douleur. Bras. Bras douloureux. Tire sur tes muscles douloureux des bras. Mais ne cherche plus à comprendre… »

 Son cerveau s’emballait sans qu’il ne le contrôlât plus vraiment. Parfois même les mots sortaient de sa bouche à voix haute sans que personne n’y prissent attention, tous étaient murés plus ou moins dans ce silence insoutenable qui leur semblait être le seul abri possible pour affronter la réalité. Moins Reyv’avih s’obstinait à comprendre et à vouloir stopper ce flot incessant, et plus ses pensées s’organisaient autour d’une logique anarchique qui manifestait le besoin impérieux de sortir de son esprit.

 « Porter. Douleur… Encore la douleur dans tes bras… Le silence… Partout le silence… Oublier le silence… Oublier la douleur… Encore Porter. Oui, porte la douleur et le silence. Fais tien du néant et du silence... Soulève-le encore. Oui, bannir ce qui divise… Puis marcher… Marche jusqu’au trou qui dégueule déjà de tous ces corps… Un trou… Un tout… Être un trou, être un tout, être l’unique. Être un tout et unique avec ce silence et ce néant… N’être que néant et silence pour être un tout… Balance encore ce corps. Le néant dégueule partout. La vérité dégueule. Une vérité simple… En chacun de nous… Tous morts… Un cadavre… Un cadavre de plus… Anonyme au milieu de tant de morts. Et recommence encore… Encore et encore… »

 Il laissait ses pensées avancer dans sa tête au gré de ses mouvements. Elles cherchaient à bâtir une solution à ce chaos autour de lui qu’il était incapable de comprendre mais qu’elles lui obligeaient à regarder contre son gré jusqu’à l’acculer contre un mur comme pour voir au travers.

 « Une vérité en chacun de nous… En chacun de nous… Mais quelle vérité ? Pourquoi en chacun de nous ? Mourir… Mourir en étant encore vivant. Je veux mourir en étant encore vivant. Mort…Plein de morts… Des morts sur des morts… Tu veux vivre en étant mort. Vivant… Encore vivant… Une simple vérité en chacun de nous… La mort en chacun de nous… Vivant… Survivant… Tu es un survivant… Encore… Continue… Ne te retourne pas… Tes bras… Tes bras douloureux qui n’en peuvent plus de porter… Pourtant tu es vivant… VIVANT ENCORE… Et eux sont morts… MORTS ! Vivre… POURQUOI SONT-ILS MORTS? Une simple vérité en chacun de nous… POURQUOI VIVRE ? Et pour quelle vérité ? Y A PLUS RIEN EN CHACUN DE NOUS ! Du silence qui hurle dans nos têtes et des morts partout. Des morts qui dégueulent de partout. Partout… Partout… Des morts sur des morts qui dégueulent de partout… Et moi, je suis encore vivant… Je continue de vivre… Je continue de porter les morts… Un peuple de morts… »

 Parfois, sans qu’il s’en rende compte, il pleurait, tout comme parfois ses vis-à-vis. On lui parlait mais lui n’entendait rien et continuait. En fait, plusieurs étaient pareils que lui, même si, au fond d’eux, tous étaient des survivants, désespérés, aux yeux hagards et rougis et surtout vides de tout désir, de simples survivants comme lui cherchant en vain un sens à ce qui n’en aurait jamais. 

  • J’ai porté mon peuple vers la mort, dit-il en regardant la nouvelle montagne de corps qui lui faisait face.

  • Tu sais, nous sommes le peuple de personne. La mort, on a tous couru vers elle. Tous ! Alors, après, tu peux t’amuser à te rendre plus responsable que les autres, en attendant, seul compte que les autres en Eldred soient peut-être encore en vie. Et c’est à toi que je dois encore l’espoir de revoir ma femme et mes trois enfants…

 Son interlocuteur avait lui aussi les yeux rougis par les larmes. Il le fixait en tremblant légèrement. 

  • Oui, c’est affreux de dire ça, mais, moi, j’ai du bol ! Tu comprends ? Du bol ! J’ai encore un truc en qui croire… Alors que là-bas, tant de femmes n’ont plus rien… Et peut-être ne le savent-elles pas ? Mais moi, j’ai du bol ! Je suis en vie et ma femme et mes gosses vont peut-être…

 A son tour, il s’effondra dans les bras du devin. Instantanément, Reyv’avih devina qu’il était terrifié par le sort qui attendait le reste de leur peuple et que, malgré sa soit disant chance, il avait peut-être déjà tout perdu, contrairement à tous ces morts ou même à lui qui n’avait jamais eu de famille ou de femme à pleurer. Il continua sa tâche, sans mot dire,  mais il aurait à cet instant tout donner pour connaître à son tour cette angoisse afin de mieux comprendre son peuple et de se sentir ainsi entièrement du côté des vivants.

 

  

Au final, il leur fallu deux jours entiers pour creuseur, chercher le bois pour les bûchers mortuaires et ériger les dix-sept charniers pour réunir tous les corps. Pendant les deux nuits, il y eut des feux immenses pour faire disparaitre cette chair inerte, dont l’odeur grillé avait envahi un bon tiers de l’île. Et lorsqu’ils se couchaient, épuisés, aucune pensée n’accompagnait ces morts, car seul l’abrutissement de la fatigue leur permettait d’envisager de vivre encore le lendemain. Quand enfin le soleil se leva une nouvelle fois sur un paysage nettoyé de l’abomination qui s’y était déroulé, bien que l’odeur autour d’eux restât persistante et imprégnât chacun de leurs vêtements, ils ne la remarquaient plus, seuls les amoncellements d’ossements noircis possédaient encore à leurs yeux une quelconque réalité. Ils n’osaient pas les toucher, juste les regarder en se rappelant qu’ils contemplaient les restes de ce qui fut leur peuple.

 Dans la tête de Reyv’avih, chacun de ses amas carbonisés par les flammes en pyramides difformes était comme un nouveau monolithe qui le défiait. Pour y échapper, il ne lui restait plus qu’à affronter une fois de plus l’immense pierre écarlate et sa si douloureuse fierté silencieuse. Il profita du mutisme abasourdi des survivants pour les abandonner à leur morbide contemplation. A chaque pas qu’il faisait dans sa direction, il sentait l’appel se renforcer, d’abord flou, puis comme sous la forme d’une voix suppliante. Il se disait que peut-être elle allait enfin lui révéler son message qui donnerait un sens à cette sinistre épopée. Bientôt, une mer de poussière rouge et scintillante lui livra sa curieuse anomalie dans ce monde sans logique. Ses pas s’y enfoncèrent dans un crissement de verre brisé. Une fois à la hauteur de l’immense pierre verticale, il s’agenouilla devant elle et se saisit à pleine main de ce curieux sang éclatant et sec qui s’écoulait entre ses doigts, tiède et si rugueux qu’il en devenait tranchant. Il en reprit une autre poignée qu’il frotta entre ses mains jusqu’à s’en écorcher la peau, puis s’enduisit son visage des trainées de sang que ses paumes libéraient à travers leurs fines et multiples coupures. Il agissait sans réfléchir, comme s’il obéissait à une voix intérieure qui le poussait à draper sa peau de la même couleur qui entourait partout le paysage à ses pieds.

 A quelques centimètre de lui, la surface striée et rugueuse du monolithe l’attendait avec sa douce patience toute infinie. Pourtant, il devinait une sorte de bouillonnement intense sous la surface comme si, tout comme lui, la roche était sur le point d’exploser. Face à lui, il n’avait ni peur, ni angoisse, juste le besoin vital de découvrir quel secret elle hurlait si fort depuis deux jours. Il se surprit à se sentir aussi serein. Alors, avec soin, il apposa ses deux mains à plat sur la pierre. Immédiatement, il eut l’impression d’entendre son propre cœur qui vibrait dans tout l’immense bloc, calme et plein de force. Puis cette voix qu’il ne cessait de deviner partout sur l’île se fit entendre à son tour, plus nette et précise, dans une vaste supplication qui ne cessait de répéter les mêmes mots qu’il avait déjà entendus en rêve et qui le remplirent cette fois de dégoût : « Sauve-moi… Sauve-moi… Sauve-moi ! ».

 Lorsqu’il se redressa, il avait pourtant les larmes aux yeux. Il ne pleurait pas pour le Monolithe mais pour tous ces morts autour de lui dont il ne restait plus que des amoncellements d’ossements qui auraient dû également sauver par lui. Ces simples mots le touchaient aussi, parce qu’il les avait lui-même adressés en boucle, dans une vaste prière avec tous ceux qui étaient restés autour de lui, à destination tant d’Okkor qu’au grand mystère du Monolithe. 

  • Je vois que tu es aussi perdu que moi dans ce vaste monde, cher monolithe. Mais ce que tu me demandes n’est plus dans mon pouvoir… Tu vas devoir pour l’instant te débrouiller tout seul… Moi, je n’ai de force pour sauver personne. Pas même moi...

 Même s’il avait prononcé ses mots avec une certaine colère, elle disparut dès qu’il regarda à nouveau le monolithe et qu’il redécouvrit sa fierté résignée. Pour la première fois de sa vie, il se sentit pareil, comme face à un véritable être vivant, et se dit en partant qu’il venait sans doute de découvrir son frère de sang. Il éclata dans un rire hystérique mêlé de larmes que tous autour de lui avaient lâché à un moment, comme un besoin vital d’accepter l’ironie d’avoir été anéanti ici, après tous leurs efforts pour atteindre leur rêve en l’honneur de ce Dieu colérique à l’humour parfois si féroce.

