Etoiles inactivesEtoiles inactivesEtoiles inactivesEtoiles inactivesEtoiles inactives
 

LE PROFESSEUR (ou le Silence des mots)

 

Je suis Professeur de Physique Chimie. Je vous dis ça non pas pour vous aider à comprendre l’histoire qui va suivre, au contraire, je pense que vous devriez plutôt l’oublier au plus vite pour ne pas vous induire en erreur, mais pour que vous sachiez qui je suis et comment je fonctionne. Vous comprendrez que j’ai l’habitude de me méfier de mes sens et à chercher à la place des faits incontournables, ou plutôt des relations de cause à effet dans tout ce qui m’entoure pour me permettre de comprendre notre monde. Oui, j’adore ça, je suis même fait pour ça. Autant vous dire que j’aurais toutes les raisons du monde pour ne pas croire à l’histoire que je vais vous raconter. De même qu’il ne faut pas tenir compte du fait que mon fils de huit ans soit mort trois jours avant. Aussi cruel pour lui que cela puisse paraître, cela ne servira également à rien de chercher un lien de cause à effet dans mes réactions. Absolument à rien. Il faut vraiment que vous cherchiez ailleurs, là où mon cerveau n’a pas, lui, l’habitude de chercher. C’est à cette unique condition que j’accepte de vous confier mon histoire.

Avant de commencer, j’aimerais savoir si vous avez déjà entendu ce que j’appellerais le silence des mots. Non, pas ces silences qui nous séparent et qui ne sont qu’une absence de mots somme toute banale. Ni le silence quand les mots sont trop gros pour sortir de nos bouches, qu’ils nous emplissent tout entier et qu’ils restent en nous jusqu’à nous ronger lentement, comme le ferait sur les restes d’un os un fauve affamé. Ni encore quand il ne semble plus exister de mots pour dire certaines choses, alors qu’il suffirait d’un regard, d’un souvenir pour que ceux-ci contiennent plus de réel que tout ce qui nous pourrions justement en dire.

Non, en fait, même si je crains de vous ennuyer avec tout ça, je parle bien ici du silence des mots quand on les entend et qu’ils nous parlent mais dont on sent qu’ils n’ont plus le cœur à la tache ou qu’ils ont peur de ce qu’ils impliqueraient. Je suis sûr que vous comme moi avons été confrontés à ces silences sans même nous en rendre compte parce qu’il est tellement plus simple d’écouter encore et toujours les mots, même quand ils veulent se taire. On les écoute mais, en fait, on ne veut pas les écouter. Combien de fois avez-vous eu l’impression qu’ils étaient un peu comme l’image d’un miroir ? Il y a la réalité et le reflet de cette réalité. Et parfois, le reflet est plus important que la dîtes réalité. Et pour le silence des mots, c’est pareil.

Mais bon, je m’égare et vous auriez aussi raison de dire que toutes ces considérations n’ont certainement rien à voir avec mon histoire. Pourtant, ce qui suit pourrait bien être exactement ça, le simple reflet d’un miroir, une illusion plus vraie que la réalité. A dire vrai, dans tout ce que vous lirez, j’ignore même ce qui fait partie du réel et de l’illusion.

Au fait, j’ai dit que j’étais Professeur ? Oubliez-le ! Je ne le suis plus. Depuis qu’il m’est arrivé cette histoire, j’ai démissionné. J’en suis à un point où je ne sais plus quoi ou qui croire. Et c’est là où j’aurais besoin de vous pour savoir si je ne suis pas soudain devenu fou d’avoir accepté tout ce qui m’est arrivé, jusqu’à remettre en cause toutes mes croyances les plus profondes. Mais à dire vrai, en fait, j’attends exactement ça de vous. Oui, j’attends que vous me disiez que je suis complètement fou. J’ai besoin de vous pour le croire. Et surtout je me dis que, pour vous, cela sera certainement mieux ainsi.

 

La journée qui me hante depuis si longtemps avait pourtant tout pour me réjouir. C’était une belle journée de printemps, où les feuilles des arbres resplendissent au soleil dans un ciel lumineux. Je me souviens parfaitement du magnifique feuillage de l’érable du Japon du voisin. Ses teintes bordeaux mitoyennes à celles des différents verts du saule et du cyprès résonnaient avec le jaune profond du parterre de jonquilles à leurs pieds et offraient comme un point d’ancrage à mon regard du matin quand j’ouvrais mes fenêtres. Il faut dire que mon voisin était particulièrement soigneux tant sur sa pelouse, sur son jardin que sur l’entretien de ses arbres. En fait, j’en faisais même un petit rituel. Je me plaçais devant la fenêtre close, j’attendais quelques secondes, je l’ouvrais, puis laissais d’un coup entrer la lumière d’un vaste geste pour écarter les volets. Et, immédiatement, mes yeux recherchaient l’arbre, comme s’il avait pu disparaître dans la nuit. Et il y a peu encore, ce que j’adorais plus que tout, c’était comment cet érable avait dessiné sa silhouette de manières si gracieuse en mélangeant à la fois la fragilité à ce je ne sais quoi d’harmonie déséquilibrée qui me donnait l’impression qu’il me saluait chaque matin avec un p’tit clin d’œil complice.

Sauf que depuis trois jours, je détestais ce spectacle si magnifique et radieux autour de moi. Il n’était pour moi qu’une manifestation cruelle de la nature. Il était en quelque sorte la preuve que rien n’avait changé, que je vivais toujours le même cauchemar, ou plus exactement, que je n’avais pas vécu un rêve. Mon fils était toujours bien mort et plus jamais je ne le reverrais venir à moi pour me dire bonjour avec sa bouille d’enfant. Il n’irait plus à l’école ni ne me raconterait sa journée et les notes qu’il aurait reçues. C’est pourquoi, ces volets, depuis trois jours, j’avais maintenant à chaque fois tant d’appréhension à les ouvrir.

Et bien entendu, ce jour-là, une fois de plus, l’érable continuait toujours de me faire face quand je sortis de la maison. Et par conséquent, je pouvais encore moins m’attendre à ce qu’il se passe quelque chose d’aussi incroyable quelques minutes plus tard. J’avais pris un jour de congé pour régler tous ces derniers tracas administratifs qu’impliquait un décès aussi prématuré, et encore si effrayant pour moi, pour cet être, mon unique enfant, que je chérissais plus que tout au monde. Mon épouse, elle, avait refusé carrément de m’accompagner et préféré aller travailler pour ne pas être confrontée brutalement à ce qu’elle cherchait encore à surmonter. Et je ne la blâmais pas. Personne n’est prêt à affronter une telle tragédie. Avant de regagner ma voiture, je m’apprêtais à chercher mon courrier quand une femme m’interpella en criant.

-          Non, surtout ne bougez plus, vous allez couper le fil !

Je la regardai, surpris, cherchant à comprendre de quel fil elle parlait, quand je vis effectivement, à hauteur de genoux, un fil rouge, à peine moins épais que de la ficelle et aussi souple que celui en soie pour pêcher à la mouche. A deux pas près, je l’aurais franchi sans m’en rendre compte.

La jeune femme se dirigea vers ma boite aux lettres. Elle tenait à la main une espèce de quenouille autour de laquelle elle enroulait le fameux fil.

-          J’espère qu’il n’y aura pas de nœuds…

Je décidai d’enjamber le fil pour la rejoindre. Vêtue d’une robe de coton bleu très claire légèrement froissée, elle avait un physique particulièrement avenant. Une longue coiffure ondulée châtain très claire descendait derrière ses épaules, retenue de part et d’autre du visage par un chouchou en velours violet derrière sa tête. Ses yeux vous regardaient avec des étincelles malicieuses tandis que sa bouche semblait sourire sans sourire. Avec soin, elle cherchait à récupérer le fil qui s’était enroulé autour de ma  boîte aux lettres. Une petite mèche de cheveux pendait de son front de manière charmante et donnait envie de la lui replacer derrière l’oreille.

-          Je peux vous aider ?

-          Non, je vais me débrouiller… Mais je suis toute excitée par ce qui est train de se passer. Vous savez que c’est rare ?

-          De quoi ?

-          De pouvoir voir ces fils…

J’ignorais complètement de quoi elle me parlait. Et c’était à peine si elle m’avait regardé. Quand elle finit par défaire le fil, elle se redressa et sembla enfin comprendre l’incongruité de ses propos et de sa démarche.

-          Mais je ne me suis pas présentée : Louise. Et j’essaie de récupérer ce fil du destin…

Je compris encore moins de quoi elle me parlait. Devant mes froncements de sourcils, elle se sentit obliger de s’expliquer, et je crois que j’aurais préféré ne rien entendre pour ne pas la croire folle, surtout que je n’avais pas la tête à l’écouter. Elle était universitaire en philosophie et en étymologie et elle se passionnait tout particulièrement sur l’étude du thème du destin. J’eus certainement un petit regard condescendant à son égard qu’elle n’eut pas le temps de percevoir car elle interrompit soudain sa succincte présentation.

-          Vite, arrêtez cette voiture, sinon elle va nous rompre notre fil !

