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La nuit vient de tomber. Je le sens dans l’air frais qui souffle au fond des tunnels, sur ma peau et mon visage. Bientôt la chasse va commencer.

Lentement je sors de mon abri, un recoin invisible aux yeux de celui qui ne connaît pas l’endroit. Je m’étire et pousse un cri dont les murs de pierre colportent l’écho ; dehors il apportera avec lui la peur qui glace les mains et noue les entrailles. Je fais quelques pas, empli de confiance ; je me sens fort ce soir pour affronter l’épreuve.

 

Ils doivent les pousser a l’intérieur en ce moment, sous les cris et les rires de la foule. Gladiateurs dérisoires équipés d’armes rouillées au tranchant émoussé. Inutile de donner une épée de maître a qui n’aura pas même pas l’occasion de s’en servir avant de trouver sa mort. Parfois ils portent des armures qui les ralentissent plus sûrement qu’elles ne les aident. Leur seule chance est la fuite, mais depuis que je suis ici je n’en ai laissé échapper aucun.

Pourtant, la plupart d’entre eux nourrissent encore un espoir. Ils pensent au début que si leurs ennemis se sont donnés la peine de les faire prisonniers, ils ne risquent plus d’être massacrés. Puis ils comprennent. Même alors, ils ne se résignent pas toujours. S’il y a une entrée, il doit y avoir une sortie. Il y en a une, mais ils ne la trouvent jamais. J’y veille.

 

Parmi ceux qui sont jetés ici, peu osent combattre. La majorité s’enfuit en me découvrant au détour d’un couloir, abandonnant leur arme en hurlant de peur. Souvent je les traque pendant quelques minutes, par jeu. Certains en deviennent fous de terreur. Lorsqu’ils n’en peuvent plus, je m’approche lentement d’eux. Le massacre est violent et rapide.

Il y en a d’autres que la terreur paralyse. Je peux sentir leur peur à n’importe quelle distance ; je les trouve rapidement. Ils se jettent a terre et me supplient dans une langue que je ne comprends pas, ou se mettent a prier leurs dieux en gémissant. Dans ces cas-la, tout est terminé en une poignée de secondes. Je n’ai jamais aimé les lâches.

Et puis il y a ceux qui affrontent leur mort en face. Il s’en trouve toujours un ou deux par groupe. Qu’ils soient guerriers ou non n’a pas d’importance : ils ont décidé de lutter et seule leur volonté compte. Ils m’attendent campés sur leurs pieds, l’arme a la main, la sueur perlant sur le front. Certains ont l’expérience du combat et sont plus calmes que les autres ; ils sont les plus dangereux. Je ne les crains pourtant pas. Ma vitesse les surprend, ma charge brutale les prend de court. Aucun maître d’armes n’enseigne comment se battre contre ceux de ma race.

 

Ceux de la cité pensent qu’ils me tiennent captif. Je participe à leur gloire ; ils se servent de moi pour instiller la terreur parmi leurs ennemis. Pauvres fous ! J’étais là bien avant qu’ils ne me découvrent. Ces souterrains sont mon domaine, non ma prison. Je connais tous les moyens de m’échapper d’ici, malgré leurs serrures et leurs portes de fer. Une nuit je sortirai. Je me glisserai dans leur cité pour les surprendre dans leur sommeil et les massacrer. J’irai jusqu’au palais et dévorerai leur roi.

 

Leurs trompes de brume viennent de sonner ; c’est le signal qu’ils utilisent. J’entends les cris des habitants résonner le long des couloirs de ma demeure de pierre. Ils invoquent mon nom, dans l’espoir d’un combat dans l’arène. Ces derniers mois, je ne leur ai pas fait ce plaisir. J’ai tué toutes mes victimes dans les souterrains, sans témoins. Ils ont du se contenter des échos des râles d’agonie. Ils préfèrent assister au spectacle, protégés comme ils le pensent par la hauteur de la fosse. Ils se trompent ; ils n’ont qu’une piètre idée de mes capacités. Je pourrais facilement bondir parmi eux.

Ce soir je suis de meilleure humeur. Je pense au massacre que je ferai un jour parmi leur peuple. J’attirerai quelques prisonniers dans l’arène. Le combat laissera aux gens de la cité des souvenirs qui ressurgiront plus tard et augmenteront leur terreur.

 

Depuis tout à l’heure, je perçois instinctivement la présence de mes victimes. J’entends leurs pas peu assurés le long du couloir, près de l’entrée. Ils sont restés groupés, comme tous les autres. Les humains retrouvent une certaine sécurité en présence de leurs semblables. Ils se bercent d’illusions en pensant que la mort a ainsi moins de chance de les frapper.