  

 **

*


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Portrait de Zarathoustra
Zarathoustra a répondu au sujet : #21035 il y a 7 ans 8 mois
Finalement ce n'est pas le tout dernier chapitre (comme promis), il y en a encore un qui est terminé et que je mettrai sans doute sous 15 jours. En soi, ces deux derniers chapitres ont été écrits comme un tout, mais comme cela a fini par devenir très long, je l'ai scindé en deux pour faciliter la lecture sur écran.
Globalement, les deux me satisfont davantage que les précédents chapitres.
Pour revenir sur ce chapitre 9, la scène d'ouverture a été proposée dans notre rubrique Scriporium. Je l'ai pas mal modifiée depuis, en mieux j'espère. C'est clairement la scène qui a été le plus travaillée parce que je l'assimile à une scène d'action et que je continue à apprendre pour les écrire. J'ai toujours de mauvais réflexes et la travail consiste essentiellement à corriger tout ce que je mets qui ne sert à rien pour essayer cette fois de parvenir à une certaine efficacité.

La suite est plus classique pour moi. Il y a cependant un passage que je considère "expérimental". Je suppose que vous le sentirez en le lisant. Donc avec ma scène d'ouverture, c'est l'autre passage où vos retours me seront les plus importants. Je n'ai pas le sentiment d'être parvenu à rendre précisément ce que je souhaitais ici.

Pour le reste, à vous de me dire si cela vous est paru crédible...

En tout cas, d'avance, merci à vous.
Portrait de Vuld Edone
Vuld Edone a répondu au sujet : #21049 il y a 7 ans 7 mois
Mh, curieux, le lien n'est pas en début du premier message... pourtant le lien site/forum semble s'être opéré sans problème...

Non, il est trop tôt/tard pour que je me mette à la lecture des deux chapitres maintenant, mais je compte bien m'y plonger, probablement après le 15, le temps de laisser passer un colloque.
Portrait de Vuld Edone
Vuld Edone a répondu au sujet : #21101 il y a 7 ans 7 mois

Le paysage qui s’offrait à eux ne dégageait plus ces relents douloureux qui les avaient accueillis dans les décombres de l’ancien temple mais une douceur de vivre plus paisible que les premières lueurs de l’aube drapaient de ses habituelles couleurs pastel qui débordaient généreusement sur l’océan jusqu’à le rendre irréel.

J'ai l'impression de retrouver là l'une de mes phrases "concaténées". Et puis j'ai réalisé que c'était probablement "drapaient" qui était une erreur, probablement "drapée".
Cela dit, et cette hésitation à part, on peut remarquer la structure de la phrase :
1. Principale : "Le paysage ( qui s'offrait à eux ) ne dégageaient plus ces relents douloureux ... mais une douceur de vivre..."
2. Sub.1 : "... qui les avaient accueillis dans les décombres de l'ancien temple..."
3. Sub.2 : "... que les premières lueurs de l'aube drapées de leurs habituelles couleurs pastel..."
4. Sub.3 : "... qui débordaient généreusement sur l'océan jusqu'à le rendre irréel."
D'où une difficulté de se focaliser. On passe du paysage au temple, de retour, supposément, au paysage mais on se retrouve sur l'aube (comparaison) pour en venir à l'océan. Résultat, on n'est jamais sûr de ce dont on parle vraiment. Avec du recul on arrive à voir :
(1) Ils ont vu le temple, c'était snif, (2) ils voient l'aube, qui est très fleur, mais (3) pas aussi fleur que le paysage lui-même.
Et là je ne peux pas m'empêcher de me demander le rôle joué par l'aube, s'il est là en médiateur ou ce qu'il représente (j'ai failli écrire "ce qu'il symbolise") et accessoirement, à quoi on fait contraste. Parce que le chapitre précédent était plutôt joyeux, malgré toutes les menaces, pas un seul coup féri, le calme avant la tempête. Or cette phrase introduisant ce chapitre parle d'un calme qui suit la tempête, il y a de quoi être désarçonné.
Mais bref.

D’ailleurs, sa nervosité...

Pure question de style mais ici le "d'ailleurs" met trop en avant la voix du narrateur, par rapport au style adopté. C'est un mécanisme de négociation du contenu qui -- ici en place de marqueur discursif -- ne devrait pas apparaître à l'écrit formel :
-> "d'ailleurs" prépositiono-adverbial : "... à son louchement d'ailleurs grossier..." ("par ailleurs grossier" pour le ton soutenu)
-> "d'ailleurs" discursif : "D'ailleurs ils le fuyaient du regard..."
Ces "mots" en début de phrase (plus ou moins) négocient le contenu et sont des moments où le narrateur intervient bien malgré lui. On parle aussi "d'articulateurs", qui marque bien leur importance dans le récit.
Mais bref.

En fait, il était assez simple de découvrir ce qui attendrait les yhlaks dès que les équipages eldreds auraient quitté l’île, si possible avec tous les enfants comme l’espérait le prêtre.

Même chose, le narrateur n'arrive pas à s'effacer. Ce qui n'est pas un mal, ça rend le texte vivant, ce ton qui se veut informel et détaché mais qui laisse ici et là des traces disons plus spontanées : "en fait", "assez simple", "dès que", "si possible", et surtout le "comme l'espérait le prêtre" ajouté à la fin assez brutalement.
Mais bref.

Puis, il y eut les premiers mouvements sur la plage

Puis quoi ? Qu'est-ce qu'il y avait avant ? Jusqu'à présent on n'a fait que me décrire, il ne s'était encore rien passé. Où est le "d'abord" ? Le "pour l'heure" ? Dans ce cas-là, mieux vaut décaler celui-ci au paragraphe suivant pour le mettre en avant.

Les vuldoniens n’avaient pas attendu ce moment pour descendre de leur promontoire et regagner leur position près de l’emplacement qu’avait choisi le magicien d’où il lancerait son rituel à l’aide des multiples glyphes mystérieuses et colorées au sein d’un cercle qu’il avait tracées sur le sol.

Oui, je sais, c'est bon. "... qu'avait choisi le magicien pour lancer son rituel".
Je me rappellerai toujours de cette discussion pour savoir quand couper. Je pense que ces deux derniers chapitres montrent beaucoup de phrases où, réellement, la pertinence invite à couper. Ici on s'intéresse au lieu, s'il faut développer alors :
"... près de l'emplacement choisi par le magicien et où déjà l'attendaient les multiples glyphes mystérieuses et colorées au sein d'un cercle tracé de ses mains sur les sol."
Même contenu mais meilleure pertinence parce qu'on parle de l'emplacement -- et qu'on montre -- d'où unité. C'est même frappant de voir un contenu identique mais, par simple unité, l'impression de pertinence là où, soyons honnête, il n'y en a pas vraiment.
Mh.

Aucun n’imaginait à cette heure encore si matinale la menace qui s’abattrait bientôt.

Cette phrase devrait être à la fin du paragraphe.
J'irais plus loin et je dirais que, pour créer la sympathie vraiment, il faudrait développer. Montrer vraiment ce peuple et ses aspirations pacifiques, débutant comme un enfant sur la plage leur travail d'avenir. Ce qui est difficile à faire en un paragraphe et qui, même, ne serait pas souhaitable. Ici, au contraire, pour vraiment réussir il faudrait repasser en vue des yhlaks, probablement du Devin, et repartir se promener parmi ses semblables pour les voir oeuvrer au plus près.
Mais bref.

Alors, il ne vit plus la forêt, ni ses branches mortes sur le sol qu’il fallait sauter ou éviter à cause de leur taille. Seul son instinct de guerrier le guida au milieu de cet immense tapis de feuilles disparates qui dissimulaient la terre et volaient parfois sur son passage.

Je ne sais pas si c'est la musique que j'écoute qui s'est bien synchronisée avec le passage, mais j'ai senti l'accélération et j'ai même été surpris parce que devoir éviter des branches mortes est un peu comique. Mais il y a bien cette impression de panique et de course-poursuite qui bouscule le monde, une accélération.
Donc à vérifier mais je dirais que là quelque chose fonctionne bien -- relativement aux discussions sur "comment écrire une bataille".

Partout des voix résonnaient désormais dans la forêt.

Idem.

Au contraire, une honte sans nom leur nouait le ventre, aussi forte que l’odeur de plus en plus insupportable qui les écœurait jusqu’à vomir à tour de rôle.

Le fait que je n'aie plus commenté jusque-là indique bien que ça fonctionne. L'idée de faire baisser l'intensité du sort un moment était excellente pour relancer la tension. C'était en quelque sorte l'événement attendu depuis 1-2 voire 3 chapitres, dont on ne savait pas s'il se produirait vraiment ou non.

Visiblement, elles étaient à l’origine de la démarche.

Pourquoi je ne suis pas surpris.
Cela dit, ici j'aimerais que le texte développe. Parce qu'ici c'est pertinent. La culpabilité de Valdec est compréhensible mais cette précision laisse entrevoir les luttes internes pour en arriver là, et j'imagine parfaitement ceux qui auront dit "regretterons-nous ce peuple qui a menacé nos enfants ?" Ici la voix des femmes serait effectivement déterminante.

Quant à celles qui s’effondrèrent, les hommes s’employèrent à leur tour à leur venir en aide, en les serrant dans leurs bras

D'accord, ça je l'avais pas vu venir.

Afin d’éviter que cette tension ne dégénèrât, ils décidèrent de revenir le lendemain matin, le temps que les yhlaks fissent, si une telle chose était possible en si peu de temps, leur deuil pour envisager à nouveau l’avenir.

Il y aurait ici presque tout un texte à écrire, d'une communauté qui passerait un mois, deux mois à faire son deuil sur les plages, refusant l'aide de la ville qui chaque jour enverrait un émissaire leur demander pardon. Le lecteur découvrant peu à peu les raisons derrière, et cette sorte de folie de l'homme qu'on appelle dignité.

Des corps puis des corps, dans un monde soudain absurde.

Cela résume bien l'atmosphère qui suit l'événement, et c'était exactement le ton qu'il fallait prendre. Jusqu'à présent c'est immersif et convaincant.