Sans trop comprendre ce que je faisais, je courus au milieu de la route et fis geste au véhicule de s’arrêter. Pendant ce temps, je vis Louise encore enrouler méthodiquement autour de sa baguette le plus vite possible le fil, que je n’avais même pas encore touché des doigts, de manière à traverser la rue elle aussi. Je la rejoignis de l’autre côté du trottoir et voulus finalement en savoir davantage sur ce fameux fil du destin qui commençait à m’intriguer.

Elle m’expliqua que la notion de fil se retrouve dans nombre de légendes, aussi bien Nordiques avec celle des Wyrds et des Nones, que latines avec les trois Parques ou qu’en Asie avec le fil qui lie les êtres. Bref, le genre de choses que mon esprit avait en horreur. Mais elle m’expliquait ses recherches tout en continuant de suivre le fil rouge capricieux qui serpentait autour du quartier selon une logique qui m’échappait totalement. Si bien que je la suivais malgré moi et, régulièrement, nous intervenions pour éviter que le moindre accident ne survienne et finisse par le rompre. A vrai dire, j’étais pris par ce jeu curieux autant par le charme si naturel et quasi enfantin de la jeune femme dont la présence m’apportait malgré elle un réconfort. En la côtoyant et en l’observant plus attentivement, je n’étais d’ailleurs plus aussi sûr qu’elle fût si jeune. En tout cas, je n’étais plus aussi sûr qu’elle le fût beaucoup plus que moi. Derrière ses yeux clairs et la douceur de son visage, j’avais perçu quelques traits plus marqués, quelques rides et puis la tonalité même de sa voix avait quelque chose de bien plus grave et posée que ce que l’expression de ses gestes  m’avait laissé penser.

A ses yeux, ce fil paraissait si précieux que le moindre incident autour de nous prenait une tournure quasi dramatique, et cela m’amusait de l’aider et de la sauver de son effroi avec si peu d’efforts. Et elle mettait tant de ferveur dans ce qu’elle racontait que moi-même je finis par trouver passionnants le moindre de ses propos, qui normalement auraient dû être si abracadabrants à mes oreilles. Encore en peu plus loin, on se dépêcha pour éviter que des gens qui s’apprêtaient à descendre d’un bus ne viennent à nouveau mettre en péril notre fil. C’était d’ailleurs celui que je prenais d’habitude  pour aller au travail le matin, sauf qu’il était bien plus rempli qu’en ce milieu de matinée. Au bruit de son démarrage, deux pigeons s’envolèrent sur quelques mètres pour se poser sur un banc vide. Mon fils aussi prenait ce bus un peu plus tard pour aller à l’école. Il s’arrêtait bien avant moi et n’avait pourtant qu’une simple rue à traverser pour s’y rendre… C’est pour ça que nous l’avions autorisé à s’y rendre tout seul. Et jamais je n’aurais imaginé qu’il puisse traverser sans regarder. Mais je crois que vous allez me dire que je m’égare à nouveau…

Ce matin-là, donc, l’allée de châtaigniers était presque déserte. Un peu plus loin, le fil s’était à nouveau entremêlé autour de l’un des immenses troncs d’arbres. A force de l’enrouler autour, la quenouille commençait à vraiment grossir et je me demandai si elle serait assez grande pour l’accueillir entièrement. Louise n’avait pas l’air de s’en préoccuper, elle continuait méthodiquement ces gestes tout en m’expliquant ce qui lui tenait tant à cœur, sans doute ravie d’avoir un auditoire à si bon compte. Tout son visage continuait de donner l’impression de sourire sans que pourtant sa bouche n’en porte le moindre signe. Je crois d’ailleurs que cette étrange impression venait uniquement de ses yeux. Et puis, j’aimais tout particulièrement le son de sa voix, frais, légèrement grave, avec un débit si fluide qu’on aurait dit une chanson.

-          Mais là n’est pas le plus curieux… Ces fils sont normalement invisibles aux humains. En fait, peut-être n’y faisons-nous pas attention et les rompons-nous dans l’indifférence la plus totale… Bref, je n’en sais rien. Mais j’ai découvert que, dans certaines circonstances bien précises, ils peuvent soudain nous apparaître. Et cela ne se produirait qu’une seule fois dans toute notre existence…

-          Et vous croyez que c’est ce jour à tous les deux ?

Elle rougit soudain à ma question. Je ne m’étais pas rendu compte de l’éventuel sous-entendu. Je lui souris de manière à lever tout doute.

-          Je veux dire que c’est curieux. Vous apparaissez soudain devant moi et tout le monde autour de nous voit ce fil. Et seuls vous et moi nous en préoccupons. Vous ne trouvez pas ça incroyable si ce que vous dîtes est vrai ?

A nouveau elle me fixa du même regard, mais sans la rougeur. Je vis cette petite ride qui lui barrait le front et qui lui donnait soudain un air plus grave et plus âgé. Je saisis une fois de plus ma maladresse. J’avais émis un doute, là où pour elle il n’y en avait aucun. Je cherchai comment refaire une diversion.

-          Mais ce fil, vous savez s’il se termine et où il nous conduit ? Et si on le trouve rompu avant d’en avoir trouvé la fin, que se passe-t-il ?

-          Si c’était seulement si simple… Ce fil est censé représenter toute une existence. Et s’il se brise, alors cela signifiera qu’une vie quelque part s’arrêtera immédiatement. Même si, en l’occurrence, pour ce fil, je crois que c’est un peu différent…

A ces mots, je repensai à nouveau à mon fils et combien son fil à lui s’était brisé trop prématurément. Et j’imaginai déjà comme il était simple de le faire céder au vue de l’inconscience de chacun. J’en vins à me dire que j’avais très bien pu, moi aussi, le rompre un jour en traversant la rue ou prenant ma voiture. Une bouffée d’angoisse me mit soudain profondément mal à l’aise à rester ainsi aux côtés de cette femme et à l’écouter alors que je ne la connaissais pas. Et puis, je refusais de réduire la vie de mon propre fils à un simple bout de fil, surtout que nous venions de passer devant son école. A dire vrai, j’avais honte d’avoir pu écouter de telles inepties et de m’en être distrait dans un pareil moment.

-          Tout ça est complètement ridicule… Et vous me faîtes perdre mon temps…

-          Mais… Je ne vous ai rien demandé !

Elle me regarda comme si mon retournement à son égard l’avait profondément touchée. Elle me fixait, les yeux flottants, et son visage ne portait plus ce sourire étonnant mais un masque douloureux. A mon tour, je fus tétanisé par une telle réaction. Je m’approchai d’elle gentiment et pris sa main dans la mienne. Je fus surpris de découvrir qu’elle avait fait à son poignet comme un bracelet avec la première extrémité du fil rouge. C’était comme si elle portait un début de menotte… Sa main se contracta et se raidit immédiatement. Elle se mordilla la lèvre inférieure et son regard suppliant me fit immédiatement lâcher son poignet. A vrai dire, j’ignorai moi-même précisément mes intentions ; ce geste m’était apparu naturel dans les circonstances, alors que, pour elle, il semblait la bouleverser, à moins que ce ne fût encore les mots que je venais de prononcer. Je n’avais qu’une hâte, que ce silence entre nous cesse, même si seules quelques secondes avaient dû s’écouler. Sur le moment, je crois que j’ignorais le sens de ce silence, mais j’avais déjà conscience de son pouvoir en moi comme si je ne disposais plus d’aucun mot pour l’affronter. Et en même temps, tout se brouillait dans ma tête.

-          Merci de votre aide… Mais je crois que je vais me débrouiller toute seule…

A cet instant, tellement d’autres mots tournaient dans ma tête que je crois que je n’entendis pas les siens. J’avais à nouveau l’image de mon fils sur l’immense lit de l’hôpital, celle du masque de mon épouse à mes côtés, elle qui m’appellerait sans doute dans un instant pour savoir comment cela s’était passé, tout ça qui se mélangeait avec l’étrange sentiment de culpabilité d’avoir pu couper le fil de l’existence de mon propre enfant, la lumière sur le feuillage magnifique de l’érable qui semblait vouloir me faire oublier tout ce drame et puis ce bruit de moteur de voiture qui avait déclenché par mégarde toute cette histoire… Lorsque je repris mes esprits, Louise avait déjà parcouru une dizaine de mètres. Je ne pus m’empêcher de la rejoindre à nouveau car le fil rouge semblait reprendre la direction de ma maison.

-          Oui, c’est étrange, n’est-ce pas ?

-          Donc, permettez que je vous accompagne jusque-là si, bien entendu, vous m’excusez…

-          Vous savez, je ne vous demande rien… C’est juste que je…

Elle ne voulut pas prononcer la suite. Les mots, encore eux, semblait, pour elle aussi, trop gros pour sortir de sa bouche. Il y eut encore un silence entre nous, qui, sans pour autant savoir pourquoi, ne semblait plus avoir le même sens que le précédent. Encore une fois, c’est moi qui réussis à le rompre.

-          Décidément, ce fil rouge nous conduit à nouveau au point de notre rencontre.

-          Oui, on dirait… A vous, cela ne vous fait pas peur ?

-          Pourquoi ? Cela devrait ?

-          En fait, non… Pas vraiment… C’est moi qui aie peur…

-          Parce que vous croyez qu’il s’agit de votre fil du destin ?

