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Chap. 7 : L’Ultime Route vers la Destinée

 

Une vaste plaine recouverte d’une terre poussiéreuse s’ouvrait perte de vue. Et là, devant eux, au-delà même de cette ligne d’horizon que les yhlaks fixaient d’un regard las, se cachait l’océan et, quelque part au milieu des flots, l’île de Lisonge. Reyv’avih regardait ce peuple défilé devant lui et un immense sentiment de fierté l’envahit soudain, comme jamais il ne l’avait ressenti. C’était son peuple et il se devait de l’emmener jusqu’au bout, il le méritait tant. Pourtant, il ne put s’empêcher de constater la précarité de leur rêve. Encore deux batailles et il n’y aurait sans doute plus que des femmes et des enfants ou, pire, que des vieillards inutiles. A bien des égards d’ailleurs, toutes ces femmes dégageaient une dignité plus grande encore dans l’adversité qui durait maintenant depuis si longtemps, à s’activer ici pour sauver une vie, à aider là un ancêtre à monter dans leur chariot ou à encourager les enfants épuisés par les longues marches qui s’enchaînaient depuis plusieurs mois. Et devant lui, cette femme fraîchement éborgnée qui tenait deux enfants dans ses bras dont le plus jeune pleurait en voyant ce visage défiguré mettait tant de douceur à le rassurer, trouvait encore des mots d’amour à donner. « Ce n’est rien mon enfant, un seul œil me suffit pour voir combien tu es beau et comment tu grandiras ! Cesse de pleurer car bien tôt tu pourras bientôt gambader sur notre île. Tu verras comme elle est belle et combien nous la rendront plus belle encore ». Et cette autre, avec son pot de terre rempli de fleurs, comment avait-elle réussi à les préserver malgré ce soleil de plomb qui les assommait depuis des semaines ? Il sourit en y apercevant des maténines, des fleurs aux vertus médicinales, et des bromes dont les feuilles bouillies produisaient à la fois un puissant baume apaisant les brûlures du soleil et un psychotrope qu’ils utilisaient lors de certaines cérémonies. Mais nulle part autour de lui il ne retrouvait le mystérieux visage qu’il recherchait plus que tout et dont il avait tant espéré pouvoir rêver durant la nuit afin de ne pas oublier ses traits entraperçus une poignée de minutes.

En voyant défiler toutes ces femmes qui géraient en silence tout le poids du quotidien sur leurs épaules, les paroles de Loenstroek lui revinrent à son tour en mémoire. Et s’il avait eu raison ? A son tour, il eut envie de les protéger, de les récompenser de leurs efforts infinies. D’ailleurs, quelque chose avait changé dans le regard des hommes. Tous se montraient plus prévenants et courtois, là où ils avaient l’habitude de les malmener pour obtenir d’elles toujours davantage. Cette fois-ci, elles avaient donné toutes leurs maigres forces pour la bataille, elles avaient sauvé des vies dans le sang et le fracas des armes, comme de vrais guerriers. Pourtant, une rumeur gonflait. Certaines d’entre elles disparaissaient encore la nuit tombée, parfois même accompagné de leur mari, pour rejoindre Lonstroek qu’on disait encore en vie, malgré les rondes de garde qu’on avait instaurées. Cela toucha d’abord les veuves, mais il y eut bientôt des épouses et des jeunes femmes avec leurs enfants, qu’on finit par appeler des « absentes ».  A dire vrai, si beaucoup d’entre elles avaient été perplexes devant les idées que leur chef avait osé prononcer avant d’être condamné, au fil des jours, elles avaient trouvé un étrange écho dans leur vie passée, si bien que, dans toutes les têtes, même parmi les hommes, elles avaient fini par donner naissance au doute. Et parfois, sans qu’on ne s’en rendît compte, elles remplaçaient certaines certitudes d’hier. Bien sûr, leur résonance s’en trouvait amplifiée auprès des femmes. Et au fil des jours qui les rapprochaient de la Lisonge, l’Ile Sanctuaire, leurs rangs ne faisaient que s’accroître.

 

Lorsqu’il se leva ce matin-là, Reyv’avih se sentit comme un autre homme. L’un des rêves qu’il avait fait pendant la nuit lui avait laissé un curieux sentiment de bien-être, comme ces rêves qui se déroulent et qu’on ne voudrait jamais quitter tellement on se sent libre et soi-même dans leurs bras de soie et aussi doux que ceux d’une mère qui donne le lait. Il avait enfin pu approcher ce visage et même voir son corps dans son entier. Il y avait d’abord eu cette voix implorante qui appelait au secours et qui rentrait si fort dans tout son être qu’il en tremblait encore rien que d’y repenser. Il la cherchait partout au milieu de paysages glacés et cette voix se mêlait parfois dans le vent comme pour mieux le pénétrer encore. Et, tandis que le froid envahissait sa chair, ne pouvoir aider cette voix si suppliante devenait une vraie souffrance, comme si chaque parcelle de son corps qui perdait sa chaleur capitulait devant cette mission qu’il aurait tant voulu accomplir. Acculé par son corps gelé qui ne pouvait plus progresser, il se résigna à regagner son igloo. En l’apercevant à quelques mètres, il fut surpris par l’étrange lueur qu’il apercevait à l’intérieur qui laissait présager d’un feu si accueillant que bienvenu pour réchauffer chacun de ses membres engourdis. Et là, sur des couvertures de fourrures se tenait ce double d’Ilda plus jeune, aux formes parfaites, complètement nue. Et tandis qu’elle lui souriait, il lisait dans ses yeux un regard qui lui disait, avec les mêmes accents implorant que la voix du dehors : « Sauve-moi ! ». Il aurait voulu se ruer sur elle, fou de désir, mais le souvenir d’Ilda morte le lui interdit. Peut-être était-ce elle qui l’implorait de la sorte et qu’il pouvait lui redonner la vie. Devant son hésitation, le sourire du double prit une tournure narquoise comme s’il s’agissait d’un jeu ou d’un duel silencieux entre elle et lui, comme si elle connaissait chacun de ses secrets, chacune de ses postures et même chacune de ses frustrations.

« - Tu n’es pas celle que tu prétends être, n’est-ce pas ?

- Pourquoi dis-tu ça ? Je ne te plais pas ainsi ? (elle fit un geste sans aucune ambiguïté qui montrait qu’elle s’offrait à lui en écartant ses jambes)

-         J’aime Ilda.

-         Mais je suis mieux qu’Ilda. Et je puis même te dévoiler le secret du Monolithe…

-         Et que dois-je faire pour ça ?

-         Allons, tu le sais bien…

-         T’étreindre comme un amant ?

-         Pourquoi ? En es-tu vraiment capable ou faut-il avant que tu me frappes pour ça ?

A cette réponse, il se sentit trahi comme si elle n’avait pas compris sa souffrance. Alors il se détourna d’elle pour repartir dans le blizzard.

-         Non, reste près de moi ! Sauve-moi ! Sauve notre rêve !

Ce n’était pas la même voix que celle du double mais celle qu’il avait entendue à l’extérieur et cherchée en vain pendant si longtemps et pourtant, elle semblait bien venir de ce corps qu’il regardait à nouveau. A dire vrai, il s’en délectait pour ne plus jamais l’oublier comme s’il savait que plus jamais il ne le reverrait. Il dévorait des yeux ce visage qui le touchait tant et qui paraissait si réel, comme jamais celui d’Ilda ne lui était apparu avec ses peurs et ses mèches de cheveux qu’elle se complaisait à laisser tomber au lieu de les attacher pour montrer cette beauté qu’elle refusait d’admettre qui pourtant avait fini par le subjuguer à son tour dans sa fragile esquisse, cette beauté dont le souvenir le hantait si fort à cet instant qu’il n’aurait pu le trahir.

Mais les yeux qui lui faisaient face ne jouaient plus, à leur tour, ils n’étaient que supplication.

-         Comment puis-je te sauver ?

-         Aime-moi. Aime-moi comme tu aimerais toutes les femmes de tes rêves. Donne-moi ce que tu ne leur as jamais donné. Donne-moi la force de survivre au jour et aux suivants. Bas-toi une dernière fois que pour le rêve ne se meure… Je suis Ilda, je suis toutes les femmes que tu aimeras, je suis toutes les femmes dont tu rêveras ici et ailleurs, hier et demain, je suis le rêve d’une vie, je suis le rêve de mille vies, je suis le rêve de toutes les vies. Mais aime-moi et sauve-moi… Je t’en supplie car je me meure !

Le fou désir qui l’avait assailli au début avait totalement disparu. Un immense flot de tendresse s’était déversé en lui et il voulait le lui apporter à ses pieds, lui qui n’en avait plus connu le jour où, encore enfant, on l’avait désigné comme devin et qui, depuis, n’en avait plus jamais plus donné à son tour. Il avait en lui un tel trop plein qu’il ne se sentait plus homme mais amour. Alors lentement, il s’approcha d’elle et s’assit à ses côtés, quasi tremblant, en approchant ses lèvres des siennes. Il avait fermé les yeux comme s’il s’agissait du premier et seul baiser qu’il donnerait. Sa tête se mit délicieusement à tourner en même temps que sa langue commençait à prodiguer une suave caresse et que ses mains se posèrent sur les épaules nues dont il sentait la chaleur. Quelque chose de rugueux frotta sa paume qui évoqua instantanément le contact du vieux monolithe qu’il avait abandonné dans la glace pour regagner celui de l’Île sanctuaire. Il aurait dû être effrayé mais il garda sa main dessus car la chaleur qui s’en dégageait était si douce qu’il eut envie de l’étreindre tout entier dans ses bras. Imperceptiblement, les yeux toujours fermés, la bouche toujours hermétiquement close par chacune de leurs lèvres, ses bras avançaient le long de ce corps étrange de pierre fragile comme de la chair et quand enfin ses doigts touchèrent ceux de son autre main pour le serrer de toute cette tendresse qu’il voulait tant libérer, il n’y eut plus que le vide à étreindre et cette voix qui lui chuchotait sans cesse : Sauve-moi !

