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     Elle partit au beau milieu de la nuit, délaissant biens et famille, n’emportant avec elle que le strict nécessaire : quelque nourriture, des vêtements de rechange et des armes, un vieux mousquet et une épée portant le sceau des Mortelune.

Durant sa petite enfance au château, elle avait appris par un écuyer les rudiments du maniement des armes, elle savait tirer à l’arc et pourrait tenir une épée si le besoin s’en faisait sentir. Malgré ça, elle était loin d’être une guerrière. La vie au château, confinée dans un univers de luxe et de facilité ne l’avait habituée ni aux rudesses de la vie au grand air, ni aux difficultés de la vie d’une vagabonde. Mais quelle importance, seule la vengeance guidait ses pas, ni la douleur ni le froid ne stoppaient son chemin.

     Elle s’arrêta à la première auberge qu’elle rencontra, à une dizaine de kilomètres du château. Elle loua une chambre et s’installa rapidement. Après avoir fait une rapide toilette, elle se mit à méditer. Qu’est-ce qui pouvait encore l’inciter à vivre ? Qu’est-ce qui l’a poussée à descendre vers le sud ? Pourquoi ce voyage ? Elle ne trouva qu’une seule réponse à toutes ces questions : la vengeance. La vengeance lui rongeait le cœur. Elle la poussait à rester vivante tout en la dévorant. Comme un poison mortel qui garde en vie sa victime aussi longtemps qu’elle y goûte, la vengeance la guidait et la perdait dans le même temps. C’était un véritable suicide que de vouloir y aller seule, elle faible femme, elle voulait réussir là où une armée entière avait échoué. Elle n’avait ni plan ni tactique, elle n’avait aucune idée de comment elle réagirait sur place, l’important était pour le moment d’agir.

     Elle défit ses longs cheveux couleur de jais et s’allongea. Quelques minutes plus tard un sommeil réparateur la prit, ce qui n’était point arrivé depuis plusieurs semaines. Le lendemain, au zénith du soleil, elle repartit, la nouvelle de sa disparition avait dû se répandre et elle ne tenait absolument pas à être rattrapée. Elle délaissa sa longue robe de velours pour lui en préférer une plus simple, plus pratique pour chevaucher. Elle laissa sur place le carrosse qui l’avait amenée, ne gardant qu’un cheval. La journée lui parut longue et ennuyeuse, elle se trouvait de plus en plus stupide d’aller ainsi à la mort, mais chaque fois qu’elle voulait faire demi-tour, les larmes lui montaient aux yeux en même temps que le souvenir des cercueils et le désir de vengeance reprenait le dessus.

     Ainsi continua-t-elle pendant deux mois, vagabondant, ne se reposant que la nuit. Elle avait maigri, son regard, autrefois doux, s’était durci et ses grandes pupilles couleur d’azur n’exprimaient plus que la souffrance et la rage. Sa peau, malgré le soleil, était toujours aussi blanche que le coton et ses traits fins n’étaient pas altérés par la vie au grand air. Le changement le plus important était dans son caractère. Le temps où elle respirait la gaieté et la candeur était révolu. A présent, c’est le cœur lourd et plein de ressentiment qu’elle voyageait, n’adressant la parole à personne, elle affichait perpétuellement un air dédaigneux, presque méprisant. La nuit, elle faisait ressortir tout ce qu’elle contenait dans la journée, larmes et cauchemars ponctuaient son sommeil tourmenté.

     Enfin, elle arriva à destination, à proximité du désert de Khemri. L’air était lourd et âcre, un sable grossier était répandu sur le sol, emplissait les poumons des personnes qui le respiraient. Elanore se sentait désorientée, loin de sa verte Bretonnie, loin des pâturages couverts d’une herbe tendre et grasse.

