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Son arc à la main, Ylianthel courait à travers d’épais buissons. Sa course était aussi silencieuce que la légère brise qui caressait la frondaison des arbres. A peine faisait-il trembler les feuilles lors de son passage. Tout en restant à couvert, il conservait une ligne de vue permanente sur sa proie, un grand cerf qui, lui, ne faisait rien pour être silencieux. Une flèche l’avait atteint au garrot, et il cherchait désormais à échapper au chasseur. Mais à chacune de ses foulées, la flèche s’enfonçait un peu plus dans sa chair, et ses forces le quittaient peu à peu. Ylianthel devinait que la mise à mort était proche. Il ne souhaitait pas faire souffrir plus longtemps l’animal, mais il était déjà heureux de ne pas avoir perdu sa trace et d’avoir pu conserver un oeil dessus.

 

Le cerf s’arrêta enfin, épuisé, au milieu d’une clairière dont le centre était occupé par un majestueux chêne. Sentant la fin approcher, il s’étendit sur le sol, qui avait commencé à se couvrir de feuilles mortes. Ylianthel approcha à pas feutrés, toujours sous le couvert de la végétation, contre le vent. Il se saisit d’une flèche à plume blanche, et banda son arc. Il visa avec attention la gorge de l’animal, afin de lui épargner d’inutiles souffrances, et adressa une prière à Denev, pour la remercier de cette chasse fructueuse, et pour veiller à ce que l’âme de sa proie intègre un nouveau cycle de vie. Il lâcha son trait mortel.

 

La flèche vint se ficher dans la gorge de l’animal. La blessure était nette et précise, et l’animal ne mit pas longtemps à expirer, le sang coulant à flots de sa jugulaire. Quittant le couvert des arbres, Ylianthel se dirigea vers sa victime. Il avait passsé son arc en bandoulière, et s’était saisi d’une dague à lame courbe. Le soleil au zénith, en passant à travers la voûte de la forêt, illuminait la clairière de petites tâches, et faisait miroiter l’arme de l’elfe. L’animal qui gisait à ses pieds était encore jeune, il devait au plus avoir vu deux hivers. La chair qu’il allait en retirer permettrait au chasseur de nourrir son clan pendant deux journées. Malheureusement, son cuir n’était pas assez dur, et ses bois pas assez développés, pour espérer tirer autre chose de cette chasse. Ylianthel s’accroupit, et commença à entailler le flanc de l’animal, avec une grande habileté, afin de pouvoir découper les meilleurs morceaux. Sa chasse l’avait trop éloigné du campement pour qu’il puisse espérer faire deux trajets, aussi devait-il se charger un maximum avant que les prédateurs et les charognards ne viennent prendre leur tribut.

 

"C’était encore un bien jeune animal..."

 

Ylianthel releva la tête au son de cette voix douce et mélancolique. Celle qui se trouvait face à lui possédait les fins traits des elfes, mais sa peau semblait de l’écorce de bouleau. Ses cheveux roux se mariaient à la perfection à la couleur des feuilles qui jonchaient la clairière.

 

"Vous êtes une de Ses filles ?" demanda Ylianthel, un brin d’appréhension dans la voix.

"Mon nom est Illiana, et cette clairière est mon domaine." répondit-elle, en désignant du regard les arbres alentours. "Et je suis bien l’une de Ses filles." Elle avança lentement vers l’elfe, qui, après avoir furtivement croisé le regard ambré de la dryade, baissa subitement le sien.

"On murmure que poser le regard sur une des filles de la Forêt peut rendre fou n’importe quel être vivant. Surtout quand celui-ci profane son domaine..." reprit-il en remarquant que les pieds de l’être féérique disparaissaient sous le tapis de feuilles comme des racines.

"Tu peux relever les yeux, car je ne te veux aucun mal. Elle m’a simplement demandé de te transmettre un message, fils du Gahnjus." Posant sa main sous le menton d’Ylianthel, elle accompagna ces paroles du geste en redressant le regard de l’elfe.

"Notre Terre-Mère ?" répondit-il,intrigué. Le contact de la peau de la dryade avait déclenché chez lui une sensation apaisante.

"Tu dois quitter nos terres, Ylianthel, car un grand danger menace notre Mère. De nombreuses forces vont se rencontrer, et il semblerait que ton destin y soit lié."

"Pourquoi moi ? Vera-Tre possède de biens meilleurs combattants que moi ..."

"Nous ne maîtrisons pas les voies du destin. Mais il t’appartient de les modifier."

"Mais que dois-je faire ? Je n’ai pas quitté le Gahnjus depuis tant d’années."

"Rejoins les Disciples du Renouveau. Eux aussi seront mêlés aux graves événements qui approchent."