Il n’avait pas ouvert les yeux tout de suite, voulant prolonger le plus longtemps ce délicieux souvenir qui perdurait sur ses lèvres. Quand enfin il se résigna, il fut surpris de voir le jour déjà si avancé. Il se sentait heureux comme il ne l’avait jamais été de toute sa vie et, toujours tapi au fond de lui, il y avait ce flot de tendresse ininterrompu qu’il sentait encore grandir au fur et à mesure qu’il croisait ses frères et ses sœurs.

 

 

**

*

 

Au détour d’un soubresaut de dune vespérale, le paysage qui surgit devant les yeux du groupe de vuldoniens fraîchement débarqué en Lisonge sauta à la gorge de Gisère, le magicien. Partout où il posait le regard, il découvrait un immense et interminable cri silencieux. Un cri qui déchirait l’espace et le temps et que rien n’effacerait, pas même ce jeu charmant entre le vent léger de l’été et le chant espiègle de la bergeronnette, ni l’incessant et secret bercement des feuilles dont la mélopée vous enveloppait les oreilles comme un bandeau, car jamais il n’existerait de bandeau pour un tel cri. Ici, tous ces chants de la nature cherchaient en vain à le recouvrir mais derrière chaque infime silence, on l’entendait pleurer et dénoncer la culpabilité des hommes qui avaient saccagé dans une furie incontrôlée ce site qu’elle avait si merveilleusement agencé et que d’autres hommes, en leur temps, avaient magnifié en mariant leur travail séculaire de sueur et de dévotion à un dieu qui avait détourné ses yeux quand vint l’heure du massacre.

Les arbres et les buissons avaient repris leur droit, là où ils avaient jadis été abattus ou calcinés. Et le vent avait balayé du mieux qu’il avait pu les ossements de leur souillure et le soleil les avait blanchis, et la pluie avait essoré les flaques et les auréoles de sang jusqu’à les effacer. Mais les centaines de morts données en sacrifice au dieu victorieux du jour n’étaient rien comparé à ce qu’avait subi le Cercle sacré des Monolithes Rouges  vénéré alors par les yhlaks. Les pierres du premier cercle, plus petit, avait été pulvérisées et laissaient tantôt leur empreinte dans le sol blessé, tantôt une couronne saillantes aux arrêtes tranchantes quand les hommes n’avaient pas réussi à les déchausser. Et même couchées sur le sol, comme des vagues éternelles, ils les avaient fracassés dans une longue et méthodique torture pour leur ôter tout semblant de leur ancienne et si apaisante forme verticale. Partout sur le sol jonchaient des fragments violents de leur colère sur la roche, dont la couleur si étrange et écarlate avait été encore préservée de la lente et inexorable usure du vent et rendait à la terre un sang quasi ruisselant et brillant. Et au milieu de cette mer furieuse se dressait toujours l’immense monolithe. Tous les efforts pour le saccager et le coucher s’étaient heurtés à sa fierté silencieuse. Mais les innombrables stigmates et chocs qu’il portait lui conféraient maintenant un aspect douloureux. Et de tous, c’était de lui que sortait le cri le plus effrayamment silencieux, comme si sa pudeur le poussait à taire ce que tous hurlaient. Des blocs entiers lui avaient été arrachés comme autant de membres ; même sur son sommet pourtant haut de plusieurs mètres, d’immenses marteaux avaient cherché à l’éborgner et briser son sommet. Plusieurs fissures balafraient parfois toute sa largeur dans une diagonale accidentée. Pourtant, malgré toutes ces affres, il restait là, dressé devant vous, défiant la logique des hommes par sa couleur surnaturelle, qui soutenait comme une main invisible le vert foncé des herbes et des feuilles. Tout autour, dans un second cercle, la nature formait comme un écrin pour mieux dénoncer les souffrances qu’il porterait pour toujours. Et c’était bien cette sourde résignation à toujours exister quand tout avait été mis en œuvre pour le terrasser qui vous remuait le cœur à vous dégoûter d’exister vous-même.

Le magicien regardait depuis de longues minutes ce qui jadis avait été un temple. Derrière lui, les vuldoniens eux-mêmes ressentaient une culpabilité pleine de honte d’avoir pu autant s’acharner sur ce qui avait juste osé penser différemment d’eux. Ils ignoraient si Gisère les obligeait à affronter ce témoignage de leurs démons intérieurs ou s’il avait besoin de s’imprégner du spectacle pour lancer son terrible sort de mort au moment où les yhlaks arriveraient enfin au terme de leur longue quête. Tous hésitaient à pénétrer dans ce lieu dévasté. Il inspirait une sorte de respect irraisonné comme, si en voulant le détruire l’Ordre n’avait que renforcer sa puissance évocatrice. Lentement le magicien se retourna et avança. Les religieux n’avaient pas bougé.

-         Alors, vous êtes sûrs de vouloir les accueillir ici ?

-         Oui… Ce sont les ordres.

-         Non, c’est la volonté de Vuldone…

Sur ces mots, le bigle s’était avancé. Depuis son contact avec le Monolithe et sa longue convalescence, l’œil de Dieu avait profondément changé. Il ne maîtrisait presque plus son œil. Surtout, sa vision de son dieu avait changé, elle était devenue plus austère. Sans aller aux flagellations et au fanatisme des plus extrémistes, elle avait beaucoup perdu de son humanisme. A la place, il avait une force résignée, celle de ceux qui n’attendent rien et qui continuent d’avancer parce que c’est leur seul chemin ou qu’ils ont vu ailleurs ce qu’ils ne veulent plus voir. D’ailleurs, on l’entendit marmonner ces  qui ne devaient s’adresser qu’à lui.

-         … car Vuldone est un dieu de colère.

Un masque mélancolique voilait son visage. A peine eut-il fait un pas à l’intérieur des restes du cercle qu’il eut l’impression de sortir du temps et d’entendre au plus profond de lui les hurlements sans fin des victimes sacrifiées. Et tandis que tous se trouvèrent bientôt face au Monolithe sans visage et sans voix, les mêmes sensations se faufilaient insidieusement dans leurs échines, comme des reptiles attirées par la vibration d’une proie invisible, comme si en entrant dans le cercle, ils rentraient dans un monde à l’intérieur du monde. Là, si près du rouge de la roche, sa force immobile et désespérée les saisit encore plus fort et leur soufflait à l’oreille que tout était folie et  qu’ils en commettraient encore dans quelques instants ou quelques heures une nouvelle encore plus grande. De son côté, Gisère le regardait en se demandant si une telle roche pouvait appartenir à un dieu unique ou si Okkor ou Vuldone se battaient encore pour lui et le faire souffrir davantage ou même s’il fallait n’être qu’un humain pour penser une telle chose aussi dérisoire devant sa majestuosité blessée. A dire vrai, sur le moment, en étant si proche de lui, il hésita à le toucher pour s’assurer qu’il existait vraiment.

-         Non, ne le touchez pas, fit l’œil de Dieu au magicien, il vous maudira encore plus que je ne l’ai été !

Son œil louchait affreusement et, dans cet œil fou, une larme se forma dans un léger frissonnement. Il l’essuya du bout des doigts avant même qu’elle ne se décroche. Ils le contournèrent et se postèrent juste derrière, là où un buisson les dissimulerait sommairement. Devant eux, la petite mer de sang et de poussière brillait sous les feux d’un soleil implacable. Un pin aux branches torturées leur apportait une ombre à la maigreur duveteuse.

Il y a quelques jours, ces mêmes hommes étaient venus chercher Gisère pour lui proposer un marché, la mort de tous les yhlaks contre l’accès à l’ancestrale Larme du Géant, que les vuldoniens gardaient aussi précieusement que secrètement dans l’un de leur nombreux temples, la dernière que les l’elfes n’avaient pas réussi à reprendre alors qu’eux-mêmes les avaient confiés aux humains il y a maintenant tant de siècles, afin d’avoir un accès illimité à toute la puissance des vents de magie de Jourzancyen pour maintenir les terres d’Avalon et de ce fait d’Aubemorte dans ce monde. Aucun humain n’avait pu percer la raison de ce revirement, et Gisère était prêt à tout pour le découvrir, car il jalousait leurs pouvoirs et leur maîtrise des forces magiques. Lorsqu’on lui offrit ce dont il rêvait depuis toute une vie, car quel magicien ne rêve-t-il pas de caresser dans ces mains une Larme du Géant, il avait fait une sorte de sourire sardonique et ses yeux avaient brillé comme sous l’effet d’une fièvre. Sans dire un mot, il avait longuement savouré cette demande. Toujours sans un bruit, il s’était mis à marcher un long moment, silencieusement, en cercle à plusieurs reprises autour de ses interlocuteurs en les rétrécissant chaque fois comme s’il dessinait une corde invisible pour les attacher les uns aux autres, faisant peser ce silence de plus en plus gênant que seul le bruit de ses claquettes interrompait d’une manière encore plus agaçante. Puis, il s’était à quelques centimètres du visage de l’Empereur Vivien qui avant avait reculé en arrière, n’osant plus bouger face à ce curieux visage qui ressemblait encore plus à celui d’une chauve-souris, avec son nez retroussé, comme s’il reniflait ce qu’il s’apprêtait à dévorer.

