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Le présent.

Les créatures étaient bien trop nombreuses. « Nous n’avons plus aucune chance » pensa Hans en contemplant le carnage qui faisait rage aux portes du château. Malgré la fureur des combats et les râles des mourants, le vieux soldat ne put s’empêcher de se demander comment les choses avaient pu en arriver là.

 

Le matin même.

Dans ce matin hivernal, surplombant la lande noyée par une mer de brouillard, le fortin émergeait des nappes brumeuses tel un îlot de pierres. Seul signe de civilisation à des lieux à la ronde, cet édifice semblait coupé du monde. Pourtant, cela n’empêchait nullement la garnison qui l’occupait de vaquer à ses occupations. Comme tous les jours dès les premières lueurs de l’aube, le cor sonna, retentissant dans toute la vallée.

« L’heure de la relève... » grommela Hans encore à demi-assoupi. Le soldat de l’Empire s’extirpa péniblement de son lit, bientôt imité par ses pairs. Il devait se préparer au plus vite pour se rendre sur les remparts. Il ne tenait surtout pas à arriver en retard pour son tour de garde ; ayant goûté au cachot, il ne souhaitait pas renouveler cette désagréable expérience. Hans sortit du dortoir et traversa d’un pas vif la cour pavée. La grande porte en fer grinça sur ses gonds quand les deux hallebardiers l’ouvrirent pour laisser la patrouille partir en reconnaissance. Les chevaux partirent au trot, emportant avec eux leurs cavaliers vers la lisière de la forêt non loin. Hans pénétra dans l’une des quatre tours qui menait au chemin de ronde. L’air frais lui faisait le plus grand bien et il se sentait maintenant tout à fait réveillé. Il salua en cours de route plusieurs des autres soldats de la garnison. Il y avait entre ces murs pas loin de 150 soldats plus quelques familles de paysans qui représentaient environ une trentaine de personnes. Les derniers occupants de ces lieux et aussi les moins recommandables, croupissaient dans les geôles situées au sous-sol du fort. Il s’agissait d’une cinquantaine de forçats qui n’avaient pas eu la chance d’échapper au bras vengeur de la justice. Le soldat de garde ne put réprimer un sourire quand il vit Hans arriver. Sa longue veillée venait de prendre fin ; il pourrait enfin goûter aux joies d’un repos bien mérité et peut-être oublier dans son sommeil, l’angoisse perpétuelle que provoquent la multitude de bruits étranges qui peuplent l’obscurité. Hans savait lui aussi ce qu’on éprouvait quand on pouvait enfin quitter son poste après une veillée nocturne. Fort de son expérience, il s’était forgé une véritable carapace qui lui permettait de moins souffrir de cette crainte qui vous fait croire que chaque ombre dissimule une monstruosité faite de griffes et de crocs qui s’apprête à vous sauter à la gorge. Pour Hans, c’était une journée comme une autre qui commençait.

 


 

Cela faisait maintenant plus de deux heures que l’intendant Sedick s’entretenait avec le scribe. Comme à chaque fin de mois, en tant que représentant mandaté par l’Empereur, il devait procéder à un inventaire complet des stocks de matériels et de nourritures de la garnison. L’Intendant détestait ce travail qu’il jugeait comme une perte de temps. Sil n’en avait tenu qu’à lui, il aurait très certainement laissé tomber ce contrôle si contraignant. Mais la crainte d’une inspection surprise par des agents impériaux de la capitale suffisait à le rappeler à l’ordre.

- Alors Baffus, où en sont les récoltes ? J’espère que ces bons à rien se sont retroussés les manches pour une fois ! Et nos réserves en eau potable ?

- D’après les mesures du puits de ce matin, nos réserves d’eau potable ne sont pas à leur plus haut niveau, répondit le scribe. « Par contre, notre stock de blé a atteint le niveau prévu par nos estimations, Sir ».

