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en hommage au feurnard

 

 

L’hôpital est vieillot. Il est bâti en béton blanc sombre, tout en angles et en larges fenêtres soigneusement closes. On y accède par une barrière qui grince en se soulevant. Dans le parking, les véhicules des visiteurs croulent sous les feuilles mortes. C’est l’automne. Les saules pleurent des larmes brunes et rousses. Des brochures en papier glacé tourbillonnent dans la cour, évadées des poubelles. Un balayeur balaie en vain. La voiture se gare et, après s’être équipé, il en descend.

Le sac à la main, il pénètre dans le hall d’accueil. Une hôtesse lui sourit et lui fait oublier l’espace d’un instant les craquelures aux murs. Il espère que seule l’entrée est dans ce cas. La suite lui donnera raison. Une infirmière vient le chercher. Elle éclaire les lieux de sa conversation, et ils en ont bien besoin. Les couloirs sont vert lavande. Ils sentent le désinfectant. Ils croisent des visiteurs, des infirmiers, des médecins. Tous l’observent avec curiosité. Au troisième étage, par les escaliers, ils finissent par arriver devant la porte de la chambre 319. La main sur la poignée, l’infirmière l’avertit :

« Elle n’est pas seule. Vous aurez du public ! »

Il entre. Les paroles nasillardes d’une vieille télévision lui sautent aux oreilles et lui arrachent un rictus discret. A côté du lit où se redresse la jeune agonisante, il y a une grande femme chapeautée, sèche comme un vieux bout de bois, et une adolescente qui bat des mains à  son arrivée.

« Regarde, Fanny, c’est le clown !

C’est vrai, il est artiste, il est interprète. Il est clown. Il a d’ailleurs un gros nez rouge qui sonne comme un klaxon. Il esquisse sa plus belle grimace et déjà l’amie ou la sœur au chevet de Fanny sourit. Celle-ci aussi, et quel joli sourire elle a ! Elle a peut-être douze ans, mais déjà les fils blancs parsèment ses cheveux d’or. Si pâle, elle semble si fragile… La femme se lève et, toute raide, lui tend la main.

    Bonjour. Je suis la mère de Fanny. Je vous ai fait venir parce qu’elle me l’a demandé.

Un instant, le clown a un doute. Veut-on lui faire une farce de mauvais goût ? Puis il comprend que la jeune fille a demandé un clown, pas ce clown. Il respire, peut-être un peu trop tôt car la femme reprend plus bas :

» Sachez que je considère cela comme un caprice ridicule. Mais ma fille est aux portes de la mort, alors ayez au moins la décence de la faire rire.

Que répliquer à cela ? Il ne réplique rien. Une personne suffit à rendre l’atmosphère lourde, moite. Il transpire dans ses vêtements. Il se rapproche de Fanny et prend son ton le plus réjoui pour lui demander ce qu’elle souhaite.

    De bonnes blagues ? Des devinettes, des énigmes ? Des chansons ? Des marionnettes ?

A chaque proposition, il soulève son sac qui recèle mille merveilles. Fanny l’observe avec des yeux ronds. Elle ne semble pas souffrir, mais paraît perdue. Son amie, compatissante, prend la décision à sa place.

    Il faudrait quelque chose de silencieux, parce qu’elle regarde la télé.

La télécommande est posée près de Fanny. La jeune mourante ne fait pas mine de la saisir pour s’en emparer. Il ne peut s’empêcher de se sentir humilié par cet intérêt limité, d’autant plus que le poste diffuse un spectacle de cirque. Cependant, il fait contre mauvaise fortune bon cœur. Il a en face de lui une adolescente qui n’a plus que quelques jours à vivre. Il doit l’égayer, à tout prix. Il ne faillira pas.

Il choisit le mime. Le voilà qui brasse le vent, fait les gros yeux, se prend la gorge et se roule par terre, dans d’hilarantes convulsions ! Il bondit, il trépigne, il grogne, il imite des professions et des super-héros. La sœur bat des mains, toute réjouie, elle en redemande et elle est bien la seule. Bien qu’il soit en sueur après tous ses efforts, la mère est restée de marbre. Fanny, elle, arbore toujours ce même sourire poli sur le visage. Il a l’impression que le volume de la télé a augmenté, mais la télécommande n’a pas changé de place. Il doit rêver. Une sueur froide lui coule le long du dos.

    C’est tout ce dont vous êtes capables ? Feu mon mari en aurait fait autant.

