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"Que le cul leur pèle et qu’ils crèvent de ne pas pouvoir s’asseoir..."

Pansedrue se redressait un peu. Il ne tenait pas encore debout mais au moins, avec l’aide de l’arbre à côté, il pouvait rester assis. Peut-être que s’il trouvait à boire...

La gourde dans son sac était presque vide, il en assécha les dernières gouttes. Le vin épais et chaud avait un remugle de vieux vinaigre, mais de toutes manières Pansedrue n’en sentait pas le goût. Il y avait trop de terre sur ses lèvres, trop de sang aussi, le vieux, celui de Mam’zelle, le neuf qui coulait encore de son nez.

Au départ il avait cru avoir affaire à des nouveaux croyants. Il y en avait dans le forêt de Darkerwald, réfugié depuis des années pour suivre leurs rites à l’abri des inquisiteurs de Lüst. Ils décourageaient les visiteurs et n’hésitaient pas à tuer pour défendre leurs maisons cachées dans les bois. Mais il n’auraient pas cherché de noises à un Pansedrue. Les paysans qui vivaient alentour et ne les aimaient guère, s’accordaient pour dire qu’on n’avait jamais pris leur honnêteté en défaut.

Chez eux la morale était si rigide qu’elle en devenait un pêché.

La tête de Pansedrue tournait. Les coups ? Le vin ? La peine ? Tout cela sans doute. Il tomba à nouveau, le nez dans un terrier de renard dissimulé entre les racines de l’arbre. Il perdit conscience pour s’enfoncer dans un brouillard opaque peuplé de cauchemars. Il y avait Mam’zelle qui dansait sur une place au son aigre d’un pipeau. Il y avait des gens qui passaient, de jeunes servantes qui posaient leur panier de linge pour venir voir ce phénomène : un énorme ours noir qui faisait la révérence aux demoiselles et qui levait son chapeau chaque fois qu’une piécette tintait dans son écuelle. Toutes les villes, toutes les foires de Dennewark, et même jusqu’en Arkenland... Pansedrue avait traversé le monde dans les pas de Mam’zelle. Ils avaient gagné leur vie ensemble, partagé le moindre croûton de pain, l’hiver il avait dormi au chaud entre ses bras. Il ne se souvenait plus de leur rencontre...

Mais si ! C’était pendant un hiver interminable, alors qu’il était encore le serviteur du vieux Bellegueule. Ils avaient trouvé refuge dans un campement de charbonniers au fin fond d’une forêt comme celle-là... Pas de clients, pas de soupe : il fallait aider à l’ébranchage et à la construction des meules pour gagner le vin qu’engloutissait le vieux saltimbanque. Et après le travail, quand Pansedrue ne sentait plus que la douleur dans chacun de ses muscles, Bellegueule le cognait dur pour lui enseigner les tours qu’il était devenu trop raide pour faire.

L’ourson devait être orphelin, lui aussi, il avait cru trouver un refuge dans une meule en construction... Drôle d’idée.

Pansedrue lui avait sauvé la vie. Les charbonniers voulaient s’amuser avec et ils auraient fini par le donner aux chiens : ce n’étaient pas des hommes qui vivaient avec la forêt, ils s’imposaient à elle avec violence, marquant leur passage de colonnes de fumée noire. Pansedrue voyait autrement, c’est la première fois qu’il avait été obligé de se battre vraiment pour une vie.

Il avait gagné l’ourson.

Les charbonniers posaient le même regard sur le monde que ces hommes aux yeux froids dans la clairière. Ils disaient de prières en lui donnant des coups de pieds dans la figure pour le purger du mal. Ils avaient brûlé le corps de mam’zelle en priant... Ils lui avaient passé la corde au cou en priant.

 

Pansedrue sentait la corde se resserrer sur sa gorge, il suffoquait, cela l’éveilla.

Un nouveau cauchemar ? Il ouvrit les yeux sur une trogne verdâtre et grimaçante qui bavait à trois pieds de son visage. Il voyait les yeux cligner dans l’éclat rouge du soleil couchant.

