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Ce texte est ma réponse à la problématique exposée ici par San: http://www.les-chroniques.eg2.fr/forum/10-la-taverne/17610-une-idee-pour-ecrire-tension-narrative.html



Le bruit de ses talons résonne sur les pavés humides et se propage aux alentours, adouci, atténué par le brouillard dense qui recouvre Londres en cette nuit froide de novembre. Lucy marche d’un pas rapide en serrant autour d’elle un manteau trop léger pour les soirées de fin d’automne. Elle n’avait pas prévu de rentrer à pied après le cabaret mais son prétendant s’était montré grossier et rustre, comme le sont les jeunes lords anglais lorsque le vin et la vue de femmes trop court vêtues leur fait perdre leur légendaire réserve. Alors elle l’avait giflé. Quelle idée avait-elle eu d’accepter cette étrange soirée. « C’est tout nouveau, lui avait dit Philip, et moderne avec ça, ça vient de Paris ! »

Perdue dans ses réflexions sur les mœurs douteuses des Français, elle marche sans s’apercevoir qu’elle a déjà atteint Strand Bridge où les becs de gaz tout neufs sont autant de petites bulles de lumière pâle à la couleur de beurre rance qui peinent à percer l’épais nuage froid et gris. Le brouillard en cette saison est presque palpable. Tout au plus distingue t-on la lueur blafarde du réverbère suivant lorsqu’on perd la vue de celui qui précède. Lucy tire un peu plus son manteau autour d’elle, remet son chapeau de laine en place et presse le pas. Dieu qu’il fait froid. A proximité passent sans doute des chevaux et peut être même une de ces nouvelles automobiles, mais les sons sont déformés dans le brouillard et elle ne croit distinguer des bruits connus que pour les perdre à nouveau dans la seconde qui suit. La route n’est pourtant pas si loin, deux mètres au plus, et pourtant elle ne la voit pas. Alors pour mieux se concentrer, elle s’appuie à un poteau et ferme les yeux un court instant.

Les sons deviennent plus clairs, plus nets, les autres sensations aussi. Elle sent l’humidité et le froid mordant de l’hiver approchant, et la peur ancestrale de la nuit. Un fiacre s’éloigne dans un martellement sinistre, la flamme du bec-de-gaz tressaute et lutte contre la nuit dans un sifflement irrégulier, des pas s’approchent.

Lucy ouvre les yeux, et cherche une silhouette derrière elle, mais sans succès dans cette brume épaisse.  Son cœur s’est accéléré alors que les mises en garde de sa mère lui reviennent  en tête. Elle n’aurait pas du rentrer seule. Elle n’aurait pas du sortir. Elle reprend sa marche, plus pressée, concentrée sur les pas qui la suivent. Et à mesure qu’elle accélère, les pas se précipitent aussi. Dans sa tête repassent les gros titres des journaux entr'aperçus sur le bureau de son père.  « Disparition inexpliquée sur la Tamise»,  « Une 4ème jeune fille introuvable ». Lucy se met à courir en jetant des regards derrière elle. Mais rien ne perce le brouillard de Londres, rien à part le bruit de ses talons, et les pas de son poursuivant. Des larmes de peur lui brouillent les yeux et elle ne voit la forme qui se tient devant elle, qu’au dernier moment. Philip est là, immobile dans son grand manteau noir. Elle le percute et s’y accroche avant de lever les yeux. Lucy pleure alors  toute sa peur hors de son corps. Il est là, et il la protégera des monstres de la nuit.

Elle lève les yeux vers son visage. Son regard est étrange, sombre et fou ; il sent l’alcool. Avant qu’elle ne puisse crier, il l’attrape violemment par le cou, et la serre fort contre lui, jusqu’à entendre un craquement sinistre.



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