Depuis des jours et des jours, le bourg où vivait Karl et ses hommes était assailli par les réfugiés, tous contraints de quitter leurs foyers devant la progression destructrice de la horde. Des coins avaient été improvisés pour les recevoir, leur donner à boire et les soigner dans certains cas. Les récits les plus abominables circulaient sur le massacre des fermiers surpris par les orques. Plus les heures avançaient, plus les lieux désertés se faisaient proches du domaine des chasseurs. La tension montait au fur et à mesure, et déjà des habitants vidaient leur demeures pour se joindre à la longue colonne de fuyards.
Malkios, qui était devenu le messager de Karl, vint le retrouver.
- Commandant ! D’ après l’origine des derrniers arrivants, les peaux-vertes seront ici demain matin.
Karl reporta son attention sur la place qui s’étalait sous ses yeux. Les troncs taillés en pointes et les fossés installés devant les maigres murs du village lui semblèrent bien dérisoires face à la puissance dégagée par la waaagh ! .En tout cas, cela aura permit d’occuper les esprits, car il n’y a rien de pire pour le moral que l’inaction. Enfin, il tourna la tête vers Malkios et les chefs qui l’avaient rejoint, avec un visage grave :
- Que l’on serve un bon repas à chaque hommme ! Sans alcool. Que les armes et les défenses soient vérifiées ! Organisez les places de résistances en fonction des groupes formés par les patrouilles, les hommes les plus robustes aux points stratégiques, je veux les meilleurs guetteurs se relayant tout le soir et toute la nuit. Que l’on amène d¹avantage de pierres et de flèches sur les remparts, que les accès aux courtines soient condamnés et les portes verrouillées. Je veux que tout cela soit fait par les femmes puis vérifié par les sentinelles, que les hommes aillent dormir. Enfin, faites sortir touts ceux qui ne sont pas en mesure de défendre la place. Que femmes, vieillards et enfants rejoignent fort-thémien pendant qu’ils le peuvent encore. Je veux un homme de chaque patrouille avec moi, prêt à courir réveiller son groupe et à le conduire au secteur qui lui est attribué, ainsi qu’un sonneur de cor sur chaque tour de guet.
Puis après une pause :
- Messieurs, demain verra mourir beaucoup des nôtres. Si une partie des peaux-vertes s’intéresse à nous, nous vendront chèrement nos vies, mais si la horde complète débarque, nous n’avons aucune chance. Dans ce cas, je ne veux pas d¹héroïsme imbécile, mais un repli en bon ordre vers les hauteurs. Vous êtes ceux vers qui se tourneront touts les regards lors des combats. C’est sur vous que repose le moral des troupes. Soyez forts et dignes, et chaque homme se battra comme un lion. Soyez faibles et lâches, et vous trouverez une bande de couards autour de vous. Messieurs, que les dieux arment votre bras et vous donnent la force de vaincre. «
Le premier son de corne fut lancé au petit matin. Le jour n’était pas encore levé, et la brume rendait nulle toute visibilité qui aurait été permise par la lune. L’alerte se répercuta dans la poitrine de Karl, qui quitta sa couche d¹un bond. Saisissant sa hache, il se précipita sur le chemin de Ronde. L’attente qui lui tiraillait les entrailles était finie, il ne s’agissait plus de réfléchir ou de se questionner, mais d’agir. Déjà le tintement du métal des armures enfilées à la hâte et des lames tirées du fourreau emplissait l¹atmosphère.
Au loin, entre ciel et terre, on pouvait apercevoir une multitude de lueurs perçants les ténèbres. Une immense ligne de feu barrait l’horizon.
Chacun avait maintenant rejoint sa place dans le dispositif de défense. Les visages étaient durs et résignés, les yeux rouges de la courte nuit au sommeil troublé ou absent.
Le jour se levait lorsque la horde arriva suffisamment près pour que l’on puisse en apprécier son immensité. Un flot de peaux vertes ininterrompu, multitude de fers et de dents, de puissance et de stupidité, de muscles et de boîtes crâniennes creuses. Aux grognements gluturaux et bestiaux des orques répondaient les piaillements irritants et nasillards des Gobelins. Un parfait désordre animait cette masse grouillante, comme il est d’usage chez les orques. Ici ou là éclataient des rixes entre boys, gobs et snots, et malgré les distributions systématiques de baffes des chefs, elles dégénéraient, laissant quelques borgnes et quelques éclopés derrière elles. Telle est leur nature.
L’avancée orque ne semblait pas suivre de chemin précis. Sans doute le big boss avait-il une vague idée de sa destination, mais le sens de l’orientation n’étant pas le plus développé chez les orques, la direction changeait continuellement, au grès de l’enthousiasme des bandes.
N’osant y croire, Karl, qui comme tous les autres avait les yeux rivés sur la horde, la vit se diriger vers les plaines de Tahbeleihm, ignorant totalement le bourg et ses défenseurs. Les peaux-vertes s’éloignèrent peu à peu dans un tintamarre digne des meilleures tavernes naines. Les hommes durent se rendre à l’évidence, ce n’est pas aujourd’hui qu’ils livreront combat. Les dieux en avaient décidé autrement. Un large visage sourire s’affichait sur les visages soulagés, tandis que chacun remettait son épée au fourreau.
Bork vint rejoindre Karl et le salua d’une bourrade amicale.
- Alors, il va falloir attendre un peu avaant de trancher du vert ? «
Quelque part, Karl était soulagé. Nettement inférieur en nombre, ils auraient subi de très lourdes pertes. C’était sans doute mieux ainsi. Le sourire qu’il arborait se changea peut à peut en rictus nerveux, alors que ses doigts moites se refermaient sur sa hache. Derrière Bork, une partie de la masse s’était détachée, et marchait dans leur direction, les lames grossièrement affûtées des kikoup au-dessus de leurs têtes.
Sans un mot, les hommes reprirent leur position, le cœur battant un peu plus fort à mesure que l’ennemi se rapprochait.