Il frissonne. Avait-elle vraiment besoin d’invoquer les mânes d’un défunt dans cette pièce, dans ce contexte ? Le sourire de Fanny s’est fané et, il en est sûr, le volume vient de baisser. Il hasarde un œil vers l’écran. C’est un documentaire sur la savane.

    Des devinettes ! réclame l’amie.

Il obtempère. Il puise dans son sac un recueil dont il est l’auteur, fait mine de le lire en prenant des accents bizarres. Il leur propose un tour de France des patois ! De la Picardie à la Corse, en passant par la Bretagne et le Pays-Basque, il les fait voyager à travers le pays. Il récolte les éclats de la rire de l’amie, la lumière sur le visage de Fanny, la désapprobation de la mère.

    Comment voulez-vous qu’elles trouvent la réponse ? Vous baragouinez dans un langage incompréhensible.

Le clown a l’habitude du scepticisme, le même que l’on réserve à la foi. Il a régulièrement l’impression de prêcher dans le désert. Parfois, la conversion est au bout du calembour. Le plus souvent, c’est le mépris. Celui-ci n’aura que ce qu’il mérite.

    La petite dame n’est pas contente ? Mais c’est qu’elle est grincheuse, la petite dame, c’est qu’elle n’enlève pas son chapeau ! Oh, dis-donc !

La raillerie, une autre arme de sa panoplie. La femme rougit violemment, va pour s’offusquer… Le clown est trop leste. Il s’empare du chapeau, le remplit de mousse à raser et le rabat sur le crâne de la rombière. La sœur hurle de rire, elle en pleure, ses larmes coulent jusque sur la couette du lit que le clown regarde. Les petits poings de Fanny se sont serrés. Pour la première fois, ses lèvres s’entrouvrent :

    Pourquoi es-tu si méchant, Monsieur le clown ?

Il tressaille. Il ne s’attendait pas à des reproches.

    Mais, hoquète encore son amie, il n’est pas méchant ! C’est pour rire, juste pour rire !

    Mais oui, ma jeune demoiselle, abonde-t-il avec une gaieté forcée, juste pour rire !

Le cœur n’y est pas. Il a manqué à son devoir. Pire encore : il a attristé Fanny. Cette fois, il voit bien qu’elle s’empare de la télécommande, qu’elle change de chaîne, remonte le volume. La porte de la chambre d’hôpital claque : la mère est de retour, après un passage aux toilettes. Elle est furieuse.

    Sortez.

Pensez à votre fille ! veut-il s’exclamer. Si j’ai fait cela, c’est pour elle, pour la faire rire ! Néanmoins, comment ces paroles pourraient-elles encore porter ? Le visage de Fanny s’est fermé. Il remet ses accessoires dans son sac, tête basse, fait volte-face.

    Pourquoi tu pars, Monsieur le clown ?

    C’est vrai, renchérit sa sœur : reste ! Tu as encore plein de tours à nous montrer !

Il observe la mère à la dérobée. Elle est assise, le chapeau sur les genoux. Elle le défie du regard. Il a failli déjà deux fois. Le spectre du passé et de la mort étend déjà son ombre mais en réalité, ce n’est que le soir qui tombe – il tombe tôt, en automne. Il reste la lumière de cette fille aux cheveux blancs. Il ne tournera pas les talons sans combattre.

    Vous rappelez le clown, le voilà qui accourt !

D’un bond, il se jette à leurs pieds et leur présente une rose brillante. Surprise, la sœur la saisit…et se retrouve tout de go arrosée ! La télécommande crépite, elle a pris l’eau, elle n’en fait qu’à sa tête. La télé s’éteint d’un coup. Il est seul face à son public, seul face à son défi. Il déploie toute la palette de ses nombreux talents. Il leur narre des énigmes insolubles ou loufoques, cabriole dans la chambre à qui mieux mieux et les bombarde d’anecdotes truculentes. Sans cesse, il quête du coin de l’œil l’approbation de Fanny, la joie, le bonheur ; sans cesse, il est déçu car seule son amie ponctue de battements de mains les facéties du clown.

La mère n’a rien rajouté. Cependant, elle semble grandir sur sa chaise et son ombre s’étendre dans le soir qui tombe. Elle le fixe, accusatrice. Pourquoi ? Sait-elle ? Il jongle avec des boules, fait des tours de magie. Fanny demeure imperturbable. Pourquoi ? D’un coup, cela sort :

    Pourquoi ? Pourquoi ne rit-elle pas !