L’intendant était un peu soulagé. Cette année, l’hiver avait été rude et les nombreuses gelées ralentissaient les cultures. Apparemment sans trop de conséquences, pour cette fois. Il irait personnellement féliciter les paysans pour leur travail. L’agriculture jouait un rôle primordial pour la survie de l’Empire. La plus grande nation humaine du Vieux Monde avait besoin de nourriture pour pouvoir lutter contre les famines qui décimaient les populations. Mais aussi, plus que la nourriture, c’est l’argent qui manquait. Cette puissante nation avait un besoin vital de rentrées d’argent pour entretenir ses armées, payer ses nombreux fonctionnaires, rénover et réaménager les villes qui étaient de plus en plus vastes. C’est ainsi que chaque ville, village ou châtelet était tenu de faire rentrer le plus possible de denrées dans les caisses.

De nombreuses années de métier avaient permis à l’intendant Sedick de connaître parfaitement les rouages de l’organisation de l’Empire. Sa mission était claire : si les récoltes n’atteignaient pas le niveau suffisant, il serait démis de ses fonctions.

- Bon, dit-il d’un ton las, passons au stock de bois maintenant.

« Encore une fichue journée » pensa l’intendant.

 


 

Dans les sous-sols du fortin, le Capitaine Gartner était tranquillement assis à son bureau, le regard fixé dans le vide. Même les bruits de pas qui résonnaient dans les couloirs ne le perturbaient pas. De toute façon, il comptait bien profiter de sa pause. Ce n’était pas que son métier ne lui plaisait pas mais le contact avec les prisonniers était parfois difficile. L’officier sursauta quand la porte s’ouvrit dans un claquement, laissant entrevoir une imposante silhouette.

- Venez vite, Capitaine ! Une bagarre a éclaté au bloc E ! Fit Morse.

Ce dernier se dépêcha de repartir du bureau de son supérieur sans autre précisions. En un instant, le capitaine Gartner sortit de sa torpeur, rappelé à la réalité par ses devoirs d’officier. « Le bloc E, pensa-t-il en courant à toutes jambes, qu’est-ce que tu nous prépares encore Jéricho ? ». Le capitaine entendait déjà la clameur des prisonniers qui assistaient au combat. La grosse voix de Morse essayait tant bien que mal de couvrir tout ce bruit pour se faire entendre, en vain. Dans la cellule, un prisonnier de haute stature se tenait le visage avec une main tout en essayant de maintenir son adversaire à distance. Il boitait et du sang s’écoulait à gros bouillons de son nez cassé. Son adversaire, indemne, toisait son vis à vis en se balançant de droite à gauche tel un serpent prêt à porter le coup de grâce. Quand le capitaine Gartner arriva avec son unité, tous les détenus firent silence. Un garde ouvrit la cellule où se déroulait le combat et le Capitaine entra, Morse sur les talons. Impassible, l’officier regardait les deux hommes qui soufflaient bruyamment.

- Qu’est-ce qui se passe ici ? Demanda le Capitaine Gartner.

Jéricho se retourna brusquement comme s’il allait se jeter à l’attaque. Morse dégaina son arme et se plaça devant son supérieur.

- Du calme, Morse. Ces deux individus vont très bien se tenir et tout va rentrer dans l’ordre. N’est-ce pas, les gars ?

Le prisonnier blessé acquiesça d’un hochement de tête. Jéricho lui, se contenta de rester immobile, un sourire en coin.

- Emmenez Gianlucca à l’infirmerie avant qu’il se vide complètement, ordonna le capitaine. Quant à toi Jéricho, il faut qu’on parle. Piotr, Pavel ! Venez ici et passez-lui les fers. Pas d’embrouilles ou je laisse Morse finir le travail... Compris.

Les deux soldats s’avancèrent prudemment, aucunement rassurés de devoir approcher ce type. Une goutte de sueur perla sur le front du capitaine. Si les choses devaient déraper, ce serait à ce moment-là. Finalement, Jéricho se laissa faire et une fois menotté, quatre soldats l’encadrèrent pour l’escorter jusqu’au bureau de leur chef.

- Le spectacle est terminé ! Cria Morse aux autres détenus. Je ne veux pas voir une main qui dépasse des barreaux. Vous êtes prévenus !