Je pousse un autre rugissement. Ils se sont arrêtés. Je pourrais presque les voir se jeter des regards de désespoir les uns aux autres. Ils discutent a voix basse, puis repartent. J’entends le cliquetis de leurs armes contre la paroi. Leurs mains tremblent. Je me mets à courir ; mon souffle puissant emplit l’air.

Au bout d’un couloir, j’aperçois la flamme de leurs torches. Ils ne peuvent me voir mais sont facilement repérables. Je me cache dans l’ombre des colonnes de pierre et j’attends. Au bout de quelques minutes, ils passent devant moi. Ils sont dix. Quatre d’entre eux sont des femmes. J’en choisis une au centre du groupe.

Tous se figent de stupeur lorsque je bondis parmi eux en rugissant. Ils n’ont pas le temps de réagir ; j’ai déjà emporté la fille et disparu dans l’ombre avec elle. Au passage, mon poing a percuté la face du plus grand des hommes du groupe. J’ai entendu craquer les os.

 

La fille se débat pour échapper à mon étreinte. Je la tiens d’une seule main. Elle hurle et pleure continuellement. Je passe quelques tunnels et je m’arrête. Elle crie, je serre ma prise. Elle pousse un râle et se plie en deux. Je laisse le corps inerte choir sur le sol.

Les autres se sont dispersés. Dans la panique de l’attaque, beaucoup ont lâché leurs torches et se sont enfuis dans les souterrains. Je sais presque exactement ou se trouve chacun d’entre eux. Trois sont restés groupés, les autres sont déjà perdus et s’interpellent sans pouvoir se retrouver.

Je me glisse derrière un guerrier d’apparence robuste, vêtu de rouge et armé d’une longue épée à deux mains. Il marche en se cognant aux parois et pleurniche pitoyablement. Son sort est vite réglé.

Quelques pas pour contourner le groupe de trois, et je tombe sur une autre des quatre filles. Elle a un air déterminé et m’a étrangement senti arriver. Elle m’attend de pied ferme. Je dois mesurer plus d’une fois et demie sa taille et peser trois fois son poids ; pourtant elle reste impassible, la main crispée sur la garde de son épée. Je m’arrête et la regarde dans les yeux. Elle est jeune, et a de longs cheveux noirs. Elle mourra dans l’arène. Je m’éclipse dans l’ombre sans bruit ; sa respiration se fait haletante.

 

Un cri, puis un bruit de chute. Un des prisonniers égarés est tombé sur l’un de ses compagnons d’infortune un peu nerveux qui l’a pris pour moi et lui a donné un coup d’épée. Le blessé maudit l’autre dans sa douleur avant de succomber. Je le venge aussitôt en étripant son meurtrier.

Je reprends ma course. Au détour d’un couloir je débouche sur une grande salle au fond de laquelle se trouve une autre des quatre filles. Elle est de dos ; je l’interpelle dans ma langue. Son habit curieux reflète une lumière surnaturelle au moment où elle fait volte-face. Une magicienne.

Un mot de commandement s’est échappé instinctivement de ses lèvres. Je sens aussitôt mes muscles s’engourdir. Mes mouvements se font saccadés. Mes pas tombent lourdement sur le sol alors que je voudrais charger. Mon corps ne m’obéit plus et se fige sur place. Impossible de bouger.

La fille se décontracte, esquisse un sourire soulagé. Elle pense avoir gagné. Elle ne connaît pas les ressources dont je dispose. J’ai déjà rencontré beaucoup de magiciens. Les images du passé me reviennent. Je me souviens de mon maître. J’entends sa voix résonner dans mon être. La fille croit avoir triomphé d’une bête, mais elle se fie aux apparences.

Je rassemble ma volonté. J’oublie mon corps, j’oublie la magicienne, j’oublie les souterrains. Je ferme mentalement les yeux. Je me concentre sur ce point qui en moi repousse peu à peu la magie. De longues secondes s’écoulent. Ma main se crispe. La fille a un mouvement de recul.

Je reprends lentement ma marche impitoyable vers elle. Elle panique. J’accélère. La fille est dos au mur. Des larmes coulent de ses yeux. J’ai recouvré tous mes mouvements a présent, et je cours vers elle. Je l’entends prononcer quelques paroles d’une voix brisée tandis que je la charge. Elle n’a pas le temps d’achever : mes cornes l’embrochent au passage et son sortilège s’achève dans un râle d’agonie. Son sang s’écoule jusqu’à ma bouche. Un goût agréable. Je projette son corps a terre, mets ses vêtements en lambeaux et lui dévore les entrailles.

 

Le groupe de trois est entré dans le tunnel qui mène à l’arène. Je les poursuis en martelant le sol de mes pas ; ils s’enfuient dans la direction opposée et débouchent dans la fosse. Leur arrivée est saluée par les cris de joie des habitants de la cité. Pas d’autre issue que mon tunnel. Piégés comme des rats.