Il n’a pas d’interlocuteur. C’est à lui-même qu’il s’adresse. Ses yeux s’agrandissent. Fanny ne répond pas. Elle le contemple, blême, avec ses cheveux blancs de morte.

» Je ne l’ai pas tuée ! s’exclame-t-il.

    De quoi tu parles ? demande l’amie.

Il ne l’entend pas, car la télé s’est remise à grésiller, plus fort que jamais. Il se retourne, aux abois, entend les rires préenregistrés d’une série télévisée américaine. Le son monte, monte, monte… La voix de la mère prend le dessus, lugubre.

    Ce n’est pas votre rôle.

    Arrêtez de parler comme s’il s’agissait d’un jeu !

    Mais c’est un jeu, s’étonne la sœur.

    Un simple jeu, confirme enfin Fanny.

Elle s’est redressée et triture les coins de son oreiller. Elle lui a tendu une main qui n’est ni sèche, ni raide. Il s’adosse au mur, vacillant. Les rires factices l’oppressent, narguent ses tentatives. Il ouvre la main et implore presque la mère :

    Votre chapeau, ma petite dame ?

Le ton est misérable plutôt que cocasse. La mère lui livre le couvre-chef, mais son rictus plein de morgue ne trompe pas : elle pense triompher. Les rires redoublent. Il se recroqueville, tente le tour de magie. Un pigeon sort du chapeau – il n’a pas pu faire mieux. Il relève la tête, craintif. Lentement, très lentement, les mains de Fanny quittent l’oreille et applaudissent lentement, très lentement. Il y a de la compassion dans cet applaudissement.

    Bravo ! s’écrie l’amie. C’était bien, hein, Fanny ?

La jeune fille aux cheveux blancs paraît à bout de forces. Ces efforts physiques lui ont coûté. Le clown se met à paniquer. Les souvenirs affluent dans sa mémoire, les souvenirs de ce rire… Fanny plonge ses yeux dans les siens. Elle chuchote :

    N’aie pas peur, Monsieur le clown. Tout va bien. N’est-ce pas que tout va bien, maman ?

    Bien sûr que tout va bien, ma chérie.

    Ce n’est pas de sa faute.

Il sue à grosses gouttes. Il lit entre des lignes tracées à l’encre sympathique.

    Je ne l’ai pas tuée !

    Pas encore, dit la mère.

    Il ne veut pas le faire, dit la sœur.

Les rires préenregistrés ponctuent l’échange, autant de sarcasmes à son intention. Il recule, pas après pas. Il sent le mur contre son dos, le mur froid et lisse d’une chambre d’hôpital.

    Vous n’en avez pas encore fini ?

    Il n’en a pas encore fini, répond Fanny en écho.

    Il faut qu’il continue, ajoute l’amie.

Non, il n’est pas trop tard ! Il peut encore mettre un terme à ses simagrées, assagir ses grimaces. Il se sent accablé par les reproches silencieux de la mère et jette, horrifié, le couvre-chef par terre. Le pigeon se heurte à la fenêtre, encore et encore, dans un choc sourd rendu plus sonore par la soudaine extinction de la télé. Il ne peut plus se dérober. Il doit aller jusqu’au bout. Fanny l’a demandé : C’est elle qui a appuyé sur la touche rouge.

    Pourquoi ne mettez-vous pas le chapeau ? Je crois qu’il vous irait à ravir.

Il succombe au son de la voix. Les mains tremblantes, il se couvre la tête et dévoile un jeu de cartes. Il s’approche de Fanny, lui murmure de choisir une carte.

    Je ne t’entends pas, Monsieur le clown. N’aie pas peur.

Il répète la consigne, plus fort. Fanny choisit une carte, la regarde, la mémorise, la remet dans le paquet. Le pigeon se cogne contre la vitre. Charitable, la sœur va lui ouvrir et le laisse s’envoler, tandis qu’un courant d’air glacé sillonne jusqu’au lit de la jeune mourante. Elle frissonne et bleuit à vue d’œil. Pourtant, elle a rejeté ses couettes. Ses yeux brillent. Il veut croire que ce n’est pas de la fièvre. Il mélange le jeu, tire une carte et la lui montre.

    C’est celle-là.