-          Non, pas exactement…

Elle qui était si expansive il y a encore quelques minutes ressemblait soudain à un animal apeuré. J’aurais voulu la serrer contre moi pour la rassurer mais le souvenir de sa main en train de se contracter dans la mienne me retint. Encore une dernière bifurcation et le fil nous conduirait juste devant chez moi. Se pourrait-il qu’il s’y arrêta ? A mon tour, je sentis mon cœur battre et une angoisse monter dans ma poitrine. J’avais à la fois très envie qu’il s’y termine et peur de ce que cela aurait pu signifier. Depuis quelques mètres, le fil devant nous n’était plus tendu mais gisait à même le sol, comme un ver de terre inerte. Nos regards se croisèrent et nous nous mîmes à courir pour vérifier cette crainte commune que le fil puisse avoir été rompu par mégarde.  Il longeait toujours le trottoir opposé à ma maison, puis enjambait mollement le muret du voisin pour entourer son bel érable pour repartir à nouveau tout tendu jusqu’à ma maison.

Jamais je n’avais ressenti une telle excitation. En soi, c’était pourtant ridicule, mais je mourrais d’envie que sa destination finale fût chez moi. J’avais à cet instant comme la certitude qu’il m’avait choisi. Nous traversâmes à nouveau la rue et je découvris avec stupeur qu’il montait jusqu’à ma chambre, sans doute fixé à l’accroche de mon volet. A priori, il terminait sa course folle ici.

-          Ne bougez pas, je vais vous le détacher pour que vous l’ayez tout entier pour vous.

-          Attendez, ce n’est pas…

-          Mais si ! Vous n’avez pas fait tout ça pour rien. Et comme ça, vous aurez la preuve que tout ce que vous pensiez est vrai…

J’étais tellement excité que je n’attendis pas sa réponse. Je crois qu’elle me dit quelque chose comme « Vous ne comprenez pas… » mais mon téléphone portable se mit à sonner. Il s’agissait de mon épouse qui me demandait si je n’avais pas eu besoin du certificat de décès parce qu’elle l’avait gardé dans son sac à main par mégarde. Je franchis le seuil de la porte, puis montai à l’étage toujours en lui parlant. Je sentais dans sa voix qu’elle m’en voulait de ne pas être encore parti. Je lui répondis que je m’apprêtai juste à le faire et que j’étais même sur le seuil de la porte quand elle m’avait appelé. Je crois qu’elle ne me crut pas. Depuis la mort de notre petit Vincent, elle s’angoissait pour un rien, elle ne cessait de culpabiliser et, pour elle, je pense qu’elle avait juste besoin de savoir que tout était en ordre pour commencer son vrai deuil. Une hâte qui m’apparut sur l’instant tellement dérisoire puisque, l’un et l’autre, nous aurions à présent toute la vie pour ça…

Machinalement, toujours le téléphone à la main, j’ouvris la fenêtre, sortis la tête pour examiner le nœud qui reliait le fil à l’accroche du volet et réussis à le défaire très simplement avec les doigts d’une seule main. Le fil glissa lentement à terre et j’aperçus Louise qui me regardait étrangement. J’ignore pourquoi je fus à ce point triste de le voir se détacher si facilement et regagner le sol. Je lui fis un petit signe de la main pour lui indiquer que j’étais occupé et la vis rembobiner, lentement, soigneusement, l’ultime extrémité autour de sa quenouille, comme si elle suspendait le temps pour laisser le miracle qu’elle avait attendu toute la journée surgir dans sa vie. Puis elle aussi me fit un signe de cette main autour de laquelle elle avait fait comme un bracelet avec le fil. Elle resta un instant à me regarder comme si elle voulait encore me dire quelque chose, hésita, puis s’en retourna, la tête à la fois légèrement inclinée et baissée. Cette posture donnait à sa silhouette comme une détresse. Je la suivis des yeux, toujours l’écouteur du téléphone  à l’oreille, jusqu’à ce qu’elle traverse la rue puis tourne à droite. Quand elle disparut de ma vue, ce fut exactement comme si un rêve prenait fin et que je me réveillais dans le monde réel.

A dire vrai, la nouvelle confrontation avec la mort de mon fils chassa très vite le souvenir de cette surprenante matinée. Ce fut uniquement le lendemain que j’y repensai quand j’ouvris la porte et que je regardai attentivement au niveau des genoux si aucun fil ne barrait mon chemin. Et bien sûr, il n’y avait pas non plus Louise qui m’attendait près de la boîte aux lettres. Puis, ce souvenir me revint également à chaque fois que j’ouvrais les volets, que je découvrais le feuillage rouge de l’érable du Japon devant moi. Et puis encore, ce fut la présence même de mon épouse qui me rappela celle de Louise. Je m’étais aperçu que régulièrement, je touchais sa main du bout des doigts pour retrouver la sensation du contact avec celle de Louise.

Peu à peu, le monde qu’avait créé quasi sous mes yeux Louise devint une obsession pour moi. J’eus d’abord du mal à l’admettre car tout ce qu’elle m’avait raconté n’avait aucun sens. Comment un fil pouvait soudain apparaître sans que personne ne s’amuse préalablement à le dérouler ? Et quel lien logique pouvait-il y avoir entre lui et une existence toute entière? Louise devait certainement être une folle et, si je voulais la retrouver, je n’avais qu’à chercher dans les asiles. Pourtant, sans que je ne le veuille vraiment, je pris en horreur mon épouse. Je crus d’abord que c’était les conséquences indirectes de notre deuil, car, l’un comme l’autre, nous avions tant de colère en nous contre cette terrible injustice que chacun de nous n’avait que l’autre pour la libérer. Ce fut une période vraiment terrible de ma vie. Quelque chose qu’on ne se libère jamais, un poids que je porterai toute ma vie... A dire vrai, j’ignore comment j’aurais fini si je n’avais pas compris entre temps que j’étais devenu follement amoureux de Louise. A travers ma femme, sans m’en rendre compte, je cherchais en vain à retrouver ce souriant visage sans sourire sur le sien. Pour cette raison, je finis même par la détester et me mis à penser à Louise jour et nuit. Le moindre souvenir de ces si courts instants passés avec elle me transportait de mélancolie. Régulièrement, je refaisais le trajet que nous avions parcouru, je mimais même ses gestes à elle quand elle y avait défait des nœuds. On me regardait parfois comme si j’étais fou. Je ne leur en voulais pas car ils ne connaissaient pas la vérité. Ils ignoraient même combien notre destin tient réellement et littéralement à un simple fil.

Je finis par faire moi aussi des recherches sur les fils du destin. Les mondes des Wyrd, des Parques ou de la Kabbal n’ont plus de secret pour moi. Il y avait pour moi quelque chose d’effrayant à réduire une existence à une simple réaction de cause à effet et de considérer que rien dans notre vie ne pouvait nous en soustraire comme s’il s’agissait d’une banale expérience. Mon esprit scientifique ne pouvait plus s’empêcher d’examiner nos vies sous l’angle de celle du destin et de la fatalité. Je découvris surtout que Louise m’avait menti. En fait, pas exactement, elle avait juste omis un petit détail ; le fil que nous avions trouvé n’était pas n’importe quel fil, il était rouge, et elle savait certainement, comme moi aujourd’hui, la signification profonde de ce fil rouge. Avec internet, c’est si simple de le découvrir, comment ne l’aurait-elle pas su ? Et dire qu’elle n’avait fait que parler, et encore parler, et qu’elle m’avait caché, pour ainsi dire, l’essentiel. C’était comme si soudain tous ses mots n’avaient été que du silence. Et, ô paradoxe, ce silence même signifiait finalement bien plus que tous les mots qu’elle m’eut dits ce fameux jour. C’est cette découverte qui me troubla plus que tout et qui fait que je suis encore aujourd’hui prêt à croire tout ce que j’ai entendu de sa bouche ce jour-là.

Si les fils du destin existent vraiment, ils signifient que le monde dans lequel je vivais n’est pas celui que je croyais. Quoi que nous fassions, nous ne sommes que des pantins. Nous regardons le monde avec la certitude que tout est aussi vrai que le feuillage rouge de l’érable de mon ancien voisin, mais nous ignorons les rouages qui nous manipulent. Et il n’y a que le jour où nous arrivons à percevoir devant nous le fil du destin que nous pouvons prendre notre existence en main. C’est l’instant magique où la relation de cause à effet disparait, l’instant où nous sommes la cause première, celle que rien n’aurait provoquée, celle sur laquelle butterait toute la science. Peut-être vous-même avez eu parfois cette sensation que quelque chose d’extraordinaire était à votre portée si vous acceptiez de basculer toute votre vie dans une direction différente ? Ou que vous n’aviez qu’un geste à faire pour vous précipiter vers un monde dont vous ignoreriez les règles ? Pour moi, c’est ce qui avait dû se passer ce matin-là. Et, toujours pour moi, ce fil rouge signifie  aujourd’hui même davantage car il y aurait eu tellement d’autres choses à faire que de le libérer et le laisser ainsi tomber de mon volet…

 

Bien entendu, à ce stade de l’histoire, vous avez tous les droits, y compris celui de ne pas me croire. Sachez juste, si vous avez envie de me juger, que, depuis cette affaire, j’ai divorcé de ma femme, abandonné mon travail et complètement changé ma vie. Et bizarrement personne autour de moi n’a vraiment compris le sens de ces décisions.