-         D’accord, j’accepte d’en payer le prix, car, vous l’ignorez sans doute, c’est bien moi qui paierait à exécuter cette folie que vous me suppliez si piteusement… Oui, c’est moi qui paierait quel que soit votre soit disant récompense.

-         Alors tout sera prêt pour que la victoire soit la plus facile et la plus grande qui soit, vous pourrez en être certain, par la grâce de Vuldone.

-         Oui, vous êtes l’homme de la situation, rajouta l’empereur dans une note cinglante à destination aussi bien du magicien que des religieux.

Et cet homme attendait maintenant les yhlaks, derrière une dune, vaguement dissimulé par un bosquet le temps d’apparaître à son tour au cœur du terrifiant spectacle qu’il allait donner. Tandis que ces yhlaks débarqueraient bientôt sur l’île par milliers, ce seul homme s’apprêteraient à les faire disparaître à jamais par sa seule volonté lorsqu’il libérerait cette vieille et terrible damnation oubliée de tous, un homme qui sentait pour l’heure en lui une effroyable appréhension grandir au fur à mesure qu’il se remémorait cet autre spectacle des restes du Grand Temple Rouge avec ce monolithe si rageusement mutilé qui défiait encore malgré tout la raison, avec tous ces amoncellements sinistres et fracassés de vestiges et de poussières et dont le silence qu’il avait reçu en lui imprégnerait désormais chaque parcelle de son âme une fois son travail fini. Et maintenant que les premiers navires accostaient et que des cris victorieux retentissaient de plus en plus nombreux, ce simple homme maintenant si isolé parmi les siens se disait, en pesant en lui chacun des mots dans sa tête, qu’il s’apprêtait juste à achever cet épouvantable carnage commis il y a des siècles par d’autres que lui en abattant la dernière pierre de ce qui fut certainement un jour un immense rêve.

 

**

*

 

Quand chaque matin le devin constatait que de nouveaux yhlaks avaient à leur tour disparu, il sentait en lui une immense mélancolie, comme s’il avait échoué à communiquer à son peuple combien il avait changé. Il y a peu, il aurait accueilli une telle nouvelle avec des accents de colère incontrôlée à ce qu’on ose remettre en cause ses paroles, mais il voyait dans la tentative de son rival d’unir à lui le plus de ses frères et sœurs une quête totalement vaine, car tous deux avaient désormais le même rêve pour ce peuple. Loenstroek était redevenu à ses yeux cet ami qui lui rendait alors visite quand tous l’ignorait encore, avant ce funeste jour où il avait voulu entendre parler ce monolithe en lui et qu’il avait entraîné avec lui tout son peuple pour prouver qu’il existait vraiment.

Bizarrement, il sentait en lui la présence bienveillante du vieux monolithe qu’il avait abandonnée tout là-bas, au milieu du froid, même si ce devait être l’été également. Il regardait son peuple et se sentait présent en chacun d’eux, comme s’il n’existait plus lui-même, ou plutôt comme si tous ces êtres autour de lui n’avaient plus qu’à se servir de lui pour connaître à leur tour la douce parole du monolithe. Il lui tardait tant de se tenir devant celui de l’Île sanctuaire et de le toucher pour découvrir s’il lui confirmerait son message. Il l’imaginait déjà, dressé au milieu des dunes, d’un rouge éternel comme l’était Okkor, leur Dieu de Colère, mais désormais une colère tournée vers l’extérieur, comme si en unissant les deux monolithes par sa pensée, il pouvait donner vie au rêve qu’il avait eu cette fameuse nuit dans les bras de cet étrange spectre d’Ilda. Et il souffrait avec son peuple de le voir tant peiner à progresser vers leur ultime destinée, avec tous ces blessées qui parfois hurlaient, qui parfois mourraient mais qui tous donnaient leurs dernières forces pour retarder le moins possible leur peuple.

Dans quelques jours maintenant, les murs de Valdec, leur ancienne capitale, apparaîtraient et il leur faudra mener un ultime assaut pour naviguer vers la belle Lisonge, leur île sacrée. De plus en plus, elle cessait d’apparaître à chacun comme ce vaste rêve jusqu’alors si inaccessible. On se l’imaginait, on l’embellissait, on la revêtait de mille promesses à remplir au moment où l’on poserait dessus ses premiers pas pour mieux la reconstruire. Pour la première fois depuis leur départ, ce peuple se sentit heureux d’avoir réalisé ce long et douloureux périple à la recherche de ce qu’ils avaient été avant d’être ignorés de tous. On revoyait les sourires fleurir et un nouvel entrain dans leurs jambes pourtant rompues à la marche.

Seulement, il y avait cette rumeur qui ne cessait de gonfler sur le retour de Lonstroek et son autre promesse. Si pour beaucoup il n’y avait pas à choisir car, là-bas, les deux rêves seraient possibles, mais il n’empêchait que certains, la nuit, disparaissaient encore pour rejoindre leur ancien chef, à moins que ce ne fut une femme qui s’était déjà enfuie avant sans un mot, comme si la Lisonge n’était qu’un mensonge de plus d’Okkor pour se moquer d’eux. En osant contredire le sens commun de la prophétie, Lonstroek apparaissait finalement comme une sorte d’abris contre toutes les folies qu’ils avaient endurées. D’ailleurs, de plus en plus d’hommes se mêlaient aux femmes, comme si à leur tour, ils voulaient comprendre ces paroles ou expier des fautes passées.

Mais Reyv’avih les comprenait maintenant. Après tout, lui aussi aurait voulu revoir ce vieil ami de toujours et lui dire qu’il regrettait tout et qu’il avait changé. Il n’avait plus revu en rêve ce doux visage qui lui était apparu, mais il avait gardé en lui ce trop-plein de tendresse que beaucoup ne comprenaient plus ou n’y voyaient qu’une nouvelle manœuvre de séduction pour garder auprès de lui son peuple qu’il avait tant négligé et malmené par le passé. Toujours est-il qu’il n’avait pas envie de se battre ni de déchirer une nouvelle fois son peuple. Qu’importe ce que disait la Prophétie, chacun l’accomplirait comme bon lui semblait.

Tandis qu’on célébrait les nouveaux morts de la nuit en érigeant un vaste bûcher, il se dit que son peuple attendait un nouveau geste de sa part, celui du pardon. Alors il demanda à ses plus fidèles serviteurs de prévenir qu’il avait un message important à annoncer à tous dès que la cérémonie mortuaire serait terminée. Et il avait maintenant hâte d’être devant eux et de mettre son cœur à nu.

 

Il y avait si longtemps qu’il n’avait pas pris la parole de la sorte qu’il eut peur d’être ridicule. D’ailleurs, ce n’était pas lui qui parlait alors, mais Grug, cet espèce de double qui avait pris le contrôle de lui durant des mois mais que son déchaînement de fureur contre la pauvre dépouille d’Ilda semblait avoir terrassé. Tous le regardaient maintenant, avec ce regard plein d’appréhension qu’il connaissait si bien, sauf que lui n’était que sourire et apaisement.

« Peut-être avez-vous entendu une rumeur ? Sachez qu’elle existe et qu’il n’est nul besoin de condamner ceux qui choisissent de la regagner, car si Okkor a voulu que Lonstroek survive à notre sentence, alors il mérite de vivre et d’être lui aussi entendu. Vous tous ici connaissez notre prophétie qui nous a conduits jusqu’ici : « Que tout ce qui vous divise soit banni de vous. Soyez un Tout, soyez l’Unique. Cette simple vérité est en chacun de nous ».

Comme nous l’a fait remarquer Lonstroek, cette vérité est en chacun de nous, donc libre à vous d’entendre ce que votre cœur vous dira. Mais j’ai un autre rêve à vous proposer. Quel que soit votre choix, retrouvons-nous tous en Lisonge et soyons à nouveau un Tout, soyons sur notre terre un peuple à nouveau uni ! Aussi tous ceux qui hésitent ou souhaitent rejoindre celui qui aura toujours été un grand chef pour nous mener jusqu’ici seront libres de le faire.