Fanny secoue tristement la tête. Il sursaute, il n’en peut plus de ce vent ! Il se précipite vers la fenêtre, regarde en bas des trois étages. L’amie lui prend la main. Le contact est chaud, réconfortant.

    Ne fais pas ça, Monsieur le clown ! Tu l’as dit : ce n’est pas de ta faute.

    C’est ce qu’il dit, lui, persiffle la mère. Et qu’en dit-elle, elle ?

La jeune fille aux cheveux blancs reste d’abord silencieuse. La sœur ferme la fenêtre tandis que le clown s’arrime aux lèvres de Fanny. Elles s’entrouvrent, s’apprêtent à lâcher un filet de voix, et finalement c’est un dernier souffle qu’elles expirent. Le petit corps s’affaisse.

    Non !

Le clown se rue vers le lit, prend la jeune fille dans ses bras, prend ses doigts, les pose sur son gros nez rouge qui sonne comme un klaxon. Les larmes brouillent son maquillage blanc, tachent son costume. Il sanglote à présent, vaincu, et ne cesse d’hoqueter qu’il ne l’a pas tuée. Une petite main lui tapote dans le dos, prolongée par une voix gorgée de bonté.

    C’est fini, à présent.

    Je ne voulais pas.

    Tout est fini.

    Je l’ai tuée, n’est-ce pas ?

La mère se lève. Elle a rejeté un voile sur son visage, un voile impénétrable. Ses paroles en ressortent étouffées.

    Regardez-vous.

Il se tourne vers l’écran éteint, où il peut contempler son reflet déformé. C’est elle qui a raison. Il porte le chapeau.

    Je l’ai tuée.

La mère est partie de la chambre. Il ne reste plus que l’amie ou la sœur, qui lui reprend la main.

    Tu as fait de ton mieux. Tu n’as rien à te reprocher.

    Mais je l’ai tuée !

    Donne-moi ça, Monsieur le clown.

Elle s’empare du couvre-chef, l’essaie pour voir, puis le jette par la fenêtre après qu’elle l’a rouverte. Il s’en va tourbillonnant dans la cour, virevoltant sur le parking. Abattu, le clown le regarde se poser près de sa voiture. Le balayeur, qui balayait non loin, doit le trouver à son goût puisqu’il s’en saisit aussitôt et le juche sur son crâne.

     

    Tu vois ! Allez, viens, maintenant. »

Elle le tire en avant et c’est main dans la main qu’ils sortent ensemble de la chambre.

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Portrait de Monthy3
Monthy3 a répondu au sujet : #21493 il y a 6 ans 1 mois
C'est un texte écrit il y a déjà un moment, en hommage à une nouvelle de Vuld qui m'avait franchement marqué. Vous devinerez laquelle !
Portrait de San
San a répondu au sujet : #21498 il y a 6 ans 1 mois
Ah, je n'ai pas dû lire la nouvelle de Vuld dont tu parles, en tout cas je ne retrouve pas.
J'ai vu une petite typo en passant : "les mains de Fanny quittent l'oreille" au lieu de l'oreiller (je pense).
Bon et bien sinon, c'était assez bizarre, et aussi j'aime pas les clowns :D
Portrait de Vuld Edone
Vuld Edone a répondu au sujet : #21507 il y a 6 ans 2 semaines
Après avoir repoussé ce commentaire beaucoup trop de fois, je m'impose de l'écrire durant ma pause.

Il est évident que j'ai un point de vue particulier sur ce texte, déjà par fierté comme à chaque fois que quelqu'un s'accapare ce que je fais -- ici sur le style -- mais aussi parce que, du coup, je n'arrive à lire ce texte qu'à travers le mien, et je reste certain que ce ne peut être que Jus d'orange. Que je suis allé relire après celui-là.

Je n'ai pas passé le dixième du temps nécessaire pour décrypter Rire, mais j'apprécie déjà que le texte donne des pistes :

Il lit entre des lignes tracées à l’encre sympathique.

Les souvenirs affluent dans sa mémoire, les souvenirs de ce rire…

Il porte le chapeau.