Un peuple de morts…

Un bon résumé des Yhlaks et de leur vision du monde.

Et lorsqu’ils se couchaient, épuisés, aucune pensée n’accompagnait ces morts

Pensée qui n'a rien à voir avec le texte, mais je verrais bien un démon autoriser les morts à s'enterrer eux-mêmes. Un champ de bataille où les morts enterreraient les morts jusqu'à ce qu'ils errent en quête de quelqu'un pour les enterrer eux.

J'avoue que la conclusion de ce chapitre est amusante, à imaginer un dieu "mortel" qui, tout ce temps, aurait appelé à l'aide sans réfléchir. Très loin des calculs absolus, raisonnés et réfléchis des entités immortelles qu'on invente en général dans les récits de fantasy.
C'est vrai que l'histoire, si elle se finissait là, ne serait pas finie. On attend la réunification et probablement une réponse plus large, mais cette "révélation", cette interprétation en tout cas serait suffisante si tout se finissait dessus. Parce que le texte, au-delà de beaucoup de choses, s'est surtout intéressé à la mortalité de l'homme. Et réduire les dieux à des mortels, c'est très adapté. Cela semble cohérent avec l'ensemble.
C'est satisfaisant.

Alors yup, je dirais que de tous les chapitres celui-ci est sans doute le meilleur, parce qu'il est bourré d'action (en un sens), parce qu'il est le point culminant de toute l'épopée et qu'il livre ce qu'il avait promis, voire plus. Une récompense (amère) pour tous ceux qui auront lu jusque-là.
J'hésite à dire que c'est le meilleur parce que j'ai toujours cette nostalgie des premiers chapitres rêveurs où tout était plus "simple", un conflit entre le mensonge et la vérité, le huis clos d'un peuple. Ce chapitre donne au texte une toute autre dimension.
Le plus frappant pour moi reste, après l'événement, une lecteur un peu "hébétée", où je ne m'arrêtais plus sur rien. Je pouvais lire, normalement, raisonner sur ce qui se disait, mais je n'attendais plus rien et inversement je n'avais pas de raison de lâcher. Ce n'était même pas de la curiosité, juste, je laissais la chose aller. Une marche dans l'absurde, comme dit, qui se suffisait à elle-même.

C'est peut-être aussi d'avoir pu lire le texte dans de bonnes conditions, sans être pressé par le temps, sans avoir mal à la tête ou autres désagréments de la vie courante, mais j'ai pu profiter pleinement de l'épopée.
Et pourtant je devine, dans la course de l'Oeil de dieu, et ici ou là dans "l'aftermath", des passages que j'aurais jugé trop longs, traînants, etc... que l'on ne note qu'avec la fatigue et l'empressement.

Je pense que pour ce chapitre le plus intéressant serait la forme, revenir sur des phrases et voir comment mieux les formuler, comment resserrer le texte et, en le resserrant, identifier où développer.
C'est le chapitre idéal pour discuter de cet éternel "où couper / développer".
Portrait de Zarathoustra
Zarathoustra a répondu au sujet : #21103 il y a 7 ans 7 mois

J'ai l'impression de retrouver là l'une de mes phrases "concaténées". Et puis j'ai réalisé que c'était probablement "drapaient" qui était une erreur, probablement "drapée".

Actuellement, j'ai justement envie de rallonger mes phrases. Celle-là a été justement écrite dans l'idée de perdre le lecteur. Il est devant un vaste paysage et plonge son regard dedans mais il voit tout, tout lui arrive dans la tête, tout comme les vuldoniens qui regardent. Et c'était bien "drapaient" dans ma tête. ;) J'ai d'ailleurs tendance à faire spontanément ce genre de phrases assez complexes, et je passe depuis des années mon temps à simplifier pour rendre la lecture fluide, à les démanteler (donc je fais l'inverse du travail de concatener). Du coup, j'ai envie de travailler à l'inverse (démarche que j'avais déjà commencé dans L'Iconoclaste) , assumer ma nature d'écriture mais en la rendant si possible lisible facilement. Même si je sais que cela le sera toujours moins qu'avec des phrases courtes, mais les phrases exigent une attention plus forte du lecteur, et parfois, je pense que ça aide la lecture de l'ensemble.
Pour ma part, la longueur de la phrase ne produit pas la même chose que plusieurs. J’aime l'idée de perdre un peu le lecteur. Surtout d'entrée de jeu. Je ne sais pas si c'est une bonne idée, mais c'était mon intention. Quelque part, ta réaction montrerait que ça fonctionne sur le principe.

Oui, je sais, c'est bon. "... qu'avait choisi le magicien pour lancer son rituel".
Je me rappellerai toujours de cette discussion pour savoir quand couper. Je pense que ces deux derniers chapitres montrent beaucoup de phrases où, réellement, la pertinence invite à couper. Ici on s'intéresse au lieu, s'il faut développer alors :
"... près de l'emplacement choisi par le magicien et où déjà l'attendaient les multiples glyphes mystérieuses et colorées au sein d'un cercle tracé de ses mains sur les sol."

A chaque fois que je me relu, celle-là, je voulais la biffer comme toi. Je ne l'ai pas fait parce que je voulais rappeler les glyphes en me disant que le lecteur les avait sans doute oubliés depuis. J'aurais pu trouver un autre procédé, je te l'accorde. Si tu m'avais demandé quelle phrase dans ce chapitre corriger en premier, cela aurait été celle-la. Je l'ai laissée par défaut. En fait, on va dire que c'est pas la phrase, mais le procédé que j'emploie pour donner les informations. Les glyphes paraissent ici sur-rajouter. Donc effectivement, un lecteur a envie de soupirer en voyant la lourdeur de l'évocation. Dans le fait, je veux créer un point d'ancrage, pour montrer l'obsession des vuldoniens pour y rentrer. Idéalement, je voulais aussi que le lecteur y projette quelque chose de supplémentaire, la dimension fantastique avec sa potentielle horreur, avec peut-être l'idée aussi qu'il n'ait pas envie qu'ils atteignent le-dit cercle.. L'idée est que le lecteur visualise le cercle pendant la course. Donc c'est plus la méthode de mettre en scène les informations qui n'est pas bonne. J'aurais dû morceler.
Bref, ce n'est pas qu'un travail de reformulation qu'il me faut mais entièrement repensé le fonctionnement de ce passage. Mais sans doute aussi la course de l’œil de Dieu. Or pour l'instant, je ne me sentais pas le courage de la retoucher encore une fois pour ça. Mais ta suggestion est clairement bien meilleure. Elle répond à ce que je voulais faire sans forcément tout chambouler...


Cette phrase devrait être à la fin du paragraphe.
J'irais plus loin et je dirais que, pour créer la sympathie vraiment, il faudrait développer. Montrer vraiment ce peuple et ses aspirations pacifiques, débutant comme un enfant sur la plage leur travail d'avenir. Ce qui est difficile à faire en un paragraphe et qui, même, ne serait pas souhaitable. Ici, au contraire, pour vraiment réussir il faudrait repasser en vue des yhlaks, probablement du Devin, et repartir se promener parmi ses semblables pour les voir oeuvrer au plus près.

Je crois qu'elle a longtemps été à la fin du paragraphe. Je l'ai déplacée parce que je trouvais que ça renforçait le côté implacable de la destinée. Vraiment, je sais pas...

Pour le fond, tu as raison. Complètement raison. Mais c'est curieux comment ce récit ne cesse de me poser ce genre de problème. Au départ, il devait y avoir un seul chapitre 7 pour raconter tout ce que raconte la fin de mon histoire. Et j'ai été poussé, poussé et encore poussé à faire plus long parce que je n'ai cessé de sentir le besoin de prendre le temps de développer ce genre de scène. Donc celle-là, tout comme celle où les citadins viennent aider les yhlaks, tout comme la scène de négociation avec les enfants du précédents chapitre sont effectivement des scènes que je n'ai pas traitées pour ne pas déséquilibrer la trame narrative. Mais il y a clairement un manque en l'état actuel. Je crains juste que cela casse l'ensemble, que cela dilue la tension... Bon, ce ne sont pas forcément des scènes qui m'excitent à écrire, mais je comprends tout à fait ton ressenti.

Donc à vérifier mais je dirais que là quelque chose fonctionne bien -- relativement aux discussions sur "comment écrire une bataille".

Ouf! C'est mon morceau de bravoure du chapitre! Il a été écrit (et réécrit) en cassant beaucoup de mes fonctionnements spontanés. Il m'a fallu creuser très loin dans le ressenti du lecteur, et non dans ce que moi je vois et vis. Donc pas mal d'expérimentation dans mes habitudes. Par exemple, j'ai compris que dans ces scènes, je ne suis pas assez visuel. Donc j'ai essayé de mettre dans la peau de quelqu'un qui le serait davantage. Je pense être assez loin du compte sur ce plan, mais je me suis surpris à commencer à ressentir ce besoin moi aussi. Par exemple en essayant de donner des indications dans la course, la scène avec les grosses racines. Les impacts de flèches. Tout ça, c'est gràce à toi, Iggy et Krycek que je le dois. Vraiment. Donc merci à tous pour vos conseils. C'est encore pour moi fort laborieux à écrire, mais j'ai senti d'énormes progrès. Et surtout je vois mieux ce qui ne va pas quand j'écris mes premiers jets.

J'hésite à dire que c'est le meilleur parce que j'ai toujours cette nostalgie des premiers chapitres rêveurs où tout était plus "simple", un conflit entre le mensonge et la vérité, le huis clos d'un peuple. Ce chapitre donne au texte une toute autre dimension.