Mais nous irons encore plus loin en guise de preuve de bonne foi. Je vous confierai tous nos blessés, tous ceux qui sont trop épuisés de manière à ce que nous ouvrions cette grande voie qui nous conduira sur notre grande île qui nous attend depuis si longtemps et dont personne ne veut. Et là-bas, nous serons à nouveau frères et sœurs, il n’y aura plus Loenstroek d’un côté et moi de l’autre car, tout au plus profond de moi, j’ai découvert il y a quelques jours que nous partagions les mêmes valeurs et le même rêve. »

Au fur et à mesure que ces paroles venaient à lui, il sentait une véritable ivresse à les prononcer et à voir autour de lui tous ces visages s’ouvrir à une forme de joie encore plus belle que celle de celle contenue dans leur grande victoire sur la colline. Et quand il termina sur la promesse de se retrouver bientôt tous ensemble sur l’île pour bâtir leur futur, une immense clameur venue du fond du cœur résonna très loin, jusqu’aux oreilles de Lonstroek et des siens. Depuis leur départ de la colline, eux aussi entendaient des rumeurs venant des nouveaux arrivés sur les changements qui s’étaient opérés en Reyv’avih, même s’ils n’osaient encore croire en sa sincérité. Pourtant, au tout profond de lui, Lonstroek avait envie de croire lui aussi que son ami d’antan avait retrouvé la raison, comme si, durant tous ces mois à le voir sombrer dans sa folie meurtrière et cette terrible tourmente qu’il retournait si souvent contre lui-même, il n’avait vécu qu’une mauvaise fièvre.

Puis, quand la nuit tomba et qu’on envoya ceux et celles qui avaient pour mission de convaincre de regagner leur cercle, tous furent accueillies les bras ouverts par ceux qui avaient décidé de rester avec les blessés, les enfants et les plus vieux. Alors Lonstroek fut à son tour convié à venir également au camp avec tous ses fidèles où il put prendre connaissance du discours qu’avait prononcé le devin. On avait également laissé la moitié de ce qui restait de la cavalerie yhlak, c’est à dire tout au plus une trentaine de soldats, de manière à pouvoir surveiller alentours et communiquer avec l’autre groupe. La nuit se passa dans les effusions et la joie et, s’il y avait des larmes, elles étaient le fruit d’un trop plein de bonheur. Il n’y avait plus de honte à avoir un membre de sa famille disparaître, ni de déchirement à la quitter, elles étaient réunis ou le seraient bientôt.

Quand Vyrehel rejoignit son homme, elle le trouva à son tour métamorphosé. Il n’était plus rongé par le doute, au contraire, une belle exaltation brillait dans ses yeux. Depuis la veille, il avait retrouvé la quasi-totalité de l’usage de ses membres supérieurs si bien qu’il se saisit d’elle par la taille pour la soulever dans les airs. Elle était si légère et petite dans ses bras puissants qu’il eut l’impression de tenir un enfant, à tel point qu’il aurait voulu lui aussi en avoir un à lui à soulever de la sorte, la seule joie qu’Ilda n’avait jamais pu lui donner. Un léger voile d’amertume se dessina sur son front. Autour du grand feu, quelques chants commencèrent à monter, repris en chœur un peu partout.

-         Qu’il est doux de se sentir simplement heureuse… Comme en harmonie avec l’univers…

-         Oui, comme si chacun de nous était enfin à sa place dans ce vaste univers, et non plus un rouage qui nous broie les uns contre les autres.

La jeune femme fut surprise par la noirceur de l’image employée mais elle était d’humeur joyeuse et prête à entraîner cet homme de force sur des terrains plus joyeux.

-         Et si on demandait de la musique pour danser !

Avec cet entrain qui ne la quittait rarement, elle le prit par la main et se précipita à son tour vers le grand feu. Le guerrier la suivit un peu par dépit au début, puis de bonne guère esquissa quelques pas de danse. Très vite, toute sorte de tambours, de violons et de flûtes se mirent à les rythmer et d’autres danseurs se joignirent à eux.

Alors qu’eux vécurent une nuit de liesse, plus rien n’entravait l’avancée du groupe du Reyv’avih. Femmes et guerriers qui le composaient étaient eux aussi portés par une formidable exaltation et la force du devoir qu’ils leur restaient à accomplir pour que leur peuple fût à nouveau uni. Les cadences de marche gagnèrent une nouvelle vigueur qui autorisait l’espoir de gagner Valdec dans deux jours et à arracher cette ultime victoire qui scellerait le destin de tout leur peuple. Désormais, un enivrant espoir brillait magnifiquement dans leurs yeux à l’ombre de ce grand rêve.

 

Au fil de leur marche, comme chaque jour, venaient les rejoindre d’anciens yhlaks fugitifs de l’Eldred qu’on continuait d’accueillir. Jour après jour, même s’ils compensaient maigrement les immenses pertes qu’ils avaient subies et qu’ils avaient été, il y a encore peu, une source de danger d’infiltration, comme sur cette colline maintenant loin derrière eux, ils étaient devenus une sorte de réconfort et apportaient avec eux de précieuses informations que les militaires recueillaient avec le plus grand soin. On les voyait arriver de loin, on les découvrait aussi déçus et angoissés de découvrir à quoi était réduit le peuple des yhlaks, une force guère plus nombreuses que cinq mille guerriers pour affronter tout un empire. Alors on leur expliquait qu’ils intégraient qu’une avant-garde et qu’un autre groupe quasi aussi nombreux restait en arrière avec les blessés et les suivaient à leur rythme. Alors, ces nouveaux venus  parlèrent d’une étrange rumeur sur Valdec. La ville se rendrait sans combattre. Même si elle était avant tout constituée d’un port et que ses fortifications avaient été avant tout conçues pour la protéger d’une attaque maritime, ses défenses auraient été suffisantes pour tenir de nombreux jours, surtout que les yhlaks étaient assez peu équipés et expérimentés en matière de siège.

Le jour suivant, on colporta encore la même rumeur, amplifiée par toute cette fièvre qu’on trouvait à chaque fois qu’un peuple cherchait à comprendre quand il ne le pouvait : la ville ne voulait pas se battre pour préserver ses habitants et elle était même tout à fait disposée pour aider les exilés à regagner leur île, une terre qui de toute façon n’intéressait personne. Cette annonce laissait perplexe les généraux et tous, Reyv’avih compris, n’y voyaient qu’une vaste manigance pour les piéger. C’était d’autant plus ridicule que le temps jouait en leur défaveur et que l’Eldred aurait tôt fait de redresser une nouvelle armée, encore plus vaste  et puissante que la première et qui aurait cette fois terrassée ce qui restaient de l’armée yhlaks, que l’on compte ou non les femmes en tant que guerrières. Cette rumeur disait aussi que l’Empereur était maintenant beaucoup plus préoccupé par les peuples du nord qui avaient profité de leur percée pour suivre leur exemple, également par les provinces du sud-est qui se rebellaient et que, de toute façon, une fois là-bas, les eldreds auraient bien un jour le temps de les y déloger. Aussi paradoxale que cela put paraître, cette consigne de collaboration pacifique serait elle-même venue de l’Empereur Vivien.

Pour éviter de tomber dans un piège trop ridicule, on envoya en fin de journée un petit groupe de soldats aux portes de la ville tester cette rumeur et faire un rapport précis sur l’état des forces en présence, tout en négociant les conditions de reddition, tandis que, pendant le reste de la nuit, des groupes tacheraient en utilisant les bateaux de pécheurs des villages voisins, de prendre d’assaut quelques navires et de débarquer sur le port en même temps que le reste des forces pénétrerait dans la ville par la grande porte qui s’obstinait à rester ouverte.

Avec stupeur, tout se passa comme annoncé, la ville se rendit bien sans combattre. Paradoxalement, la nouvelle ne rassura personne et une vive tension monta parmi les rangs yhlaks. Lorsqu’on leur proposa plusieurs frégates pour effectuer la dernière demi-journée de navigation qui les séparait de leur île, il devint de plus en plus évident pour tous les yhlaks que le piège se tiendrait là-bas.

 

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Portrait de Zarathoustra
Zarathoustra a répondu au sujet : #20638 il y a 8 ans 1 mois
Bonne nouvelle pour les éventuels lecteurs, ce chapitre est beaucoup moins long de le précédent. Je pensais initialement que ce chapitre 7 aurait dû clore l'histoire, mais voilà, les choses ont pris plus de temps que prévu, notamment pour scénariser un déroulement à peu près crédible, compte tenu du fait que mon plan de départ a volé en éclat avec le chapitre 5. Au départ, le devin devait avoir un rêve qui le faisait paniquer et le pousser à retourner voir le Monolithe dans la glace. Et il découvrait à la place un cratère volcanique. Cette fin me permettait de jouer avec l’ambiguïté du fantastique: avait-il rêvé les "voix" et la chaleur autour du Monolithe annonçait-elle l'irruption ou s'agissait-il toujours de phénomènes surnaturelles? Pour ma part, je regrette le fait d'avoir perdu cette ambiguïté avec cette nouvelle fin, mais celle pour laquelle j'ai du coup opté fait davantage basculer l'histoire dans la dimension du mythe et de la destinée.

Certaines séquences sont assez anciennes, notamment celle où on découvre le Monolithe Rouge qui avait été la première écrite pour replacer le Chant des Pierres dans le Rêve d'Ether et qui me parait être un moment fort du chapitre. J'avais donc un "blanc" entre la séquence de l'incendie et celle-là. Une partie a achevé le chapitre précédent et le reste se trouve ici.
J'ai quelques interrogations en ce qui me concerne sur deux principaux points:
1- La compréhension des séquences oniriques et les impressions qu'elles provoquent dans la tête du lecteur
2- La crédibilité de l'évolution du personnage du devin
Au final, je retiens que j'ai surtout beaucoup moins peiné à l'écrire que le précédent.

