"Qu’est-ce que vous avez à me proposer ? demanda Solee. La réceptionniste, sans se départir de son sourire figé, pianota brièvement sur son ordinateur et consulta les résultats.

- Nous avons dix nouveaux pour les simulatiions, répondit-elle. Des personnes venues d’un peu partout ; étant donné que vous êtes un habitué et que vous recherchez des choses... inhabituelles, je me permets de vous proposer Mr Asamanu."

Asamanu... songea Solee, jamais entendu parler. Depuis l’avènement des technologies de l’exploration du subconscient, les agences de voyages intraspirituels avaient leurs propres stars. La plus célèbre dans la Fédération européenne était Mme Galachée ; grande peintre de son siècle, elle avait réalisé des œuvres novatrices sur le thème de la vie éternelle et s’y était accrochée, jusqu’à ce que le voile de la nuit ne se dresse. Galachée ne voulait pas mourir ; elle avait vendu son cerveau à la première agence de voyage intraspirituel du continent, afin qu’il soit maintenu en état et que le public - son cher public - puisse continuer à admirer non pas son œuvre, mais son génie, en voyageant, en se connectant à ce cerveau qui au-delà de la mort continuait à imaginer.

Le cerveau de Galachée était le plus vieux et le plus célèbre et des millions de personnes s’y étaient connectées.

Solee, lui, n’avait jamais visité les cerveaux de célébrités. Il considérait que c’était participer à ce rêve absurde de vie éternelle, il ne voulait pas contribuer aux caprices de vaniteux n’ayant jamais vécu que sur un tas d’oseille.

"Asamanu ? demanda-t-il. Jamais entendu parler. Et Diante ?

- Mr Diante a été incinéré la semaine derniière, Monsieur Solee ; vous savez bien que les anciens détenus ne peuvent être mis à disposition plus d’un mois. Quant à Mr Asamanu, la direction a longtemps hésité à proposer son cerveau à nos clients...

- Est-il si particulier ?

- Il était... L’hôtesse eut un sourire gênéé. Mr Asamanu se disait précognitif, une sorte de voyant...

- Et alors ? fit Solee, l’était-il réellemeent ? Il eut un rire désabusé.

- Oh, nous ne prétendons pas posséder un ceerveau à capacités précognitives, se défendit-elle. La Direction a bien sûr mené une enquête sur lui lorsqu’il s’est présenté - de son vivant.

- Et ?

- Il a une imagination... particulière. - Ca m’intéresse, dit Solee. Je prends, pour une heure.

- Veuillez me suivre, dit l’hôtesse."

Ils quittèrent le comptoir et s’engagèrent dans un long couloir aux murs tapissés de noms. Les noms de ceux qui avaient vendu leur cerveau à l’agence.

Jusqu’à présent, Solee s’était connecté à des cerveaux peu fréquentés : cervelles d’ex-taulards, de psychopathes, de clochards (mauvais souvenir) ou d’anciennes prostituées. Il était mal vu, parmi les habitués de l’établissement.

Un type qui avait des visions, se dit-il, ça me changera un peu de la lie. Ils débouchèrent dans une pièce ovale, baignée d’une lumière crue dans laquelle se trouvaient quelques voyageurs qui avaient terminé leur session et d’autres, qui attendaient leur "ticket", comme on disait encore à l’époque. L’hôtesse présenta Solee à un vieil homme en combinaison blanche et s’en alla.

"Mr Solee, fit-il. Encore vous.

- Docteur, répondit-il. On m’a recommandé Mr Asamanu.

- Ah... Celui-là, dit-il en un sourire, je crois qu’il aura du succès. C’est chambre 501."

Le vieux docteur l’y conduisit. La chambre 501 était comme toutes les autres : plongée dans la pénombre, grand fauteuil de cuir, au milieu duquel jaillissaient d’innombrables câbles reliés à une imposante console encastrée dans le mur. Le cerveau lui-même n’était pas visible ; il était stocké avec les autres dans la chambre froide, sans doute bardé de capteurs et de stimulants, relié à l’ordinateur 501. Le corps avait probablement été incinéré.

"Installez-vous, dit le docteur, d’un ton machinal."

Solee s’exécuta et se cala dans le fauteuil au cuir froid. Il prit bien soin de ne pas s’appuyer sur le repose-tête : il s’y dressait de nombreuses et minuscules aiguilles. Elles lui injecteraient, le moment venu, des nanorobots munis de transmetteurs dans la moelle épinière. Il frissonna en y songeant.

Le technicien s’affairait sur la console, sa frêle silhouette se découpant nettement sur l’écran lumineux.

"Suis-je le premier à visiter Asamanu ?" Le laborantin ne répondit pas. "Je dois savoir quelque chose ? s’inquiéta Solee

- Hm ? Le vieux remua. Quoi ? Oh non, pas d’inquiétude à avoir, fit-il sans quitter des yeux son écran. Pour nous aussi Asamanu est un peu... nouveau."

