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Le Prisonnier

L’Evasion

 

Il pouvait à nouveau utiliser ses pouvoirs. Il le sentait… Quelque part en lui… Tapis dans chacun de ses muscles… Tout aurait pu être si simple s’il cédait à leur appel… Plus de piège… Plus de doute sur de possibles mensonges… Seulement avant, il voulait lutter contre la magicienne, et surtout ne pas lui offrir ce plaisir de capituler trop vite avec cette facilité à portée de main.

C’était vraiment curieux. Il était prisonnier, du moins pour l’instant, mais, maintenant qu’il était seul, il avait la certitude d’être libre dans sa tête. Et que cette liberté ne pouvait être entravée par rien au monde. Au contraire, les liens qui le retenaient à cette chaise ne faisaient que la renforcer. Il était libre. Totalement libre. Aussi libre qu’une petite goutte d’eau qui ne sait pas encore qu’elle va se dissoudre dans un immense lac.

D’ailleurs, la magicienne le lui avait laissé entendre. Il avait le choix d’agir à sa guise. Mais avoir le choix est-il synonyme de liberté ? Non. En l’occurrence, ce choix l’enfermait dans un autre piège. De même qu’à ce stade, utiliser ses super pouvoirs aurait surtout prouvé qu’il n’était pas libre. C’était comme si la seule façon de le rester consistait à demeurer prisonnier. « Je sais, c’est complètement idiot ou paradoxale, mais pourquoi ai-je en moi cette certitude ? ».

Le problème était ailleurs. Dès qu’il cherchait à se défaire des liens ou envisageait d’ouvrir la boîte avec la clé susceptible de le détacher, il entrait de plein pied dans l’histoire de la magicienne et subirait totalement sa volonté. Et en rien, ce n’était son histoire. Depuis le début, c’était comme si elle lui en avait brossé une mais qu’il n’en acceptait pas la fin. Et il avait l’étrange sentiment qu’il peut en construire une autre en lui-même qui lui aurait paru plus acceptable car, même ligoté ainsi à cette chaise et à ce point perplexe devant le piège de la magicienne, il y avait toujours une petite voix qui ne cessait de lui chuchoter qu’il était libre. Entièrement libre. Follement libre.

Pour que le piège fût parfait, il devait comprendre sa faille. Or, à cet instant, il s’imagine face à un mur, enfermé dans les contradictions, car plus les chaînes l’enferraient sur cette chaise, moins il voyait comment se libérer sans exploiter son super pouvoir. Et en même temps, cette situation lui permettait curieusement de voir le monde avec une plus grande acuité, comme si la réalité qui l’entourait résonnait en lui à la manière de l’onde de choc sur la surface du lac. Il en cernait chaque soubresaut et tout partait de lui. Il était la goutte d’eau. Et il était l’onde. Et au milieu de tout ça, aucun de ses doutes n’arrêtait en lui cette sensation d’être plus que jamais libre.

Libre comme un oiseau. Libre  grâce à ses chaînes.

**

*

Pourtant, la réalité était tout autre. Ses bras et ses pieds, toujours bloqués en arrière, diffusaient une douleur de plus en plus vive à ses muscles des triceps et des cuisses. Et puis, il en avait marre de se tenir aussi droit, avec ce dossier de chaise qui lui rentrait dans le dos. Sa tête était libre, mais les contraintes sur son corps rendaient sa position insupportable. Elle l’empêchait de réfléchir, de penser ou de comprendre. Or à quoi servait sa liberté s’il ne pouvait penser ? A rien ! A rien quand on était prisonnier comme lui. A rien sauf fixer ce lit vert olive devant cette fenêtre qui appelait l’évasion et le rêve, alors que cette échappatoire se cachait sans doute dans la boîte en ivoire. Cette boîte qu’il voyait, là, sur sa gauche, sur la coiffeuse au milieu des fioles de parfums, des peignes, des produits de beauté et des colliers en désordre. Et dedans, il y avait une clé à trouver, sa clé des champs en quelque sorte.

Il devenait urgent qu’il comprenne la situation pour s’en sortir.

Cette maudite magicienne l’avait laissé en vie. Curieux choix. Lui n’aurait pas hésité : éliminer un tel adversaire, franchement, pourquoi s’en priver ? Elle venait donc de commettre sa dernière erreur. Et elle le paierait très cher. De sa vie. Et pour ça, il prendrait tout le temps qu’il faudra pour qu’elle en comprenne le prix.

Et qu’elle le paie pièce par pièce.

D’abord, il prendrait  un immense plaisir à défigurer ce visage d’ange. Il placerait pour cela un grand miroir où elle pourrait contempler sa déchéance physique à chaque coup qu’il lui porterait. Ce serait son jeu à lui. Son ironie. La détruire entièrement en se contentant de son seul visage.

Elle serait alors face à lui, ligotée comme lui l’était à cet instant, sauf qu’il n’aurait pas besoin de magie pour cela. Pour autant, utiliserait-il ses supers pouvoirs pour la faire souffrir comme elle le méritait ? Pour lui meurtrir la chair plus en profondeur et briser le moindre de ses os ? Peut-être pas. Il lui montrerait qu’il pouvait l’anéantir sans eux. Et lorsqu’elle l’aurait compris, alors seulement, il lui dévoilerait quelle était l’étendue de son vrai pouvoir. Il puiserait en lui pour la torturer toujours plus intensément, pour qu’elle regrette chaque manigance à son égard, pour qu’elle réalise qu’il n’y avait pas à concevoir de tels pièges pour annihiler son adversaire tant physiquement que psychologiquement. Il fallait juste un peu de volonté. Or, lui avait une volonté de fer.