Le prochain chapitre devrait être le dernier, à moins que je sois obligé de le scinder en deux pour des questions de facilité de lecture sur le net... On va dire que tout est écrit au 2/3, mais que le dernier tiers est constitué de blanc que j'ai pour l'instant mis de côté pour ne pas freiner les bonnes dispositions que j'avais pour me replonger dans cette histoire... J'espère vraiment l'achever avant la fin de l'année... Pas forcément évident car je bute assez fort sur ces "blancs" (dont une séquence "action" que je ne sens pas du tout du tout :( )... Je croise en tout cas les doigts pour y parvenir...
Portrait de Vuld Edone
Vuld Edone a répondu au sujet : #20662 il y a 8 ans 1 mois

Le fou désir qui l’avait assailli au début avait totalement disparu. Un immense flot de tendresse s’était déversé en lui et il voulait le lui apporter à ses pieds

C'est là où j'ai décroché.
Pour être plus précis :

A bien des égards d’ailleurs, toutes ces femmes dégageaient une dignité plus grande encore dans l’adversité qui durait maintenant depuis si longtemps

C'est pas possible c'est un texte de propagande à ce stade. J'ai laissé passer ça parce qu'il était à peu près clair que le Chant des Pierres est là pour glorifier la femme, et pourquoi pas. Mais là ça en devient vraiment forcé. Il y a des enfants, il y a des vieillards, mais on félicite uniquement les femmes.
C'est frustrant parce que normalement ça aurait pu passer sans problème. Comme dit, c'est un peu l'esprit du texte et ça sert de transition vers les préoccupations de Reyv'avih, aka Ilda. Mais le "à bien des égards" en fait une parenthèse plutôt qu'une transition. Une transition aurait glissé un vieillard au départ, puis une femme, une autre femme, éventuellement une petite remarque sur un enfant bien brave et encore une femme et là on passe au Devin obnubilé par Ilda. C'est autant une manière de décrire l'état d'esprit du personnage que de glorifier la femme. Dans le fond, pas de problème. Dans la forme, soupir...

Mais bon. Le Devin change encore d'émotion parce que... je ne sais pas bien mais bon. Tout va bien, on parle des absentes, tout va bien, on s'engage dans un rêve, tout va bien, encore un peu de nudité et puis le Devin change encore d'émotion. Plus de désir, seulement de la tendresse, et...
Et je n'arrive pas à suivre. Je comprends qu'il perde toute envie devant quelqu'un qui supplie, soit... mais je m'attendrais plutôt à de l'incompréhension, de la surprise ou que sais-je. Je ne sais pas comment le décrire. Ça me fait penser à un texte biblique où tel personnage soudain a la révélation de je ne sais quoi et se convertit. D'où ça vient ? Comment, pourquoi, d'où, je n'arrive pas à suivre.
Mon problème n'est même pas que sa réaction est incohérente. Elle est cohérente. Il est face au Monolithe, dans un rêve, et il a un peu traversé un maelström d'émotions jusqu'à présent. Je suis prêt à accepter qu'il se prenne un coup de poing mystique. Mais à la façon dont c'est présenté... c'est juste "et là paf tendresse, okay bye". On ne le présente pas comme un coup de poing mystique. À cet endroit du texte il aurait pu ressentir n'importe quoi. De la rage, du désespoir, de la tendresse, de l'assurance, que sais-je. Tout aurait pu passer tant c'est arbitraire.

C'est d'autant plus ennuyeux que d'une certaine manière on est là au coeur du texte. Le dialogue du Devin avec le monolithe. On touche presque à son mystère, au message... et au lieu du message on a juste "paf, tendresse". Plus la moindre chance de s'identifier avec le Devin. La déconnection est totale.
Il manquerait sans doute, là aussi, très très peu de choses pour que ça passe comme une lettre à la poste. Quelques détails pour préparer ce brainwash. Mais ces détails manquent.
Portrait de Zarathoustra
Zarathoustra a répondu au sujet : #20663 il y a 8 ans 1 mois

Mais là ça en devient vraiment forcé. Il y a des enfants, il y a des vieillards, mais on félicite uniquement les femmes..

Je suis assez surpris de ta réaction dans la mesure où tu n'as pas réagi particulièrement quand Hilda a failli se faire violer ou qu'elle ait été battue à mort. Parce que si tu réagis là pourquoi ça te dérangeais si peu avant? Te disais-tu dans les autres chapitres que tous les hommes n'étaient pas comme ceux que je décrivais ou ou tu te disais "Oh la pauvre femme!"?
Est-ce les hommes qui sont violés ou battus à mort autour de toi? Je ne vois pas nécessité d'être "équilibré" parce que la réalité ne l'est pas. Et ce sont les hommes qui conduisent les guerres, qui massacrent à tour de bras (dans ce texte mais dans le monde tout entier depuis la nuit des temps)... Je ne dis pas que les femmes sont toutes des saintes. Mais la majorité des femmes se sacrifient pour donner vie, pour éduquer, pour nourrir sans avoir les mêmes droits de faits... Tu te rends compte que même en France il faut une loi pour qu'il y ait un semblant d'équité et que même avec une loi, on est toujours loin du compte. Alors, non, désolé, ça ne me dérange pas de mettre autant en avant les femmes dans ce chapitre... Que ce soit un peu lourd ou maladroit, pourquoi pas, mais que tu me réclames un traitement équitable entre femmes, enfants et vieillards, je ne comprends pas vraiment où tu veux en venir en fait, d'autant qu'il y a un parti pris depuis le début de cette histoire.

C'est d'autant plus ennuyeux que d'une certaine manière on est là au coeur du texte. Le dialogue du Devin avec le monolithe. On touche presque à son mystère, au message... et au lieu du message on a juste "paf, tendresse"

.
On va dire que je suis d'accord que c'est un peu too much. Seulement c'était déjà plus que patent dans le précédent chapitre. Je dirais qu'il y a là comme un résultat logique d'une équation. Ce devin en a vu de toutes les couleurs. Il n'a jamais rien compris, surtout à ce qui lui arrivait depuis le début. Il a même tout fait de travers. Accessoirement, la tendresse n'est pas l'amour. Pose-toi la question de ce qui lui arrive vraiment qui relie justement le premier grief avec celui-ci. C'est comme ça que tu résoudras véritablement le message du monolithe qui n'est pas ce réducteur "et paf, tendresse". Mais tu aussi raison.
Pour ce qui est de la forme, le rêve est bof et toute cette première séquence du début ne me parait pas très réussi, je te l'accord, je pense que c'est la partie qui est la plus faible du chapitre. Donc, en soi, tu as raison aussi. Tu as encore plus raison quand à mon traitement de la séquence avec le monolithe du rêve qui devrait être beaucoup plus évocatrice, à dire vrai, elle souffre clairement d'un manque de travail de ma part, comme si je m'y étais désintéressée. Donc c'est certainement davantage cet aspect que tu as ressenti si fort.
Par contre, la séquence juste après me parait apporter ce qui fait défaut ici, parce qu'elle m'a spontanément plus intéressé à travailler. Mais je n'ai malheureusement pas réussi à (ou eu envie de) faire la séquence d'entrée de chapitre sur le même registre.

Plus la moindre chance de s'identifier avec le Devin. La déconnection est totale.

Là, je ne suis pas d'accord. Parce que, réponds en toute honnêteté, t'es-tu identifié une seule seconde à ce devin? Ce changement me paraissait nécessaire parce que , même avec moi, il n'y avait plus de connexion avec lui depuis le chapitre 5. Cette résolution du message du Monolithe te déçoit peut-être mais moi, au contraire, ce personnage m'intéresse soudain plus parce que la révélation qu'il a résout le mantra et je trouve au contraire qu'il y a un peu plus de profondeur au contour de la vision que tu vois (sauf à me tromper). Bref, je pense (ou pensais) que ce personnage était de toute façon perdu pour le lecteur en termes d'identification. Sauf qu'ici, il refonctionne en humain, et je pense qu'on peut à nouveau le comprendre et que tout ce qu'il a déjà vécu donne une autre dimension à cette tendresse qui t'hérisse le poil, parce qu'elle vient aussi du chaos qu'à traverser ce personnage. Mais comme je l'ai dit en intro, je ne suis pas complètement satisfait de la brutalité du changement... Pourtant, je me dis qu'il ne peut être que brutal...

Bref, ce que tu soulignes me semble très pertinent parce que je n'étais pas franchement certain d'avoir été à la hauteur (et n'ai pas forcément cherché à l'être malheureusement). C'est certainement ce manque de travail qui fait que le fond du texte ne passe pas. Je ne pense pas le changer, mais effectivement plus à revoir comment le faire mieux passer. Parce que, pour l'heure, comme je te l'ai dit, j'ai voulu résoudre le mantra sans l'expliquer. Le changement qui s'opère dans le devin est le fruit de cette résolution.
Portrait de Vuld Edone
Vuld Edone a répondu au sujet : #20664 il y a 8 ans 1 mois
Je n'ai pas le choix de m'identifier au Devin. C'est un mécanisme automatique durant la lecture. Après il y a une question de "distance", on s'identifie plus ou moins. Plus nos réactions, face au texte, sont proches de celles du personnage, plus l'identification est forte. Il est possible de s'identifier à un personnage sans personnalité, ou à un personnage à la personnalité opposée à la nôtre. Le texte facilite plus ou moins cette identification et bref.
Dans ce cas-ci, parce que la tendresse vient de nulle part, je n'arrive vraiment pas à partager ce sentiment. Je ne dis même pas le ressentir, je suis plus ou moins insensible, mais... je n'arrive même pas à imaginer d'avoir ce sentiment dans ces conditions. Pas comme c'est présenté. Rationnellement j'arrive à comprendre qu'on y arrive mais... oui, pas comme c'est présenté.