Il eut un rire nerveux. "Un peu nouveau... répéta Solee par-dessus le pianoti du clavier.

- Hm, oui. Mr Asamanu n’est disponible que depuis ce matin. C’est une pièce rare, vous savez. Hop, connexion... La réception ne vous a rien dit ?

- Il se prétendait Précog, dit Solee.

- En effet, dit le laborantin. Charles Asamanu avait probablement des visions durant les dernières années de sa vie - qu’il prenait pour des prédictions. Mais nos études sur son cerveau n’ont pas révélé d’anomalies notoires.

- Ah bon ? fit Solee. Alors pourquoi la Direction a-t-elle hésité à proposer son cerveau ?"

Le laborantin leva les yeux de son écran et fixa Solee. Puis il vint se placer à côté de lui et commença de vérifier le branchement des câbles sous l’appui-tête.

"Voyez-vous Mr Solee, marmonna-t-il en manipulant les fils, le cerveau d’Asamanu génère des images récurrentes. Lorsque nous simulons un sommeil paradoxal contrôlé avec n’importe quel cerveau, il génère à chaque fois des images différentes - ce qui est normal compte tenu de sa complexité. C’est pour ça qu’utiliser un cerveau comme créateur d’univers virtuels est moins cher qu’un traitement par ordinateur. Tel n’est pas le cas de Mr Asamanu."

Le vieux technicien afficha un sourire satisfait ; tout était branché correctement. "Vous pouvez poser votre tête." Solee, le ventre tiraillé d’appréhension, s’exécuta. Il sentit le cuir lisse et froid sur la peau de son crâne chauve et les aiguilles piquant sa nuque. "Ne me dites pas que ça fera pas mal, prévint-il.

- Non, ria le docteur. Serrez les dents." Et il enclencha l’injecteur. Des dizaines de pointes s’enfoncèrent dans le cou de Solee, qui hurla de surprise et de douleur. Il avait la sensation de tiges d’acier paralysant les muscles de son cou et la nuque roide. "Ca fait... mal, hoqueta-t-il.

- Ce sera bientôt fini, répondit machinalemment le laborantin." En habitué, Solee savait que bientôt signifiait une quinzaine de minutes. Il serra les dents.

"Comme je disais, reprit le vieux, Asamanu rêve d’un univers récurrent, sans qu’on sache pourquoi, ni si cela est lié à ses visions. Mais disons que la Direction a fini par penser que ça pouvait... fidéliser un certain nombre de clients."

Le laborantin, dans la pénombre de la chambre 501, adressa à un Solee tendu de douleur un sourire carnassier. Il retourna silencieusement à la console. Solee l’entendit marteler le clavier durant d’interminables minutes. Au bout de quelques instants, il se leva et, passant dans le champ de vision de Solee, dit : "C’est pratiquement fini." Et il disparut. Le bruit d’une porte qu’on ouvre résonna, une raie de lumière fendit l’obscurité et, un chuintement, la porte se referma. Solee était seul dans la chambre 501.

Déjà, il ressentait vaguement les premiers effets de la connection : somnolence, atténuation de la sensation du corps. Je n’ai plus mal, pensa-t-il dans un brouillard qui l’enveloppait. Une ombre voila sa vision tandis que ses paupières se fermaient ; en lisière de sa conscience, il crut entendre des bruits de pas, au-delà de la porte, qui s’éloignaient dans le couloir.

Puis, plus rien. Le néant.

Quand il se réveilla, le ciel au-dessus de lui était gris, l’air était froid. Il sentait des fourmillements dans son cou. Son corps était ankylosé et il parvenait à peine à remuer. La connexion n’est pas encore tout à fait établie, pensa-t-il, tandis que sa mémoire refluait. Ses tempes bourdonnaient.

Il put, au bout d’un moment, bouger la tête (et il remarqua qu’il était allongé parmi les gravats), puis s’asseoir. Le spectacle qu’il découvrit ce faisant le stupéfia. Devant lui, dans un paysage morne et sans vie, s’élevait une gigantesque mégalopole. Des tours dans le ciel, d’innombrables bâtiments s’entassant à leurs pieds, des murailles entourant la ville centrale et au-delà les quartiers abandonnés de l’ancienne banlieue. Mais tout, à cette distance, semblait délaissé. La ville entière semblait avoir pris la couleur de la rouille et aucune lumière ne brillait. Aucune fumée. Solee vit une tour à demi effondrée.

Cette ville doit se trouver à une heure de marche, songeait-il, quand tout à-coup il eut cette révélation : il reconnaissait cette mégalopole. C’était là qu’il vivait : la Nouvelle-Bruxelles, capitale de la Fédération Européenne.

Il en eut le souffle coupé. C’est ça, se dit-il, ton univers, Asamanu ? Troublé, choqué, des questions fusant comme une tempête sous son crâne, il entreprit de se relever. Et un papier chiffonné tomba d’une des poches de sa combinaison poussiéreuse. Intrigué, il le ramassa - et le déplia. "Bienvenue chez Asamanu." "Ouais", fit-il dans le vide. Jaugeant la route qu’il avait à parcourir, il se dit que c’était une bonne chose, qu’une heure de connexion corresponde à une journée de voyage.