 

Le chasseur marqua un temps d’arrêt. Il lisait sur le visage de la dryade la gravité de la situation, et commençait à ressentir le poids des espérances placées en lui.

 

"Et ensuite, comment trouverai-je la voie qui me permettra de sauver notre Mère ? Le destin n’est-il pas immuable ?"

"Le destin n’est jamais qu’une route que l’on peut dévier. Laisse faire le cours des événements, et tu devrais pouvoir suivre cette route. Mais n’oublie pas que chacun de tes actes influera sur le chemin de ta destinée. Suis la voie de Denev, et agis en ton âme et conscience..."

"Quand dois-je me mettre en route ?"

"Les forces en présence ont commencé à s’activer, et il te faudra prendre la route dès ce soir. Elle m’a également demandé de te dire que cette quête impliquera de nombreux sacrifices, autant pour toi que pour ceux qui t’accompagneront."

"La mort..."

"Pour certains, oui..."

"..." Ylianthel ne savait que répondre à cette terrible affirmation. Devrait-il les prévenir, ou devrait-il laisser faire le destin ? L’énorme responsabilité de cette charge venait de lui apparaître. En l’acceptant, il devenait le héraut de Denev, et cette pensée le terrifiait tout en le remplissant de fierté.

"Avant de te quitter, je souhaite t’offrir un présent."

Elle tendit à Ylianthel une feuille de chêne, sur laquelle étaient posées deux graines. "Garde-les précieusement, et conserve-les avec toi. Le moment venu, tu sauras qu’il faudra les utiliser."

 

La dryade se retourna et disparut derrière le chêne qui occupait le centre de la clairière. Le soleil était toujours au zénith, et le cerf gisait toujours à ses pieds. Ylianthel avait toujours le couteau à la main, plongé dans le flanc de l’animal. Il lui semblait avoir rêvé, jusqu’à ce qu’il vot les graines que lui avait laissées la dryade, posées, devant lui. Quelques secondes lui furent nécessaires pour reprendre ses esprits. Il se releva, et quitta la clairière, laissant aux prédateurs du Gahnjus le soin de nettoyer la trace de son passage.


"Ylianthel ?"

 

Jeophra sortit son compagnon de sa rêverie. Ce dernier semblait s’être plongé quelques secondes dans un lointain souvenir. Il réitéra sa question.

 

"Pourquoi nous avoir rejoint ..."

"... Ma Mère..." répondit-il, sans un instant regarder son interlocuteur, qui préféra garder le silence.

 

On entendait au loin l’eau d’un ruisseau couler. La nuit avait apporté avec elle le silence et la quiétude dans la forêt. Les deux elfes attendaient, près du grand chêne qui ornait la clairière, qu’Hentiana les rejoigne. Ils partiraient alors pour le nord, en longeant la Faveur Elfique jusqu’au Lac de la Clarté. Là, d’après ce que leur avait dit Gweyrthyl, Denev leur adresserait un signe qu’ils devraient suivre.

 

Ylianthel cherchait encore une signification à son cauchemar. Etait-ce vraiment un message d’avertissement de la Mère des Serpents ; ou ne s’agissait-il que d’un délire provoqué par la fièvre ? Si Hentiana revenait avec un remède à sa fièvre, il le saurait enfin, selon que les rêves cesseraient ou continueraient. Il ne s’expliquait toujours pas la raison pour laquelle il avait pu quitter son dernier cauchemar, et reprendre parfaitement ses forces et ses esprits en quelques secondes. Etait-ce vraiment du à la proximité de Denev, ou n’était-ce qu’un maléfice de Mormo pour lui faire croire qu’il allait mieux ? Ses interrogations cessèrent lorsque la jeune elfe rejoignit les deux Disciples du Renouveau. Elle tendit à Ylianthel une gourde bien remplie.

 

"Voici du nectar de baies de Carathide. Si tu as bien été contaminé par le sang de la licorne, cela empêchera la fièvre de s’installer. Une gorgée par jour sera suffisante, jusqu’à ce que tu puisses purifier ton sang."

"Qui pourrais faire cela ?"

"Le druide que j’ai rencontré m’a révélé que seuls les elfes de la Grande Forêt disposaient de ce pouvoir, mais qu’il ne l’avait jamais vu à l’oeuvre."

"Comment ferais-je lorsque j’aurais terminé ce nectar ?"

"Il te faudra t’en procurer à nouveau. Ces baies sont assez courantes au sud de Vera-Tre, et le nectar ne demande que peu de préparation. Tu devrais pouvoir t’en procurer facilement."

"Merci encore..."

