Bonjour, mon âme,
Le ciel est magnifique aujourd’hui. De grands cumulonimbus poussés par le vent, teintés de crème, de gris, de bleu. Derrière eux, l’azur intense, et les rayons de soleil qui percent et se cachent, jouent avec les gouttes d’eau, et réchauffent les cœurs. Je me demande si tu vois tout ça de là-haut.
Je t’avais parlé de mes réflexions sur l’enfer terrestre. Après un long débat intérieur, et bien qu’on se soit destinés au purgatoire, au mieux, voire aux plus chauds des cercles intérieurs, moi en tant que démon ensorceleur, toi en tant que sorcière démoniaque, j’ai finalement décidé que tu devais être au paradis. Ça me semble plus juste, parce que tu es quelqu’un de vraiment bien, et que tu as fait beaucoup pour ceux qui te sont chers. Je sais que tu tiens à cette image de démone de la luxure, mais la vue doit être meilleure de là-haut, quand même. Maintenant qu’on en parle, je suis convaincu que tu es montée là-haut, simplement pour voler, parce que ça te plait. Et quand le paradis t’ennuie, tu as certainement déjà noué des liens avec quelques démons de cercle inférieur qui peuvent te permettre de te promener dans les mondes souterrains et de satisfaire ton insatiable curiosité. Ou que tu viens arpenter les rues et les chemins terrestres. Avoir l’éternité pour observer le monde, les gens, les paysages infinis et toujours changeants de cette petite planète, ça doit te plaire aussi. J’espère que tu ne t’en lasses pas. Telle que je te connais, je n’imagine pas comment tu pourrais t’en lasser.
Mais est-ce que tu es encore cet esprit que je connaissais mieux que moi-même ? Que fait le temps à une personne comme toi ? Que peut faire l’éternité ? J’espère que tu n’es pas triste. Une éternité de tristesse, ça donne le vertige, ça me fait mal presque physiquement. Ne sois pas triste, je t’en prie. Regarde, je ne le suis pas. Je pense à tout ce qu’on a partagé, à cet amour plus beau que tout, à toutes ces folies, à nos rêves, nos espoirs et la chance inouïe qui nous a fait nous rencontrer, et tout ce que je peux faire, c’est sourire, parce que c’est merveilleux. Et ça vivra pour toujours en nous.
Je me demande si tu viens me voir. A ta place, est-ce que je viendrais ? Oui, de temps en temps, pour veiller sur toi. Pas trop souvent, parce que c’est aussi bon que douloureux de te voir, te voir si belle, et vivante, voir que tu es toujours une personne que j’aime de tout mon cœur, mais qui ne peut plus me toucher, à qui je ne peux plus parler. Je pense que tu es venue. Il y a des jours où je me suis réveillé en étant persuadé de t’avoir serrée dans mes bras, des soirs où je suis possédé par ta présence et un besoin impérieux de t’embrasser. Je ne t’en voudrais pas si tu ne venais plus, si c’était trop difficile. Je sais que tu m’aimes. On n’a jamais eu besoin de se voir pour ça.
Tu sais, depuis que tu es partie, j’ai des sensations bizarres dans tout le corps. On pourrait dire que je ne me sens pas très bien. Quelque part au cours des derniers mois, mon cerveau a accepté le fait que je ne ferais plus l’amour avec toi, que je ne sentirais plus tes envies répondre aux miennes pour les déchaîner, que je ne sentirais plus tes lèvres et ton désir me dévorer. Que mon corps serait un peu moins vivant. Et bien, l’accepter est une chose, mais constater le manque d’énergie, de tonus, le manque physique provoqué par ton absence, voilà une toute autre chose. Le fait est que je n’ai pas mis toutes les chances de mon côté. Je crois que je ne voudrais pas retrouver ce niveau de sensations, pas avec quelqu’un d’autre. Pas encore, en tout cas. Je ne veux pas risquer mes souvenirs de toi les plus éclatants. Ca n’en vaut pas la peine.