Le plus étrange en agissant de la sorte, alors que j’imaginais reprendre mon destin en main, c’est que j’ai découvert à la place comme une nouvelle prison, sauf que cette fois je meure d’envie de m’y plonger, car, si c’est une prison, elle souligne combien je suis libre intérieurement. Certains d’entre vous diront que ne plus avoir de vrai choix ne s’appelle pas pour autant liberté et qu’il s’agit plutôt de l’ivresse du pantin. Mais qu’importe si vous avez raison et si moi je suis ivre ou fou, parce que je sais que le monde dans lequel nous vivons n’est plus celui qu’on croit. Il suffit d’interrompre un instant le cours des choses et vous découvrirez vous aussi qu’il y a une place pour un tout autre monde. Il y a le monde qu’on voit et celui de son reflet. Du moins, moi, maintenant, j’en suis sûr, il faut savoir regarder son reflet pour le voir et le comprendre tel qu’il est.

A dire vrai, quand je regarde ma vie aujourd’hui, tout me parait si limpide et évident, car, même si j’aimerais que vous me disiez que je ne me suis pas trompé et que vous auriez fait la même chose à ma place, je sais que j’ai vu le fil rouge, aussi vrai que l’érable du Japon de mon voisin était magnifique et que jamais je ne reverrais mon fils en ce monde. Et aussi arrogant que cela puisse paraître, moi, je me crois bien plus libre que quiconque voudra me juger, car il ne peut le faire qu’en se replaçant au milieu de ces mêmes circonstances à ma place. Or vous savez pertinemment que tout ce que je vous ai raconté n’a aucun sens. Et surtout ne comptez pas sur moi pour vous dire le contraire. A la place, cessez de faire comme moi à vous obstiner à en chercher un, car vous regarderiez encore une fois le problème sous le mauvais angle. Oui, pendant un court instant, cessez une bonne fois pour toute de ne voir que la réalité brute des choses au lieu de vous préoccuper de leur reflet dans le miroir et répondez juste à cette simple petite question : si ce fil rouge avait été à portée de votre main, qu’auriez-vous fait à ma place ?

Moi, j’ai fini par trouver ma réponse, juste un peu trop tard, à tel point que, aujourd’hui, même si je suis totalement seul dans la vie et que, chaque matin, j’ai en moi la peur d’être devenu fou, j’ai surtout devant moi un but clair et précis: je veux croire au hasard et retrouver Louise. Oui, je veux lui dire que je la crois et que je sais ce que j’aurais dû faire quand j’ai défait le dernier nœud. Je sais combien c’est paradoxal que de croire en même temps au hasard et au destin. Pas n’importe quel hasard, celui d’une rencontre qui m’était destinée. C’est pourquoi je continue de chercher à mon tour des fils du destin pour me prouver que je n’ai pas gâché aussi stupidement ma seule occasion d’en saisir un et d’infléchir ainsi librement toute mon existence.

Oui, je cherche mon fil rouge, en priant chaque jour que celui que Louise m’avait dévoilé ne fut pas vraiment le mien et qu’il n’est pas trop tard, car ce fil, j’en ai peur, aucun mot n’aura plus le pouvoir de lui redonner vie. Et autour de moi, c’est comme s’il n’y avait que le silence pour l’espérer… Un immense silence qu’on trouve à travers celui des mots quand on s’obstine à les entendre alors qu’ils se taisent… Ou peut-être sur le souriant visage sans sourire de Louise, son mystérieux silence à elle que j’aimerais tant réentendre et retrouver jusque dans mes rêves… Et là, à la place, je me saisirai du fil rouge et exécuterai sans hésiter, avec émotion, ce geste pour elle qui aurait dû engager tout le reste de ma vie.

 

Connectez-vous pour commenter

Portrait de Zarathoustra
Zarathoustra a répondu au sujet : #19786 il y a 9 ans 9 mois
Bon, je m'excuse pour ceux qui auraient déjà lu mon texte, mais je viens de le modifier. Principalement le début que j'avais fini par avoir en horreur. Du coup, j'ai tansformé le texte en un portrait, cela change à changer l'esprit du texte, mais je pense que cela le rend plus simple et facile à lire. J'ai également supprimer certaines choses qui rendaient le texte artificiellement compliqué, et surtout, je pense qu'il est beaucoup plus fidèle de ce que j'avais imaginé faire.

En outre, il avait un roblème de présentation avec les dialogues que j'espère avoir résolu.
Portrait de Mr. Petch
Mr. Petch a répondu au sujet : #19791 il y a 9 ans 9 mois
ça fait un moment que je me dis qu'il faut que je le commente... J'ai tout dans la tête mais il faut formaliser ça.
A voir ce que la nouvelle version apporte !
Portrait de Mr. Petch
Mr. Petch a répondu au sujet : #19811 il y a 9 ans 8 mois
Pour commencer, je dois dire que je trouve la seconde version nettement plus efficace, en particulièrement dans son introduction. Je ne me souviens plus à la lettre de l'autre version, mais il me semble qu'il n'y avait pas tout ce jeu sur "je vous parle de ça mais n'en tenez pas compte". C'est vraiment ce discours, où le narrateur ne parvient pas à "dire" ce qu'il veut nous dire, qu'il doit passer par tout un tas de disgressions et de mises en garde, qui m'a intéressé dans le texte. Parce que les paragraphes d'introduction sonnent comme une promesse.

Ça fait bien longtemps que je ne lis plus de fantastique du quotidien comme ton texte, avec toute cette familiarité de la première personne, de l'étrangeté sourde, de la venue progressive de l'extraordinaire dans l'ordinaire. D'emblée, c'est comme ça que je l'ai appréhendé, et comme ça, je pense que l'aide à l'appréhender deux phrases qui encadrent le premier paragraphe :

Je suis Professeur de Physique Chimie.


et

Autant vous dire que j’aurais toutes les raisons du monde pour ne pas croire à l’histoire que je vais vous raconter.


C'est donc dans ce genre du "fantastique du quotidien", un peu traditionnel, un peu codifié, que je vais juger du texte... A voir si c'est la bonne piste.

**

Je commence par ce qui m'a plu. Comme souvent dans tes textes, les personnages sont bien caractérisés, et très frais. En particulier ici Louise que l'on se représente tout de suite. L'ambiguité de la relation entre elle et le narrateur est assez savoureuse, car suffisamment subtile et ouverte. Les dialogues y sont pour beaucoup, ainsi que la façon dont tu mènes ton narrateur.

J'aime particulièrement ce passage pour ce qu'il ne dit pas et laisse supposer :

Machinalement, toujours le téléphone à la main, j’ouvris la fenêtre, sortis la tête pour examiner le nœud qui reliait le fil à l’accroche du volet et réussis à le défaire très simplement avec les doigts d’une seule main. Le fil glissa lentement à terre et j’aperçus Louise qui me regardait étrangement. J’ignore pourquoi je fus à ce point triste de le voir se détacher si facilement et regagner le sol. Je lui fis un petit signe de la main pour lui indiquer que j’étais occupé et la vis rembobiner, lentement, soigneusement, l’ultime extrémité autour de sa quenouille, comme si elle suspendait le temps pour laisser le miracle qu’elle avait attendu toute la journée surgir dans sa vie. Puis elle aussi me fit un signe de cette main autour de laquelle elle avait fait comme un bracelet avec le fil. Elle resta un instant à me regarder comme si elle voulait encore me dire quelque chose, hésita, puis s’en retourna, la tête à la fois légèrement inclinée et baissée. Cette posture donnait à sa silhouette comme une détresse. Je la suivis des yeux, toujours l’écouteur du téléphone à l’oreille, jusqu’à ce qu’elle traverse la rue puis tourne à droite. Quand elle disparut de ma vue, ce fut exactement comme si un rêve prenait fin et que je me réveillais dans le monde réel.


Il y a aussi des idées que je trouve assez ingénieuses : la parenté fils/fil, la façon que tu as d'amener des digressions au milieu du dialogue, la récurrence discrète de l'érable du Japon... C'est assez habile et ça rend le texte plus vivant, et assez facile à lire (il m'avait semblé plus lourdaud à la première lecture).

Et puis il y a cette idée assez géniale de ne pas donner la réponse au "fil rouge", et de pousser le lecteur, imperceptiblement, à aller regarder sur Internet pour comprendre la réalité de l'histoire. C'est très malin, et vraiment surprenant. Pour moi, c'est le gros point fort du texte, et ça colle parfaitement à un fantastique littéraire qui prendrait en compte Internet, et accompagne le lecteur. Ça me rappelle nos discussions sur la façon de guider le lecteur.

Maintenant ce qui m'a moins plu.

Il y a d'abord une partie du texte que j'ai trouvé plus faible. En fait ça concerne ces deux paragraphes :

Elle m’expliqua que la notion de fil se retrouve dans nombre de légendes, aussi bien Nordiques avec celle des Wyrds et des Nones, que latines avec les trois Parques ou qu’en Asie avec le fil qui lie les êtres. Bref, le genre de choses que mon esprit avait en horreur.


et

Je finis par faire moi aussi des recherches sur les fils du destin. Les mondes des Wyrd, des Parques ou de la Kabbal n’ont plus de secret pour moi. Il y avait pour moi quelque chose d’effrayant à réduire une existence à une simple réaction de cause à effet et de considérer que rien dans notre vie ne pouvait nous en soustraire comme s’il s’agissait d’une banale expérience. Mon esprit scientifique ne pouvait plus s’empêcher d’examiner nos vies sous l’angle de celle du destin et de la fatalité.