Ce sont vraiment des questions de forme, et purement de forme. C'est plus l'impression d'avoir sauté deux paragraphes qu'autre chose, finalement. Tu sais, tu regardes un film et soudain on saute dix secondes sans explication et tu te rappelles que c'est un film avec des acteurs. Tu sais plus ou moins ce que devait contenir la coupure de dix secondes mais voilà... tu as décroché.
Portrait de Zarathoustra
Zarathoustra a répondu au sujet : #20665 il y a 8 ans 1 mois
Encore une fois, je comprends quelque part ta réaction sur parce que cette évolution aurait été planifiée par mes soins dès le départ, j'aurais certainement fait autrement. L'autre point est sémantique. J'ai voulu mettre en scène quelque chose sans employer le bon terme parce que la constance de ce personnage est de ressentir les choses plus que de les comprendre. Le mot "tendresse" te fait court-circuiter. Bon, OK. Mais remplace le mot par "compassion" et j'espère que la logique du personnage sera plus claire.

Plus nos réactions, face au texte, sont proches de celles du personnage, plus l'identification est forte. Il est possible de s'identifier à un personnage sans personnalité, ou à un personnage à la personnalité opposée à la nôtre.

Je suis d'accord, mais je ne comprends pas comment tu pouvais t'identifier à lui avant ou le comprendre. Peut-être le fait qu'il ne comprenait rien à rien et qu'on le voyait débattre dans sa folie finissait par te le rendre sympathique? Ca, j'aimerai bien le savoir parce que c'est un point qui m'intéresse.
Ce personnage pouvait à ce stade et à mon sens évoluer dans 2 directions:
1- La Folie: franchement, même si on aime bien faire passer la noirceur pour de la profondeur, je crois que cela aurait gini en quelque chose de trop caricatural... Encore une fois noirceur n'est pas profondeur. De toute façon, c'est un texte qui a déjà pas mal de noirceur....
2- La révélation mystique. J'ai fait le choix de cette direction pour sortir de l'impasse dans lequel allait le personnage. Je ne voulais pas de la folie. Le lecteur a toujours raison et l'auteur aussi. Je te donne mes raisons mais tu as raison de ne pas accepter cette évolution parce que c'est certainement moi qui ait mal fait le boulot pour que tu l'acceptes.

Dans ce cas-ci, parce que la tendresse vient de nulle part, je n'arrive vraiment pas à partager ce sentiment.

Pourtant, elle vient pas de nulle part, elle était déjà latente dans le chapitre précédent. Et, encore une fois, elle a sa logique. Pourquoi ce personnage allait si mal? Parce qu'il refusait de se comprendre. Depuis le début, c'est une constante. Dans le chapitre 4, il a déjà un rêve et il le comprend déjà de travers. Quelque part, il refuse de voir les évidences. S'il va si mal, ce n'est pas une fin en soi. Si un tel 'humain va si mal, d'après toi pourquoi? C'est son corps et son esprit qui essaient de lui dire des choses. Bref, soit il finit par les entendre, soit il disjoncte complètement, direction dépression ou folie... Bref, pour moi, il y a une logique et elle ne vient pas de nulle part.

je n'arrive même pas à imaginer d'avoir ce sentiment dans ces conditions. Pas comme c'est présenté. Rationnellement j'arrive à comprendre qu'on y arrive mais... oui, pas comme c'est présenté.

Encore une fois, remplace "tendresse" par "compassion" et je pense que rationnellement cela devrait mieux fonctionner.
On va dire qu'effectivement ma mise en scène ne permet pas de tout comprendre. L'idée, c'est que le devin.vit à travers le rêve une révélation. Cette révélation est à la fois personnelle et spirituelle, on va dire, et j'ai bien compris que c'est ce qui cloche pour toi.
Ici, il accepte enfin de vivre avec ses émotions. Il arrête de refuser de les voir ou de les vivre. Mais surtout il arrête d'être autocentré, il s'ouvre sur l'autre. Et là, d'un coup, il ne voit plus ses petits problèmes à travers sa petite personne, mais il voit large et voit tout son peuple. Et cette tendresse qu'il ressent lui donne justement accès à la compassion à son égard. Voilà comment je vois les choses. J'espère que ça t'aidera à "comprendre" ce personnage qui ne peut se comprendre.

La révélation est aussi à ce stade métaphysique en quelque sorte. C'est ce que je ne voulais pas expliciter dans la scène. Le texte essaie de résoudre le Mantra, ce qui correspond en même temps au changement du personnage. Le personnage n'est pas en mesure de "comprendre" tout ce qu'il vit, il ne peut que le ressentir..C'est au lecteur de comprendre ce que signifie "être un tout" dans le Mantra. Ta réaction montre d'ailleurs que tu as perçu la réponse mais que tu la refuses dans ta tête.

La contribution du rêve a certainement quelque chose de décevant pour le lecteur dans ce contexte précis. Mais il est possible que, remis dans le contexte du Rêve d'Ether (tel que je le conçois), cela ne fasse pas autant parachuté de nulle part, parce qu'on retrouvera d'autres tentatives du Géant d'influer le monde qu'il a rêvé pour qu'il n'aille pas à sa perte (la perte ici, signifiant qu'il en perde définitivement le contrôle avec une réflexion sur le déterminisme et la liberté en quelque sorte ainsi que sur la dualité rêve et réalité). Et cet enjeu métaphysique, je le relance juste après où tu t'es arrêté et revient au premier plan. le "Sauve-moi" du rêve y trouve ainsi une double résonance, ce qui le rend aussi moins gratuit.
Portrait de Vuld Edone
Vuld Edone a répondu au sujet : #20666 il y a 8 ans 1 mois

(Pour la mise en forme, moi pas aimer le texte gros.)

Tout d'abord, rappelle-toi que la littérature différencie "identification" et "sympathie". L'identification, c'est en quelque sorte la focalisation, c'est le biais par lequel le lecteur va aborder le texte. En gros, imagine que le lecteur est un acteur de théâtre qui doit jouer tous les rôles. Un personnage parle, c'est lui qui le fait parler. L'identification, c'est la facilité avec laquelle il l'interprète, indépendamment de ce qu'il pense du personnage.
La sympathie, c'est la réaction du lecteur face au personnage (ou à toute information). En général un personnage auquel on a du mal à s'identifier va laisser indifférent, pas d'identification => pas de sympathie. Mais pas de sympathie ne signifie pas qu'on n'arrive pas à s'identifier. Imagine Kevin le chevalier qui va tuer le dragon, quand il dit à son groupe "allez on part !" tu n'as aucun mal à savoir ce qui le motive, à imaginer comment il le dit, etc... mais avoue que niveau sympathie on préfèrerait s'intéresser au tavernier.

Dans le cas du Devin, il m'est sympathique parce qu'il est victime d'une tragédie, une fois encore, au sens littéraire. Dans un cadre fantastique, on dirait qu'il est victime d'un phénomène surnaturel, et le statut de victime rend forcément sympathique. Sûr, ça le rend méchant, mais on sait pourquoi et c'est suffisant. Au-delà du cadre fantastique, on le voit prisonnier de sa propre logique (et de ses émotions) et plus ou moins emporté par des événements qu'il a déclenchés et qu'il ne contrôle plus.
Donc oui, c'est une raclure mais qui sait avoir tort, et ça ça aide.
Et comme dit, on arrive à comprendre ce qui le motive, comment il en est arrivé à faire ce qu'il fait, donc l'identification ne pose aucun problème. Jusqu'à ce qu'il se mette à éprouver de la compassion.

Alors ce n'est plus très productif d'en débattre mais il faut se remettre en situation :

Je suis Ilda, je suis toutes les femmes que tu aimeras, je suis toutes les femmes dont tu rêveras ici et ailleurs, hier et demain, je suis le rêve d’une vie, je suis le rêve de mille vies, je suis le rêve de toutes les vies.

Là ce passage ne demande pas de la compassion, ce passage demande de mettre des lunettes, de tamiser la lumière et de fumer la pipe en lisant des textes anciens. Là le texte pose une énigme, et tant que je n'aurai pas pu résoudre l'énigme, je ne risque pas de sentir de la compassion parce que je ne saurai toujours pas de quoi cette femme / monolithe parle. C'est un peu beaucoup difficile d'éprouver de la sympathie pour un cryptogramme.
Et c'est même ça l'ironie. Elle aurait pu dire tout ça, puis lancer "tu ne sais toujours pas qui je suis !" en forme de plainte pour résoudre le problème. Soudain le texte signale "eh, oublie l'énigme, concentre-toi sur la pitié" et ce serait même une raison pour lui d'éprouver de la compassion, au-delà de sa réelle motivation : il, ou le lecteur, ne sait effectivement toujours pas qui elle est, malgré six chapitres. Il y a effectivement de quoi se plaindre et se sentir misérable.
C'est aussi pour cela que, précédemment, je proposais d'introduire la compassion comme un "coup de poing mystique" : parce que c'est mystérieux. On a mis le lecteur face à un premier mystère, et on le met soudain face à un second. D'où déduction que la compassion est un clé pour savoir qui elle est (vu que le Devin a compris) et, inversement, savoir qui elle est expliquera la compassion. Tout rentre dans l'ordre.