Donc, il commencerait par le visage, parce qu’il était certain ainsi de toucher cette femme le plus profondément dans sa fierté, dans ce qu’elle avait à offrir, en quelque sorte, pour régner sur le monde. Une fois qu’il aurait retiré la beauté de ce corps, que lui resterait-il pour vouloir vivre encore ? Pas grand-chose. Il voyait déjà ce visage ensanglanté, les yeux boursoufflés, la bouche plus ou moins édentée, les lacérations profondes sur chaque joue avec les pommettes éclatées, rougies et bleuies. Non, ce ne serait pas beau à voir et pourtant, elle le verrait dans le miroir placé devant elle. Il la forcerait à contempler son visage défiguré. Elle ne pourrait rien faire d’autre si ce n’est découvrir combien la laideur dissimule autant de choses que la beauté. Elle verrait ainsi ce qu’elle n’était plus autant que ce qu’elle était en train de devenir. Et après…

Après, il s’occuperait du reste avec le même soin. Et il n’y prendrait aucun plaisir. Ce serait seulement un travail, un juste châtiment pour qu’elle comprenne qui il était et qu’on ne joue pas ainsi avec un tel adversaire. Peut-être… Peut-être que... Oui, dans une certaine mesure… Quand il utiliserait son pouvoir pour disloquer ce corps… Quand il mesurerait sa force juste ce qu’il faudrait pour ne pas lui arracher la tête… Alors, si… Il éprouverait un certain plaisir, non pas de faire mal, mais de sentir toute cette puissance en lui et sa faculté à la contenir, à la mesurer précisément au degré près pour maintenir l’unité du corps qu’il frapperait. Il appelait ça, les contraintes de la physique. Quand il frappait trop fort, d’une manière démesurée, la matière elle-même semblait éclater en poussière. Et ça, elle ne pouvait pas comprendre la beauté et l’ivresse qu’il y avait à mesurer aussi précisément cette force colossale que contenait chacun de ses muscles. Peut-être qu’avec sa magie… quand elle dosait elle aussi les effets de ses sorts… peut-être avait-elle ce même plaisir que lui… une profonde et douce volupté à sentir le monde entièrement à soi et à sa pogne. Une  jouissance infinie. Vraiment infinie.

Rien que cette évocation lui donna l’envie plus grande de briser ces maudites chaînes qui le maintenaient depuis trop longtemps prisonnier. Pourquoi faire durer inutilement ce piège ridicule ? Rien ne pouvait égaler sa force maintenant. Il le savait. Il le sentait. Son cou se tendait de cette manière si particulière quand se manifestait son pouvoir. Et son souffle contenu dans sa poitrine et qui montait de sa bouche et descendait dans ses poumons le lui disait également, et plus encore lorsque son torse se gonflait et qu’il sentait toujours derrière lui ses bras tirés en arrière.

Il se redressa et respira lentement en fermant les yeux, en fermant les poings, en fermant son esprit. Tout serait si simple maintenant qu’il savait. Alors, petit à petit, il écarta ses poignets jusqu’à tirer de part et d’autre sur les chaînes. Des cliquetis caractéristiques résonnèrent derrière lui, puis se turent immédiatement sous la tension. Juste avant de les briser, il se rappela les paroles de la magicienne. S’il utilisait sa force, il perdrait. Que voulait-elle dire ? N’était-ce pas rentrer de plein pied dans son jeu ? De même, pourquoi voulait-elle qu’il se libère et qu’il ouvre la boîte ? Et si le jeu était là et que, depuis le début, il refusait de le voir ? La magicienne voulait qu’il l’ouvre. Peut-être n’avait-elle pas le droit d’employer cette clé qui pendait à son cou ? Comme si tous les deux, l’un et l’autre, étaient au final deux jouets entre les mains du Maître des Clés ? Mais tout ceci n’était que des supputations, un monde d’hypothèses bâti sur les mensonges de la magicienne. Comment savoir où se logeait la vérité ?

Finalement, il renonça à utiliser son pouvoir sur les chaînes. Parfaitement intactes, elles demeuraient autour de ses poignets et de ses pieds en tirant encore et plus toujours douloureusement sur ses membres.

 

A chaque fois, il revenait au cœur du problème : quelle était la part de vérité dans tout ça ? Comment en sortir, et ce, quelles que fussent la vérité et les mensonges dans tout ce fatras d’hypothèses ? Car, même au milieu des mensonges, il devrait de toute façon trouver une solution lorsqu’il les affronterait. Et si jamais il réussissait sans son pouvoir, alors il aurait vaincu la magicienne, cela valait le coup d‘essayer, juste pour voir sa tête lorsqu’il la défierait… Debout… De toute sa taille. Elle comprendrait alors son erreur de l’avoir laissé en vie… Un beau challenge qu’elle lui proposait là et qu’il eut soudain envie de relever.

Le décor sous ses yeux dissimulait le parcours qui l’attendait. Devant lui, il y avait le lit avec derrière la fenêtre qui apportait sa vive lumière dans la chambre. Sur sa gauche, la coiffeuse en marbre gris. Et dessus, la boîte blanche. Et derrière lui, la porte de la chambre qu’il prendrait pour s’enfuir dans le labyrinthe de son palais. A moins qu’il ne l’attende à la fin sur sa chaise, tranquillement, comme s’il avait été vaincu, pour la piéger à son tour… Il ne lui restait plus qu’à réussir…

Il déroula alors dans sa tête chaque étape.

La première chose à faire consistait à se rapprocher de la coiffeuse où se trouvait la boite avec les clés. Il y avait tout au plus trois mètres entre elle et lui. Pour cela, il fallait d’abord pivoter pour être dans le bon axe, et non plus face au lit comme actuellement. Restait à trouver comment avancer avec ses foutus pieds coincés derrière ceux de la chaise alors que leur pointe touchait à peine le parquet. Et tout ça, sans tomber, bien entendu.

Ensuite, il lui faudrait parvenir à extraire la clé qui pendait à son cou. Or, tant qu’il serait à ce point le dos coincé contre le dossier de cette chaise, il pouvait à peine se pencher en avant pour espérer l’extraire de sa chemise. Et, s’il y parvenait malgré tout, il n’aurait que sa bouche pour manœuvrer la clé. Sauf que la serrure était sur le côté et bien trop basse pour caler aisément sa tête à bonne hauteur. Et même ça, comment ferait-il sans que la boite ne recule en même temps qu’il enfoncerait et actionnerait la clé dans la serrure avec sa tête ainsi posée contre le plan en marbre de la coiffeuse ? Quand même pas avec sa seule langue ? Enfin, une fois la boite ouverte, il lui faudrait se saisir de la bonne clé et parvenir à la glisser à ses mains derrière lui. Le plus simple consisterait certainement à tout faire tomber par terre, y compris lui avec la chaise.