Une fois dans son bureau, le Capitaine s’installa confortablement dans sa chaise. Jéricho, toujours bardé de chaînes, se tenait devant lui en silence.

- Alors ? Dis-moi, qu’est-ce qui s’est passé cette fois ? Demanda le capitaine.

- Je voulais juste vous parler, répondit Jéricho.

- Et c’est le seul moyen que tu as trouvé : casser la figure d’un co-détenu ? Poursuivit le capitaine incrédule.

- Désolé, je n’avais pas de quoi vous écrire une lettre...

- Te fous pas de ma gueule ! J’en ai marre de tes conneries. Et cette petite altercation va te valoir un séjour au trou !

- C’est pour quand ? Coupa le détenu.

- Pas assez tôt à mon goût.

Le capitaine Gartner rappela les gardes pour qu’ils jettent le prisonnier dans la cellule d’isolement. Une fois Jéricho sortit, Morse pénétra dans la pièce.

- Qu’est-ce qu’il voulait ?

- Savoir la date de son exécution répondit l’officier. Il sait que l’échéance approche...

 


 

Hans rentra la tête dans les épaules sous l’effet du froid. Le vent s’insinuait à travers son uniforme et le gelait jusqu’aux os. Le temps lui semblait si long. Il était pourtant à peine dix heures. Un soleil pâle et froid avait fait sa timide apparition à travers les épais nuages. De sa position, le vieux soldat pouvait voir les quelques paysans qui travaillaient la terre. Certains maniaient la faux sans relâche dans de grands mouvements. D’autres encore, ramassaient les récoltes pour les stocker dans des balles de tissus. Hans connaissait parfaitement tout cela. Il avait assisté à cette scène tant et tant de fois. Les balles étaient ensuite transportées jusqu’à une balance à plateau unique où l’on procédait à la pesée. Une voix l’interpella, le tirant de sa contemplation. Hans reconnut instantanément le jeune Dimitri. Sa chevelure rousse et son visage poupin étaient facilement reconnaissables. Il arriva en courant, manquant de tomber par terre. « Hans, Hans ! » Le jeune homme haletait quand il arriva finalement aux côtés du vieux soldat. Il posa ses mains sur les genoux pour essayer de reprendre son souffle. « Du calme fiston » fit Hans, « On dirait que tu as une horde de skavens aux trousses ».

- J’ai aperçu de la fumée vers le Nord ! Regardes ! S’écria Dimitri. On dirait qu’elle provient de la Tour.

Hans scruta l’horizon dans la direction indiquée par le jeune homme. Bon sang ! C’était bien vrai, il voyait maintenant une mince colonne de fumée qui s’élevait dans le ciel. Le soldat ne put réprimer un frisson. S’il s’agissait de leur avant-poste, cela ne présageait rien de bon.

- Faut avertir le Capitaine, mon garçon. Fais vite ! Je te rejoins de suite.

Dimitri s’élança, stimulé par l’excitation de cette nouvelle situation. Hans continuait de fixer la fumée noirâtre. Les questions se bousculaient dans son esprit. Alors qu’il s’apprêtait à rejoindre son compagnon, le sergent Kopner apparut sur le rempart, voulant vérifier de lui-même les dires du « morveux » comme il appelait Dimitri. C’était un homme endurci par son métier qui suscitait autant le respect que la crainte chez ses hommes. Il salua rapidement Hans et brandit une longue-vue cuivrée. Le sous-officier jura. Il replia l’instrument et passa nerveusement une main sur sa courte barbe.

- Soldat ! Faîtes sonner le rassemblement, ordonna le sergent. « Tout ça ne me dit rien qu’y vaille », ajouta-t-il tout bas, comme pour lui-même.

Hans ne se le fit pas dire deux fois. Le sergent Kopner n’était pas connu pour son caractère trivial. Tout en marchant vers la tour, le vieux soldat s’aperçut que les paysans avaient été rappelés à l’intérieur de l’enceinte.

 


 

Il régnait dans le baraquement une tension presque palpable. La majorité des soldats s’étaient rassemblés dans leur quartier dans l’attente des ordres du Capitaine dans le silence le plus total.