Je vois le texte comme une scène de théâtre, où les différents éléments sont symboliques. Par exemple la fenêtre et le suicide, même si ça me semble réducteur. Mais là où ça saute aux yeux, c'est pour la citation ci-dessus, où le clown porte littéralement le chapeau. "Faire porter le chapeau" est un joli jeu de mots. La télévision semble plus liée aux souvenirs mais là encore... la plus grande difficulté reste de ne pas sauter aux conclusions.
De fait, Rire a une approche beaucoup plus humoristique. Le symbole du chapeau est déclaré insignifiant à la fin, etc... Bien sûr c'est ce que "dit" l'amie (chaque personnage essaie d'imposer son point de vue sur la situation. Seul le clown essaie de sauver Fanny), pas ce qui est forcément, mais bon. Le clown s'agite et avec lui tout le texte part dans tous les sens. On ouvre et on ferme les fenêtres comme pour un nettoyage de printemps. Le but pouvait être une ambiance fiévreuse, agitée, mais au final elle est surtout... grandiloquente.

Ce qui me frappe, cela dit, c'est surtout la passivité du héros. Malgré toute l'agitation, le clown est forcé de jouer au clown, même lorsqu'il est conscient qu'il n'est pas vraiment là pour ça. Il réagit beaucoup, mais il n'agit pas. Dans Jus d'orange le héros était paradoxalement aux commandes, et le seul à faire évoluer l'intrigue (exception faite de la boîte à musique, le personnage caché). Tous les autres se contentent d'attendre -- et de l'informer. Personne ne lui dit "fais ça".
C'est une différence d'approche assez frappante pour moi. L'ambiance de Jus d'orange était froide et calculée. Celle de Rire est vraiment vive et émotionnelle. Le premier texte, vulpien, établit un système logique ("celui qui boit tue", etc...) tandis que le second cherche plus à jouer avec un drame, un policier fantastique.

Je dois dire qu'en relisant mon propre texte j'ai été frappé de voir à quel point les personnages étaient francs. La subtilité d'un rouleau-compresseur. Certes, on n'a aucun contexte, mais toutes les règles sont exposées et si on réduisait le texte à un exercice logique, il ne manquerait rien. Rire refuse obstinément d'expliquer jusqu'aux règles du fameux jeu, difficile de dire seulement ce qui gardait l'enfant en vie, le rire ou la fenêtre fermée.

Bref.

Rire est son propre texte, et ce que je fais, comparer les textes, n'a pas lieu d'être. On peut aller au plus simple, dire que la mère est la mort, l'amie est la vie et que le texte parle de culpabilité, pour s'en remettre et continuer. Mais en oubliant l'interprétation (elle peut varier grandement), on a surtout une comédie : des secrets, de l'angoisse mais sur un ton léger et rapide qui contraste.
Portrait de Monthy3
Monthy3 a répondu au sujet : #21509 il y a 6 ans 1 semaine
Merci pour ce long commentaire, pour un texte qui n'en méritait pas tant !

C'est bien Jus d'orange qui l'a initialement inspiré, bien sûr ; notamment ce personnage qui se débat dans un contexte qu'il ne comprend pas, selon les règles d'un jeu qu'il ne connaît pas - pour peu qu'il y en ait des règles, ce qui n'est, tu l'as raison, pas vraiment le cas ici.

Autre élément de contexte : ce texte court est le pendant d'un texte plus long, façon novella, dont l'acmé est un crime... que personne, peut-être, n'a commis. Tous sont innocents, en somme ; alors, je voulais un texte où tous étaient coupables, ce qui est le cas de Rire, mais une culpabilité qui, en définitive, ne vaut rien : ce chapeau existe et quoi qu'il en soit, Fanny était condamnée.
NB : peut-être vous proposerai-je aussi cet autre texte, en plusieurs vagues, si cela ne fait pas trop long pour les Chroniques.

Tu as raison : on est ici dans la virevolte, dans l'extravagance des gestes et des attitudes. Le clown est dynamique, faussement parce qu'il subit plutôt qu'il n'agit, mais il essaie, il tente tout son répertoire... et lutte pied à pied avec cette télévision, qui joue ici le rôle du juke-box de Jus d'orange, ou du moins le rôle d'une présence réelle, hostile, bien qu'inhumaine - ou de ce fait. Il est en quelque sorte le dindon de la farce. C'est lui qu'on a appelé parce que son passé était connu, et son passé seyait à ce qui devait se passer, là, dans cette chambre d'hôpital. Tout le monde y concourt : la mère, car c'est elle qui porte le chapeau à l'origine, l' "amie" ou peut-être la "soeur" (à noter : je ne me souviens plus pourquoi j'ai introduit cette ambiguïté à l'origine...:dry: ) qui ouvre la fenêtre, le clown qui l'épuise et entraîne lui-même cette nécessité d'ouvrir la fenêtre.