Juste à temps ! Une sale bestiole tirait sur la lanière de sa sacoche et le cuir lui déchirait la gorge. La douleur lui rendit quelques réflexes et il jeta ses deux poings en avant. Le crâne pris dans un étau craqua, les yeux s’éteignirent dans un couinement de souffrance : le vieux n’était pas sans force.

Pansedrue se dégagea rapidement des lanières entortillées et de la souche et fut surpris d’arriver à se mettre debout. l’horizon ne tanguait plus, la peur soudaine , la décharge de violence l’avaient dégrisé. C’est à peine s’il ressentait les coups reçus tantôt. il ajusta sa sacoche en grognant et pris son coutelas.

Saloperie de bestiole !

Un tout petit gobelin en haillons était affalé à ses pieds. Sa peau tavelée de plaies et de croûtes avait une teinte plus brune que verte. Ses griffes étaient cassées et incrustées de terre.

Toi, tu vas payer pour les autres !

Les gobelins ne sont pas les plus dangereuses des créatures à peau verte, mais quand ils sont nombreux, il sont un vrai fléau : ils pillent les fermes isolées, Piègent les voyageurs imprudents, dévorent les brebis et les bergères. Plus on en tue, plus il y en a. Malgré tout on se fait un devoir de les tuer chaque fois qu’on peut, au moins tant qu’ on a l’intention de se réveiller vivant quand on s’endort.

D’une main, Pansedrue attrapa une oreille de la bestiole, il tira la tête bosselée en arrière et assura son poignard dans l’autre. La créature était flasque, déjà morte peut-être, mais on sentait de la raideur dans la nuque : le gobelin impuissant faisait le mort dans l’espoir de tromper son vainqueur et de revenir l’égorger dans la nuit...

Avec Mam’zelle, Pansedrue pouvait dormir sur ses deux oreilles ! Une nuit dans l’Altertal, elle avait mis en fuite trois ou quatre orques en maraude...

Cette pensée l’arrêta. Plus de Mam’zelle. Il revoyait les hommes froids avec leurs arquebuses et leurs épées luisantes.

Il baissa le regard sur la créature puante : les yeux glauques le regardaient sous les paupières presque closes.

Tu fais le mort, charogne...

Il pensa : comme moi tout à l’heure.

Sur l’épaule du gobelin, une plaie s’était rouverte, il y perlait un sang rouge qui se figeait en gouttes brillantes sans couler.

C’est drôle une créature à peau verte avec du sang rouge...

Pansedrue jura, les yeux du gobelin cillèrent à nouveau.

Sans réfléchir, il lâcha la tignasse emmêlée et envoya le gobelin rouler dans le fourré d’un coup de pied.

Va crever ailleurs, charogne, bien loin, et n’espère pas me surprendre cette nuit !

Rageusement, il boucla son sac, repris son bâton, le chapeau jaune à plumes bleues : tout ce qu’il lui restait de Mam’zelle. Il ne pensait plus qu’à partir, à marcher aussi longtemps que ses jambes pourraient le porter, droit devant lui.

Pansedrue avait toujours fait ainsi : quand la vie lui avait été mauvaise il était parti, aussi loin qu’il en avait eu l’idée, jusqu’à ce que naisse quelque chose d’autre. La première fois cela avait été une oursonne dans un camps de bûcherons.

 

Droit devant lui.

L’étape précédente avait été Klösterdorf dans l’est ? Il irait donc vers le Dennewark.

Quand il boucla son sac, un croûton de pain tomba dans la boue : la veille il l’aurait jeté à Mam’zelle qui aurait dansé un gigue de joie. Désabusé, il le jeta au gobelin qui était toujours là, tapis à l’orée du fourré à le fixer de ses yeux clignotants.

Il se mis en route d’un pas rageur, comme s’il voulait passer sa colère sur chaque pierre du chemin.

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