- La patrouille de ce matin n’est toujours pas revenue ? Demanda quelqu’un.

- Non, pas de nouvelles, répondit un deuxième soldat visiblement mal à l’aise.

- Peut-être qu’ils se sont arrêtés en cours de route pour cueillir des champignons ! Lança un troisième.

Tout le monde éclata de rire, même le sergent Kopner se joignit au reste de ses troupes.

- Ou alors de jolies donzelles elfes les ont conviées à une petite « fête » ! Fit une voix dans le fond de la salle.

Les rires égrillards repartirent de plus belle. Hans faillit s’étouffer, les larmes lui montaient aux yeux.

- J’ai mieux : un troll les a bouffés, fit hilare, le jeune Dimitri.

A son grand étonnement, personne ne rit de sa « bonne blague ». Un lourd silence s’installa.

- Tu ferais mieux de ne pas prendre ces choses à la légère, mon garçon dit Hans. Tu ne sais même pas de quoi tu parles. Ce n’est pas parce que tu as visité le zoo d’Altdorf que tu connais toutes les monstruosités qui rôdent dans nos campagnes. Un troll, ça peut être beaucoup de choses, sauf un sujet de plaisanterie. »

Le ton sec de Hans ne fit qu’accroître le malaise de Dimitri. Ce dernier baissa les yeux, espérant se faire oublier des autres. Heureusement pour lui, l’arrivée de Morse mit fin à son calvaire. Instantanément, tous les soldats se redressèrent. L’appréhension pouvait se lire sur leurs visages.

- Les gars, dit-il de sa voix forte, je crains qu’il y ait du grabuge d’ici pas longtemps. Comme vous le savez, la patrouille de ce matin n’est toujours pas revenue. Le Capitaine m’a demandé de lui trouver cinq volontaires pour essayer de savoir ce qui s’est passé à la Tour. »

Après un bref instant, le sergent Kopner s’avança vers Morse. Quatre soldats le suivaient.

- Avec mes gars, on est prêt pour la balade, Chef, fit le sous-officier.

- Très bien. Inutile de vous dire de vous tenir sur vos gardes.

Le sergent salua et sortit du baraquement avec ses hommes pour se rendre à l’armurerie.

Suite à la découverte de Dimitri, le Capitaine Gartner s’était rendu dans les appartements de l’Intendant Sedik. Il avait eu le plus grand mal à convaincre l’agent impérial d’envoyer un groupe d’éclaireurs vers la Tour ainsi qu’une délégation de cavaliers pour faire route vers Nuln. Sedik était des plus sceptiques quant à la présence d’une force d’invasion ennemie au sein des terres de l’Empire. Une attaque semblait tout à fait improbable : pas un seul peau-verte ou skavens n’avait été aperçu depuis des mois. Mais comme il ne pouvait expliquer l’incendie de la Tour, il se résigna à faire confiance au militaire. Alors qu’ils discutaient à bâton rompu, quelqu’un tapa à la porte. Il s’agissait de Pilgrim, le représentant des différentes familles de paysans qui occupaient une partie de la forteresse et ses environs. C’était un homme de petite stature mais les travaux des champs lui avaient conféré une musculature pour le moins impressionnante. Ses sourcils broussailleux et sa barbe hirsute lui donnaient un air farouche. A ses côtés se tenait le « Prêcheur », l’autorité religieuse locale, gardien du temple de Sigmar. Rien dans son accoutrement ne pouvait laisser présumer son appartenance au culte de Sigmar. Il avait de longs cheveux noirs de jais qui descendaient en cascade sur ses épaules. Grand et élancé, c’était un homme qui dégageait une aura indéniable. Sa position au sein de la communauté était d’ailleurs reconnue par tous. Avertis de la situation, ils avaient décidé de se rendre eux aussi chez l’Intendant.

- Joshua ! Je vous attendais justement, fit l’intendant.

- Tout le monde est rentré à l’intérieur, Sir. Si vous pouviez me dire ce qui se passe maintenant ? demanda le paysan sans ambages.