Dans l’ombre du couloir je contemple les trois humains regroupés au centre de l’arène. La quatrième fille est parmi eux ; elle porte une tunique de lin assez courte et ses cheveux rouges coupés aux épaules reflètent la lumière des torches de l’arène. Ses deux compagnons sont d’aspect très différent. L’un est un elfe ; je ne l’avais pas remarqué de prime abord. Derrière le masque impassible de son visage aux traits délicats, je peux lire une peur horrible. L’autre est vêtu d’une robe de bure telle qu’en portent les prêtres et les moines. Il tient un simple bâton à la main. La puissance divine se dégage de son être. Il mourra le premier.

 

Ces trois-la se tiendront tranquilles. A tout prendre, les prisonniers préfèrent de loin une mort inéluctable dans la lumière de l’arène a l’obscurité du labyrinthe. Ils peuvent contempler l’objet de leur trépas. L’imagination ne leur joue plus de tours.

Je retourne sur mes pas pour retrouver la fille aux cheveux noirs. En passant près de mon abri, je récupère ma double hache. J’aime m’en servir de temps en temps, lorsque je tombe sur des adversaires dignes d’elle.

La fille n’est pas très loin de mon repaire. Je la laisse errer au gré des couloirs en étudiant son attitude. Elle a gardé sa volonté. Elle ne rebrousse jamais chemin.

Au bout d’un moment, elle s’engage dans un long couloir que je sais mener à l’arène par des voies détournées. Son destin est scellé. Je prends un raccourci et retourne m’occuper des trois autres.

 

Mon attaque brutale surprend le groupe qui avait baissé son attention. Le moine ne réalise ma présence qu’au moment ou mes cornes le frappent. Son corps est projeté en l’air en frappe la paroi dans un bruit sourd. Il retombe mort sur le sable de l’arène.

L’humaine tente de me porter un coup. Son attaque est maladroite ; j’attrape son poignet en esquivant sa lame et je la soulève comme une plume. Elle gémit tandis que sa main lâche l’épée qu’elle tenait sous la pression de mes doigts. Elle ne fait plus d’efforts, suspendue à ma main par le bras droit. Ses yeux se ferment ; elle détourne la tête.

L’elfe est resté prostré dans un coin de l’arène. Il regarde vers le tunnel, hésite. Sa face est blême. La foule le conspue. Paniqué, il s’enfuit en courant. Je l’aurai plus tard.

Les habitants de la cité veulent du sang. Sur les pourtours de l’arène se trouvent des pieux acérés. J’y jette le corps de la fille qui s’empale sur deux d’entre eux. Le plus gros lui traverse l’abdomen, l’autre se fiche dans sa bouche et lui perce le crâne. La foule hurle. Je ramasse le moine et déchire ses chairs de mes dents.

 

Je sens la fille aux cheveux noirs approcher. Je me redresse et l’attends au centre de l’arène, ma hache prête. Elle entre ; un murmure parcourt la foule. L’elfe a rencontré un destin inattendu. Il a payé le prix que payent les lâches. L’humaine jette sa tête à mes pieds. Je la salue en baissant mes cornes devant elle. C’est la première a qui j’accorde un tel honneur. Elle n’est pas comme les autres. Il ne reste qu’elle et moi, et la foule. Elle va mourir et le sait. Mais elle mourra selon ses choix.

 

Le combat est bref, mais beau. Elle fait une feinte, se fend, plonge en avant en visant mon cœur de la pointe de sa lame. J’esquive d’un pas de coté et abats ma hache. Ses réflexes sont rapides mais ne suffisent pas. La lame lui entaille la cuisse. Elle roule sur le sol et se remet sur ses pieds sans rien laisser paraître. Son regard se lève vers les spectateurs, et je sens sa haine envers eux. Dans un mouvement de désespoir, elle tente une ultime attaque et se jette sur moi. Ma double hache la fauche avant qu’elle ne m’atteigne. Le sang gicle de sa blessure. Je l’ai presque coupée en deux.

« Tu t’es battue avec honneur », lui dis-je dans ma langue. Elle relève la tête, me sourit vaguement. Elle a compris. Ses yeux se perdent dans le vague et elle s’abat sur le sol. La foule rugit. Je ramasse son corps et l’emporte dans ma tanière. Les échos de l’arène diminuent peu a peu.

 

Cette nuit-la, j’honorerai mon adversaire en lui mangeant le cœur. Humaine insignifiante, tu étais enfin digne de moi. Le temps est venu. Cette nuit n’est pas terminée. Les habitants de la cité sont tous repartis dans leurs demeures. Ils ne verront pas l’aurore. Je vais forcer la porte, et répandre la mort sur eux tous. Ils payeront le prix de l’honneur. Ils subiront à leur tour la peur, la souffrance et la folie. Ils subiront à leur tour la fureur d’un minotaure.

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