Tu évoques là une piste : le contraste entre l'esprit scientifique du narrateur (prof de physique-chimie) et le côté mystique de sa découverte. Mais tu n'explores pas vraiment cette piste en terme d'écriture. Il y a juste ces deux phrases sur les Wyrd, les Parques, les Nones et la Kabbal, mais cette évocation n'a pas, je trouve, de place véritable dans le texte. Alors qu'il aurait été intéressant de jouer sur ce contraste. Par exemple en créant autour de ces noms mythologiques tout un monologue qui traduirait l'état d'esprit du narrateur ; s'appuyer dessus pour montrer son ancrage progressif dans une sorte de folie.
Je trouve que quand tu écris la phrase :

Bref, le genre de choses que mon esprit avait en horreur.


et

Mon esprit scientifique ne pouvait plus s’empêcher d’examiner nos vies sous l’angle de celle du destin et de la fatalité.


Tu abdiques un peu par rapport au lecteur, en lui livrant tout prêt une façon d'interpréter l'histoire alors que le reste du récit se montre beaucoup plus subtil (cf ci-dessus).

Ça aurait été d'autant plus intéressant que ça aurait motivé davantage la transformation du narrateur. Elle fonctionne pas trop mal ici mais paraît parfois un peu artificielle. Tu nous la décris, mais il faut te croire sur parole. Du coup, j'ai trouvé nettement moins de forces aux derniers paragraphes que dans le reste.
Par exemple, pour en rester à cette histoire de "fantastique du quotidien", je me dis que les derniers paragraphes auraient pu permettre d'approfondir la folie et le fantastique, d'aller non seulement, comme tu le fais, vers une psychologie du personnage, mais surtout que cette psychologie emmène le lecteur vers des terrains dangereux, mystiques, vers davantage de folie. J'étais presque deçu par cette fin qui en reste finalement à du "psychologisme" presque trop ancré encore dans le réel.

**
Dans l'ensemble, mis à part les petites réserves ci-dessus, c'est une lecture très agréable, et j'admire toujours ta facilité dans la représentation des relations entre personnages, c'est vraiment le point fort de tes textes !
Portrait de Monthy3
Monthy3 a répondu au sujet : #19812 il y a 9 ans 8 mois
Cela faisait longtemps que je ne t'avais pas lu, et j'ai immédiatement retrouvé cette aisance que tu as pour établir des relations vraies entre tes personnages. Dans l'ensemble, je trouve que la nouvelle a énormément de charme, qui tient tout entier dans l'interaction entre Louise et le narrateur. Les dialogues sonnent juste, du début à la fin. Louise est plus vraie que nature.

Vraiment, c'est une histoire touchante.

J'abonde aussi totalement dans le sens de Petch s'agissant du fil rouge du destin, de la nécessité d'aller en conforter le sens... et d'accroître la portée du texte a posteriori.

En contrepartie, je trouve presque dommage les paragraphes introductifs et, à vrai dire, je ne suis pas certain de l'intérêt du conflit science / destin que tu poses d'emblée. Du moins, je pense qu'il n'était pas nécessaire d'avoir un personnage "scientifique" et qui se revendique comme tel. Tout un chacun, confronté à une telle situation, pourrait réagir comme il le fait, et du coup l'introduction est trop longue pour pas grand-chose.

De même, la référence aux légendes, la première fois, tombe comme un cheveu sur la soupe. Tu débutes une belle relation, étrange, charmante (c'est LE terme qui qualifie le mieux le récit selon moi :) ), et tu lances une phrase explicative qui brise un peu la fluidité. De même, quand tu reprends la référence plus bas, dans la mesure où tu choisis volontairement - et de façon pertinente - de ne pas développer, eh bien, c'est un peu frustrant.

Pour le reste, le texte est fluide, coule bien. Quelques "et" trop fréquents, surtout en début de phrase, et quelques insistances trop prononcées à mon goût (par exemple sur l'érable) auraient mérité un léger élagage.

Quand même,n quand j'y réfléchis, je trouve une ambiguïté dans le texte : tu rattaches tellement l'histoire à la mort de Vincent qu'en fin de compte, même après recherches, je ne suis plus certain de la portée que tu donnes à ce fil. Car il était rattaché aux volets, ouverts par le narrateur... et il aurait aussi bien pu le briser le matin du décès de son fils. C'est d'ailleurs ce pourquoi il prend en aversion la vue de l'érable.
Alors, double sens ? Fil relié à son fils, aussi bien qu'à Louise ? Amour et décès, les deux confondus ?

La parole est à toi !
Portrait de Zarathoustra
Zarathoustra a répondu au sujet : #19814 il y a 9 ans 8 mois
Je ne vais pas vous dévoiler tous les secrets du texte. Parce qu'il va assez loin et que je peux être très tordu et que, à la limite, l'ultime sens peut être accessoire. Je dirais qu'il y a vraiment plusieurs dimensions et que vous avez saisi l'essentiel.

D'abord, je voulais faire un texte "fantastique" dans le sens classique du terme. Donc qu'il y ait une vraie ambiguïté entre la réalité et la possibilité d'un phénomène surnaturel (et qu'on ait des doutes sur la lucidité du narrateur comme il se doit dans de tels textes). Ensuite, je voulais une histoire plaisante et, si possible, qu'elle contienne une sorte de suspense de manière à ce que le lecteur soit quand même intrigué par son dénouement final. Enfin, il s'agit d'une romance, d'un amour quasi fou (dans un certain sens très proche de celui des surréalistes et de celui de Nadja d'André Breton). Et surtout je voulais qu'il y ait une petite surprise à la fin qui remette le texte en perspective.

En fait, ce texte avait au départ deux idées différentes que j'ai cherché à unir: cette histoire de fil (qui au passage est déjà dans Ether) et l'idée des différents silence. Et je dois dire que les deux se sont combinées d'elles-mêmes quasiment toutes seules. Et j'y ai greffé un dernier thème qui me touche actuellement qui est celui d'un homme qui est capable de bouleverser sa vie et d'en payer le prix quel qu'il soit pour suivre un rêve (qui est déjà très présent dans Ether et dont j'aimerais un jour utiliser pour un autre projet de roman).

En contrepartie, je trouve presque dommage les paragraphes introductifs et, à vrai dire, je ne suis pas certain de l'intérêt du conflit science / destin que tu poses d'emblée. Du moins, je pense qu'il n'était pas nécessaire d'avoir un personnage "scientifique" et qui se revendique comme tel. Tout un chacun, confronté à une telle situation, pourrait réagir comme il le fait, et du coup l'introduction est trop longue pour pas grand-chose.

D'abord, cette introduction annonce complètement le programme, notamment dans ce qu'il signifie. En l’occurrence, il y a ce qu'on comprend et ce qu'on ne peut pas comprendre à condition de chercher le reflet ou, si on préfère, le silence des mots. Tout est suivi à la carte et je donne le mode d'emploi. Et ces paragraphes d'introduction présentent en fait un jeu pour le lecteur. Ils disent littéralement: "attention, il ne faut pas voir les mots, il ne faut pas voir la "réalité" qu'on te donne". Donc il présente effectivement les différents silences qui vont lier les deux personnages, mais il demande d'aller au-delà. En fait, le jeu du reflet et du miroir, c'est aussi le biais qui existe entre ce qu'on lit et la réalité. On lit une vision subjective du narrateur. Donc, en fait, on lit littéralement le reflet, or il faut comprendre ce qu'est la réalité.

Pour le reste, le texte est fluide, coule bien. Quelques "et" trop fréquents, surtout en début de phrase, et quelques insistances trop prononcées à mon goût (par exemple sur l'érable) auraient mérité un léger élagage.

J'ai vraiment chercher cette fluidité, et d'ailleurs, pour l'essentiel, c'est lié à la facilité que j'ai eu à écrire ce texte. Ces "et" dont j'abuse, j'ai l'impression que c'est devenu une des marques de mon style... Je leur trouve un côté "hypnotique" comme s'il y avait un lien logique entre les phrases, même quand il y en a pas. En l’occurrence, cela pourrait même se justifier par la thématique du professeur qui recherche les causes à effet (y compris quand il y en aurait pas). Note que c'est pas totalement calculé de ma part, même si cela m’effleurait l'esprit.
Pour l'insistance de l'érable, j'y reviendrais sans doute, mais c'est un thème personnel. Pour moi, il y a la réalité, mais on ne peut le percevoir que subjectivement à travers le philtre de nos sens et de notre esprit qui forcément vont la déformer. Donc pour moi, on ne peut pas croire ce qu'un personnage ressent. C'est déjà le thème principal du Chant des Pierres. Donc il faut toujours se méfier de ce que les sens disent à mes personnages. Ce qui reprend le thème des mots dont il faut savoir entendre le silence. Donc la symbolique de l'érable est trouble. Pour le narrateur, c'est une réalité, pour moi, il ne se rattache qu'à la perception de ses sens alors qu'il est censé, de part sa profession, la remettre en cause. Cela montre le manque de lucidité du personnage.