En fin de compte, c'est le récit d'une mort inévitable, à laquelle tout le monde concours sans le vouloir, et du sacrifice aveugle d'une jeune fille innocente... plutôt une tragédie qu'une comédie, tout de même ! Car c'est le propre de la tragédie, justement, de s'agiter beaucoup pour lutter contre un destin en définitive implacable.
Avec ici, oui, un soupçon d'humour noir en plus:)
Portrait de Vuld Edone
Vuld Edone a répondu au sujet : #21510 il y a 6 ans 1 semaine
Je suis tout de même forcé de nuancer, à propos de la tragédie : c'est effectivement la lutte contre l'inévitable. Mais à mon sens il faut que les personnages soient la cause de cet inévitable, que ce soient leurs actes qui le produise.

Un bête exemple est un vieux texte des Chroniques sur une planète sur le point d'être engloutie par les tyranides. Plus personne n'y peut rien, certains essaient, d'autre pas, et on peut dire que c'est dramatique mais ce n'est pas vraiment tragique. De même sauf erreur on a un texte sur une personne enfermée dans un bateau qui coule, et là encore on regarde une personne se débattre contre l'inévitable sans qu'il y ait vraiment tragédie (au sens littéraire).

La tragédie, je pense, intervient quand un personnage sait ce qui va se produire, ne veut pas que ça se produise et malgré tout provoque les événements.

Mais bref.
Portrait de Zarathoustra
Zarathoustra a répondu au sujet : #21512 il y a 6 ans 4 jours
Cela fait un bout de temps que j'ai lu ce texte.
J'avoue qu'il m'a un peu mis mal à l'aise (et que c'est sans doute voulu). J'ai été saisi par son humour noir, quasi désespéré. J'aurai du mal à en dire beaucoup plus que Vuld (même si je ne me souviens plus trop de Jus d’Orange, je pense que ça sera l'occasion de m'y replonger prochainement); en fait, je voulais le faire avant de commenter, mais j'ai pas trop le temps actuellement).

Je dirai que ce texte n'est pas plaisant. Je veux dire par là, qu'il ne cherche pas à séduire le lecteur. Au contraire, il est là pour le bousculer. On est très vite saisi par l'inconfort de la situation. On assiste à une histoire, un peu comme sans y être invité avec l’impression d'avoir loupé le début. Pour ma part, j'ai eu du mal avec les relations supposées entre les perso. On y comprend qu'il existe un lien entre eux, mais aucun ne joue vraiment le rôle qu'on attend de lui. Ni la mère, ni la sœur et ni la malade, en fait. IL se dégage ainsi un climat presque malsain.
Du coup, il n'y a guère que le clown qui joue son vrai rôle, sauf que l'ambiance du texte et l'enjeu qu'on lui demande, court-circuite totalement ses tentatives de faire rire. J'avoue avoir presque souffert à la place du clown. En tout cas, on compatit pour lui. Et en même temps, il me répugnait, comme s'il était monstrueux (et je me rends compte un peu comme San que je n'aime pas trop les clowns ou alors quand ils sont tristes).
Le fait qu'il puisse être le coupable est intéressant, parce que, un peu comme dans Kafka, le sentiment de culpabilité est quelque chose de très ancré en nous, et encore plus dans le monde judéo-chrétien.Par contre, cela a introduit un côté qui m'a agacé. Au départ, je me suis dit qu'il y a avait une chose qui m'avait échappé ou que le texte permettrait d'expliciter cette relation avec la malade. Puis, j'ai laissé tombé, parce que j'ai eu le sentiment que le texte avait délibérément abandonné cette idée, comme s'il s'agissait d'une fausse piste ou qu'il s'agit de l'un des éléments pour créer la finalité du texte. Ah oui aussi, pendant que l'histoire progressait, j'avais cette idée dans la tête que la chute tournerait autour de l'expression "mort de rire", et quelque part, je te remercie de pas l'avoir fait.