Je suis comme toi! :laugh: Je me dis qu'il y a une cassure entre mes 5 premiers et ceux que j'ai écrits après tout récemment. Il faudrait que je récrive tout en mélangeant les deux styles et atmosphères. Mais bon, pour l'instant, j'ai plus envie de laisser tranquille le récit plutôt que de m'y replonger encore... C'est terrible de terminer un texte en y passant autant de temps et de savoir tout ce qu'il reste à faire pour qu'il soit vraiment terminé...:S

Le plus frappant pour moi reste, après l'événement, une lecteur un peu "hébétée", où je ne m'arrêtais plus sur rien. Je pouvais lire, normalement, raisonner sur ce qui se disait, mais je n'attendais plus rien et inversement je n'avais pas de raison de lâcher. Ce n'était même pas de la curiosité, juste, je laissais la chose aller. Une marche dans l'absurde, comme dit, qui se suffisait à elle-même.

Je dois avouer que je ne savais comment "l'après rituel" serait perçu. En l'état, on peut dire que l'histoire est terminée. Et pourtant, je voulais montrer que ce génocide, aussi effrayant soit-il n'est qu'un moment dans l'histoire (faut que je fasse gaffe à ce que je dis parce qu'on va me taxer de lepeniste). Je veux dire qu'une fois arrivé, la vie continue et que c'est cette vie qu'il me paraissait encore plus intéressante à écrire. Et de montrer au lecteur, que contrairement à ce qu'il pensait, tout ne s'arrête pas effectivement ici.

Que tu aies vécu cette fin dans cet état est intéressante parce que je dirais que c'est celui que j'imaginais. Sans dire que je voulais que le lecteur soit un peu dans l'état des yhlaks, mais, quand je me relisais, j'avais moi aussi cette impression de suivre mon histoire sans trop savoir pourquoi j'avais besoin d'aller plus loin. L'essentiel, c'est bien de ressentir ce besoin. Parce que la scène d'action du début, le rituel et l'onirisme, même le spectacle des morts après, tout ça n'a de sens que si on continue. J'aimerai qu'on ait envie de poursuivre justement pour lui donner un sens...

J'avoue que la conclusion de ce chapitre est amusante, à imaginer un dieu "mortel" qui, tout ce temps, aurait appelé à l'aide sans réfléchir. Très loin des calculs absolus, raisonnés et réfléchis des entités immortelles qu'on invente en général dans les récits de fantasy.

Et encore, on reste toujours sur l'interprétation d'un homme... Et cet aspect évoque la trame du Rêve d'Ether en même temps. D'un côté, elle se suffit à elle-même ici, et de l'autre, elle étaye et renforce les enjeux plus vaste du Rêve.
Il y' a effectivement possibilité d'y voir un humour très féroce et noire. Mais quelque part, il est presque au dépens de ces soit-disant dieux. S'ils existent vraiment, quoiqu'il fassent ou pensent ou demandent, la grandeur n'est pas de leur côté mais dans l'humain. Justement parce qu'il est faillible, parfois faible et lâche, mais vivre pur lui n'est pas simple. Il n'a pas le mode d'emploi, ne sait pas pourquoi il est là et pourtant il est là et il doit trouver un but ou un sens à tout ce bazar qui l'entoure et qui forme son existence...

Petite question: le fait que le rituel se passe en point de focal sur les vuldoniens, ça ne dérange pas? Fondamentalement, je t'avoue qu'il y a une forme de démission de ma part. Je ne me voyais pas décrire ce qui se passe vraiment. J'en suis incapable et il y a une sorte de voyeurisme qui me dérangeait. J'ai opté pour ce procédé en me disant que c'était au lecteur de voir ce qui se passait avec ses yeux, pas les miens. Je ne pense pas qu'il puisse d'ailleurs le voir ou l'imaginer, ni même ressentir l'horreur du carnage avec ce texte. S'il y parviens, c'est tant mieux et c'est qu'il a plus d'imagination que moi, mais le texte est du côté des vivants. Ce qui m'importe, c'est ce que peuvent vivre ou ressentir les vivants ou les survivants, pas ce qu'ils voient... Et encore, je pense que je le survole, il y aurait sans doute besoin plus d'un chapitre pour ça... Le dernier continue bien sûr d'explorer ça...
Portrait de Vuld Edone
Vuld Edone a répondu au sujet : #21104 il y a 7 ans 7 mois
Une brève réponse sur la question finale : il aurait été impossible de le faire autrement que par les vuldoniens.
Si cela avait été un film, les gens auraient mis une pléthore d'effets spéciaux pour montrer le rituel, avec le grand risque d'être ridicule. En écriture, c'aurait été lourd, très lourd, et ça aurait tenu effectivement du voyeurisme. Pour véritablement faire ressentir l'horreur, le mieux est de tout taire. Faire travailler l'imagination.

Je ne pense pas que la scène même du rituel aurait pu être mieux gérée.
C'est d'autant mieux géré que, une fois encore, à ce stade du texte le lecteur doute encore que ça puisse vraiment prendre place, et donc il y a toujours du mystère derrière le rituel, mystère partagé par les vuldoniens. C'est une adéquation à 100% entre le lecteur et les personnages.

Donc non, le rituel a la bonne focale et la bonne durée.
Portrait de Zarathoustra
Zarathoustra a répondu au sujet : #21105 il y a 7 ans 7 mois

Une brève réponse sur la question finale : il aurait été impossible de le faire autrement que par les vuldoniens.

C'est pourquoi je ne disais rien quand tu te plaignais de ce "rajout". Ce n'est pas forcément l'histoire qui exige ces personnages, on peut fort bien s'en passer. Mais, sans eux, on ne peut pas traiter le rituel sans, à mon sens, finir par être un peu ridicule. Donc l'une de mes réflexions pour reprendre ce texte serait de rendre plus nécessaire la présence des vuldoniens. J'avoue pour l'instant manquer d'idées..

Pour véritablement faire ressentir l'horreur, le mieux est de tout taire. Faire travailler l'imagination.

Et ton imagination à toi a un peu travaillé? C'est un des objectifs que je ne pense pas avoir réussi à atteindre. Sans doute le traitement de l'horreur ait pertinent, mais je ne suis pas sûr qu'en l'état le lecteur s'y projette vraiment avec sa propre imagination... Alors dis-moi pour toi... Et si ce n'était pas le cas, alors j'aimerai bien que tu m'aides pour que le lecteur y soit davantage poussé.

C'est d'autant mieux géré que, une fois encore, à ce stade du texte le lecteur doute encore que ça puisse vraiment prendre place, et donc il y a toujours du mystère derrière le rituel, mystère partagé par les vuldoniens.

Dernier point qui m'intéresserait te concernant. Avais-tu envie que les vuldoniens échouent à atteindre le cercle? Ou avais-tu envie de voir le rituel en espérant qu'il échoue? Ou avais-tu envie de voir le rituel atteindre son objectif de manière à faire basculer l'histoire vers cette autre direction?
Ca m'intéresse tout particulièrement.
Portrait de Vuld Edone
Vuld Edone a répondu au sujet : #21106 il y a 7 ans 7 mois
Paradoxalement mon imagination a moins travaillé parce qu'après-coup tu as donné plus de détails. Ce qui est pertinent et cohérent pour ton texte, et qui rend la scène vraisemblable.
Mais je suis plus partisan d'une approche... "à la Petch", j'allais dire, ou simplement symbolique.
J'aime le mystère, l'inexplicable-mais-explicable, les puzzles à résoudre, les énigmes. J'aurais sans doute, s'il m'avait fallu écrire ce texte à ta place, opté pour qu'après le sort il n'y ait plus trace de ce qui s'est passé. Pas de corps, pas de souffrance visible. Des indices, ici ou là, suggérant ce qui a pu arriver mais rien qui permette de trancher.
Ici, on peut essentiellement imaginer de l'énergie qui déchire les corps, c'est facile à imaginer et ce serait facile, pour un film, de le mettre en scène. L'inconnu est bien plus effrayant, l'idée de dix mille âmes qu'on a entendu crier un bref instant, dont on sait qu'elles ont souffert mais sans qu'on puisse deviner comment, exactement, ce qu'elles ont vécu. "Tu en dis trop".
Là où d'autres jugeraient au contraire que ne rien dire serait une facilité. Et une fois encore, ton texte avait besoin des cadavres.

Enfin... je dirais que j'aurais voulu voir le rituel échouer.
C'est personnel, et c'est au contraire préférable pour l'histoire qu'il ait eu lieu, mais d'une part je me suis attaché aux Yhlaks, nécessairement, ils ont "mérité" leur place au paradis -- aka Lisonge -- et c'était déjà une punition suffisante que de découvrir que ce n'était, justement, qu'un mythe.
Mais plus avant, j'aurais surtout été intéressé de voir comment ce peuple aurait fait pour l'éviter. La lutte d'Okkor et de Vuldone, du devin et du sorcier, des Yhlaks et de l'Eldred. C'est une orientation épique, tragique, tu y retrouves ma folie des grandeurs où sur chaque mot pèse une civilisation. Le rituel, au final, c'est juste un piège à loup qui arrache une jambe au héros. C'est dramatique, mais voilà. C'est tout.
La direction que j'aurais prise, là encore, s'opposerait aux intérêts de ton texte. Il était pertinent que tout ce qui entoure le rituel soit "terre-à-terre", et le devin ne peut pas se sentir imposteur s'il est capable de déjouer, d'une manière ou d'une autre, un stratagème ennemi.

En bref, et sans avoir lu encore le chapitre 10, jamais je n'aurais pu écrire le Devin.

Tu as effectivement une logique de l'individu, y compris quand tu traites d'un peuple entier. Des machines d'émotion que le monde ne doit servir qu'à attiser. Il arrive ceci, émotions ! Il arrive cela, émotions ! L'échec du rituel ne produirait rien.
J'ai une logique plus générale, où mes personnages ne sont que des machines logiques, les rouages d'un monde allant d'un point A au point B. Je m'intéresse uniquement aux causes et aux effets, et en cela je verrais dans l'échec du rituel le plus de potentialité, justement parce qu'il est plus difficile, et donc plus intéressant, à justifier.