Et là, bien sûr, il fallait que la magicienne n’eût pas menti et qu’il y eût bien une clé qui ouvrît ses chaînes… Et encore une fois, que se passerait-il si le seul objectif de la magicienne n’était pas qu’il se libère pour prouver lequel des deux était le plus fort, mais juste qu’il ouvre la boîte du Maître des Clés à sa place parce qu’elle ne le pouvait pas ? Surtout que cela expliquait tout… Notamment le fait qu’elle le laissât en vie et qu’elle souhaitât qu’il se libère... Et pour elle, ce piège n’était rien d’autre qu’un nouveau jeu pour obtenir secrètement de lui ce qu’elle attendait…

Donc, oui, techniquement, il pouvait s’échapper sans avoir recours à son pouvoir. Pour autant, pourquoi chaque étape, lorsqu’il s’imaginait en train de les réaliser, lui apparaissait pour ainsi dire impossible ? Parce que chacune d’elles relèvent tout simplement du concours improbable de circonstances. Et aucune ne gagnerait de sens s’il ne parvenait pas à la dernière étape.

Au final, la clé enfermée dans cette boîte blanche sur la coiffeuse, à trois mètres à peine de sa chaise, fut alors pour lui comme une autre réalité mais soudain inaccessible. Un bloc insaisissable qui le défiait.

Comme une vérité improbable et impossible.

 

**

*

 

Malgré ses sinistres conclusions et l’angoissante impression d’être enfermé dans une réalité qu’on lui imposait, il se sentait encore libre. Sans doute était-ce précisément ce que la magicienne attendait de lui pour montrer sa toute puissance ? Elle devait divinement jubiler à le réduire ainsi à un vulgaire imbécile en train de se démener dans ce vaste numéro de bouffon, priant à chaque instant pour que l’une des clés contenues dans la boîte fût susceptible de le libérer. Un prisonnier plus que jamais suspendue à son bon vouloir, conditionné dans une chaîne de causes à effets qu’elle avait dès le départ orchestrée de main de maître. Il y avait forcément une autre solution pour s’échapper de ses chaînes, même s’il en doutait de plus en plus.

Cependant, une partie de lui n’avait toujours pas capitulé.

Son cerveau continuait d’examiner la situation, mais tout le ramenait inexorablement, poings et pieds liés, à son inconfortable position sur sa chaise. Avec ce dossier qu’il ne supportait plus dans son dos. Avec ses pieds tirés en arrière à lui en faire affreusement mal. Avec cette chambre verte dont la douceur féminine et l’intimité enivrante l’écœuraient désormais.

Il avait maintenant en horreur de s’abaisser à rentrer dans cette succession de séquences toutes plus absurdes les unes que les autres. Le plus simple consistait à sonder avec sa force surnaturelle la réalité du sortilège qui le maintenait prisonnier, seul dans cette chambre feutrée, à la quiétude trompeuse.

Alors, il meure d’envie de se mesurer à cette soi-disant magie. Dans ses muscles et depuis trop longtemps, il sent la présence de sa force incommensurable. Sur ce point, elle n’avait pas menti. Qu’importe s’il prouve ainsi qu’il était moins fort qu’elle. En la matière, ce serait toujours très relatif… A dire vrai, c’est même l’existence du piège tout entier qui en dépend. S’il peut briser ses chaînes, il n’y a plus de piège. La réalité d’avant et d’après seraient alors exactement la même : rien ni personne ni jamais ne pourront un jour surpasser sa force.

Par conséquent, il s’est décidé à rompre les chaînes, mais en douceur, avec juste ce qu’il faut de puissance pour qu’il sente le métal s’écarter et plier sous sa volonté. Ses bras à nouveau exercent leur tension. Immédiatement, ses poignets force implacablement le métal qui immédiatement rentre dans sa chair. Il devine l’énergie magique se concentrer derrière lui et lui résister d’une manière redoutable. Il jubile à l’idée de pouvoir puiser un peu plus dans son pouvoir. Cette résistance est si rare. Il contracte alors un peu plus ses muscles. La tension est déjà telle qu’aucun cliquetis n’annonce ce changement de puissance, juste peut-être un léger crissement métallique. Ses bras, toujours tirés en arrière, commencent à créer une vive tension au niveau du haut de son dos, juste entre les omoplates, pour décupler sa force. Pour autant, le métal ne cède toujours pas.

Une nouvelle fois, il écarte ses poings encore plus vigoureusement. Rien. Toujours rien. Au contraire, il a même l’impression que ses poignets se rapprochent l’un de l’autre, comme si l’étreinte avait augmenté. Il doit reconnaître que la magie qu’il affronte s’avère plus largement puissante qu’il ne l’avait imaginée.

Alors, pour la première fois, il se met à douter.

Et si sa force n’était pas suffisante pour le libérer ? Le Maître des Clés lui avait pourtant assuré que rien ne serait jamais plus fort que lui. Et il disait toujours la vérité. Même la formulation de son super pouvoir ne laissait aucune ambiguïté: « Tu auras la force de terrasser tous tes ennemis, car rien ne sera désormais plus fort que toi ! ».  Tels avaient été les mots du Maître des Clés. Telle est la Vérité.

Seulement, une autre évidence était apparue. La magicienne avait trouvé le moyen de le neutraliser. Comment était-ce possible ? Il cherche une seule solution logique pour résoudre ce paradoxe. Et immédiatement, tout devient simple et évident. Les chaînes ne sont pas plus fortes que lui, mais juste aussi fortes. Ainsi, la magie de cette femme sournoise n’a pas créé quelque chose qui le surpasse, elle se contente de le copier et de le retourner contre lui, ce qui fait en quelque sorte qu’il lutte tout simplement contre lui-même. Un piège vraiment magnifique. Pourtant, il veut toujours croire qu’il peut vaincre sa magie. « Et si ces liens n’étaient que dans ta tête ? Rappelle-toi des mots de la magicienne. Pour gagner, tu dois trouver le moyen de te libérer sans tes super pouvoirs». Tout devient logique : il ne peut briser les chaînes parce que jamais il ne pourra se surpasser lui-même. Il y a même quelque chose d’effrayant que d’affronter derrière lui autant de puissance et qu’elle soit soudain annulée, comme si son propre pouvoir était réduit à rien, à une notion dérisoire et totalement inutile.

Seulement, la Magicienne des Ombres lui avait également dit que, s’il renonçait à les utiliser, il pouvait les perdre à jamais. Or, étrangement, il a de plus en plus l’impression qu’il s’est trompé sur elle : bizarrement, depuis le début, elle lui a toujours dit la vérité, comme si elle avait voulu l’aider à se libérer. Et en le forçant à renoncer à ses pouvoirs, elle l’oblige à se révéler à lui-même. Ainsi, pour parvenir à s’évader du piège, il ne lui reste qu’à devenir quelqu’un d’autre.