Imagine que tu es dans un de mes textes, en train de suivre un personnage en forêt et là, sur le bord du chemin, un de mes démons est assis à ne rien faire. Le personnage l'aborde et le démon lui dit :
"Sauve-moi. Ils vont me tuer. Ils sont en train de me tailler en pièces. Je souffre chaque jour, je n'arrive pas à crier. Ils vont me tuer, sauve-moi je t'en supplie."
Le tout sur un ton monocorde, désintéressé, assis à ne rien faire. Et là le personnage ressent brutalement de la compassion comme jamais. Pourquoi ? Tu ne peux pas le savoir si tu ne sais pas que ce personnage a passé là son enfance et que le démon parle pour la forêt.
Ton personnage y met du pathos, mais la situation est la même. Si tu n'as pas résolu l'énigme qu'elle pose, tu ne peux pas vraiment partager la compassion du personnage qui, lui, contrairement à toi, a réussi à comprendre. Et tu bloques.

Je bloque d'autant plus, dans le cas de la femme nue, qu'on est une fois encore un peu beaucoup au coeur du texte.
Portrait de Zarathoustra
Zarathoustra a répondu au sujet : #20667 il y a 8 ans 1 mois

Dans le cas du Devin, il m'est sympathique parce qu'il est victime d'une tragédie, une fois encore, au sens littéraire. Dans un cadre fantastique, on dirait qu'il est victime d'un phénomène surnaturel, et le statut de victime rend forcément sympathique. Sûr, ça le rend méchant, mais on sait pourquoi et c'est suffisant. Au-delà du cadre fantastique, on le voit prisonnier de sa propre logique (et de ses émotions) et plus ou moins emporté par des événements qu'il a déclenchés et qu'il ne contrôle plus.

OK. Je pensais pour ma part l'avoir un peu trop surchargé... C'est seulement quand son désir charnel se transforme en véritable amour que je me suis réinteressé à lui.

Je suis Ilda, je suis toutes les femmes que tu aimeras, je suis toutes les femmes dont tu rêveras ici et ailleurs, hier et demain, je suis le rêve d’une vie, je suis le rêve de mille vies, je suis le rêve de toutes les vies.

Là ce passage ne demande pas de la compassion, ce passage demande de mettre des lunettes, de tamiser la lumière et de fumer la pipe en lisant des textes anciens. Là le texte pose une énigme, et tant que je n'aurai pas pu résoudre l'énigme, je ne risque pas de sentir de la compassion parce que je ne saurai toujours pas de quoi cette femme / monolithe parle. C'est un peu beaucoup difficile d'éprouver de la sympathie pour un cryptogramme.

J'ai hésité à mettre cette phrase. Elle a du sens, j'aime son côté énigmatique. Mais elle a aussi un côté esthétisant qui me dérange. En l’occurrence, elle peut effectivement tout dire et rien à la fois. Pour tout te dire, ce rêve, c'est effectivement une sorte de fusion spirituelle avec le monolithe qui se fait à travers le corps de la femme. Et dans cette trajectoire, le devin rencontre sa féminité. Il devient un tout. Et c'est cette révélation de sa part féminine qui lui donne accès à la compassion. Donc quand tu t'es agacé sur l'insistance des femmes sur cette séquence, je pense que tu l'as plus ou moins pressenti inconsciemment.
Que le lecteur s'arrête au fait que le devin vit ainsi par procuration son amour me suffit.J'ai aussi conscience que j'ai mis des choses qui n'ont pas vraiment leur place si on n'a pas tout le contexte du Rêve d'Ether. Je crois que tu as déjà aussi rencontré cette difficulté.

Mais vu l'importance de cette séquence, j'aurais dû la bosser davantage. Mais j'aimais bien aussi qu'elle reste mystérieuse, que le lecteur soit libre aussi de voir ou ne pas voir tout ce que je voulais y mettre. Je sais pour ma part que j'aime quand tout n'est pas forcément clair, que le sens reste ouvert. Moi, ça ne me dérange pas en tant que lecteur. Par exemple, j'apprécie cet aspect des films de David Lynch. Tout n'est pas défini, ça flotte un peu dans ma tête mais j'y trouve des résonances qui me parlent. Mais je sais aussi qu'il horripile beaucoup de monde pour cette raison.
Portrait de Vuld Edone
Vuld Edone a répondu au sujet : #20849 il y a 7 ans 11 mois

Au détour d’un soubresaut de dune vespérale, le paysage qui surgit devant les yeux du groupe de vuldoniens fraîchement débarqué en Lisonge sauta à la gorge de Gisère, le magicien.

"Le paysage, au détour d'un saubresaut de dune vespérale, à peine surgi aux yeux des vuldoniens fraîchement débarqués en Lisonge, sauta à la gorge de Gisère, le magicien."
Non, peu importe comment je le tourne, l'information contenue empêche de maintenir le lien entre "le paysage" et "sauta". J'ai plus souvent l'impression, malgré l'accord, que c'est le groupe de vuldoniens qui saute à la gorge de Gisère.
"Le paysage de Lisonge, au détour d'un soubresaut de dune vespérale, surgit aux yeux des vuldoniens et sauta à la gorge de Gisère, le magicien."
Mieux... mieux mais pas forcément le sens que tu voudrais. Mais mieux, en tout cas pour suivre la phrase.
J'ai une théorie là-dessus, qui serait que "paysage" et "sauter" sont trop génériques, ont trop peu d'information (d'intérêt) par rapport à toutes les autres informations alentours ("dune vespérale", bien plus détaillé, "groupe de vuldoniens" et "Lisonge", autrement plus instructif)...
Mais bref.

Pourtant, malgré toutes ces affres, il restait là, dressé devant vous, défiant la logique des hommes par sa couleur surnaturelle

Le "vous" est dérangeant. Adresse au lecteur qui ne se justifie pas.

Et c’était bien cette sourde résignation à toujours exister quand tout avait été mis en œuvre pour le terrasser qui vous remuait le cœur à vous dégoûter d’exister vous-même.

La tournure impersonnelle passe bien mieux ici. Pas mal d'explications possibles, dont la masse de "vous" mais même là, sauf volonté d'auteur, je conseillerais d'user de "qui remuait les coeurs jusqu'à dégoûter d'exister soi-même". Il faut voir qu'ici le "vous" touche moins au lecteur qu'à Gisère.

Le magicien regardait depuis de longues minutes ce qui jadis avait été un temple.

Oui. Oui, effectivement. Le paragraphe précédent me l'avait laissé entendre.

ce seul homme s’apprêteraient à les faire disparaître à jamais par sa seule volonté lorsqu’il libérerait cette vieille et terrible damnation oubliée de tous, un homme qui sentait pour l’heure en lui une effroyable appréhension grandir au fur à mesure qu’il se remémorait

Wow wow wow wow. Doucement.
Est-ce qu'il fallait vraiment continuer la phrase après "oubliée de tous" ? Ou plutôt, s'il fallait la continuer, ne pouvait-on pas faire une meilleure transition ? "... damnation oubliée de tous, plus terrible que / mais peu de choses face à l'effroyable appréhension qu'il sentait grandir pour l'heure..."
La phrase se concentre sur la damnation, qui est quand même une information importante, pourquoi brutalement revenir à l'homme ? Si c'est le but, pourquoi alors parler de l'appréhension et pas de l'homme ? Parce que c'aurait été un bon contraste, un simple homme, fétu de paille face à la puissance qu'il s'apprête à délivrer. Mais non, la phrase ne s'intéresse pas à ça.

il sentait une véritable ivresse à les prononcer et à voir autour de lui tous ces visages s’ouvrir à une forme de joie encore plus belle que

Pensée personnelle, et ça doit se sentir dans mon brouillon d'Attalheim (ou peu importe comment j'ai appelé cette ville) mais cette foule est... monolithique.
Non vraiment, là il dit plus ou moins "ouais j'ai dit ça hier mais aujourd'hui j'ai changé d'avis", je ne sourirais pas exactement. Possible que la majorité veuille l'entendre, mais je m'attendrais aussi à de la résistance, ne serait-ce que pour ceux qui s'étaient convaincus que c'était nécessaire afin de supporter les souffrances. Ceux-là ne doivent pas aimer s'entendre dire qu'ils ont tort.
J'ai toujours eu un peu ce problème avec les peuples qu'ils forment un et un seul personnage, plutôt que des milliers. Mais enfin bref.



Je vais sembler un peu étrange, mais vers la fin ton texte devient trop... logique.
C'est au fond la même conclusion qu'à la fin du chapitre précédent : la vaste marche d'un peuple mystique est soudain rendue concrète et cernée dans un monde plus réel, plus solide. La passion le laisse au calcul, des questions bien éloignées de celle de la destinée.
Et cela fait perdre du charme à l'histoire.
Après, ça lui donne du réalisme, et c'est tant mieux de voir des généraux capables de ne pas se laisser emporter. On sent tous les acteurs à la hauteur des défis. Ce n'est juste plus exactement le même ton, ni le même enjeu.