Si tu me permets le parallèle, pour SpaceApe 2 si tu te rappelles j'ai le choix entre l'échec (et la mort des héros), la réussite (et le génocide d'un monde) ou la sur-réussite (les petites fleurs et tout ça).
J'ai fini par trouver une quatrième voie, la plus improbable et la plus impossible, et qui s'avère finalement la meilleure.

Le rituel arrive en fin de texte, et je dirais que toutes choses égales par ailleurs il fallait qu'il se produise. C'aurait été, autrement, une déception, une menace sur laquelle le texte insiste pendant deux chapitres, avec ses scènes, etc... et qui échoue bêtement ? Non, le lecteur ne peut pas l'accepter.
À ta place je me serais demandé comment le faire échouer, puis j'aurais encore inversé la logique en me demandant comment faire en sorte que l'Eldred gagne quand même, avec cet échec. Et ainsi de suite.
En tant que lecteur, j'ai eu ce que je voulais et je ne l'envisagerais pas autrement.
Portrait de Iggy Grunnson
Iggy Grunnson a répondu au sujet : #21107 il y a 7 ans 7 mois
Juste un mot en passant - il faut vraiment que je trouve un moment pour lire et commenter ces deux derniers chapitres... Je ne vous oublie pas !

Iggy
Portrait de Zarathoustra
Zarathoustra a répondu au sujet : #21108 il y a 7 ans 7 mois

J'aime le mystère, l'inexplicable-mais-explicable, les puzzles à résoudre, les énigmes. J'aurais sans doute, s'il m'avait fallu écrire ce texte à ta place, opté pour qu'après le sort il n'y ait plus trace de ce qui s'est passé

Tout n'est pas résolu. Et d'ailleurs, une partie ne peut se résoudre que si le lecteur fait ses choix. Par exemple, quelle est cette voix qu'on entend du Monolithe? Que veut-elle vraiment dire? Sauvez qui? De quoi?
Bien entendu, le champ d'interopération est restreint parce que l'histoire sort du contexte du Rêve d'Ether. Or, replacer dans la bonne chronologie, l'histoire des yhlaks est là pour commencer à se poser plus de questions que de trouver de réponses.
Donc ce qui m'intéresse, ce n'est effectivement pas le rituel, mais sa portée symbolique. Comme tu le dis, la chaine de cause à effet que cela implique.

Mais plus avant, j'aurais surtout été intéressé de voir comment ce peuple aurait fait pour l'éviter. La lutte d'Okkor et de Vuldone, du devin et du sorcier, des Yhlaks et de l'Eldred. C'est une orientation épique, tragique, tu y retrouves ma folie des grandeurs où sur chaque mot pèse une civilisation. Le rituel, au final, c'est juste un piège à loup qui arrache une jambe au héros. C'est dramatique, mais voilà. C'est tout.

La lutte d'Okkor et de Vuldone, soyons clair, elle ,n'existe que dans la tête des protagonistes. Réduire cette séquence à un piège à loup est peut être fondé en l'état, mais c'est un piège qui interroge le monde dans son ensemble; L'enjeu du Rêve d'Ether est de manière souterraine très politique. Admettons que tous ces personnages vivent dans un vaste rêve et que tous ceux qui ont un pouvoir pour influer sur lui (les magiciens, les empereurs, les nobles, les religieux etc;) ne s'en servent que pour le maintenir en l'état. Or il y a dans les personnages du Rêve d'Ether un personnage qui agit contre le rêve (je te laisse deviner lequel). Dès lors, l'enjeu est plutôt de savoir s'il faut maintenir le rêve ou le supprimer. Bref, agir dessus pour briser la chaine de cause à effet qui nous empêche de voir la réalité des choses, qui nous permettent de voir au-delà du rêve.

Toute l'histoire donne l'impression que le Rêve en question est un bonne chose, puisque tout le monde agit pour empêcher cette personne d'atteindre ses fins. Pourtant, qu'y voit-on? Des viols, des guerres, des génocides... Aucun moment je ne dirai clairement les choses, mais j'aimerai que le lecteur finisse par lui-même par prendre parti. Et que peut-être qu'il finisse par comprendre qu'il s'est trompé. J'ai dans cette histoire une vision très iconoclaste du monde. En même temps, je ne juge pas vraiment mes personnages. Tous ont de bonnes raisons pour agir. S'il y a des jugements à prononcer, je les laisse aux lecteurs. Mais j'aimerais lui montrer qu'il y a peut-être quelque chose d'autre à envisager que ce rêve qu'on nous propose. C'est en ceci que je considère mon récit comme politique.

J'ai une logique plus générale, où mes personnages ne sont que des machines logiques, les rouages d'un monde allant d'un point A au point B. Je m'intéresse uniquement aux causes et aux effets, et en cela je verrais dans l'échec du rituel le plus de potentialité, justement parce qu'il est plus difficile, et donc plus intéressant, à justifier.

Le problème, c'est que ce n'est pas l'échec ou la réussite du rituel qui me parait intéressant, mais ce qu'il implique. Il est un point de départ en quelque sorte et non la fin de l'histoire. Tout comme prendre partie pour les eldreds (ce qui est fort peu probable) ou les yhlaks n'a pas d'importance. L'important, c'est de montrer un monde où une telle idée puisse être possible et justifiée. C'est de remettre en cause non pas l'idée mais ce monde. Et pour rentrer dans ton fonctionnement, il ne faut pas se focaliser sur les relations de causes à effets qui l'ont amenée mais découvrir comment s'en extraire, comment sortir du cadre. Cette partie est bien entendu surtout dans le Rêve d'Ether et non ici, mais la fin de l'histoire tentera d'ouvrir cette option.
Portrait de Iggy Grunnson
Iggy Grunnson a répondu au sujet : #21114 il y a 7 ans 7 mois
Franchement, c’est vraiment pas mal. Un très bon chapitre. Même sans avoir lu toute l’histoire, loin de là, c’est dur de ne pas se laisser émouvoir par le destin des Ilahks, et de ne pas éprouver un peu de sympathie pour les personnages, quel que soit leur camp.

Côté style, c’est beaucoup plus homogène que le chapitre 8. Il reste encore quelques coquilles, quelques maladresses peut-être, mais dans l’ensemble c’est très bien. Il y a bien le rituel qui n’est pas aussi mémorable qu’il devrait l’être (je reviendrai là-dessus), mais c’est tout.
La première partie, la course-poursuite, est très bien. J’aime beaucoup le personnage de l’œil de dieu, sans tirer la couverture à lui il arrive à être mémorable à chacune de ses apparitions. Peut-être qu’il faudrait, pour faire encore monter la tension d’un cran, rajouter une confrontation directe – mais très brève - entre l’œil de Dieu et un adversaire ayant réussi à lui couper la route ? Il y a bien le « Pas le poumon, j’espère ! » qui me semble maladroit, c’est un peu trop distant comme commentaire, comme s’il parlait d’un pneu crevé… Il pourrait être bon de faire ressentir au moment où il est blessé l’afflux d’adrénaline et la panique qui le submergent simultanément et lui donnent un nouvel élan.

Concernant le rituel, c’est un peu là que le bât blesse à mon sens. En tout cas s’il y a un passage à retravailler c’est sans doute celui-là. Entendons-nous bien, en l’état c’est pas mal ; mais je trouve que tu pourrais en faire un passage encore plus mémorable, surtout vu l’attente qui a précédé. Le principal défaut, c’est que tu expliques trop les choses, dès le rituel terminé. Je suis d’accord avec Vuld de ce point de vue-là. Il n’y a pas de mystère, ni sur le sort des Ilahks tués (tu décris très vite l’effet du sortilège), ni du point de vue géopolitique (tout le monde semble très vite informé de ce qui passé sur l’île, bien qu’il y ait eu très peu de témoins). Quelques idées qui pourraient à mon avis améliorer les choses :
• Plutôt que de décrire tout de suite le sort des victimes, tu devrais rester très vague au départ, pour laisser travailler l’imagination du lecteur. Et puis, révéler l’étendue du carnage lors du passage final avec Reyv’avih enterrant les cadavres, de façon à mieux faire partager son horreur au lecteur.
• Après le départ des Vuldoniens, faire un court passage sur l’œil de dieu, refusant peut-être d’accepter les conséquences du succès de sa mission, se demandant surement quelle serait la tournure des événements par la suite…

Toute la fin avec Reyv’avih est très forte. Pour un texte de fantasy (et dont la dimension « magique » est très présente dans ce chapitre au travers du rituel), je trouve que tu y fais ressentir l’horreur que vivent les survivants avec un réalisme glaçant. On se croirait davantage dans un récit sur la shoah ou quelque chose du genre, plutôt que dans un lointain successeur du Seigneur des Anneaux. La conclusion, avec Reyv’avih qui se confronte et finit par se retrouver avec le Monolithe... Bon, je ne peux pas prétendre en comprendre toute la signification, mais j'ai trouvé que c'était vraiment le ton juste, désenchanté plus que vraiment amer. L'enseignement qui semble s'en dégager (c'est mon interprétation à chaud!) c'est qu'il faut accepter la part de mysticisme de l'existence (Reyv’avih ne rejette pas son dieu) mais qu'il ne faut pas en attendre le salut pour autant, les dieux n'étant finalement pas si différents des hommes, comme s'ils étaient seulement l'extension de leur volonté.

Iggy
Portrait de Zarathoustra
Zarathoustra a répondu au sujet : #21116 il y a 7 ans 7 mois

La première partie, la course-poursuite, est très bien.