D'après tes explications, le texte possède parfois une gratuité. Et le fait qu'il n'y ait pas de vraies règles ou que tout le monde puisse être coupable juste par principe est à la fois une force et une faiblesse. Une force parce que c'est indéniablement ce qui permet ce climat si particulier (et que je qualifierais de malsain) et en même temps une faiblesse, parce que cela donne l'impression que tu te fous un peu du lecteur. Si véritablement, il n'y a pas de règle ou rien à comprendre (ou tout ce qui revient en l’occurrence au même), je trouve que ce n'est pas une bonne chose.
Je le dis alors que je suis le premier à jouer au détriment du lecteur, voire à me moquer de lui dans mes textes. Mais généralement, cela débouche sur un enjeu entre lui et moi. C'est, en quelque sorte, lui contre moi, et s'il perçoit mon piège alors il a droit de rire. Peut-être est-ce le cas ici, mais j'avoue avoir calé. Ou que quelque chose m'échappe.
Une piste peut-être à creuser? S'il s'agit de te moquer du lecteur, tu devrais peut-être chercher à faire davantage de lui un complice plutôt qu'un spectateur qui regarde. En tout cas, le côté très théâtral pousse à regarder plutôt qu'à être actif. Au départ, j'ai voulu l'être puis j'ai laissé tomber, en me disant que le texte m'en empêchait délibérément.

Donc je retiens surtout de ce texte le climat un peu oppressant, cet humour qui joue avec notre malaise. Dommage qu'il semble se refuser à nous donner quelques clés pour y rentrer pleinement. Par contre, contrairement à Vuld, j'ai vraiment senti le tragique de ce texte (presque donc jusqu'au malaise) dans le sens où on sent l'avancée vers l'issue inexorable..
Portrait de Monthy3
Monthy3 a répondu au sujet : #21515 il y a 6 ans 1 jour
Alors, si une chose est certaine, c'est que je ne cherche pas à me moquer du lecteur - de vous. C'est un texte qui a vocation à mettre en scène (l'expression est importante, on est ici vraiment dans du théâtre) une lutte contre l'inéluctable, une lutte en réalité paradoxale car les personnes qui ont fait venir le clown ont accepté cet inéluctable, c'est-à-dire la mort de Fanny.

C'est vrai qu'au fond, il n'y a pas grand-chose à comprendre. Il s'agit d'observer une noyade, en quelque sorte. Chacun lutte pourtant à sa façon : Fanny en regardant la télévision, qui la raccroche à la fiction et éloigne l'ombre de la mort ; sa sœur en lui parlant, en l'encourageant ; sa mère en essayant d'écarter le clown... et ce dernier en essayant de redonner un peu de joie de vivre à Fanny.

Mais en fait, la sœur lutte contre la mère, et inversement ; et plus le clown se débat, plus il enterre Fanny en détournant son attention de la télévision. Il n'y a pas d'issue, car les attendus sont opposés aux effets. Le tour de magie crée un pigeon, qui entraîne l'ouverture de la fenêtre, donc le filet d'air froid, et voici la mort qui s'invite.Tout le monde a joué son rôle : Fanny en appelant le clown, le clown par son tour, la mère par son chapeau qui permet le tour, la sœur qui ouvre la fenêtre. C'était écrit.

Un dernier mot sur l'histoire du clown : en réalité, il n'a pas de lien avec les autres protagonistes. En revanche, il a bien dans mon esprit une histoire personnelle, une tragédie vécue précédemment à laquelle il aurait, d'une façon ou d'une autre, participé. Peut-être est-ce cette information qui aurait dû être davantage explicitée, mais j'aurais, je pense, perdu en cohérence et en "resserrement", en oppression dans cette salle d'hôpital.
Portrait de Vuld Edone
Vuld Edone a répondu au sujet : #21522 il y a 6 ans 1 jour
Oui, ça aurait compliqué les choses si tu avais introduit cette information. Ici l'histoire est simple, même si le lecteur se trompe : un drame familial, point. Si on commence à donner au clown une histoire, il faut y trouver de la pertinence, etc... ça ne ferait qu'affaiblir ton récit, toutes choses égales par ailleurs.

Je ne suis pas sûr qu'on puisse parler de lutte, cela dit. Il est clair que la soeur s'oppose à la mère, mais par contre il est difficile de voir Fanny dépendre de la télévision, et encore plus la mère véritablement penser à la fille. Quelque part cette dynamique n'est pas assez marquée, on ne voit vraiment que leur relation directe avec le clown. Ici peut-être il y aurait eu moyen de retravailler pour rendre le texte plus... mécanique.

Je maintiens mon avis sur la tragédie cela dit. Se sentir mal pour des personnages qui souffrent est normal, mais ça tient du drame. On peut comprendre pourquoi le logicien que je suis tient tant à cette séparation et réserve la tragédie à une logique froide.