 

Les préparatifs furent rapides, et les trois elfes, juchés sur des montures fraîches qu’avait rapportées Hentiana, prirent le chemin de la Faveur Elfique alors que l’Astre Sans Nom culminait haut dans le ciel étoilé de Scarn. Ils quittaient la cité sylvestre de Vera-Tre pour rejoindre le nord du Gahnjus. Jamais Ylianthel n’avait vu cette partie de Ghelspad. Il espérait pouvoir y découvrir une nouvelle preuve de la bonté et de la beauté de la Terre-Mère, mais son instinct lui disait que le signe que Denev leur adresserait serait des plus terribles...


Les trois elfes quittèrent le couvert de la forêt trois jours plus tard. Devant eux s’étendaient à présent les eaux limpides du Lac de la Clarté, illuminées par les rayons du soleil naissant. Une brise fraîche battait l’air, et des larmes , naquirent au creux des yeux d’Ylianthel. Ceci était une de ses raisons de se battre, la corruption des titans ne devait pas abîmer de telles splendeurs. La nation de Vera-Tre avait su garder la forêt de Gahnjus et ses alentours intacts, et Ylianthel s’était fait un devoir de poursuivre cette oeuvre en combattant les ennemis de Denev.

 

Les trois elfes arrêtèrent leurs montures à quelques mètres de la rive, et mirent pied à terre, laissant les chevaux se rafraîchir dans les eaux mêlées de la Clarté et de la Faveur Elfique. Les eaux des deux rivières étaient translucides, toutes deux originaires des sources les plus pures, issues du coeur du Gahnjus. Jeophra se saisit de ses javelines, et décida d’aller pêcher en aval. Hentiana retourna pour sa part dans la forêt, cueillir des plantes qu’ils ne pourraient plus se procurer par la suite. Quant à Ylianthel, il décida de profiter de ces quelques instants de solitudes pour découvrir ces nouvelles terres et entrer en communion avec Denev.

 

En s’éloignant du lac, Ylianthel découvrit un paysage plus vallonné, où paissaient de nombreux troupeaux d’herbivores, qui ne laissaient jamais l’elfe approcher à moins d’une centaine de mètres. Malgré tout ; le talentueux chasseur put aisément reconnaître un troupeau de cornemusqués, d’immenses bovidés faisant près de deux fois la taille de l’elfe, et plusieurs fois son poids. Quelques moutons et autres caribous vivaient également dans ces collines verdoyantes, mais point de trace de village ou même de hameau. Assis en tailleur au sommet d’un tertre naturel, Ylianthel ferma les yeux et s’imprégna de toute l’énergie bénéfique qui émanait de ce lieu.

 

Une agréable sensation s’empara de son corps, et Ylianthel put de nouveau admirer le paysage, mais, cette fois-ci, c’était son âme, et non son corps, qui observait. Le monde apparaissait dans une multitude de verts, chaque brindille d’herbe comme chaque arbre millénaire présentait une variante de cette couleur, symbole de la renaissance de la terre. Le havre de paix où se trouvait l’elfe était l’image parfaite de la renaissance que vivait la Terre-Mère.

 

Ylianthel s’aventura plus loin, son esprit voyageant sur des lieues, à une vitesse qu’il n’aurait jamais pu imaginer possible. Il longea le lac de la Clarté, qui étincelait telle une émeraude, et rejoignit la Chendero, qui venait du Nord, et des Monts Kelders. Ylianthel ralentit sa progression. Ici, le vert cédait de plus en plus sa place au jaune, couleur du déclin, et, pire, de terrifiant nuages noirs se profilaient à l’horizon, au-dessus des Kelders. Le noir, la couleur de la Mort. Ylianthel sentait son esprit s’échapper et son corps revenir à lui, quand une lueur écarlate, près de la rivière, l’intrigua. Doucement, il se laissa descendre, jusqu’à approcher un groupe d’individus dont émanait la couleur de la haine et de la souffrance. Une vingtaine de ces individus présentaient un rouge sombre, terne, mais celui qui les menait brillait tel un rubis. L’elfe s’en approcha encore, jusqu’à reconnaître celle qu’il avait vu en rêve, Mormo ! Bien qu’ayant quitté son enveloppe charnelle, le souvenir de sa terrible blessure lui revint, et il ne put laissé échapper un cri. La Mère des Serpents tourna alors vivement la tête, et fixa Ylianthel de ses yeux ophidiens.

 

Le retour à la réalité fut brutale. Son épaule le faisait à nouveau souffrir, et il vit que le Soleil pointait désormais au zénith. Ses compagnons devaient être de retour au campement, et Ylianthel devait les rejoindre. Denev lui avait adressé un signe, ils devaient suivre ce groupe, et se diriger vers les Kelders. C’est là que se jouait son destin, et peut-être celui de Scarn.

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