L’idée a quelque chose d’effrayant. Cette force qu’on lui a donnée lui apparait soudain comme le plus grand des leurres. Depuis toujours, elle lui a empêché de se voir tel qu’il était lui-même tout au fond de lui. Que deviendrait-il sans ses super pouvoirs ? Sans doute un homme normal qui devra alors payer pour tout ce qu’il a fait aux autres, super héros ou pas. Un homme infiniment vulnérable, comme pour ainsi dire nu. Un homme qui est face à un choix : il peut lutter, se démener et pousser aux dernières extrémités sa force pour briser les chaînes, ou alors il peut aussi chercher comment retirer la clé qui se tient sur son torse et s’approcher de la coiffeuse, pour enfin ouvrir la boite. Mais, dans les deux cas, il comprend maintenant qu’il ne sera jamais libre s’il agit ainsi.

Pourtant, il devine que sa vraie liberté est là, quelque part, dans le fait de perdre son pouvoir et de devenir une autre personne. Il n’y a pas d’autre issu. Du moins, tel est son devoir. Son seul et unique et véritable Devoir. Or jamais la perception de sa liberté n’a été plus forte que dans son devoir. Il doit devenir quelqu’un d’autre en renonçant à ses pouvoirs et l’accepter sans lutter. Du moins, telle est sa liberté. Sa seule et unique et véritable Liberté.

Juste accepter ce choix sans réfléchir, sans comprendre, comme l’incarnation de sa liberté la plus parfaite. Une liberté qui se tient devant lui en dehors de toute relation de cause à effet. Une liberté qui ne dépendrait de rien d’autre que de cette seule nécessité intérieure. Une liberté éclatante qui brille en lui de mille feux. Et il aime laisser la douce ivresse qu’elle contient l’envahir. Pour autant, il y a bien une autre réalité physique, des douleurs qui commencent à apparaître de manière atroce dans ses bras, dans son dos et même horriblement dans les cuisses sous perpétuelle tension à force d’avoir les pieds tirés à ce point en arrière.

Dès lors, comment trouver la force de renoncer à ses pouvoirs et à ce qu’il est ? Peut-être d’ailleurs s’est-il directement ou indirectement toujours battu contre lui-même ? Ou peut-être était-il devenu un monstre en croyant se battre pour une juste cause ? Pourquoi avait-il accepté de commettre toutes ces choses qui parfois le répugnaient ? Et ce n’est plus uniquement ces choses, mais maintenant tout son être qui le répugne. Heureusement, il sent qu’il a encore la possibilité de changer, de devenir enfin quelqu’un de meilleur et surtout qu’il n’a plus besoin de ses pouvoirs pour ça.

Certes, il serait plus simple de capituler tout de suite devant la Magicienne des Ombres et de refuser de perdre ses pouvoirs, mais c’est comme si, toute sa vie durant, il avait été prisonnier sur cette chaise. Or, ce que lui dicte cette voix qui ouvre devant lui ce choix si difficile offre davantage, comme un appel grisant, un défi, une évidence, là où l’alternative contraire l’oblige à se justifier pour garder encore et toujours ses pouvoirs, comme s’il aimait se tenir dans une vieille prison. A rester à l’intérieur d’un monde déterministe où chaque chose provoque un effet qui est lui-même expliqué par une cause et où tout s’explique et se justifie selon ce principe. Dans un monde sans liberté. Dans un monde de prisonnier.

Or, il peut soudain s’en échapper. Il en a la ferme conviction. Par sa seule décision, il peut incarner cette goutte d’eau venue de nulle part qui imprimerait sa volonté sur l’onde au moment où elle percuterait cette surface impeccablement lisse. Un goutte d’eau qui se serait formée uniquement parce qu’il aurait décidé d’agir selon son devoir sans avoir à le justifier. Parce que cette seule nécessité intérieure se suffit à elle-même et lui permet d’envisager la véritable liberté contenu dans ces quelques mots qui brillent soudain d’un puissant éclat dans son esprit : «Parce que tu le dois, alors tu le peux ». Comme une nouvelle vérité. Son nouvel axiome, en quelque sorte. Et lui obéir lui retirerait instantanément ses chaînes parce qu’il l’extrairait soudain du monde déterministe qui l’entoure.

Avec cette nouvelle certitude en lui, il devine qu’il a gagné un autre pouvoir : il peut changer le monde, changer l’issu de cette histoire censée le piéger. Pour l’heure, la goutte est comme suspendue dans les airs, contrariant jubilatoirement les forces de la gravité.

Bizarrement, il devine aussi que cette liberté qui l’attire si ardemment a totalement été inspirée par la magicienne. Même si elle est sur le point de gagner totalement sur lui, il en est soudain content. Il n’a pas déjoué le piège, il l’a compris et il n’y avait en fait aucun piège. Pour se libérer, il devait juste renoncer à qui il était. Les clés, la boite, ces chaînes étaient juste une mise en scène pour lui permettre de le comprendre. Il devait devenir un autre et c’est ce qu’elle a toujours voulu. Mais qui ? Alors, il comprend et la goutte d’eau en lui heurte le lac. La solution pour gagner devient évidente. La clé qu’il tient autour du cou, tout près de son cœur, n’était pas là par hasard. Elle a peut-être le pouvoir de lui ouvrir le secret de l’âme de la magicienne. Il doit devenir elle pour se libérer.

Soudain, l’onde de choc forme ses petit cercles d’abord parfaitement nets, puis les libère autour d’elle. Les cercles se propagent maintenant d’une manière telle qu’on ignore d’où est venu l’impact mais rien ne les arrête plus. Au-delà de ce corps magnifique, il y a un secret à percer pour y parvenir. Et ce secret se loge dans ce cœur, tout comme la clé dans la boîte en ivoire. Il lui faut juste tourner la clé sur son cœur pour que son regard sur le monde change et qu’il soit libre… Alors les cercles sur l’onde redeviennent plus concentriques et la goutte se reforme dans l’air en aspirant tout avec elle.

Il ne reste alors plus qu’à prendre sa place. Et les clés du destin seront enfin à portée de sa main.

Maintenant, la surface de l’eau est à nouveau impassible. Il n’y a plus de chaines ni à ses pieds, ni à ses poignets. Il a réussi. Il est entièrement libre d’agir. Et c’est comme si la goutte d’eau n’avait jamais existé.