Et pour le reste... eh bien, c'est du Devin. Un peuple peut-être trop monolithique mais il reste suffisamment nuancé et en soi les événements sont suffisamment simples et nombreux pour convaincre.
Portrait de Zarathoustra
Zarathoustra a répondu au sujet : #20852 il y a 7 ans 11 mois
C'est un chapitre à dire vrai pour lequel je n'ai pas de grandes affinités. Je dirais que j'ai essayé de faire le job du mieux que je pouvais, sans y trouver une grande passion. Mais, au moins, l'écriture avait été simple, contrairement au précédent. Le seul passage qui m'a intéressé à écrire était de réécrire une nouvelle description de monolithe qui ne soit pas semblable aux précédentes. C'est d'ailleurs le premier truc que j'avais écrit. Il date d'il y a 4 ou 5 ans, le reste a dû être écrit cet été.

J'ai toujours eu un peu ce problème avec les peuples qu'ils forment un et un seul personnage, plutôt que des milliers. Mais enfin bref.

C'est marrant mais moi aussi. Quand je lis une histoire, c'est vraiment un truc qui me dérange que de voir soudain un troupeau de moutons à la place individus.J'avais l'impression cependant qu'on ressentait une identité forte de ce peuple, qu'il gagnait une sorte de dignité à être traité ainsi...:huh:
Sur la forme, je pense que tu as raison mais, d'un autre côté, c'est également nécessaire car l'histoire bascule sur la destinée de tout un peuple. Donc j'ai essayé qu'on le sente. Donc oui, j'ai essayé d'une certaine mesure à ce que le peuple des yhlaks soit ressenti comme un personnage à part entière. Ah oui, je me rappelle que c'est aussi l'autre truc qui m'avait intéressé de faire dans ce chapitre, surtout dans la mesure où, dans la seconde moitié, les destins individuels se taisent et sont, pour ainsi dire, en place.

Je vais sembler un peu étrange, mais vers la fin ton texte devient trop... logique.

C'est aussi mon impression (et qui fait que je me suis un peu ennuyé à l'écrire). Le fait est aussi que je voulais montrer que ce qui arrivait était.. logique. Tout du moins crédible, alors qu'en soit, je n'avais pas visualiser que mon plan n'était pas logique. Je les voyais se rendre sur l'île sans se poser de problème, ils envahissait la ville, piquaient les bateaux et pis voilà. Donc effectivement, pour une fois, j'ai essayé de travailler le scénario, si possible en m'évitant une scène de combat fort inutile. Le fait également de réintégrer cette histoire plus cœur du Rêve d'Ether m'y a permis dans la mesure où le monde est un peu plus développé et pensé.
Ma crainte, en fait, était justement d'écrire une histoire tirée par les cheveux et inintéressante et qu'on aurait trouvé prétexte. In fine, ça l'est un peu, mais dans le contexte plus global du Rêve d'Ether, ça l'est assez peu. J'espère en tout cas qu'on ne s'attend pas exactement à un tel déroulement.Et je n'ai pas voulu alourdir avec des faux rebondissements qui auraient rallongé inutilement la sauce (ce qui est très facile: un groupe d'individu est en désaccord et essaie de prendre d'assaut les cnons pour couler les navires etc. ce genre de trucs). Pour la part, quand je lis, je sens quand c'est rajouté exprès pour créer un pseudo suspense... qui en l'occurence est totalement étranger à la véritable histoire et à l'enjeu final.
Bon, on va aussi dire que j'ai voulu me prouver que je savais toujours scénarisé une histoire. Depuis que j'écris vraiment, je ne crois pas vraiment avoir produit des choses pour lesquelles le scénario nécessite d'être bétonné. Du coup, j'ai voulu montré que je n'étais pas que bon à faire des portraits intimistes ou des scènes de viol... ;)

Donc je dirai que ta remarque montre qu'effectivement, j'ai fait le boulot... Maintenant, je suis d'accord avec ce que suppose ton sous-entendu, il manque un peu de surprise ou de grain de sable. Idéalement, j'aurai dû insérer une scène "intimiste" Lonstroek/Vyréhel pour relancer la dynamqiue de leur relation. Là aussi, j'ai pas voulu délayer trop et je n'ai pas été non plus inspiré.

Et cela fait perdre du charme à l'histoire.
Après, ça lui donne du réalisme, et c'est tant mieux de voir des généraux capables de ne pas se laisser emporter. On sent tous les acteurs à la hauteur des défis. Ce n'est juste plus exactement le même ton, ni le même enjeu.

Ah, tu trouves que l'histoire avait un certain charme jusqu'à présent? J'avais toujours cru qu'elle t'agaçait parce que tu ne voyais pas les enjeux...;)
Oui, d'accord également. Je dois t'avouer que ce n'est plus du tout la fin que j'avais initialement prévu. Et puis, il s'est écoulé 5 ans entre ces 2 chapitres et le chapitre 5. Je crois que je ne suis plus tout à fait le même, tant dans ma façon d'écrire et dans mes motivations pour poursuivre l'histoire. Je pense que cela se sent déjà dans le précédent chapitre.

Le seul point vraiment important ici, ce serait qu'on sente vraiment la logique de la destinée se mettre en place. Et c'est là où je pense qu'il faut commencer à visualiser les yhlaks en tant que peuple et non plus autour d'une poignée d'individus. J'aurais tout écrit avec cette fin en tête, je pense que j'aurai procédé différemment. Mais pas sûr que j'aurais réussi à trouver les scènes auxquelles je suis maintenant le plus attaché.
Ca t'est déjà arrivé d'écrire dans cet esprit, à savoir que tu avais l'impression de faire le job, mais sans ferveur particulière? Que le résultat final te laisse un peu indifférent?
Portrait de Vuld Edone
Vuld Edone a répondu au sujet : #20858 il y a 7 ans 11 mois
Oui, plusieurs fois. J'ai écrit des textes pour écrire le texte, et ce sont des textes que je ne relis plus. "Impossible" est de cet acabit, je m'étais forcé pour le RdM.

Je pense qu'à l'époque, j'avais l'impression d'un texte arbitraire et trop tourné sur les sentiments. Forcément, mes préférences qui parlent... L'impression qu'on n'arriverait jamais nulle part et que tout n'était qu'une excuse pour un triangle amoureux.
Les chapitres plus récents, sans même les conclusions assez techniques -- où effectivement tu fais le café -- donnent vraiment une destination, une place aux Yhlaks et une certaine activité de leur part. Les personnages n'ont plus le loisir de juste se disputer entre eux.
Mais le plus grand attrait du Devin n'est pas les personnages -- ça c'est l'Ether -- l'attrait est dans le charme des décors et des inspirations. On se laisse emporter par ce que les personnages ressentent. Le texte a ce côté contemplatif où vraiment on regarde des mosaïques d'émotions.

D'où sans doute aussi le désagrément des scènes d'action qui brisent cette ambiance. À l'époque on avait parlé de comment réussir des scènes d'action dans l'absolu -- une sorte de solution passe-partout, des techniques qui fonctionnent dans tous les textes.
Peut-être que la bonne question aurait été comment réussir des scènes d'action contemplatives. Oublier la tension de savoir si Loenstroeck va s'en sortir ou pas et juste se concentrer sur le maelstrom de ressentis. Réussir à peindre tout ce qui se passe en ces instants.
La description du temple y arrive bien -- un peu insistante, mais très expressive (et sans détours).
Portrait de Zarathoustra
Zarathoustra a répondu au sujet : #20860 il y a 7 ans 11 mois
Effectivement, écrire une sorte de scène d'action contemplative... un joli défi à tenter! Terrence Malick au cinéma arrive à le faire assez bien. Mais j'ai peur que ce soit très difficile. Déjà quand je parles émotions, pensées, dans une scène de bataille ça ne passe pas trop... Mais un vrai défi littéraire.

La description du temple y arrive bien -- un peu insistante, mais très expressive (et sans détours).

Oui, de mémoire, j'en ai un peu fait trop. Mais j'ai voulu pousser le truc le plus possible pour voir jusqu'où je pouvais aller, mais c'est aussi le moyen que j'ai trouvé pour ne pas m'appesantir sur les émotions des vuldoniens...

Le texte a ce côté contemplatif où vraiment on regarde des mosaïques d'émotions.

En fait, j'ai bifurqué dans mon histoire aussi parce que je ne me voyais pas refaire une seconde scène d'affrontement entre Lonstroek et Reyv' qui soit à la hauteur de ce que j'avais sans doute suscité avec le premier. Disons que cela aurait été redondant et il aurait fallu trouver une mise en scène, de nouvelles situations que je n'ai pas trouvé.
Et puis, depuis le début, l'histoire s'est écrite de chapitre en chapitre. J'avais une trame avec son dénouement mais j'ai eu besoin de développer mes personnages, de les confronter etc. Ca prend du temps en fait pour que les choses soient crédibles quand on passe d'une émotion à l'autre. Je pensais écrire 3 chapitres, je pense en avoir besoin de 8 sachant que le 6eme compte un peu double et que j'ai peur que le 8 soit aussi très long... D'oû peut-être un 9eme pour faciliter la lecture mais j'ai peur qu'il ne fasse qu'épilogue quant à son contenu, donc un truc un peu inutile...Je rassemble actuellement mes dernières idées (ou plutôt j'attends qu'elles viennent :whistle: )