- Comme vous devez certainement le savoir, nos sentinelles ont aperçu une colonne de fumée en direction de notre avant-poste. Et...

- Vous craignez une attaque quelconque ? Interrompit le Prêcheur.

Le Capitaine Gardner prit la parole et expliqua les mesures que Sedik et lui comptaient appliquer. Pilgrim hocha la tête.

Après le départ du groupe du Sergent Kopneck, tous les soldats étaient passés à l’armurerie pour s’équiper. Pendant ce temps, les paysans ramenaient leurs troupeaux dans les étables ou s’occupaient d’une manière ou d’une autre pour essayer de penser à autre chose...

 


 

Les orques ! Ils se dressaient là, masse grouillante de guerriers, grondant bruyamment tel un océan en furie. Sous le martèlement de milliers de pas, un épais nuage de poussière se souleva tel l’écume d’une lame de fond prête à décrocher les étoiles. Les tambours de guerre résonnèrent de leur chant de mort, distillant la peur dans le cœur des hommes. Une immense créature, juché sur un amas de rochers, dressa son bras vers les cieux et poussa un cri guttural assourdissant. Ce fut le signal. Un nuage de flèches empennées de noirs survola le champ de bataille avant de s’abattre sur les murailles du fort. Malgré la protection des remparts, plusieurs soldats périrent sous cette pluie de projectiles. De gigantesques machines de guerres projetèrent des rocs de granit qui s’écrasèrent sur le fort, faisant voler les murs en éclats en plusieurs endroits. Le vieux Hans serra sa hallebarde de toutes ses forces, vacillant sur ses jambes à chaque impact. Il entendit les déflagrations sourdes des canons impériaux déchirer le ciel avant que leurs projectiles incandescents ne s’abattent sur les peaux-vertes.

Les tirs cessèrent tout à coup. Hans se risqua à lever la tête et vit ce qu’il redoutait par dessus-tout. Les peaux-vertes se jetèrent à l’assaut, s’écrasant vagues après vagues sur les contreforts de la forteresse dans un rugissement qui se mêlait au fracas des armes tel un ouragan furieux et incontrôlable, et les soldats humains se tenaient sur les remparts, luttant pour ne pas être submergés par ce maelström de violence primitive. Des échelles hautes de plusieurs mètres vinrent s’abattre sur les créneaux et bientôt, elles délivrèrent leur flot de guerriers ivres de rage. Les soldats impériaux tenaient bons malgré les pertes nombreuses. En dépit du tumulte des affrontements, Hans pouvait entendre le « prêcheur » exhorter les troupes, leur assurant que Sigmar veillait sur eux et sur leur salut. Mais au fond de lui, le vieux soldat savait pourquoi les soldats ne cèderaient jamais : le sort de dizaines de civils, femmes et enfants, vieillards, qui s’étaient réfugiés au sein du fort, était entre leurs mains. S’ils venaient à faillir, tous seraient impitoyablement massacrés.

Sur la tour nord, le capitaine Gartner et son régiment repoussaient une troupe de gobelins juchés sur de monstrueuses créatures à huit pattes qui avait franchi les remparts sans encombre. Les araignées géantes bondissaient sur les soldats, infligeant des morsures mortelles ou utilisant leur toile coupante comme de l’acier. L’officier impérial luttait sans relâche, venant en aide aux hommes en difficultés, aboyant des ordres par dessus le fracas des combats. Profitant d’un bref moment de répit, il jeta un œil à la situation. Le visage crispé, il vit avec effroi que les orques avaient pris pieds sur plusieurs sections de mur. « Si des renforts n’arrivent pas bientôt, nous sommes perdus » pensa-t-il. Mais que pouvait-il faire devant tant de haine ? Il fallait absolument qu’il trouve Morse. Le Capitaine Gartner se dirigea vers le sergent qui combattait vaillamment face à une de ces monstruosités. Il parvint à rejoindre Morse et grâce à leurs efforts combinés, ils firent basculer le cavalier et sa monture dans le vide.

- Morse ! Ecoutez-moi bien ! Allez armer les prisonniers ! C’est notre dernière chance !