Tu évoques là une piste : le contraste entre l'esprit scientifique du narrateur (prof de physique-chimie) et le côté mystique de sa découverte. Mais tu n'explores pas vraiment cette piste en terme d'écriture. Il y a juste ces deux phrases sur les Wyrd, les Parques, les Nones et la Kabbal, mais cette évocation n'a pas, je trouve, de place véritable dans le texte. Alors qu'il aurait été intéressant de jouer sur ce contraste. Par exemple en créant autour de ces noms mythologiques tout un monologue qui traduirait l'état d'esprit du narrateur ; s'appuyer dessus pour montrer son ancrage progressif dans une sorte de folie.

Bon, oui, le texte fonctionne, parce que tu t'es senti obligé d'aller voir sur internet et ça me fait plaisir (un plaisir un peu sadique, parce que je joue ici avec le lecteur). Mais c'est un piège. Et quand je parle du Wyrd, des Nones etc., c'est à la manière Hitchcock qui nous sert un gros hameçon dont il n'a que faire (et dont nous n'aurons que faire nous aussi au final). C'est sa fameuse théorie de McGuffin. Donc, bien entendu, il y a ce sens caché du fil rouge. Et bien entendu, il y a aussi celui du destin. Destin qu'on trouve à travers les fils et la mort du fils (et tu as judicieusement noté l’ambiguïté des deux termes). C'est le sens caché pour ne pas frustrer le lecteur. Mais il y a un autre sens qui si je lui avait dit d'entrer le ferait fuir en courant, tout comme les thèmes qui travaille l'oeuvre Hitchcock devrait faire fuir le spectateur s'il n'y avait pas ce McGuffin et ce jeu avec sadique avec le spectateur.

Ce qui m'intéresse, c'est bien entendu la relation entre Louise et le narrateur. Mais c'est aussi tout ce qui est hors champ et qui est dans le texte. Le silence des mots, c'est aussi ça: il s'agit d'un couple sur la brèche qui se sépare et qui est bouleversé par le deuil de leur fils. Or à travers le philtre du regard du narrateur, ça parait accessoire, alors que c'est fondamentale. Il nous parle du reflet, mais il nous cache la réalité. Elle reste sans cesse hors-champ, tout en affleurant sans cesse la surface du texte, comme si son esprit ne pouvait s’empêcher d'y revenir malgré lui. C'est aussi un élément pour montrer le manque de lucidité de mon personnage, qui croit savoir analyser la réalité, mais dès qu'il quitte le champ de la physique est complètement aveugle pour décrypter la vérité.Et le hors champ le plus important est bien entendu dans l'immense détresse de l'épouse et dans ce qu'il lui fait en plus subir...

Quand je parle de jeu, on le voit très vite quand je dis de surtout oublier deux informations, la mort du fils et la profession du narrateur. C'est bien entendu la meilleure façon de marquer un lecteur. Il est forcément imprégné de ce qu'il doit oublier, donc il ne peut surtout pas l'oublier. Et le sens du texte, c'est qu'il faut vraiment le prendre le plus littéralement pour découvrir son sens caché.

Bref, le genre de choses que mon esprit avait en horreur.

et
Mon esprit scientifique ne pouvait plus s’empêcher d’examiner nos vies sous l’angle de celle du destin et de la fatalité.

Tu abdiques un peu par rapport au lecteur, en lui livrant tout prêt une façon d'interpréter l'histoire alors que le reste du récit se montre beaucoup plus subtil (cf ci-dessus).

C'est l'un des rares portraits que j'ai écrit où il n'y a pas d'humour noir. Et s'il y a humour, elle est principalement au dépend du lecteur, pas au niveau de mes personnages, parce que mon texte est un vaste jeu dont il est la victime (certainement consentante malgré tous les avertissements que je ne cesse de lui donner (qui, il est vrai, peuvent trouver un sens dans une première dimension cachée). Ces deux phrases peuvent être un peu ironique. Mais elle montre surtout à quel point il faut se méfier du narrateur. Je le présente comme un rationaliste, alors que toute l'histoire le montre à l'opposée. Donc elles sont adressées au lecteur. Je lui dis, attention, méfie-toi de ce qu'il (je) raconte, tu vois bien que ce n'est pas logique. Mais j'ai beaucoup de tendresse pour mes personnages dans cette histoire.

Par exemple, pour en rester à cette histoire de "fantastique du quotidien", je me dis que les derniers paragraphes auraient pu permettre d'approfondir la folie et le fantastique, d'aller non seulement, comme tu le fais, vers une psychologie du personnage, mais surtout que cette psychologie emmène le lecteur vers des terrains dangereux, mystiques, vers davantage de folie. J'étais presque deçu par cette fin qui en reste finalement à du "psychologisme" presque trop ancré encore dans le réel.

C'est un texte dont le sens est fantastique, en quelque sorte, parce que très allégorique, mais c'est un texte profondément réaliste. Le sens du fil est vraiment à prendre littéralement. L'interprétation que j'invite à découvrir est un leurre. Il faut trouver le vrai reflet (et en l’occurrence qui contient la vraie réalité).

Par exemple, pour en rester à cette histoire de "fantastique du quotidien", je me dis que les derniers paragraphes auraient pu permettre d'approfondir la folie et le fantastique, d'aller non seulement, comme tu le fais, vers une psychologie du personnage, mais surtout que cette psychologie emmène le lecteur vers des terrains dangereux, mystiques, vers davantage de folie. J'étais presque deçu par cette fin qui en reste finalement à du "psychologisme" presque trop ancré encore dans le réel.

A dire vrai, pour moi, il n'y a pas de folie, mais véritablement un amour fou. J'ai essayé que cette fin rende cet amour tragiquement beau en laissant le gouffre qu'il contient sous les pieds du lecteur. D'ailleurs, le rationalisme du narrateur ne s'oppose pas à la quête des fils du destin mais aux sentiments qu'il éprouve et qu'il ne peut rationaliser. Sentiments, d'ailleurs, qu'il analyse très mal et qu'il finit par accepter sans les comprendre, à les accepter tels qu'ils sont et rien d'autres. C'est un peu la même dualité entre Reyv'avih et Vyhréelle.


Mais bon, je suis très satisfait des retours que vous me faîtes parce qu'ils me montrent combien le texte fonctionne. Après, qu'il y ait un ultime jeu avec le lecteur, c'est mon petit plaisir en plus d'avoir fait un texte de renard... Tout ce que vous me dîtes est juste et je voulais qu'il soit ainsi. De manière général, j'ai pris un grand plaisir à l'écrire et 80% du texte est un quasi premier jet, il n'y a que l'intro et la conclusion qui m'ont donné du fil à retordre, tant stylistiquement qu'au niveau du contenu. On parlait du plaisir d'écrire simplement, même si ce texte peut être terriblement tordu sur sa signification, je voulais que le style soit à l'opposée. Et sur ce plan-là, il y a 5 ou 6 phrases qui mériteraient encore d'être allégées, mais .dans l'ensemble, j'ai aimé écrire ce texte parce que j'ai éprouvé le même plaisir qu'à mes débuts.
Et que les lecteurs ne trouvent pas le dernier sens m'importe assez peu, c'est un plaisir de renard, un dernier plaisir de celui qui écrit, et surtout une forme d'humour certainement très tordu et 3eme degré qui m'est personnel et que je ne sais si il peut être compris et qui serait la cerise sur le gâteau, mais dont l'essentiel reste le gâteau. Derrière le narrateur, il y a l'auteur, qui lui ne fait que s'amuser avec son lecteur. Et sur le coup, c'est un auteur plutôt vache, parce que, même s'il a semé plein de clés pour l'aider et s'excuser de lui jouer un mauvais tour, il a pris soin de les choisir de manière à ce qu'elles ouvrent plusieurs portes pour qu'il ne voit pas que je me suis moqué de lui...
Portrait de Vuld Edone
Vuld Edone a répondu au sujet : #19822 il y a 9 ans 8 mois

... quand je vis effectivement, à hauteur de genoux, un fil rouge,


Et là je ne vais pas cacher que je me suis mis à rire. La toute première réplique de Louise aurait ressemblé à celle de Zaleth de Goten, et donc pour moi c'était décidé dès le départ, auteur de la méthode de travail, le "fil rouge" ne pouvait être que le fil de l'histoire. J'avoue aussi que sur le moment je suis allé relire le Renard et le Harnais, pour constater que la nouvelle mise en page du site fonctionne et que la police du Silence des mots est trop petite.

Mais bref.

Je n'ai pas pris le temps de vraiment me plonger dans le texte. Je l'ai lu comme une comédie et je n'ai pas réussi à m'inquiéter ou à m'attendrir, même si effectivement c'est très vivant. J'ai surtout remarqué, en le lisant, "qu'il ne se passe rien", la seule tension étant de découvrir où nous mène... le fil de l'histoire. Un peu comme si on passait un minifilm à regarder des acteurs ramasser des pages blanches de script.
Il y a, cela dit, plusieurs moments qui restent en mémoire. Quand Louise fait "mais je ne vous ai pas demandé de me suivre", et quand Louise se tend au contact de la main. Ces deux moments sont plus marquants pour moi que la conclusion du fil, ou même que les points de suspension à la fin. Je ne m'intéresse pas au bus, à la voiture, au banc... ni à la boîte aux lettres, je me suis aperçu en rejetant un coup d'oeil.