Je n’ai pas vraiment envie de te parler de mon travail, de mes collègues, des sandwichs que je mange le midi – je ne mange plus que ça, en pensant à toi. Tous ces détails qui faisaient partie de notre vie d’avant. Je ne sais pas trop ce que je peux te dire sur moi qui ne fasse pas pâle figure devant l’éternité de nos sentiments. Mais je trouverai.
Je reviendrai te parler très prochainement. Je t’aime.
Tendrement, A toi
Bonjour, mon âme,
J’ai parlé de toi à ma psy.
Finalement ! Tu dois sauter de joie sur ton nuage, je sais que tu voulais que je le fasse. Cette fois je ne pouvais vraiment plus le cacher, j’étais maussade à nos derniers rendez-vous sans raison valable et elle voulait me prescrire tout un tas de médicaments qui finissent par « bique », ça ne me semblait pas une bonne idée.
En fait, je lui ai dit que je te parlais. Je voulais présenter ça comme un journal intime que j’adressais à mon âme sœur imaginaire, et je n’ai pas réussi à prononcer le mot « imaginaire ». Pour le coup, mes discussions avec mon âme sœur… Avant de me déclarer bon pour la camisole, la psy a creusé davantage, et du coup je lui ai tout raconté. Ça nous a pris plusieurs séances, ponctuées de pas mal de larmes et de beaux sourires. J’en suis sorti éprouvé, et vraiment heureux. Je n’ai pas très souvent l’occasion de parler de toi, et depuis ta disparition, c’est la première fois que je retrace notre histoire comme ça. Tu as dû en entendre parler là-haut. La psy semble penser que tu es une sorte de sainte. J’ai peut-être un peu trop insisté sur tes bons côtés et pas assez sur les vilaines blagues que tu faisais sur ma taille, ou sur le fait que tu te servais de moi comme d’un esclave sexuel…
Mais je te raconte tout dans le désordre. J’ai rêvé de toi cette nuit. Tu le sais sûrement déjà, sorcière, puisque c’est toi qui m’as envoyé ce rêve, ça ne fait aucun doute. Alors, je me demande une chose : où as-tu trouvé un ange doté d’autant d’appendices sexuels ? Enfin, si ça existe, bien sûr que tu l’as trouvé. Merci de me l’avoir envoyé dans ce cas. On s’est bien amusés tous les deux, et je ne sais pas quand tu es venue nous rejoindre, mais je sais que tu étais là, en moi, quand l’orgasme m’a secoué. Je te sentais encore plus unie à moi que si on faisait l’amour, fondus l’un en l’autre, nos sens complètement fusionnés. C’était une expérience inédite, et magnifique.
Dans un registre un peu moins sensuel, mais tout aussi fantastique, il faut que je te raconte mon trajet en bus ce matin. Il y avait cette vieille dame, exactement comme tu l’imagines, avec une charlotte sur la tête, une robe à fleurs et des charentaises à carreaux, qui n’arrivait pas à monter. J’essaie de l’aider, impossible de trouver comment lui prendre le bras correctement, pour la soutenir sans lui faire mal. Elle grimace, finit par me chasser. Derrière elle, il y avait cette jeune femme, qui lui a posé la main sur l’épaule, doucement. Elle lui a dit quelque chose tout bas, et comment dire, il s’est passé quelque chose. C’est bien la première fois que ça me semble aussi manifeste, je ne sais pas si c’est de parler souvent à un esprit entre les mondes qui me rend plus sensible à ce genre de chose, en tout cas j’ai vu quelque chose. Une sorte de halo lumineux, une onde de chaleur et d’énergie qui irradiait depuis la main de la jeune femme. Je l’ai senti glisser sur ma poitrine comme une vague, et pénétrer en moi, me traverser, réchauffer mes os. J’ai vu la vieille femme se redresser et monter dans le bus, sans rien dire, en souriant.
Je ne sais pas vraiment de quoi avait l’air cette jeune femme, ou comment elle était habillée, elle aurait pu porter un sari ou un baggy que ça serait pareil. Me connaissant, tu comprends sûrement que j’étais un peu secoué. Je suis sûr que tu n’as pas besoin de sa description pour voir l’énergie qu’elle déployait. C’était magique. J’ai adoré ce moment, et tu étais là, j’en suis persuadé.
