Je suis en retard !!
Ça fait plusieurs heures qu’il se prépare l’air de rien, qu’il tourne en rond, qu’il revoit sa tenue et le contenu de son portefeuille. Comment a-t-il pu oublier de vérifier son temps de trajet ? Est-ce qu’il va être en retard, comme première impression ce n’est pas génial non ? Est-ce qu’il serait trop en avance s’il part maintenant? Arg, et pendant ce temps les secondes filent… Bon, il faut partir, tout de suite ! Mais mettre d’abord le manteau qui va bien avec ces chaussures quand même. Et prendre une bouteille d’eau, pour les gorges sèches. Vite, vite ! Ah, il faut aussi un truc à grignoter apparemment, pour ne pas tomber par terre quand on a oublié de manger… (idiot !)
Ouf, le palier est passé. Plus qu’à foncer tout droit jusqu’au lieu de rendez-vous. C’est un chemin qu’il connaît bien, qu’il pourrait parcourir les yeux fermés, mais étrangement, aujourd’hui, impossible d’enclencher le pilote automatique. Les questions se multiplient sous son crâne sans lui laisser de répit. Est-ce qu’il n’y a pas un bus plus rapide de l’autre côté du pont ? Et si le métro est en retard, est-ce qu’il faut attendre la correspondance ou courir jusqu’au prochain arrêt ? Au fait, et cette petite boulangerie qui fait de super petits pains ? Il n’en faudrait pas ? Non ? Tu es sûr que tu ne vas pas le regretter ? Rah, pas le temps ! Mais si la petite vieille n’arrive pas à soulever son chariot de courses, est-ce qu’on va seulement y arriver un jour ?!
Bizarre d’être essoufflé comme ça après avoir couru si peu de temps. L’attente de la rame qui doit arriver dans une minute lui permet de sentir son cœur battre sous sa poitrine, dans ses oreilles et dans tout son corps. Est-ce que les personnes qui l’entourent se rendent compte de son émoi ? Un vieux du quartier qui regarde son journal, un groupe de lycéens qui parlent de leur cours de psycho, ils ne le regardent pas, tant mieux. Ils ont l’air très enjoués, leurs visages ouverts lui donnent envie de participer à la conversation. Tout semble plus animé aujourd’hui. Il remarque pour la première fois l’odeur du sol carrelé de la station après la pluie, douce et entêtante. Et cette silhouette féminine, qui approche depuis l’autre entrée… Cette capuche ? Elle fait à peu près la même taille en plus… Et si c’était elle ? Impossible, pourquoi serait-elle là ? Elle sait où il habite et où il va, alors peut-être, si ça se trouve… Ça serait complètement fou… Mais non évidemment, ça n’a aucun sens, pourtant il ne peut s’empêcher de la suivre des yeux jusqu’au bout, jusqu’à voir ses yeux sous la capuche. Son regard le fait sursauter, le transperce jusqu’au cœur. Ce n’est pas elle, évidemment.
Ah, voilà le métro ! Et un sms en même temps! C’est sûrement un signe! Peut-être qu’elle a besoin d’une info de dernière minute, ou qu’elle le cherche? Ah non, c’est le cousin machin qui prend des nouvelles. Désolé cousin, ton message va sûrement passer complètement à la trappe, je ne m’en souviens déjà plus, quel message?
Arrivé en vue du point de rendez-vous, il est parcouru d’une grande vague de frissons, accompagnés de doutes. C’était bien ce bar là au moins, et pas celui dans l’autre arrondissement ? Malheureux, ils n’avaient pas précisé d’adresse… Et il n’a pas son numéro de téléphone ! Comment faire s’ils ne se trouvent pas ? Et puis comment est-ce qu’elle est habillée aujourd’hui? Tous ces détails triviaux qui n’avaient aucun intérêt, est-ce qu’ils ne sont pas essentiels finalement ? Des petites brunes aux yeux marrons, il y en a plein ici… Bonjour madame, on se connaît ? Non ? Vous n’auriez pas vu une autre petite brune comme vous mais plus jolie? Avec de grands yeux qui font comme ça quand elle sourit ? Non ? Raaaaah !
Bon, il n’est pas encore l’heure. Il est grand temps d’attendre. Choisir une place bien en vue, comme par exemple planté au coin de la rue, avec dans son champ de vision absolument tout le boulevard et la montée de l’autre côté jusqu’au virage, et puis dévisager les passants. Les minutes s’écoulent, s’étirent en longueur. Il croit l’apercevoir partout, dans une moue, une intonation de voix, une paire de bottes, une lumière. Sentir la présence d’une personne dans une simple lumière qui se réfléchit sur la vitre de l’immeuble d’en face, il faut le faire quand même. Et elle n’est toujours pas là ! Elle est en retard ! Alors là, toutes les conjectures sont permises, elle a sûrement décidé de ne pas venir finalement. Elle doit être malade, la grippe en ce moment. Peut-être qu’il y a un incident sur le réseau de métro, mais là il ne peut pas aller vérifier, parce qu’il ne peut pas bouger de là, parce que. Et si elle l’attendait plutôt de l’autre côté du monoprix ? Ça serait dommage de se geler chacun de son côté sans bouger. Et si elle arrivait juste au moment où il est allé voir de l’autre côté ? Peut-être qu’elle est venue jusqu’ici et qu’elle ne l’a pas trouvé et qu’elle est déjà repartie. Peut-être qu’elle n’a plus envie de le voir. Qu’elle a autre chose de mieux à faire. Ça ne serait pas la première. Oh ! Cette voix !
Ah non.
Viendra, viendra pas ?
Ça a l’air idiot hein, d’attendre quelqu’un comme ça, le cœur battant…