     Le village était empli de personnes désœuvrées ou en préparatifs d’un départ. Le soleil brûlait sa peau et, implacable, tuait les plantes les plus fragiles, seules restaient les pousses rudes et épineuses, qui arrachent les vêtements et déchirent les chairs des enfants imprudents. L’agitation qui régnait autour d’Elanore ne la troublait pas plus que ça, c’est à peine si les villageois apeurés avaient remarqué la présence d’une étrangère. Elle se dirigea droit au fortin, place militaire unique à des lieues à la ronde. Elle se sentait minuscule, intimidée, lorsqu’elle arriva devant les murs sales du bâtiment. Un homme l’observait, de loin, vêtu de brun, une jaquette de cuir négligemment jetée sur l’épaule, son regard ne la quittait pas. Il avait les cheveux roux en bataille, des vêtements crasseux et son regard mettait Elanore mal à l’aise. Elle se dépêcha de franchir la porte qu’un pauvre homme en uniforme accablé par la chaleur écrasante venait de lui ouvrir. Elle traversa rapidement le couloir dallé et demanda à voir immédiatement un gradé.

     L’officier qui la reçut avait l’air distingué d’un homme de haut rang. Il offrit un thé à cette charmante dame qui lui faisait l’honneur de venir lui tenir compagnie. La gente féminine ne venait pas souvent à l’intérieur de la caserne. Agacée par tant d’obséquiosité, la Dame de Mortelune lui montra son alliance pour avoir la paix et lui demanda des renseignements quant à l’état de crise que traversai la région. La mine de l’officier se renfrogna et il prit un air sombre. En effet, des morts-vivants s’étaient relevés dans le désert et repoussaient sans cesse les attaques des soldats. La rumeur courait que l’ancien peuple fou de Nehekhara s’était relevé, il avait trouvé l’immortalité, mais à quel prix... Leurs esprits et leurs corps anéantis par le temps et la nécromancie.

     Elanore prit congé de l’officier, bien plus renseignée qu’elle ne l’était auparavant, elle connaissait présent l’identité, l’aspect et la situation de ses ennemis. Ainsi donc, ce sont les rois des tombes de Nehekhara qui s’étaient relevés ? Ce peuple mystérieux que des fouilles avaient révélé il y a ben des années. Elanore connaissait un peu cette culture pour l’avoir étudiée à travers les livres du château. Souvent, elle avait eu pitié de ces êtres que leur soif d’immortalité avait détruit. A présent, elle ne leur vouait plus qu’une haine implacable. Elle rentra à l’auberge et monta dans sa chambre, à l’étage. Elle se fit chauffer de l’eau dans un baquet pour se baigner. Avec tout ce sable, elle se sentait sale.

     Lorsqu’elle commença à se déshabiller, la porte s’ouvrit avec fracas, et le rouquin de tout à l’heure déboula dans la pièce. Il referma la porte d’un air mauvais et Elanore fut outrée, jamais de sa vie elle n’avait imaginé pareille impudence, oser entrer dans sa chambre lorsqu’elle se baignait ? Elle se couvrit d’une serviette rapidement et recula d’un pas, l’air de cette homme l’effrayait. Il avait un sourire mauvais aux lèvres et Elanore sentit son regard glisser sur ses épaules nues. Il avança d’un pas en tendant ses mains calleuses, elle le repoussa et le gifla. Il émit toutes sortes d’injures et, en colère, se rua sur elle. Elle sentit son haleine pestilentielle, alourdie par une forte odeur de vin. Son corps gras et lourd qui pesait sur elle, elle s’arracha à son étreinte et saisit le mousquet. Une détonation retentit, elle baissa le bras, fébrilement, et lâcha la crosse du pistolet. L’autre, l’air ébahi, regarda le sang se mélanger à la poussière sur le sol.

     Le bruit de la détonation avait alerté toute l’auberge et Elanore fut contrainte de fuir. Fuir ces hommes qui la méprisaient, ces hommes qui ne voyaient en elle qu’un corps sans défense, qui ne demande qu’à ce qu’on se serve de lui, à attendre ou à aimer.

     Cette vérité la frappa comme une gifle alors qu’elle marchait dans le désert, longtemps après avoir semé ses poursuivants. Le seigneur Hilgrim l’avait toujours délaissée. Bien sûr, il pensait à elle, lui envoyait des lettres, mais elle n’était jamais qu’en seconde place. Jamais dans sa vie, le seigneur n’avait renoncé à quoi que ce soit pour elle. Elle s’assit et pleura à chaudes larmes. Une ombre se profila derrière le rocher auquel elle s’était adossée, une ombre silencieuse et décharnée...

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