En tout cas, et à part pour la taille de police, c'était du bon Zara' et de la production chroniquienne comme on n'en avait plus fait depuis un bon moment. Très réussi parce qu'on peut effectivement plaquer plein d'interprétations, et si j'en prenais le temps je pourrais sans doute décortiquer cette idée des mots silencieux ou le "mystère" autour du fils.
Je ne vais pas en prendre le temps... dommage.
Portrait de Zarathoustra
Zarathoustra a répondu au sujet : #19824 il y a 9 ans 8 mois
Diantre, me voilà démasqué! :laugh:

Je n'ai pas pris le temps de vraiment me plonger dans le texte. Je l'ai lu comme une comédie et je n'ai pas réussi à m'inquiéter ou à m'attendrir, même si effectivement c'est très vivant. J'ai surtout remarqué, en le lisant, "qu'il ne se passe rien", la seule tension étant de découvrir où nous mène... le fil de l'histoire. Un peu comme si on passait un minifilm à regarder des acteurs ramasser des pages blanches de script.

Pas tout à fait d'accord avec toi. Pour moi, ce qui se passe entre des personages, quelque soit les histoires que je lis, prime souvent sur l'histoire elle-même. J'espère qu'on a envie de savoir ce qui va se passer entre les deux protagonistes. Il ne se passe rien en apprence, alors qu'il se passe plein de choses au fond de chacun d'eux. Et ça, pour moi, c'est bien plus inétressant que n'importe quel scènario de 50 pages. Le mystère qui unit deux êtres m'a toujours plus intéresssé. Or il m'arrive souvent de me dire que ça sonne faux quand je lis des histoires.
Tu concèderas certainement que les deux personnages qui débutent l'histoire ne sont pas exactement les mêmes que lorsqu'ils se séparent. Pourtant, l'histoire n'a fait que du surplace puisqu'elle se termine là où elle commence. Et le lecteur ne les voit certainement plus pareil. Il projette sur eux, je l'espère, un peu de ce qu'il aimerait lui-même vivre en pareille occasion. Tu as certes compris l'une des dimensions du texte, mais s'il n'y a pas d'empathie pour les personnages, alors le texte échoue, parce que, un peu comme le Renard au Harnais, il s'agit à la fin que le lecteur se fasse son propre film sur ce qui aurait dû se passer avec ce fil (mais bon, je sais que la dimension sentimentale des histoires n'est pas ta tasse de thé). Et qu'il se fasse sa petite histoire à lui en saisissant à son tour le fil, mais non pour écrire l'histoire à ma place mais pour ce que lui aurait eu envie de vivre à la place du narrateur.

L'enjeu est proche de ton texte, mais il est aussi plus ouvert, chacun peut en faire ce qu'il veut, alors que dans le tien, tu avais réussi à projeter exactement ce que tu voulais faire dans la tête du lecteur. Et ton texte ne se voulait pas un récit, alors que le mien en est un. Mais j'avoue que cela reste un inspiration pour moi (même si, ici, je le vois surtout dans le "métadiscours" introductif et sur certains effets de style "immersifs" que sur le reste).

Malheureusement pour moi, je me suis rendu compte hier que mon subconscient m'avait joué un tour. Un tour plutôt cruel. Car même si je n'ai pas perdu d'enfant, ni changer de travail etc., ce texte s'adressait finalement aussi principalement à moi. Et Louise est elle-même un symbole, la tentation de quelque chose que finalement je refuse de faire et qui montre que je n'ai même pas le courage du narrateur...Une chose pour laquelle on se sentirait plus finalement né pour la faire ou qui nous apporterait une sorte d'harmonie intérieur et qu'on refuse de se saisir du fil pour le suivre parce qu'on a peur du chemin qu'il prendrait... Et moi qui voyait mon texte comme étant éventuellement très drôle, d'un coup, il ne l'est plus du tout... Etre un renard n'est finalement pas à la portée de tous... OU alors c'est plus dangereux que je me l'imaginais parce que je me découvre chasseur de renard en même temps... Saleté de subconscient!
Portrait de Mr. Petch
Mr. Petch a répondu au sujet : #19825 il y a 9 ans 8 mois

Et Louise est elle-même un symbole, la tentation de quelque chose que finalement je refuse de faire et qui montre que je n'ai même pas le courage du narrateur...


C'est amusant, parce qu'en lisant le texte, je me suis vraiment posé la question de la part de "personnel" qu'il pouvait y avoir. Je pense que c'est la preuve que les émotions que tu décris ont quelque chose d'universelles, et de plutôt réaliste. Ton personnage a aussi cette crédibilité qu'on est capable de comprendre ses émotions, de les relier aux siennes propres.
Portrait de Vuld Edone
Vuld Edone a répondu au sujet : #19828 il y a 9 ans 8 mois
Yup, les personnages sont vivants, crédibles et intéressants. C'est juste qu'à la lecture je me concentrais sur tout autre chose. Comme tu le soulignes, la dimension sentimentale...
Portrait de San
San a répondu au sujet : #20489 il y a 8 ans 7 mois
Quelques remarques de l'ordre du détail, pour commencer. Il y a des fautes par ci par là, il y en a qqs unes que je n'arrive pas à m'empêcher de signaler.

Et parfois, le reflet est plus important que la dîtes réalité.

=> ladite

Je me souviens parfaitement du magnifique feuillage de l’érable du Japon du voisin.

Au début de ta description champêtre, j'ai trouvé ça très classique, puis la résonance des couleurs m'a parlé, et le rituel aussi, et j'ai trouvé ça très joli. Par contre la nature ne me fait généralement pas de clins d'oeil complices ^^ Je dois manquer d'imagination :D

- De pouvoir voir ces fils…

Ca m'a fait penser à des fils d'araignée du coup ^^

- Vite, arrêtez cette voiture, sinon elle va nous rompre notre fil !

Je n'avais pas compris que le fil passait dans la rue... Ca pourrait être un effet intéressant si la narration faisait mine de s'y intéresser plutôt que de faire comme si de rien n'était.

de manière à traverser la rue elle aussi. Je la rejoignis de l’autre côté du trottoir

Là du coup je suis larguée géographiquement :D Mais c'est pas très important.

Si bien que je la suivais malgré moi et, régulièrement, nous intervenions pour éviter que le moindre accident ne survienne et finisse par le rompre. A vrai dire, j’étais pris par ce jeu curieux autant par le charme si naturel et quasi enfantin de la jeune femme dont la présence m’apportait malgré elle un réconfort.

Les deux phrases m'ont semblé parachutées, trop rapides et décousues. On passe d'une description du fil rouge à "ben du coup, je suivais la fille" sans que je comprenne le lien de cause à effet, puis au lieu de la suivre il met carrément la main à la pâte en évitant les incidents avec elle. Quand une ligne plus haut il affirmait détester l'idée, ça fait un peu gros, et la suite l'est encore plus, puisqu'on passe de l'horreur au charme, le narrateur est conquis. On avait vu qu'il batifolait un peu en tous sens dans l'introduction, en passant d'une idée à l'autre sans que grand chose puisse s'imprimer, mais là le personnage commence à m'être vraiment désagréable.
Et je crois qu'il manque un "que" à "autant que par le charme"...

A ses yeux, ce fil paraissait si précieux que le moindre incident autour de nous prenait une tournure quasi dramatique, et cela m’amusait de l’aider et de la sauver de son effroi avec si peu d’efforts. Et elle mettait tant de ferveur dans ce qu’elle racontait que moi-même je finis par trouver passionnants le moindre de ses propos, qui normalement auraient dû être si abracadabrants à mes oreilles.

Là du coup c'est un peu mieux tourné, mais ça fait redite du passage que j'ai cité juste avant. Peut-être le côté "professeur"? Une de leurs vertus cardinales étant de ne pas craindre de se répéter pas mal de fois histoire que le message passe bien. C'est d'ailleurs ce que l'ensemble du texte me semble faire, itérativement.

Encore en peu plus loin, on se dépêcha pour éviter que des gens qui s’apprêtaient à descendre d’un bus ne viennent à nouveau mettre en péril notre fil.

A ce moment là, je me rends compte que je n'ai pas compris ce que font les protagonistes pour éviter que le fil ne soit rompu. Quels mouvements? Le fil a l'air fragile, et extrêmement long, ça parait impossible de le protéger des routes et de tout le reste...

Un peu plus loin, le fil s’était à nouveau entremêlé autour de l’un des immenses troncs d’arbres.

Pareil, je ne comprends pas. Autour d'un tronc, un fil peut s'enrouler. Près d'un tronc, il peut s'entremêler dans les branches. Mais s'entremêler autour d'un tronc, ça m'échappe ^^'

Je saisis une fois de plus ma maladresse. J’avais émis un doute, là où pour elle il n’y en avait aucun.

Ah oui, effectivement ^^ je n'avais pas vu. J'aime bien :)

A vrai dire, j’ignorai moi-même précisément mes intentions

Quelques pb entre imparfait et passé simple dans ce texte, comme ici. Et je ne comprends pas trop comment on peut ignorer précisément quelque chose. Mais pourquoi pas.

le fil rouge semblait reprendre la direction de ma maison.

- Oui, c’est étrange, n’est-ce pas ?