Cette pensée réchauffe encore mon cœur au moment où je t’écris, et je suis sûr que mes rêves seront tout autant emplis de toi.
Je t’aime, plus que tout.
Dans ton cœur, Amoureusement
Bonjour, mon âme,
Je reprends ici le récit que j’avais interrompu pendant quelque temps. C’est un peu difficile de t’en parler. Je ne sais pas si tu approuverais.
Voilà, je crois que je suis en train de tomber amoureux.
Il n’y a rien de concret encore, mais il y a des signes. Mon pouls qui s’accélère, mon corps qui réagit sans que je m’en rende compte, mes pensées qui dérivent et me ramènent à une image, un fragment de scène, une vision. Ça me rappelle tellement de choses. Je ne sais pas pourquoi, je ne sais pas comment, je ne sais même pas si je veux de ça, mais il se passe quelque chose en moi, et je ne crois pas que je puisse l’empêcher. Je ne sais pas si tu voudrais que je l’empêche.
Oh, je pourrais changer d’horaire de bus, et ne plus jamais la revoir. Mais il me semble que ça serait fuir. Et puis je ne veux pas ça. Je ne sais pas quoi faire. Elle est là, jour après jour, mes yeux croisent les siens (ils sont noirs) et je la regarde aussi peu que possible. Avec le courage que tu connais, je n’ai pas changé d’horaire de bus, et je ne lui ai pas adressé la parole non plus. Qu’est-ce que tu voudrais que je fasse, toi ? Si seulement tu pouvais me le dire. Est-ce que tu sais de quoi il s’agit, où est-ce que je mets les pieds ? Tu y voyais toujours beaucoup plus clair que moi. Est-ce que ça serait bien ? Est-ce que je ne dois pas ? Quand je la regarde et que je pense à toi, une vague de chaleur me traverse de la tête aux pieds. Quel genre de signe est-ce que c’est ?
Bonjour, mon âme,
C’était un signe, n’est-ce pas ? Je prie pour ne pas m’être trompé. En même temps, je ne vois pas comment j’aurais pu faire autrement.
Quand elle s’est assise à côté de moi, j’ai cru que mon cœur allait exploser, il tambourinait tellement fort. Je n’osais plus bouger, je ne sais même pas si je respirais. Au bout d’un ou deux arrêts, mes mains tremblaient. Je ne pensais pas ressentir à nouveau tout ça, tu sais. Quand elle s’est tournée vers moi, ses longs cheveux m’ont caressé l’épaule, et je n’avais qu’une chose en tête : l’impression que c’était un cadeau, un simple cadeau, sans arrière-pensée, que tu me faisais. Ça m’a fait sourire. Et puis elle a parlé. Elle avait besoin d’appeler quelqu’un mais elle n’avait plus de batterie et elle était vraiment désolée de me déranger mais c’était vraiment très important. Je regardais ses lèvres bouger, elle a dû voir mon regard trop intense, elle a eu un mouvement de recul. J’ai fait de mon mieux pour me calmer et retrouver des manières de gentleman impeccables en lui répondant que mon téléphone était à sa disposition. Elle a appelé son correspondant, et j’ai fait mine de me plonger dans ma lecture alors que je me faisais bercer par le son de sa voix. J’ai cru comprendre qu’elle appelait sa mère. Sa voix était profonde et douce.
Quand elle m’a rendu le téléphone, elle m’a souri. Un sourire charmant vraiment, qui montait jusque dans ses yeux. Je ne peux pas dire qu’il était aussi beau que le tien, mais il m’y a fait penser, et ça aussi, c’était vraiment bien. Je ne sais pas trop quoi ajouter. Je ne la connais pas, je ne sais pas quelle est cette connexion que je sens. Mais j’aimerais arpenter ce chemin. Voir où il mène. Est-ce que tu veux bien m’accompagner ?