 

**

*

 

La pièce est toujours aussi mal éclairée. Et les murs aussi sales. L’odeur d’humidité plane partout  autour, avec son atmosphère moite des plus désagréables. Les deux protagonistes se regardent. L’un sourit et l’autre se démène dans ses chaînes, coincé sur sa chaise de métal.

-          Bonjour, mon amie. Bien dormi ?

L’homme, désormais, regarde la jeune femme sur la chaise, ligotée par des chaînes. Au gré des éclaboussures provoquées par les coups, des auréoles rouges parsèment sur la soie blanche du chemisier. Même si elle endure son traitement avec un certain courage, elle a un peu perdu de sa splendeur.

Sa longue chevelure blonde lui colle parfois au visage et ses cheveux sont crasseux de sueur. Il s’approche lentement d’elle. A cet instant, il aurait pu dire qu’elle était encore belle, malgré les marques que chacun de ses gestes sur elle a laissées sur sa peau à. Son chemiser de soie, à moitié déchiré, laisse également transparaître dans son décolleté trop large, du fait des boutons arrachés, la dentelle d’un soutien-gorge noir curieusement peu assorti. Cette noirceur attire désormais son œil au milieu de tout ce blanc et ce blond qui entourent son visage. Et puis, il aime aussi regarder ses longues jambes sortir d’une jupe étroite de couleur taupe. A cause de ses chevilles soigneusement fixées extérieurement aux pieds arrière de la chaise, le tissu remonte peu à peu du fait de la tension maximum provoquée par l’écartement indécent de ses cuisses. Cambrée en arrière avec l’aide des chaînes, elle est comme entièrement offerte lui et il pourrait en faire ce qu’il veut s’il cédait à son tour aux pulsions très sensuelles que provoquent toujours son corps malgré son visage tuméfié.

L’homme a posé ses mains sur les accoudoirs de la chaise. Il ne dit toujours rien. Ils sont si près de l’un de l’autre que leurs souffles se touchent. Elle ose encore soutenir son regard, mais, en elle, il y a certainement quelque chose de briser. Sa peau moite luit dans la légère pénombre de la pièce et l’on devine le souffle saccadé soulever cette poitrine vibrante. La sueur coule parfois du visage et entraine avec elle une partie du sang qui le recouvre. L’homme peut voir ainsi chaque goutte formée une petite rigole écarlate qui se faufile le long du décolleté ouvert et glisse parfois jusqu’entre les deux formes rebondies et affermies par les deux bonnets pigeonnants qui les soutiennent. Même là, une partie des contours noirs de la lingerie prend un éclat rouge sombre. A cet instant, oui, elle est encore fière et irrésistiblement belle. Dommage que ce si beau visage…

De son côté, elle semble attendre qu’il parle ou peut-être même qu’il l’embrasse. N’importe quoi du moment qu’il agisse. Or, le silence que l’homme se plait à faire durer ne fait qu’accroître son pouvoir sur elle. Il se redresse alors lentement avec un sourire qui montre qu’il en apprécie toute l’ironie. Puis, toujours sans un mot, il lève sa main droite dans l’air et lui inflige une nouvelle gifle magistrale. Sous le choc, le visage a tourné sur lui-même et la chaise en a pivoté de quelques centimètres. L’homme se sent vivant et fort comme jamais. Il y a curieusement presque une jouissance à sentir cette force enfermée dans son corps et à la libérer ainsi sur elle.

-         Alors, tu en dis quoi ? Et encore, je n’ai pas encore testé sur toi mes super pouvoirs…

-         Je sais… Ce n’est que le début…

-         Exactement.

Un filet rouge sombre s’écoule à nouveau du nez et défigure encore plus sinistrement ce joli visage qui ressemblait, il y a peu, à celui d’un ange et qui fixe maintenant son tortionnaire avec l’air de celui qui en attend plus. L’homme se frotte le dos de la main qui vient de la frapper avec la paume de l’autre. Toujours avec ce même sourire.

-         Tu es d’accord maintenant pour finir l’histoire comme j’en ai envie ?

-         J’ai le choix ?

-         On a toujours le choix.

-         Alors vas-y puisque c’est ce que tu veux.

L’homme redresse légèrement son dos et incline la tête de gauche à droite pour détendre sa nuque. Puis il fait quelques cercles autour de la jeune femme, juste pour accroître sournoisement la tension entre eux. Le visage de plus en plus contracté, elle l’a suivi silencieusement des yeux et ne peut rien faire d’autre avec ses chaînes qui l’entravent si fort à la chaise froide et métallique, si ce n’est attendre qu’il exerce à nouveau sur elle sa violence. Il a changé. Ses yeux ont une jolie lueur sauvage et une partie de ses dents fait encore plus illuminer son sourire en coin. Il est imprévisible et beau comme un fauve. Il s’approche de la chaise à pas de velours et, du bout de son index, lui fait pivoter son menton pour qu’elle le regarde.

 «Et maintenant, je vais écrire cette histoire à ma façon, lui chuchota-t-il à l’oreille. Et tu verras, on va bien s’amuser ! »

L’homme qui se tient face à la silhouette enchaînée sur la chaise peut indéniablement la briser comme il le veut. Extérieurement, il est évident que la magicienne a échoué. Pour autant, intérieurement, elle sait qu’il n’en est rien. Tout n’était qu’illusion dans ce jeu. Elle a à cet instant exactement obtenu ce qu’elle avait toujours voulu depuis le départ. Mieux, elle avait totalement déjoué le piège du Maître des Clés.

Et si on y regarde de plus près, il se peut même qu’elle ait gagné.

 

**

 

*

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Portrait de Zarathoustra
Zarathoustra a répondu au sujet : #21272 il y a 6 ans 9 mois
Voilà la suite du portrait.
Pendant longtemps j'ai pensé que cette partie avait été écrite une bonne fois pour toute dans la foulée de mon premier jet, avec des ajustement minimes. Et puis, cette semaine, j'ai commencé à la reprendre. D'abord, j'ai commencé la même approche que j'avais faite sur l'Iconoclaste: j'ai chassé le superflu. Ainsi, j'ai coupé, effacé, simplifié, quitte à perdre des idées. Donc j'ai suivi le conseil d'Iggy. J'ai essayé de faire un récit plus ramassé.Il a ainsi perdu presque 20% de sa longueur.
Pour ma part, je vois guère comment aller plus loin dans cette direction sauf cette fois à perdre du sens au texte. Est-ce que le texte est au final meilleur? Je l'espère. D'ailleurs j'ai gardé les deux versions, la plus longue et la plus courte.