Le sous-officier resta interloqué mais son sens du devoir reprit rapidement le dessus et il se précipita vers les geôles. Il gravit l’escalier qui menait à la cour, les soldats s’écartant devant sa grande carcasse qui se mouvait avec une rapidité surprenante. Morse, les poumons en feu, atteignit les cellules où de nombreux prisonniers tapaient sur les barreaux et l’invectivaient.

- Fermez-la !

Sa voix gronda et il n’eut pas à se répéter pour que silence se fasse.

- Vous avez le choix : prendre les armes et combattre à nos côtés, et peut-être saisir l’unique chance de racheter vos fautes passées ou crever comme de sales rats dans ces cachots putrides !

Les prisonniers semblaient hésiter mais l’attente fut de courte durée avant qu’ils ne manifestent leur désir de survivre. Morse sortit le trousseau de clé et ouvrit les lourdes portes avec prudence toutefois. Il arriva enfin devant le bloc E. Le prisonnier se tenait au fond de sa cellule, indifférent à l’agitation qui régnait.

- On a besoin de toi Jéricho ! Ramènes tes miches si tu veux pas que je te les botte !

Le hors-la-loi releva la tête et regarda le sergent fixement.

- Bon sang, tu ne peux pas renier ce que tu étais ! Le capitaine Gartner m’a dit que tu étais un officier autrefois. Un bon à ce qu’il paraît... Tu peux pas laisser crever tous ces pauvres gens !

- Qu’est-ce que j’ai à y gagner ? Je suis un mort en sursis. Comme vous tous d’ailleurs...

« L’imbécile ! » pensa Morse. Un gars respecté et craint comme Jéricho aurait été un atout pour mener les autres prisonniers. Mais il n’avait pas le temps de le convaincre. « Tant pis pour lui... ». Morse s’apprêta à rejoindre les autres détenus quand Jéricho l’interpella :

- Attendez !

Morse se retourna et scruta le prisonnier d’un air interrogateur.

- Je suis votre homme.

- Je peux savoir ce qui t’a fait changer d’avis ?

- Mes raisons ne regardent que moi. Et on dirait que vous n’avez pas trop le choix, pas vrai ?

 


 

- Jéricho menait ses troupes : un ramassis de parias comme lui, les rejetons indignes de l’Empire. Leur moralité n’était certainement pas leur point fort, mais leur désir de vivre était sans égal. Quand on a goûté au cachot, qu’on a vécu dans cet univers de violence et de mort qui fait d’une personne moins qu’une bête, l’espoir de sortir de cet enfer est plus fort que tout. Ses hommes se battraient, Jéricho le savait et le Capitaine Gartner aussi. Après un passage à l’armurerie, le sergent Morse les avait menés au-dehors. Pour la première fois depuis d’interminables semaines, ils goûtaient l’air pur et la faible chaleur du soleil de ce long frimas d’hiver. Jéricho se sentit libre, à nouveau en vie. Mais cet instant de félicité fut de courte durée car les horreurs de la guerre reprirent bientôt leur droit. Une gigantesque détonation retentit lorsque l’une des bretèches vola en éclats sous le tir direct d’une machine de guerre ennemie. Un épais nuage de poussière et de débris recouvrit l’horrible spectacle pendant de longues minutes, laissant les survivants hébétés. Les yeux irrités par la poussière, la gorge déchirée par des quintes de toux, Jéricho et ses hommes découvrirent bientôt la cour du fortin, jonchée de corps désarticulés et de blocs de pierre. Les râles des blessés se mêlèrent aux déflagrations des arquebuses qui tentaient de repousser les assaillants, lesquels s’engouffraient dans cette ouverture béante. Et l’air s’emplit d’une insoutenable odeur de poudre noire mêlée à une autre odeur... celle de la mort. Jéricho ne perdit pas un instant. Il dégaina son arme, et, le poids familier de l’épée lui remémorant son ancienne existence, il sonna la charge, prêt à repousser l’ennemi. Du haut du rempart encore intact, le Capitaine Gartner assistait à la scène. Les détenus n’avaient pas faillis, leur contre-attaque avait surpris les orques qui battaient en retraite. L’officier sourit, il pouvait être fier. Il avait pris la bonne décision...