Enchainement sympa

Les mots, encore eux, semblait, pour elle aussi, trop gros

Petit problème de pluriel

C’est moi qui aie peur…

ai

Se pourrait-il qu’il s’y arrêta

arrêtât, me semble-t-il

Quelque chose qu’on ne se libère jamais,

"dont" on ne se libère jamais, du coup

Et il n’y a que le jour où nous arrivons à percevoir devant nous le fil du destin que nous pouvons prendre notre existence en main.

Ca me rappelle Donnie Darko.

Ou que vous n’aviez qu’un geste à faire pour vous précipiter vers un monde dont vous ignoreriez les règles ?

Ouaip!

Oui, pendant un court instant, cessez une bonne fois pour toute de ne voir que la réalité brute des choses au lieu de vous préoccuper de leur reflet dans le miroir et répondez juste à cette simple petite question : si ce fil rouge avait été à portée de votre main, qu’auriez-vous fait à ma place ?

C'est dans les dernières lignes du texte que je me suis rappelé que tu avais parlé d'un professeur. Son discours ici m'a fait penser à un cours de philosophie. Des propos sans queue ni tête (pour moi) balancés en vrac, avec à la fin, comme une ponctuation, une question profonde qui n'a pas de réponse.

La fin du texte me laisse sur ma faim, on répète encore le silence des mots et les fils du destin, à ce stade j'attendais autre chose.
Enfin, dans l'ensemble, je trouve ce texte inégal, il y a des passages sympa, et à côté pas mal de fautes et de tournures étranges qui nuisent à la lecture pour moi. Je trouve que ça mériterait de le retravailler pas mal, pour poncer un peu et polir le morceau de littérature brute.
Du reste, amour fou ou vraie folie, peu importe. Il n'y a que les professeurs et les fous qui parlent seuls, parait-il, et je suis persuadée qu'il faut être au moins un peu fou pour être professeur.
Portrait de Zarathoustra
Zarathoustra a répondu au sujet : #20498 il y a 8 ans 7 mois
Encore merci. D'abord, je suis preneur pour tes corrections (par mp si possible).
Tu as globalement un regard redoutablement pragmatique et concret. Par exemple, je ne pensais pas qu'on puisse à ce point être aussi visuel et spatial. Donc effectivement, mes consignes sont sans doute pas assez claires. Mais j'avoue que cela me paraissait secondaire.
Visiblement un fil de canne à pêche pour la mouche ne te parle pas. C'est beaucoup plus épais que tu ne l'avais imaginé.. Les noeuds autour de l'arbre en l'occurrence sont juste une métaphore des sacs de noeuds qu'on peut rencontrer dans un existence. Moi j'imagine un gros trucs qui pendouille de l'arbre que tu dois impérativement démêler si tu veux le défaire de l'arbre.
A priori, tu n'as pas eu la curiosité de chercher sur internet la symbolique du fil rouge comme j'avais essayé de le provoquer. Donc l'invitation est à revoir...

Pour ce qui est de la fin qui t'a a priori ennuyé, il s'agit d'une tentative pour que le lecteur se projette lui-même dans l'histoire et imagine quelle aurait été la bonne fin si le professeur avait compris quels étaient ces vrais fils rouges...Comme s'il devait vraiment plonger dans le miroir.... Je n'ai d'ailleurs pas l'impression que cela ait fonctionné avec quelqu'un. Pour toi, c'est peut-être encore plus dur car tu dois te projeter dans un homme qui re...
(Je te réponds avec un smartphone j'ai eu :side: souci pour finir mon message)
... dans un homme à sa fenêtre qui regarde cette femme avec son fil étrange à la main. L'histoire suggère qu'il y avait mieux à faire que de la laisser le rembobiner.
Mon problème est donc de réussir à capter l'attention du lecteur différemment à cet instant. Mais il s'agit sans doute plus d'un lecteur qui aurait eu envie de relire ce texte aprés avoir été sur internet. Un lecteur un peu idéal...
Le début du texte expose et fait quelques promesses qu'on ne peut certainement pas comprendre la première fois. C'est un texte qui joue beaucoup avec le lecteur. Et si on refuse ces jeux le texte perd certainement de son intérêt.
(Je suis en voyage et n'ai pas la possibilité de fusionner en une intervention ma réponse)
((Note du Renard : fait.))
Portrait de San
San a répondu au sujet : #20501 il y a 8 ans 7 mois
Ah je n'ai pas été voir sur internet tout simplement parce que je connaissais déjà le concept de fil rouge lié au petit doigt (après avoir lu Nana). C'est pour ça que je l'ai appelé, fil du destin. Et ça ne change pas que c'est... cousu de fil blanc, si je peux me permettre :D Et j'ai apprécié ça tout le long du texte, mais j'attendais davantage de la fin du texte. Je trouve que tu ne poses pas la vraie question, qu'elle est trop large, trop imprécise, que tu ne te mouilles pas assez pour impliquer le lecteur en fait. Enfin, c'est mon ressenti de lecteur en tout cas.
Disons que je fais un peu trop la maline pour être un lecteur idéal....

Et pour le fil de canne à pêche, ben, justement, ça ne casse pas comme ça! Vu comme ils flippent à l'idée que qqn le coupe, je l'imaginais fragile comme une toile d'araignée. Du fil de canne à pêche, tu le mets en travers de la rue, à la limite je flippe plutôt pour les gens qui vont se le prendre dans la mouille parce qu'ils vont être surpris les pauvres, voire se faire mal...
Portrait de Zarathoustra
Zarathoustra a répondu au sujet : #20502 il y a 8 ans 7 mois
Envore une fois, tu es trés pragmatique. Je te donnais la taille du fil, pas la solidité, qui est celle d'une existence, donc très variable... et au contraire très fragile.
Tiens, pour savoir, quelle
typr de fin attendais-tu? Qu'entends+ tu par le fait que je ne me mouille pas assez? Il s'agit de suggérer pas d'imposer. L'idée est aussi que le lecteur s'imagine la sienne, indépendamment de celle que j'avais imaginée. Et je suppose qu'il est même logique que la fin frustre ou déçoive, parce que sinon il n'y aurait pas de fin alternative à la mienne si le lecteur était comblé. Pour moi la déception fait presque partie du jeu (mais je me rends compte du coup qu'il y a aussi là une forme d'écueil pour le texte autant pour le lecteir)
Portrait de San
San a répondu au sujet : #20503 il y a 8 ans 7 mois
J'essaie d'être précise avec les images que j'emploie, voilà tout. Après tout c'est ça, le langage, essayer de choisir les bons mots pour faire passer ce que tu voulais faire passer... ou prendre le risque de faire passer tout à fait autre chose, ce qui t'arrive le plus souvent j'ai l'impression.
A propos de la fin donc. On me parle de fil rouge dès le début, et d'une rencontre entre deux personnages. J'ai trouvé intéressant que les deux personnages restent chacun dans leur coin, finalement, ne partageant pas plus qu'une balade à deux avant de se séparer et reprendre chacun le fil de leur existence... quoi qu'en disent les fils rouges. Et en fait j'aime bien cette idée. Quand tu arrives à la fin du texte en disant, mais il y avait peut-être mieux à faire? J'ai juste envie de dire, whatever. Ces deux là ont fait ce qu'ils voulaient faire. J'ai envie de dire que le plus important, c'est tout le reste, et surtout pas cette question. Elle ne me frustre pas. Elle rate son but, en ce qui me concerne. Quelle autre fin j'attendais? Peut-être juste rien du tout. Peut-être que le fil casse finalement, par rébellion ou par esprit de contradiction. Que quelqu'un le coupe finalement. Qu'on aille un peu plus loin que d'effleurer le concept. Enfin je ne sais pas :D J'ai déjà bien du mal à écrire mes propres fins... :D
Portrait de Zarathoustra
Zarathoustra a répondu au sujet : #20504 il y a 8 ans 7 mois
L'idéal pour moi aurait été que tu te poses la question de savoir si il t'arrivait la même chose (métaphoriquement parlant, à savoir si tu faisais une rencontre qui remettait en cause toute ta vie) qu'aurais-tu fais à la place du narrateur? Parce que le narrateur en question est quand même sur ce plan un gros naze, même s'il se rend compte après coup qu'il a loupé un truc.
Pour ma part, je me pose toujours la questio même après avoir écrit le texte.... Aurai-je le cran de tout abandonné si la vie que j'ai n'était qu'illusion? Dur de remettre en cause ses propres certitudes en la matière comme l'a fait le professeur... Le texten'est pas forcémenr tendre avec lui, mais sur ce point précis je l'admire. Tout remettre en cause, y compris par rapport à celui ou celle qui peut partager notre vie... y as tu déjà songé?Comment savoir qu'il n'y a pas dans ce monde quelqu'un qui nous apporterait encore plus que ce qu'on n'a jamais connu ou sur ce que nous connaissons de la vie ou du monde? En la matière, quelles limites mettons-nous?Quelle est notre exigence? Etc. Je n'ai pas la réponse, mais le texte peut amener ces questions... ou du moins je l'aurai souhaité...
Portrait de San
San a répondu au sujet : #20505 il y a 8 ans 7 mois
J'ai été à la place du narrateur, et je sais ce que j'ai fait, et je sais aussi que cette question n'a pas de réponse, pas pour moi en tout cas :D