En tout cas, je me dis que le Renard a sans doute raison sur la première partie (et Iggy aussi), elle aurait certainement mérité le même traitement pour faire un récit plus ramassis parce que j'ai tendance parfois à me distraire par des idées secondaires ou des thèmes qui finissent par s'empiler.

Il reste dans ce texte un point sur lequel j'hésite encore, c'est de supprimer l'image de la goutte d'eau. Je ne suis pas sûr qu'elle produise l'effet escompté.
Donc, oui, Vuld avait certainement ses raisons de s'énerver. Seulement, je lui ai promis que le sens apparaîtra au point final de la seconde partie. J'espère avoir tenu ma promesse et que la fin vous surprendra vraiment.

Bref, j'espère que ce texte vous permettra à vous aussi de vous évader un peu :)
Portrait de San
San a répondu au sujet : #21292 il y a 6 ans 9 mois
Hmm, je suis partagée.

Déjà, ce qui m'a plu.
J'ai bien aimé l'image du fauve qui tourne autour de sa proie.
Et dans les deux parties du texte, l'antagonisme et les interactions entre les deux personnages fonctionne bien, je trouve.

Dans cette deuxième partie il y a davantage de choses qui m'ont déçue ou laissée de marbre.
Toute la partie où le prisonnier réfléchit tout seul, à mon goût beaucoup trop longue, je me perds dans le nombre de ses pensées qui s'enchainent. Il part dans un sens, dans l'autre, dans un autre sens encore, revient sur ses pas, repart ailleurs, entre liberté, pouvoir, vérité, mensonge, les petites voix qui lui parlent...
L'image de la goutte d'eau qui se perd dans l'océan, je dirais qu'elle me pousse à me détacher encore plus du personnage et à ne plus m'intéresser à lui, mais encore plus la partie où il imagine la torturer : je sais déjà que ça ne l'amènera strictement nulle part, et je déteste lire des personnages principaux stupides.
Et puis tout à coup, revirement total : il se met à penser l'exact inverse de ce qu'il pensait avant. Le reste de la réflexion m'a semblé parachuté voire sans queue ni tête. Je ne comprends pas comment la réflexion du prisonnier s'articule et comment il peut faire les hypothèses ou les déductions qu'il fait. Tout ça n'a aucun sens pour moi.
Et l'image de la goutte d'eau n'arrange rien et ne me parle toujours pas.
Enfin la dernière scène qui se renverse est intéressante mais affreusement convenue au final. Je m'attendais à une surprise. Oui la magicienne a révélé son vrai visage, l'a poussé à se libérer comme elle l'avait dit, mais il fait aussi exactement ce qu'il avait dit qu'il lui ferait dès le début. A quoi bon tout le reste?

Je suppose que tu joues là encore avec le lecteur, mais ce n'est vraiment pas un jeu qui me plait. J'ai l'impression de m'être fait voler après avoir lu, voler mon temps, parce qu'annoncer ce qui va se passer et puis qu'il se passe exactement ça ni plus ni moins, c'est un peu criminel de le faire en autant de mots je trouve. Mes mots sont peut-être un peu forts, mais vraiment à la fin, je me suis dit pfffffffff.
Portrait de Zarathoustra
Zarathoustra a répondu au sujet : #21294 il y a 6 ans 9 mois

J'ai l'impression de m'être fait voler après avoir lu, voler mon temps, parce qu'annoncer ce qui va se passer et puis qu'il se passe exactement ça ni plus ni moins, c'est un peu criminel de le faire en autant de mots je trouve. Mes mots sont peut-être un peu forts, mais vraiment à la fin, je me suis dit pfffffffff.

Merci d''avoir servi de cobaye... Comme je l'ai déjà dit, ce n'est pas en soi un texte sympathique. Personne ne me l'a encore signalé, mais le prisonnier es question n'est pas forcément gentil. Et la magicienne pas forcément la méchante. Donc implicitement, sans qu'il ne s'en rende compte, le lecteur est placé de manière à identifier au prisonnier alors qu'il n'est fondamentalement pas sympathique.

Enfin la dernière scène qui se renverse est intéressante mais affreusement convenue au final. Je m'attendais à une surprise.

C'est aussi un texte très noir. Il met en scène la relation homme-femme. Le texte est ouvert sur l'interprétation qu'on peut en avoir. Mais dans tous les cas, c'est affreusement noir, comme tu le dis. Oui, un homme violent peut devenir gentil, mais, en fait, non. Ses pulsions sont là et le texte met le lecteur face à cette réalité terrible et crue. C'est tout à fait volontaire que la dernière scène soit crue et mette (si possible) mal à l'aise quand on la lit. La violence conjugale n'est pas un mythe, et c'est une réalité que la société a tendance à ne pas vouloir regarder de face. Le texte piège peut-être le lecteur qui attend une autre issu, mais c'est aussi pour mieux dénoncer le comportement de ces hommes. Et encore, toi, tu es une femme, mon idée était plus de mettre les hommes face à leurs pulsions. L'homme, je le crains, les a en lui. Seulement, soit il a la force et la lucidité de les combattre, soit il cède. Je suppose qu'il y a là aussi une question d'hormone. L'agressivité masculine a quelque chose parfois d'effrayant. Je la dis parce que je sais qu'elle peut être aussi en moi.

Cependant, le texte offre aussi une autre lecture pour en atténuer la noirceur avec au contraire une forte ironie libératoire que je trouve drôle pour ma part. Mais cela reste de l'humour noir, je te l'accorde.
Donc tu as raison, le texte ne ment pas et annonce son programme, puis le déroule et conclut dessus. Mais pour moi avec une inversion en quelque sorte jubilatoire. Soit on voit la magicienne comme profondément masochiste soit autrement, et l'homme tombe d'un piège à un autre qui n'est la que pour dénoncer la réalité de sa nature et le placer face à elle....

Toute la partie où le prisonnier réfléchit tout seul, à mon goût beaucoup trop longue, je me perds dans le nombre de ses pensées qui s'enchainent. Il part dans un sens, dans l'autre, dans un autre sens encore, revient sur ses pas, repart ailleurs, entre liberté, pouvoir, vérité, mensonge, les petites voix qui lui parlent...