Tu sais que j'ai pensé plus d'une fois à tes anciens textes en l'écrivant! Donc que tu trouves la scène très bien, ça veut dire aussi que tout mon travail dessus parfois laborieux ne s'est pas traduit par un texte laborieux. Donc ça fait plaisir. En encore plus venant de l'un de mes modèles en la matière... :oops: Ce sont clairement des scènes qui ne me sont pas naturelles et auxquels je dois beaucoup réfléchir.

Il pourrait être bon de faire ressentir au moment où il est blessé l’afflux d’adrénaline et la panique qui le submergent simultanément et lui donnent un nouvel élan.

Je suis preneur de toutes les suggestions pour l'améliorer. Je sais que tout seul, je pourrais difficilement changer un mot en l'état actuel des choses. Si tu as reperé quelques fautes ou maladresses, je veux bien que tu me les signales.

Le principal défaut, c’est que tu expliques trop les choses, dès le rituel terminé. Je suis d’accord avec Vuld de ce point de vue-là. Il n’y a pas de mystère, ni sur le sort des Ilahks tués (tu décris très vite l’effet du sortilège), ni du point de vue géopolitique (tout le monde semble très vite informé de ce qui passé sur l’île, bien qu’il y ait eu très peu de témoins).

Je vais sans doute me rallier à votre point de vue. Mais moi, j'ai pas envie que ce soit mystérieux. Je veux que ça saute à la gorge. Qu'on ne puisse plus se cacher derrière un rideau de nuit irréelle pour regarder. J'avais dans l'idée que l lecteur ne pourrait jamais être dupe dans la mesure où c'est annoncé depuis 4 chapitres. Mais tes suggestions me donnent effectivement des pistes intéressantes.

On se croirait davantage dans un récit sur la shoah ou quelque chose du genre, plutôt que dans un lointain successeur du Seigneur des Anneaux.

Ce ressenti n'est pas un hasard. La trajectoire des yhlaks est là pour évoquer le sort des juifs: un peuple chassé de ses terres et une autre peuple qui met en oeuvre une solution finale à son encontre pur les exterminer... Bien sûr, ce n'est pas exactement l'histoire de juifs que j'ai traitée métaphoriquement, mais leur ombre plane volontairement. Et même le rituel n'est fantastique que pour cacher cette réalité. C'est un fantastique purement symbolique pour moi.

Pour la forme, les mêmes questions que j'ai posées à Vuld:
- Avais-tu envie que l'Oeil de Dieu réussisse à atteindre le cercle ou pas?
Avis tu envie que le rituel échoue ou pas?
Avais-tu secrètement envie d'une autre issu?
Portrait de Iggy Grunnson
Iggy Grunnson a répondu au sujet : #21127 il y a 7 ans 6 mois

Pour la forme, les mêmes questions que j'ai posées à Vuld:
- Avais-tu envie que l'Oeil de Dieu réussisse à atteindre le cercle ou pas?
Avis tu envie que le rituel échoue ou pas?
Avais-tu secrètement envie d'une autre issu?


Je ne sais pas trop, j'ai vraiment vécu tout ça sans me poser de question, c'est sans doute bon signe vis-à-vis du caractère prenant du texte...

C'est dur d'imaginer un autre déroulement en l'état. Curieusement si le rituel avait échoué les conséquences auraient pu être plus terribles car les Yhlaks auraient eu le motif et les forces de se lancer dans des représailles. Là, on a l'impression que le rituel constitue un point d'inflexion qui pousse vers une résolution positive de l'histoire (je n'ai pas encore eu le temps de lire le dernier chapitre!), chacun ayant pris conscience qu'une désescalade est nécessaire (un peu comme pendant la guerre froide). Les Yhlaks, au travers des pertes qu'ils ont subi, prennent un ascendant moral sur les eldreds, ascendant qu'ils n'auraient pas pu avoir d'un point de vue militaire.


Iggy
Portrait de Vuld Edone
Vuld Edone a répondu au sujet : #21128 il y a 7 ans 6 mois
Je... ne suis pas d'accord.

Les Yhlaks avaient déjà été affaiblis par une première bataille et le texte le dit clairement, le rituel n'est là que pour éviter d'avoir à détourner une armée. Et même sans une telle armée, Valdec est un port et les Yhlaks en redoutent les murailles. La cité aurait sans doute pu sans doute soutenir le siège, surtout face à un ennemi qui n'a pas la moindre idée de comment en mener un.
Donc non, militairement et pour ainsi dire dès le départ, les Yhlaks sont les "underdogs". Avant même leur première bataille on entendait bien qu'ils tentaient un pari fou.
Mais allant plus loin... disons que le rituel échoue. Et ensuite ? Déjà, les Yhlaks n'auraient probablement pas réalisé ce à quoi ils avaient échappé. Tout ce qu'ils auraient eu, alors, aurait été une poignée de vuldoniens et leur sorcier, et ils n'auraient pas su quoi en penser. Mais même s'ils l'avaient appris, ou s'ils avaient autrement voulu faire des représailles... ils en auraient été incapables. Ils n'ont pas de bateau et leurs femmes et enfants sont en terres Eldred, pour ainsi dire otages.

Donc non, de ce point de vue-là le rituel ne change rien. Tout au plus, si le rituel avait échoué l'Eldred aurait pu surréagir et revenir à son plan de départ, déplacer une armée pour en finir. Mais improbable.

La véritable nécessité du rituel, à mon sens, est plutôt sur l'interprétation du message du monolithe. Si le rituel avait échoué, on aurait effectivement pu croire à une destinée, tout se liguant pour qu'ils réussissent. Le rituel réduit une telle interprétation à néant -- sauf si Okkor aime le sang frais au petit matin.
Mais même là, je maintiens que c'était une approche inutile. Il suffisait de rendre Lisonge misérable pour en soi punir les Yhlaks de leur périple. Mais bref.
Une autre raison de sa nécessité est bien sûr qu'on nous l'annonce depuis, quoi, deux chapitres ? Et qu'après toute cette préparation, ne pas l'avoir aurait été décevant. Mais là je l'ai déjà dit : l'intérêt aurait été de réussir à décevoir tout en offrant plus à côté. Le potentiel de l'échec est énorme s'il peut être exploité.

Bref.
Portrait de Zarathoustra
Zarathoustra a répondu au sujet : #21132 il y a 7 ans 6 mois
Vuld, je suis content que tous ces points que tu soulèves t'aient marqué suffisamment pour répondre à ma place. cela montre que le texte fonctionne comme je l'avais en tête sur ces questions. Donc oui, effectivement, les yhlaks sont une puissance à l'agonie; Je trouvais logique de le montrer parce que je ne vois pas comment il pourrait en être autrement. D'où pour ma part, une certaine volonté de montrer une sorte de destin inéluctable. Et la décision de faire appel à des forces magiques pour une menace finalement aussi affaiblie devait apparaître comme un signal fort à destination des autres peuples.

J'ignore si vous partagez cette vision, mais j'ai essayé de traiter ces questions de manière la plus réaliste possible. Je souhaite que cette dimension soit vraiment crédible. Ce qui est en cause ici, c'est aussi la disproportion de la réaction. En soi, le rituel est effectivement inutile, mais il a valeur symbolique tant du point de vue des eldreds que du lecteur s'il cherche un sens.

La dimension "magique" de cette solution permet aussi d'en donner une sorte de résonance métaphysique sur le monde. Dans un monde de cause à effets, utiliser de telles énergies a forcément des répercussions qui dépassent le monde tel qu'on le connaît. Cela dépasse aussi le monde rationnel et crée justement comme une brèche que le lecteur pourrait être susceptible de chercher à combler à travers les échos du monolithe.

J'ignore si c'est perceptible ou compréhensible. Détruire un peuple avec la force des armes n'a pas, selon moi, les mêmes implications que de telles forces surnaturelles. Je me dis que le lecteur est capable de le sentir au vue de la volonté de réalisme que j'essaie de donner à ce texte. J'aimerai que le surnaturel le pousse à s'interroger dessus.

Si le texte laisse peu de doute sur la nature du rituel comme vous me le reprochez, je trouve qu'il est beaucoup plus ouvert et interrogatif sur sa dimension métaphysique, avec cette magie qui intervient comme soudainement et toujours l'omniprésence du chant des monolithes.


Un dernier point qui m'intéresserait de savoir et pour laquelle vous avez cependant commencer de répondre, ce serait de savoir si vous avez senti un peu le besoin de rechercher une relation de cause à effet entre le rituel et le message du monolithe?
Portrait de Vuld Edone
Vuld Edone a répondu au sujet : #21133 il y a 7 ans 6 mois
À propos du caractère du rituel : il ne contraste pas avec le reste de l'univers.
D'une part parce qu'on ne connait pas suffisamment l'univers pour vraiment savoir si c'est... inhabituel. C'est comme dans Warhammer où on nous dit que telle chose est vraiment extraordinaire -- ahem Archaon -- alors que bon, en fait c'est un peu tous les jeudis du mois. D'autre part parce que les premiers chapitres de la saga ont quelque chose d'onirique, de surnaturel.
Il y a un contraste entre l'Eldred, très terre-à-terre, avec la narration zéro et très distante, très générale et englobante, et les Yhlaks, très oniriques, avec une narration collée aux personnages et un champ de vision réduit. Mais le rituel est plus du côté des Yhlaks, comme quelque chose que l'empereur ne comprend pas et qui n'appartient pas à son monde. Une sorte de "réglez ça entre vous".

À propos de l'effet du rituel sur le message, ce n'est pas le rituel lui-même qui pousse à chercher une relation. C'est l'attitude de Reyv'avih. Au final c'est lui qui impose l'interprétation au lecteur et celui-ci ne va pas chercher plus loin.
Je n'ai pas vraiment cherché plus loin non plus. Au sens où cela n'aurait pas changé grand-chose. Il y a un mantra, et il y a l'interprétation des gens de ce mantra. Au final, les gens ont interprété ce qu'ils voulaient, fait ce qu'ils voulaient et tout est resté assez matériel. Le texte n'a jamais vraiment eu à répondre à cette question, elle n'a pas vraiment été pertinente en ce que même si on avait eu une réponse objective, celle-ci n'aurait pas changé la suite des événements.
Mais ça c'est, évidemment, une approche plutôt cynique ou "réaliste" de la chose.

