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Tu ne mourras pas.


     Ca avait commencé par le roulement du tonnerre tout au long de la nuit. Le ciel se remplissait alors d’étoiles incandescentes qui perçaient les nuages noirs rassemblés dans l’immensité des ténèbres hachurés d’éclairs comme autant de flammes d’un instant qui s’écrasaient sur la terre, de pluie brillante à l’éclat mortel du cuivre d’une cloche qui hurlait véhémente au milieu des vociférations d’un vent empli de bourrasques rendues folles, du déferlement éperdu de la tempête dont le lourd tremblement mêlé à l’écrasement des gouttes énormes qui soulevaient dans la boue des gerbes atroces écrasait la terre et déchirait le ciel. Quatorze coups rageurs avaient roulé rendus fous à l’heure des cris de la nuit.

     Ensuite, il y aurait une forteresse, la lumière d’un astre ardent qui s’élevait dans une atmosphère disloquée aux nuages rompus et morts s’étalant jusqu’à l’horizon, la plaine. Les collines au nord s’étaient effacées dans un nuage de brume, sorte de mirage où se reflétaient les rayons du soleil. Soudain il y eut une clameur, puis plus rien.

 

     Le flanc de pierre creusé ruisselait d’étincelles et de la fumée noire des fourneaux sous lesquels s’étiraient les colonnes interminables de mineurs, travailleurs décharnés au visage pâle avec des sacs sur le dos ou un outil à la main, parfois quelques morceaux de tissu pendants. Le bruit des marteaux et des pioches accompagné du sifflement des foyers noyait la mine entière et jusqu’aux cris et jusqu’aux épais murs bordant les entrées. Deux immenses amas de pierre et de poussière flanquaient l’autre côté de l’exploitation où ne se sentait que la chaleur de la roche. Déjà péniblement les files s’étiraient, avalées par les gouffres noirs qui ne cessaient jamais de descendre et d’où ne remontait que l’écho agressif du fer.

     Une centaine d’habitations surplombaient la forteresse sur la pente sèche, puis il n’y avait plus rien que, tout en haut, la pointe brillante qu’ils disaient concentrée de tous les labeurs versés, sommet inaccessible, exilé, couleur d’argent qui semblait s’enfuir a mesure que montait l’astre de feu. Au nord, de l’autre côté des élévations rocheuses, se trouvait une autre mine, puis une autre, une autre encore, dix, vingt, que ne distinguaient que les volutes sombres dans le ciel. Alors il fallait marcher, tous, et ils marchaient sur la roche le long de la double muraille qui reliait les forteresses en ceinture impénétrable de sécurité.

     Une goutte de pluie tomba, une trompe sonna et ensuite plus rien, plus rien, il fallait marcher, marcher, creuser et là-bas la forteresse, très loin, une autre goutte de pluie.

 

     Métal contre métal, déchirement du fer, l’outil gémit en frappant de plein fouet la surface sombre contre laquelle aboyaient mille autres instruments, cacophonie assourdissante mêlée à l’odeur étouffante des boyaux. Des morceaux de roche volèrent en éclats dans le redoublement des coups portés et les milliers de pics de fers s’abattirent à nouveau au milieu des lueurs des torches fumantes. Nulle part ne se trouvait plus de ciel mais la surface unie, sèche et sombre, comme les peaux ruisselantes des hommes qui sauvages frappèrent et frappèrent encore au milieu du rythme affolant des têtes de métal qui s’abattirent comme le tonnement de canons.

     Il passa alors, fugitif, le bruit atroce d’une roue de chariot grinçante, plaintive, qui retentit au milieu de l’acharnement assourdi à peine calmé quand s’arrêta l’engin hurlant, tandis que les hommes chargeaient les blocs arrachés avec leurs mains sanglantes dans l’écrasement d’une ardeur bruyante partout renouvelée. La plainte s’éloigna au milieu du vacarme strident crevé de cris, d’appels et de détonations qui s’étendait sur toute la mine. Dehors le soleil brûlait, l’horizon se teignait de nuances rouges au flottement de l’air remué par la chaleur, enfin partout se cachaient fuyants les restes d’un aurore écrasé.