Et encore, j'ai énormément coupé... L'idée était effectivement le cheminement d'une pensée qui doit trouver comment se libérer. Tu as la solution évidente: j'utilise ma force. Tu as ensuite la solution moins évidente: je fais comme la magicienne me demande de faire. Mais dans les deux cas, le prisonnier ne se libère pas puisqu'il est reste prisonnier d'une volonté. Donc il doit trouver le moyen d'échapper à cette volonté qui l'enferme. C'est ça que met en scène cette partie du texte.

J'ai longtemps hésité à supprimer le passage sur la liberté et le devoir. (tu ne le sais peut-être pas mais ce passage cite Kant), mais, pour moi, cela parait rigoureux sur le plan de la réflexion. Comment devenir vraiment libre? Comment sortir du monde des contraintes? Bref, comment ne plus être un prisonnier? J'ignore si j'arrive à faire comprendre le raisonnement de Kant ici... Du moins, j'ai essayé. Mais en fonction de vos retours, je pense le supprimer parce que cela mérite trop d'explication et que cela risque de faire sortir le lecteur du texte, un peu par découragement s'il ne comprend pas le raisonnement (qui est peu évident, autant se l'avouer). Mais encore une fois, c'est pour moi la seule solution logique pour redevenir libre. J'ai peur que la plupart des lecteurs en reste au niveau du paradoxe sans en saisir la portée (et quelque part, je deviens très exigeants avec eux, avec le risque de paraître prétentieux si jamais ils ne me comprennent pas). Donc il est fort probable que je supprime ce passage, le texte offre déjà suffisamment de raisonnement à suivre pour ne pas en rajouter... Mais bon, j'ai voulu tenter l'expérience en allant jusqu'au bout de mon objectif.

Pour ta gouverne, le projet initial faisant également une longue référence à Descartes avec le fameux "je pense donc je suis"! Donc tu as eu la chance d'y échapper :laugh:

Et l'image de la goutte d'eau n'arrange rien et ne me parle toujours pas.

Cela fait partie d"e mes gros doutes sur ce texte. Là aussi, je l'ai laissé, voire développer pour tester si ça pouvait fonctionner. Moi-même je ne suis qu'à moitié convaincu....

Bref, tout ça pour dire, que je n'attend pas vraiment que le texte plaise. Cependant, il est là aussi pour qu'il fasse réfléchir notamment à travers le malaise qu'il est censé susciter. Au vue de ta réaction, j'ai l'impression qu'il fonctionne en quelque sorte. Le rejet que tu as éprouvé est presque volontaire. Je regrette cependant que tu n'aies pas pris plaisir avec son coté ludique. Oui, il y a beaucoup de jeu avec le lecteur. Et celui qui le comprend pourrait au contraire le trouver un peu plus drôle. Et comme je l'ai dit à Vuld Eldone, il est possible que son humour ne se révèle qu'à la seconde lecture (il cache également un ultime jeu qui je l'espère vous paraîtra beaucoup plus drôle).
Portrait de San
San a répondu au sujet : #21296 il y a 6 ans 9 mois
Sur le cheminement de ses pensées, je pense qu'il y aurait moyen d'évoquer toutes les idées que tu veux, si ce n'était pas aussi embrouillé. En gros, si tu évitais de faire des allers retours entre les idées et suivais plutôt une progression logique, en découpant un peu plus les différentes étapes, ce serait plus facile à suivre. Ca n'empêche pas de parler de Kant et de Descartes (je trouve ça tout à fait pertinent vu le thème) mais il faut structurer ça pour éviter de faire décrocher le lecteur.

Pour le reste, je comprends bien l'idée. Ah oui, et le fait que le texte soit séparé en deux parties je trouve ça pas mal en fait.
Portrait de Iggy Grunnson
Iggy Grunnson a répondu au sujet : #21298 il y a 6 ans 9 mois

Sur le cheminement de ses pensées, je pense qu'il y aurait moyen d'évoquer toutes les idées que tu veux, si ce n'était pas aussi embrouillé. En gros, si tu évitais de faire des allers retours entre les idées et suivais plutôt une progression logique, en découpant un peu plus les différentes étapes, ce serait plus facile à suivre.


C'est sans doute vrai, mais je pense que le côté confus participe à l'histoire - cela correspond à la confusion mentale dans laquelle se trouve le personnage, bien compréhensible dans sa situation. J'irai même plus loin en disant que c'est le dernier vestige narratif du texte dans toute ce passage là, je trouve que la réflexion philosophique (intéressante au demeurant) écrase un peu le reste, au risque de décourager le lecteur qui cherche simplement à lire une bonne histoire.

Me sentant assez proche de ce lecteur, j'ai été plus intéressé par l'inversion des rôle entre le héros et sa némésis, et par la mise en scène de la violence "conjugale". On sent que c'est un thème qui te touche. Je pense que l'idée de transposer la violence des relations hommes-femmes dans le monde a priori plutôt propret des super-héros a un potentiel dramatique formidable, que tu n'exploite pas pleinement à mon avis, en te concentrant plutôt sur des questionnements philosophiques assez poussés (au sujet desquels j'aurais bien du mal à donner mon avis après une lecture un peu superficielle, pour être honnête).

Iggy
Portrait de Zarathoustra
Zarathoustra a répondu au sujet : #21299 il y a 6 ans 8 mois

Me sentant assez proche de ce lecteur, j'ai été plus intéressé par l'inversion des rôle entre le héros et sa némésis, et par la mise en scène de la violence "conjugale".

Tu as vu que le prisonnier n'était pas forcément le gentiel, mais que l'inversion finale est ambiguë? L'homme qui frappe peut être l'homme défait de ses chaînes qui assume ce qu'il a en lui, ou au contraire la magicienne qui a joué son tour au prisonnier pour lui chiper sa force... D'ailleurs, comment as-tu vécu cette scène pour ta part en tant qu'homme? Avais-tu envie de frapper la femme ou de te mettre sur la chaise et d'endurer le châtiment?
J'aimerai qu'il y ait comme une sorte d'effet miroir effrayant/fascinant. Et surtout qu'on ressente très fort à la fois la tension et l'abomination de la situation.

Je pense que l'idée de transposer la violence des relations hommes-femmes dans le monde a priori plutôt propret des super-héros a un potentiel dramatique formidable, que tu n'exploite pas pleinement à mon avis, en te concentrant plutôt sur des questionnements philosophiques assez poussés

Tu as raison, ce n'est pas traité vraiment. Parce qu'en fait, autant que je vous l'avoue, ce texte a trois niveaux de lectures:
1- L'histoire de super héros dont un doit se délivrer
2- Une mise en scène de la violence masculine, notamment à l'égard des femmes
3- Un jeu assez vilain qui consiste à transformer le lecteur en prisonnier. :twisted:

C'est bien entendu ce dernier niveau qui m'a le plus motivé. Donc on a 3 personnages dont chacun met en scène cette question. Le prisonnier est le lecteur qui lit un texte qui l'enferme, la magicienne est une métaphore de l'histoire censé "attirer" ou séduire le lecteur (d'où le côté un peu racoleur des descriptions). Et le maître des Clés qui est l'auteur qui sans être présent agit aussi sur l'histoire.