La question du mantra m'intéressait dans les premiers chapitres, notamment avec l'opposition d'Ilda, de Reyv'avih et de Lonstroek. Mais à partir de la pendaison de Lonstroek, eh. Le devin qui se découvre tendre a probablement été le clou sur le cercueil, il faudrait que je retourne voir mes commentaires de l'époque mais essentiellement, à ce stade ce n'était plus un puzzle, juste un drame émotionnel.
Mais là je suis en train de critiquer mes propres textes et en quoi ils ne fonctionnent pas. Bref. Je me mets à comparer le mantra de Reyv'avih avec le ciel de Marchen...
Portrait de Zarathoustra
Zarathoustra a répondu au sujet : #21134 il y a 7 ans 6 mois
Je n'avais pas vu mon texte avec cette dichotomie (même si je l'avais ressenti en écrivant). Pour moi, le monde des yhlaks est celui des sensations (avec toutes les approximations qu'elle impliquent dans l'interprétation des phénomènes). Mais l'Elderd est traité autrement uniquement parce qu'il n'y a pas de personnages pour le raconter ici. Or dans le Rêve d'Ether, quasiment tous les autres personnages en font partie et sont, me semble-t-il, sur le même registre que tu qualifies d'oniriques ou émotionnelles (Aurélia, Petit Louis, Milfred notamment, certaines scènes également avec l'elfine Dolorès).
Ce que je veux dire, c'est que, globalement, le récit traite la dimension fantastique avec une certaine distance. Et jamais il n'avait été question de magie. Et ici, pour moi, cette magie a le même impact qu'une bombe nucléaire pour le lecteur donc en soi un effet fort peu "magique".

Il y a un mantra, et il y a l'interprétation des gens de ce mantra. Au final, les gens ont interprété ce qu'ils voulaient, fait ce qu'ils voulaient et tout est resté assez matériel.

Mais le Mantra n'a pas grand chose à voir avec ce chapitre, c'est plus justement la question du Monolithe qu'il faudrait interroger.
Le Mantra, tu l'as compris, n'a pas vocation à être expliqué. Pour autant, le sens que les personnages finissent par lui trouver (d'abord Lonstroek, puis Reyv'avih et enfin Vyréhel) est identique et ne tombe pas du ciel. Et à mon sens, tout le texte dit la même chose (même que tu n'as pas arrêté de t'en agacer et au moment où le texte fait sien du sens qu'il ne cessait de mettre en scène, tu me dis que le texte na rien dit ou jamais annoncé les profonds changements des personnages). Tu n'es pas d'accord que tout ça convergeait? Je parle ici du thème de la féminité.

À propos de l'effet du rituel sur le message, ce n'est pas le rituel lui-même qui pousse à chercher une relation. C'est l'attitude de Reyv'avih. Au final c'est lui qui impose l'interprétation au lecteur et celui-ci ne va pas chercher plus loin.
Je n'ai pas vraiment cherché plus loin non plus. Au sens où cela n'aurait pas changé grand-chose

C'est très intéressant. Je pense que toute l'histoire demande justement de prendre une distance avec ce que ressentent et vivent mes personnages. Du moins, c'est comme ça que j'ai essayé de donner à voir. Mais il y a effectivement l'identification qui interfère mon approche. Ou formuler autrement, un besoin du lecteur à ne pas remettre en cause ce qui est écrit, comme si le texte était sacré. Ca veut dire que j'ai beau multiplier les "comme si", les "il lui semblait" ou "eut l'impression" tec., ce que je donne à faire vivre à travers un personnage devient une sorte de vérité?
Or tu formules toi-même la chose par "il donne l'interprétation". Or c'est ainsi qu'il faut le percevoir. Il ne dit pas la vérité, il donne une interprétation. Donc si le lecteur s'arrête là, comment procéder alors pour que le lecteur ait envie de trouver la vérité par lui-même?
J'ai écrit le texte pour qu'on puisse s'en passer et que l'histoire puisse être lu sans ça, mais je trouverai dommage que tout le monde s'arrête là... On va formuler les choses différemment; Je ne veux pas raisonner à la place du lecteur. Je veux juste lui faire sentir que quelque chose cloche éventuellement. Et c'est à lui de résoudre seul le problème. Je dis ça pour ce texte, mais c'est le cas de beaucoup d'autres, notamment le Loup-Garrou ou l'Iconoclaste. Le texte défend un point de vue ou a une vraie position mais mes personnages ne la disent pas, le texte ne la dit pas. J'essaie juste de procéder par effet d'accumulation pour que le lecteur devine qu'il y a là peut-être un point qui mérite réflexion ou qui fait partie de la réflexion plus globale du texte.

Maintenant, sans doute que toi et moi en sommes au même point même si nos approches diffèrent: le lecteur est-il capable tout seul d'arriver au bout de ce qu'on voulait dire et qu'il découvre? :(

Mais je t'accorde que sur le plan du déroulement de l'intrigue et des thèmes que mon histoire manque certainement de rigueur et que tout ça puisse être confus, car tout n'a pas été construit au départ avec une grande rigueur mais plus dans une démarche intuitive. Et aussi parce que j'ai évolué au fil des chapitres sur cette histoire et sur ce que je voulais y mettre. Vouloir prouver que mon travail était 100% logique avec un objectif unique dès le départ totalement défini à 100% serait un vaste mensonge de ma part. Il y a cependant quelques constances tout au long de l'histoire.

Un dernier point qui cloche certainement, c'est que je ne dis pas forcément qu'une seule chose et que j'aborde plusieurs thèmes différents. Tout ça brouille certainement l'ensemble, crée des interférences...

Encore merci pour ces retours que je trouve très intéressants. On touche certainement le cœur de certains problèmes du texte.
Portrait de Vuld Edone
Vuld Edone a répondu au sujet : #21135 il y a 7 ans 6 mois
Je pense plutôt que j'ai été insensible au thème.
La première chose à faire pour moi serait d'utiliser d'autres termes. Reyv'avih se découvrant de la tendresse n'est pas pour moi Reyv'avih découvrant sa part féminine : la tendresse n'est pas féminine. Pour moi. De même, Vyréhel qui se découvre une guerrière n'est pas Vyréhel découvrant sa part masculine : le courage ou la violence ne sont pas masculins. Ce serait comme me dire qu'ils découvrent leurs parts adulte / enfantine. Ça a autant de sens pour moi.
Si, donc, on le redéfinit en termes plus généraux... cela revient à des héros qui se réalisent. Ce qui est... l'archétype du récit d'aventure. Vyréhel échappe à l'ombre de sa soeur, Reyv'avih se révèle dans sa fonction d'imposteur. Lonstroek apprend qui il est à l'aide de l'alcool. Le problème est que ça en devient... trop banal. Pour vraiment être significatif.

Si un démon voulait troller, il dirait aux gens "soyez gentils" et les laisserait se débrouiller avec ça.

C'est d'autant plus amusant que si on étend le mantra aux deux peuples, Yhlaks et Eldreds, ils sont divisés au départ, divisés à la fin et ce sont en fait les eldreds qui tenteront de panser les plaies... comme quoi Vuldone doit aimer l'ironie. Ce qui d'ailleurs permet d'inverser le mantra à l'ordre psychologique où, enfin, on se définit par rapport aux autres.
Mais bref.

Un texte est une construction, elle a ses propres règles. On doit pouvoir, tout à fait, y créer une dichotomie masculine et féminine telle que même un lecteur têtu comme moi s'y soumette.
Je ne suis pas sûr que le texte ait vraiment mis en scène cette dichotomie... ou alors il l'a fait et je n'y ai vu que de la caricature. L'évolution des personnages elle-même fonctionne, comme dit, Vyréhel échappant à sa soeur et Reyv'avih prisonnier de l'imposture. Mais à aucun moment on n'y voit vraiment des personnages incomplets, à aucun moment on n'envisage vraiment une complétion.
Je ne pense pas qu'il y ait un effet de brouillage. D'autant que pour une dichotomie aussi simple, il devrait être possible de la répéter partout et tout le temps sans grande difficulté. Le reste ne serait que du bruit de fond. Même une dichotomie aussi simple que "violence vs compassion".

Imagine Paul et Pierre les chasseurs de dragon. Paul résout tout à coups d'épée et Pierre à coups de discours. Ils arrivent devant la caverne du dragon et Pierre veut aller discuter avec le dragon, du coup il révèle leur présence. Paul veut en finir et se fait rouler dessus. Pierre supplie le dragon de les épargner et parvient à ce que la bête les emprisonne seulement dans son garde-manger. Paul parvient à les en faire échapper à la force de ses bras. Ils doivent passer le dragon pour sortir et leur dispute attire ce dernier. Alors qu'ils courent, Paul admet que sa force ne sert à rien et Pierre qu'on ne peut pas discuter avec un dragon. Ils allient leurs deux approches, trompent le dragon par des mensonges et lui tombent dessus ensemble.
C'est un conte pour enfant mais c'est essentiellement la mécanique de base qui permettrait de mettre en pratique le mantra du Chant des Pierres. Deux personnages présentés comme défectueux, d'abord poussés dans l'erreur puis poussés à en sortir et qui finissent par s'équilibrer.
On peut le faire avec Pierre seulement. Pierre a vu sa ville attaquée par le dragon et le dragon compte revenir. Il ne sait pas se battre mais décide d'aller persuader le dragon de ne rien faire. Il révèle sa présence, se fait capturer pour se faire manger pour plus tard. Il désespère quand il voit un moyen de s'échapper, qui lui fait changer d'avis et miser sur la force. Il parvient à faire s'écrouler la caverne et le texte décide à la fin de la morale, si Pierre se dit "la violence ça roxxe en fait" ou bien "comment on en est arrivé là" ou encore "si je n'avais pas été fait prisonnier, jamais je n'aurais su comment faire s'écrouler la caverne", etc...