     Une galerie entière s’effondra comme avalée par la terre qui en rejeta des débris disparates mêlés de chair et du fer étincelant dans un nuage de poussière au vacarme tonitruant des claquements qui volent et s’abattent avec furie. De tous côtés sifflaient les traits de lumière emportés qui balayaient les sombres couloirs, passant sur les corps, les cadavres dévorés et la pourriture au pied de ceux qui battaient le fer. Le fracas s’amplifia encore au point d’assourdir tandis qu’explosait la roche sous les instruments d’acier, dans les entrechocs répétés du fer contre le fer, des marteaux abattus, des vastes mouvements du poignet et l’air lourd s’enfuyant au sein de cette agitation frénétique.

     De tous côtés des regards se rencontraient, nulle part pour fuir, vides ou bestiaux, lisses et aiguisés qui tranchaient dans le cœur et s’affrontaient mutuellement, vivre, vivre, autant de regards fuyants et morts que les ténèbres hurlants rongeaient. Soudain passa un nouveau chariot et le crissement de ses roues comme des grésillements dévorants de chenilles s’amplifia au point de faire saigner, insoutenable massacre du fer contre le fer et la roue rebondissante comme si tout explosait puis les débris qui tombèrent en masse pêle-mêle à la fureur des flammes qui éclairaient les hommes attroupés, lueurs emportées sur les surfaces ravagées et partout craquantes quand tonnaient les bouches brûlantes contre ces éclats de vie.

     Des membres dévorés jusqu’à l’os, des débris d’os et la puanteur des plaies ouvertes déjà putréfiées couvraient le sol que les talons piétinaient, empilement de cadavres toujours plus nombreux tandis que s’accumulaient les bras armés de pics au tremblement d’une nouvelle portion de roche qui s’effondrait, des cris répétés et furieux de la foule pressée qui battait des bras de tous côtés à l’exil toujours plus vif d’une étincelle. Des lueurs passèrent, vivaces, dans les yeux acérés des hommes mutilés qui frappaient de toutes leurs forces, orgie de sueur et de mort entrecoupée de cris dans l’étroit couloir creusé. Dehors des rangs s’étendaient, infinis, tandis que brûlait au-dessus des murailles et de la forteresse un ciel de braise aux nuées ardentes.

     Un tonnerre terrassant balaya les boyaux, hurlements des chariots, vociférations des instruments meurtriers, cris et plaintes mêlés dans la folie destructrice du fer qui pleuvait, du fer qui éclatait, des corps qui tombèrent. Les têtes bourdonnèrent, le ciel empli de scories se chargea de souffrances nouvelles puis tout sembla se calmer puis reprendre plus violent encore, avec toute la fureur possible et des cris, des cris répétés qui surmontaient les échos tonitruants de la mêlée. Il fallait frapper, frapper encore la pierre qui volait en pièces dans le fracas continu des pics et des pioches et ne plus regarder quand la roche éclatait, ne plus entendre les cris et les plaintes et les appels incessants des torches calcinées qui fumaient dans les lueurs anarchiques du ciel sombre.

 

     Métal contre métal, cœur de cendre, tandis que se pressait la masse humaine aux bouches creusées dans les flancs, sous les fureurs d’un soleil dévorant, il sortit comme tout le monde entrait, ses mains libres et tremblantes et oreilles bourdonnantes il vit tout ce qu’il entendait.

     Métal contre métal, braise éveillée, derrière les foules des travailleurs paniqués qui s’enfuyaient, trop tard pour fuir, en direction des mines ou tous ignorants continuaient à travailler, partout les combats éclataient et partout des champs de cadavres innombrables et aveugles recouvraient la terre brûlée et fracassée et décomposée. Des ruines restaient de la forteresse qui volaient en éclats dans le fourmillement des silhouettes carbonisées, qui s’effritaient tandis que s’illuminaient les figures fuyantes des massacrés enragés. Partout au travers des brèches s’engouffraient des masses de guerriers, partout et porteurs de mort les tueurs en armes qui tuaient, tuaient pour tuer, indistinctement les hommes qu’ils rencontraient, tuaient, tuaient pour le trouver, lui pour qui cette tuerie et les appels répétés.

     Métal contre métal, fumée du souvenir, comme s’effondraient les forges et fonderies dans un vacarme sans écho, au sein des foyers rugissants qui faisaient monter partout, partout, dix, vingt, cent et mille leurs ardentes fumées rougies et l’horizon en flammes, tandis que s’étendait la vague affreuse des combats, il entendit, encore les cris, toujours les mêmes, qui l’appelaient dans cette furie destructrice, cette rage folle qui le rattrapait même dans sa volonté de mourir.


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