Donc le texte cherche vraiment à pousser le lecteur à se libérer, notamment en devenant à son tour acteur dans l'histoire. La seule façon de s'échapper est qu'il devienne un autre, en l’occurrence un peu l'auteur de manière à écrire son histoire ou en rentrant littéralement dans l'histoire. La scène finale est là pour le laisser faire ou lui faire comprendre conscience de ce qu'il a envie.
Et toute la première scène est écrite un peu pour faire basculer le lecteur dans le texte et donc dans le piège.

Je vous invite à relire le texte avec cette grille de lecture et vous comprendrez qu'il y a souvent plus d'humour qu'il n'y parait dans ce texte et que la réflexion qui en découle offre pas mal de possibilités.Disons que cet exercice n'est pas gratuit, il met en scène au final le désir de l'auteur à l'égard du lecteur et réciproquement.

Maintenant, j'ai aussi envie que ce texte soit distrayant et je ne souhait pas que la réflexion plombe le texte. Mais j'ai voulu tenter l'expérience d'aller aussi loin que je le pouvais pour voir si ça pouvait passer. Si ça ne passe pas, je tacherai d’alléger la question.

Maintenant que vous avez les clés pour le texte, percevez-vous différemment la première scène? Et l'humour?

PS: si ça vous intéresse, je peux vous expliquer comment j'ai travaillé sur ce texte et comment j'ai fini par aboutir à ce résultat.
Portrait de Iggy Grunnson
Iggy Grunnson a répondu au sujet : #21307 il y a 6 ans 8 mois

Tu as vu que le prisonnier n'était pas forcément le gentiel, mais que l'inversion finale est ambiguë?


Le côté "ouvert" de la fin, concernant l'inversion des rôles, oui, je pense que ça se perçoit assez bien... Alors même que la grille de lecture que tu proposes m'est largement passée au-dessus de la tête! :oops: ;) Pourtant maintenant que tu les dis tout ça paraît évident, c'est juste que ce genre de jeu de piste est très éloigné de mes préoccupations habituelles, autant en tant qu'auteur que lecteur.


... D'ailleurs, comment as-tu vécu cette scène pour ta part en tant qu'homme? Avais-tu envie de frapper la femme ou de te mettre sur la chaise et d'endurer le châtiment?


Aucun des deux si possible ;-) Je préfère être ni victime ni bourreau si je peux l'éviter. Mais c'est vrai que le sujet est puissant, et pour un homme je pense que le fantasme malsain de toute puissance est très commun. Après tout il y a des millénaires d'évolution qui jouent contre nous!


PS: si ça vous intéresse, je peux vous expliquer comment j'ai travaillé sur ce texte et comment j'ai fini par aboutir à ce résultat.


Pour un texte aussi riche je pense que ce serait pas mal, d'autant que j'imagine qu'il y a pas mal de travail de structuration, au-delà de l'écriture proprement dite, pour faire en sorte que les différents niveaux de lecture fonctionnent jusqu'au bout. Si tu te souviens j'avais lancé un sujet "debriefing" dans la salle des cartes, tu pourrais tout à fait nous y présenter ta méthode pour ce texte précis (avec ce qui a fonctionné, ce que tu aurais aimé retravailler...).


Iggy
Portrait de Zarathoustra
Zarathoustra a répondu au sujet : #21308 il y a 6 ans 8 mois

Aucun des deux si possible ;-) Je préfère être ni victime ni bourreau si je peux l'éviter. Mais c'est vrai que le sujet est puissant, et pour un homme je pense que le fantasme malsain de toute puissance est très commun. Après tout il y a des millénaires d'évolution qui jouent contre nous!

Plus précisément, c'est l'impact que la scène a sur toi qui m'importe. Je suis d'accord qu'il est normalement difficile de vouloir frapper une femme ligotée. Mais je doute qu'on puisse échapper à l'une des lecture proposée. Forcément quand tu lis la scène, tu décides si l'homme est un homme ou si l'homme est la femme. Et le fait que cela puisse être justement la femme qui se venge ainsi "des millénaires d'évolution" est censé renforcer l'impact.

Pourtant maintenant que tu les dis tout ça paraît évident, c'est juste que ce genre de jeu de piste est très éloigné de mes préoccupations habituelles, autant en tant qu'auteur que lecteur.

En fait, c'est d'autant plus difficile pour toi que tu n'as pas lu certains textes où j'avais déjà essayé ce genre d'approche. Et on avait eu quelques discussions sur le sujet non pas en tant que texte mais par rapport aux difficultés qu'on avait d'entrainer le lecteur là où on voulait. L'idée du texte est un peu né de ça, de partir de cette difficulté et de la mettre en scène.

Pour tout te dire, je souhaiterai qu'on prenne plaisir à le lire sans le percevoir. Que ce sot éventuellement un bonus. J'ai en fait plusieurs films en tête qui jouent avec ça. On voit un film "normal" mais en fait on peut aussi le voir autrement, même dans des films holywoodiens. C'est même une tradition historique d'holywood quand il devait contourner la censure ou le code Hayes.

Pour un texte aussi riche je pense que ce serait pas mal, d'autant que j'imagine qu'il y a pas mal de travail de structuration, au-delà de l'écriture proprement dite, pour faire en sorte que les différents niveaux de lecture fonctionnent jusqu'au bout.

En fait, non. Pas forcément. D'abord parce que chaque phrase n'est pas forcément écrite avec la double lecture. L'important, ce sont les thèmes, et notamment celui de l'emprisonnement et de la liberté qui importe. En traitant l'un ou l'autre, je suis sur tous les niveaux. En fait, j'ai longtemps voulu écrire un tel texte mais sans avoir les idées de mise en scène. Les séquences me sont apparues d'un coup, sur le trajet du travail au matin. Je suppose que l'inconscient avait dû travailler la nuit parce que j'avais effectivement planifié de me replonger dans ce projet.
Le plus long est plutôt le travail sur le style.