Pour être honnête, je n'ai pas l'impression que le Chant des Pierres fasse ça. Reyv'avih se découvre de la tendresse à travers un rêve et... voilà. Fait.
Une manière dont j'aurais pu traiter le rêve aurait été que Reyv'avih, violent et persuadé que sa solution est la seule, rêve du monolithe qui se moque de ses efforts. Reyv'avih, violent, veut donc le faire taire à coups de poings mais n'arrive pas à le toucher et le monolithe se moque toujours plus, jusqu'à ce que Reyv'avih admette, et s'admette à lui-même, qu'il est en fait terrifié et se sent impuissant. Quand ses coups se transforment en bras tendus, enfin il peut enlacer le monolithe.
Même alors, ce ne serait pas le même rapport qu'avec ton rêve, mais cela expliquerait pourquoi il passe de l'autorité à la compassion, aussi soudainement. Enfin bref.

Il y a des mécaniques textuels pour aider à cette interprétation. J'ai juste du mal à les appliquer au Chant des Pierres...
Portrait de Zarathoustra
Zarathoustra a répondu au sujet : #21136 il y a 7 ans 6 mois
Pour tout te dire, l’acte fondateur de ce texte, c’est d’abord de vouloir raconter un exode et une conquête dans une sorte de course perdue d’avance, là où on présente généralement les hordes de barbares victorieuses. J’ai pour ma part du mal à comprendre une course effrénée jusqu’au bout du monde. Et pourtant, ces invasions ont peuplé l’histoire.
Ensuite, il y a la volonté de mettre en scène un monde d’hommes géré par les hommes et la relation profondément inégalitaire qui en découle entre les hommes et les femmes. Les premiers chapitres montrent cette domination et le prix que cela implique sur elles. Plus l’histoire avance et plus la place accordée aux femmes grandit jusqu’à aboutir véritablement, je l’espère, à une sorte d’égalité.

Je ne suis pas sûr que le texte ait vraiment mis en scène cette dichotomie... ou alors il l'a fait et je n'y ai vu que de la caricature. L'évolution des personnages elle-même fonctionne, comme dit, Vyréhel échappant à sa soeur et Reyv'avih prisonnier de l'imposture.


La dualité féminité/masculinité découle de ce que je viens de dire. Il ne s’agit pas de montrer une dichotomie, mais plutôt de trouver une réponse à cette dualité dans le cadre de cette conquête (ou de ce retour un peu « mythique » aux sources). Comment donner une place aux femmes dans un monde d’hommes et dirigé par les hommes ? C’est bien entendu de notre monde qu’il s’agit implicitement… Et j'ai l'impression que ma vision du monde te dérange parce que tu la trouves cliché.
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Bref, j’ai l’impression que, pour toi, accepter sa part féminine quand ton est un homme est une chose aisée. Tout comme l’inverse pour une femme. Amuse-toi au cours d’une soirée ou devant ton père de dire haut et fort que tu souhaites explorer et assumer ta part féminine… Dans la tête des gens, cela se réduira à la manifestation d’un penchant homosexuel… Ce en quoi le texte s’oppose. Il s’agit bien ici de comprendre l’autre pour mieux se comprendre soi-même. C’est à travers l’autre sexe que tu peux découvrir cette partie cachée en toi. Et cette démarche n’a rien d’évident parce qu’elle implique une vraie remise en cause de ce que structure un homme (ou une femme si on prend la cas inverse) avec tous les préjugés qui nous gardons en nous ..


La première chose à faire pour moi serait d'utiliser d'autres termes. Reyv'avih se découvrant de la tendresse n'est pas pour moi Reyv'avih découvrant sa part féminine : la tendresse n'est pas féminine. Pour moi. De même, Vyréhel qui se découvre une guerrière n'est pas Vyréhel découvrant sa part masculine : le courage ou la violence ne sont pas masculins. Ce serait comme me dire qu'ils découvrent leurs parts adulte / enfantine. Ça a autant de sens pour moi.


Heu… oui, la tendresse n’est pas uniquement féminine, OK, mais tu veux en venir où ? Comment la définis-tu ? Si tu dois définir la masculinité, placerais-tu pour autant davantage la tendresse dans la masculinité ? Et si tu dois montrer une image l’incarnant, emploies-tu une image d’homme ou de femme ? L’image de la femme est profondément liée aussi à la maternité et à l’amour maternel. Bref, oublie ce vilain terme de « tendresse » et remplace-la par d’autres termes : amour maternel et compassion me paraissent plus pertinent par rapport à l’idée que je souhaite mettre en scène.
Par ailleurs, pour Vyréhel, elle n’est pas présentée comme « guerrière » mais comme une meneuse (à aucun moment elle réclame des batailles). Dans ses mains, l’épée qu’elle brandit n’est pas une arme mais un substitut phallique pour montrer le pouvoir et l‘autorité sur les autres. J’espère que tu m’accorderas le fait que l’autorité et la recherche du pouvoir sont plus du côté masculin que féminin et fait d’ailleurs partie de la définition même du phallus (au-delà même de la notion de virilité).
C’est cette dimension masculine qu’elle découvre en elle et non le besoin de violence comme tu sembles le suggérer.

Mais à aucun moment on n'y voit vraiment des personnages incomplets, à aucun moment on n'envisage vraiment une complétion

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Non, ce ne sont pas des personnages « incomplets » mais en « déséquilibre » ou qui éprouvent un vide en eux. Le pire étant le devin, bien entendu. D’ailleurs, tu les perçois a priori très différemment de moi dans leur fonctionnement. Quand tu dis que le devin découvre la compassion ou l’amour maternel (et non la tendresse), il ne le fait pas à travers un rêve mais à travers l’amour d’une femme. Un amour impossible puisqu’elle est déjà morte lorsqu’il le comprend. Et quand il croit la revoir vivante, il peut soit douter de ce qu’il a vu (donc de ses sens) et, en gros devenir fou, soit l’accepter et chercher à comprendre. Le rêve dans l’histoire n’est d’ailleurs pas compris par le devin (comme à chaque fois qu’il y en a eu). Le rêve était une tentative du monolithe d’entrer en contact pour qu’il l’aide. Mais bon, je pense que ce passage mériterait d’être entièrement revu, cela fait partie de ceux que je trouve les plus creux…
Bref, il découvre sa féminité à travers cet amour et son besoin de le vivre pour de vrai. Pour moi, il est quelqu’un qui était jusqu’à présent dévoré par sa frustration sexuelle. C’est elle qui justifie sa colère, son besoin de violence et sa tentative de viol sur Ilda. L’autre point qui le caractérise, c’est qu’il ne fait que nier ses émotions et ce qu’il est parce qu’on le lui a imposé son rôle. Bref, soit il devient fou (ce qu’il frôle quand même), soit il finit par comprendre ce qu’il est, et non ce qu’on lui a de tout temps imposé. Le message t’apparaitra sans doute banal, mais c’est juste quelqu’un qui a besoin d’aimer et d’être aimé. Et à défaut d’être aimé, il va d’abord accepter et apprendre à aimer les autres sans rien attendre en retour, parce qu’il n’aura pas su donner celui qu’il ressentait pour Ilda. Il fait en quelque sorte le don de celui qu’il éprouve à son égard à tout son peuple (ou il donne à son peuple l’amour qu’il aurait aimé recevoir). Et il le fait effectivement en s’ouvrant sur sa féminité.
Voilà comment je voyais les choses. Et la « tendresse » en question n’est rien d’autre à mes yeux qu’un amour maternel pour son peuple. C’est en ça qu’il trouve sa part féminine. A mes yeux, la force de ce personnage est justement de l’accepter et de finir par la montrer aux yeux de tous. Contrairement à ce que tu penses, c’est, comme je l’ai expliqué plus haut, un acte très fort pour un homme que de l’assumer.


Il y a des mécaniques textuels pour aider à cette interprétation. J'ai juste du mal à les appliquer au Chant des Pierres...


Plus je réfléchis et plus je me dis que la dimension apporté par ma vision du Rêve d’Ether embrouille plus les choses. Elle offre peut-être une part mystérieuse et irrésolue dans l’histoire, mais je doute qu’elle puisse être comprise avec les éléments qu’on dispose. Donc l’interprétation Féminité/Masculinité et celle du Rêve se brouille sans doute dans la tête de tout le monde fort logiquement. J’ignore si je peux aider davantage le lecteur… Je m’étais juste dit jusqu’à présent que cela donnait un texte ouvert, interrogatif et que le lecteur avait déjà de quoi réfléchir et trouver ses réponses.
Et je dois t’avouer que rien que la terminologie même de «mécanique textuelle» aurait tendance à me faire fuir, parce que, moi, j’ai envie que ce soient les émotions de mes personnages qui aient lieu et place de mécanique. Peut-être est-ce moi qui dirige le tout ? Pourtant, la trame a été justement et plus d’une fois chamboulée par les émotions que j’ai découvert dans mes personnages… Si tu veux la liste : la volonté de violer Ilda et l’amour du devin pour elle, la colère de Lonstroek qui aboutit à la mort d’ilda, l’ambition de Vyréhel… Rien de tout ça n’avait été planifié… Et j’ai tendance à écrire mes histoires pur voir jusqu’où ça me mène en me disant qu’une fois arrivée, je pourrais tout reprendre de manière plus carré et structurée. Quelque part, j’ai juste terminé mon brouillon… Bien entendu, je n’ai pas envie de m’y replonger, mais je n’abandonne pas pour autant l’idée qu’un jour…