- Un peu plus loin, le vieux Hans se battait vaillamment. Malgré ses trente années de service au sein de l’armée impériale, il savait toujours manier son imposante hallebarde avec dextérité. Pourtant, la lassitude gagnait ses membres, comme si son corps refusait le combat. Soudain, une douleur aiguë vrilla dans son dos. Une longue tige de bois empennée de noir ressortait de son épaule. Le vieux soldat repoussa un ennemi, le décapitant d’un revers de son arme. Il tituba, chancelant entre les cadavres, indifférent aux soldats qui se démenaient à ses côtés. Ses jambes ne le portaient plus, il tomba à genoux, Ses pensées tourbillonnaient sous son crâne. « Comment en est-on arrivé-là ? »

La même question hantait l’esprit de l’intendant Sedik qui se remémorait cette terrible journée. Depuis l’aube avec le départ de la patrouille jusqu’à la mission du sergent Kopneck et de ses hommes en fin de matinée, tout avait mal tourné. L’agent impérial se retrouvait maintenant avec les civils, terrés comme des lapins dans les sous-sols depuis le début de l’affrontement. Un instant plus tôt, la terre avait tremblé violemment, les secousses avaient même fissuré certains murs par endroits. Le rempart Est venait de sauter. Les soldats impériaux se faisaient décimer et l’issue de la bataille ne faisait aucun doute... Et ces pauvres familles qui s’étaient réfugiées ici ! Ils allaient tous périr. C’était inéluctable. L’intendant Sedik s’était entretenu avec le chef des paysans. Ah, ce brave Pilgrim... Il lui avait menti, prétextant une fausse excuse pour se rendre dans son bureau non loin. Dorénavant, il était seul dans cette pièce si familière, seul face à lui-même. Recommandant son âme à Sigmar, il sentit le froid de l’acier se poser contre sa tempe. « Encore une fichue journée... »

A l’extérieur, les combats faisaient rage. La brèche était maintenant comblée mais les pertes humaines avaient été importantes. Des orques étaient même parvenus à prendre pieds dans la forteresse mais, trop peu nombreux pour établir une tête de pont, ils s’étaient fait décimer par l’infanterie impériale. Du haut du rempart, le Capitaine Gartner regardait impuissant, le torrent incessant d’ennemis qui menaçait d’envahir les remparts. Pour chaque vague ennemie qui refluait, laissant son lot de cadavres telle une écume sanguinolente, une autre se formait et s’abattait sur le fortin fortement ébranlé. L’officier impérial savait que ce n’était qu’une question de temps avant que ses hommes ne faiblissent. Il devait faire tout ce qui était en son pouvoir pour permettre aux éventuels renforts d’arriver à temps. Profitant d’une accalmie passagère, il se précipita dan la cour, emmenant avec lui une poignée d’hommes encore valides.

Jéricho était appuyé contre un mur, son épée à ses côtés. Il était couvert d’un sang noirâtre de la tête aux pieds et sa respiration était saccadée. Sa jambe droite le faisait souffrir, victime un peu plus tôt d’un mauvais coup. Mais malgré tout, un sourire se dessinait sur son visage, le premier depuis de longues années. Jamais il n’avait oublié l’excitation du tumulte des combats, même durant les heures les plus sombres de sa détention, à croupir au fond de sa cellule. Au milieu des combats, il renaissait. « Plus question de retourner au trou », c’était une certitude pour lui maintenant. Personne ne lui enlèverait sa liberté. Le bruit de pas d’hommes en arme le tira de sa rêverie. Le Capitaine Gartner se tenait devant les portes blindées, un casque d’orque broyé par un coup de masse gisait à ses pieds.

- Nous allons tenter une sortie. Les renforts vont arriver, alors il faut tenir ! » Hurla l’officier.

Ses paroles furent couvertes par le choc sourd des béliers de siège qui heurtaient l’édifice. Le Capitaine Gartner affichait un air empreint d’une grande résolution. Jéricho se redressa, s’aidant de son épée. S’il devait mourir aujourd’hui, ce serait l’arme à la main face à l’ennemi. L’officier réajusta son heaume et, d’un geste de la main, il fit signe aux soldats postés le long du rempart de déverser les derniers chaudrons emplis de métal fondu. Manipulés avec une extrême précaution, ils déversèrent une cascade argentée sur les assaillants. Des hurlements d’agonie retentirent lorsque le plomb en fusion s’abattit sur les guerriers, brûlant leur peau nue à travers les interstices de leurs armures. Certains orques se roulaient sur le sol, leurs corps secoués de soubresauts incontrôlés. Sous ce déluge ardent, les peaux-vertes se retirèrent, créant une brèche importante dans leur ligne de front. Au même instant, le Capitaine Gartner donna l’ordre d’ouvrir les grandes portes. Durant un instant, son cœur sembla cesser de battre, au fur et à mesure que la clarté du jour s’infiltrait à travers l’arche de pierre. Poussant un cri de guerre à la gloire de l’Empereur, le groupe d’hommes chargea... Les impériaux transpercèrent les rangs décimés des orques, encore sous la surprise de cette audacieuse manœuvre. Les hommes se battaient avec tout leur cœur, sachant que la moindre hésitation leur serait fatale. Le Capitaine Gartner faisait virevolter son arme, frappant de toute part. Quand il abattait un adversaire, un autre le remplaçait immédiatement. Partout où son regard se posait, des yeux luisants et des gueules hérissées de crocs lui faisaient face. Impossible dans ce chaos de distinguer quoi que ce soit. Les orques n’allaient pas tarder à se reprendre et leur nombre ferait le reste. L’officier sentait ses forces le quitter, mais il refusait d’abandonner. Dans un dernier moment de lucidité, il contempla la scène autour de lui. La silhouette familière de Morse se tenait à quelques mètres de lui, sa carrure aussi imposante que celle d’un orque. Le sous-officier se battait vaillamment même si son sang s’écoulait de nombreuses plaies. Un peu plus loin, l’officier aperçut Jéricho. L’ex détenu avait l’air aussi féroce que ses ennemis. Ses hommes livraient le combat de leur vie et peu d’entre eux verraient une nouvelle aurore. Pourtant, le Capitaine Gartner n’avait pas peur de mourir. Il était fier de ses hommes et mourir au milieu d’eux était un honneur. Bientôt il n’entendit plus rien, évoluant sur le champ de bataille comme dans un rêve, un brouillard rougeâtre dansant devant ses yeux. Combien de temps allaient-ils encore tenir ? Le Capitaine Gartner se sentit partir. Avant de sombrer dans les brumes de l’inconscience, il crut entendre le son haut et clair des clairons retentir, se répercutant sur les flancs de la vallée telle une musique salvatrice.

Les orques n’eurent qu’un instant pour faire face à cette nouvelle menace avant que les cavaliers en armures resplendissantes, chevauchant à bride abattue, ne sonnassent la charge...

 


 

Epilogue

Ce jour-là, l’avant-garde de la Waagh du chef de guerre Gorzag fut mise en déroute par la charge impétueuse des cavaliers dépêchés de Nuln, sauvant la vie de dizaines de citoyens de l’Empire réfugiés dans les sous-sols de la forteresse. Seule une poignée de soldats impériaux survécut à cet assaut brutal et soudain. Les détenus morts au combat furent graciés par l’Empereur à titre posthume.

La Waaagh poursuivit sa route, s’aventurant jusqu’aux abords de la mystérieuse forêt de Loren...

Quelque temps plus tard, dans une taverne bondée de Nuln...

Un homme accoudé au comptoir sirotait tranquillement sa chope de bière tout en prêtant une oreille distraite aux discussions enflammées qui animaient la salle. Toute la ville ne parlait que de cette forteresse plus au sud, qui avait été balayée par l’assaut d’une armée d’orques et de gobelins. En ayant assez entendu, l’inconnu jeta une pièce au patron, avant de sortir de l’établissement d’une démarche claudicante...

 

FIN

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