 

La route par laquelle Solee pénétra dans la mégalopole était déserte. Et en mauvais état ; de nombreuses fissures craquelaient l’asphalte et par endroits des mauvaises herbes envahissaient le bitume. Seules quelques voitures, abandonnées depuis longtemps, jonchaient la route ici et là. Il y avait une forte odeur de pourri dans l’air. C’est bizarre, songea Solee. L’univers d’Asamanu était déconcertant. Il était tangible, et cela était extrêmement rare. La plupart des "rêves" des cerveaux de l’Agence n’étaient que des flux de pensées informes dans lesquels les voyageurs aimaient tour à tour se reposer, s’exciter, s’effrayer... Selon l’âge et le bon état du cerveau, ces pensées pouvaient acquérir plus de forme et se concrétiser ; un visiteur pouvait alors palper quelque objet issu de la mémoire du défunt. Ces "communions" restaient toutefois exceptionnelles ; les cerveaux capables de générer un univers concret étaient quant à eux des perles rares. Peu de voyageurs avaient pu, au cours de leur connexion, sentir leur corps, fouler un sol, humer l’air... Et personne ne savait pourquoi un cerveau générait du tangible tandis que mille autres ne produisaient que des flots d’états d’esprit.

Et Mr Asamanu "rêve" de ça continuellement, se disait Solee en embrassant du regard l’incommensurable ville qui s’offrait à lui. Cela paraissait tellement... réel. Il se demanda même s’il ne s’agissait pas d’une simulation informatique. Impossible, les ordinateurs restaient beaucoup moins puissants que les cerveaux humains. Dans ses déambulations, Solee ne croisait personne, n’entendait aucun bruit. Rien ne bougeait. Une ville fantôme. Il n’avait jamais connu ça, lors de ses connexions.

Il passa devant un magasin. Stores baissés. Un vieux terrain de foot. Grilles condamnées. Une maison délabrée. Volets fermés. Un détail le frappa parmi ce désert urbain : si toutes les routes étaient sans vie, les parkings, eux, étaient remplis. Les trottoirs étaient tout leur long chevauchés par les voitures. Comme si chacun avait sagement rangé sa caisse avant de se volatiliser. Pourquoi Asamanu, le Voyant, imaginait-il des villes dépeuplées ? Avait-il ce genre de visions ? Croyait-il à la fin du monde ?

Soudain, au détour d’une rue, Solee entendit un bruit. Des grattements. Le cœur battant, il se mit à courir vers le coin de la rue. Il y a quelqu’un ! se dit-il ; dans le rêve d’Asamanu. Il arriva au détour, imaginant déjà les créatures les plus folles, et... des rats. Un groupe de rats, au pied d’une palissade. Ils se repaissaient de l’un des leurs. Solee soupira. Il était éberlué ; de la part d’un type qui se disait précog, il se serait attendu à tout - sauf à ça. Et la présence de ces êtres ingrats lui rappela combien il était seul et cela, il le ressentait plus clairement que dans tout autre rêve. Ce vide commençait à lui peser. Il savait bien, pourtant, que tout cela était virtuel, qu’il serait - au terme du voyage - déconnecté. Mais, en dépit de cela, il sentait peser sur lui une sourde angoisse. Ce monde avait l’air si solide. Si vrai. Une autre réalité. Une fois Solee avait pu plonger dans un rêve semi-tangible : un cerveau rêvait d’une forêt, mais elle était imparfaite. Ses arbres avaient des formes grotesques, les feuilles étaient grossières et les couleurs inadéquates, hallucinées. Solee avait eu l’impression d’errer au sein d’une sculpture géante née de quelque esprit malade.

Ici, rien de tout ça. Des murs fissurés, des bâtiments en ruines, un ciel gris. Abominablement ordinaire. Et les noms des rues qui correspondaient à la réalité. La Réalité. Solee contempla ses mains humides. Palpa son front humide. D’appréhension. Asamanu, le Super-Réel.

Ce voyage le troublait. L’angoissait. Solee reprit son exploration de la ville. Il pensait à ce qu’il savait de Mr Asamanu. Un précognitif. Et cela était l’avenir ? Que ferait-il, une fois déconnecté, si ce rêve s’avérait prophétique ? Et si Asamanu n’était, après tout, qu’un fou de plus ?

Solee arriva à ce qui fut autrefois le "Premier Quartier", le coin le plus riche de la mégalopole. Dans ce coin là, tout était à peu près intact. Les voitures, sur les trottoirs, n’étaient pas délabrées ; tout au plus étaient-elles couvertes de rouille et de rayures. Les bâtiments n’avaient plus ces façades ruinées ; les portes tenaient encore sur leurs gonds, les fenêtres étaient au pire fendues et les volets, intacts la plupart du temps, clos. Le quartier commerçant ne semblait pas être passé par le pillage.

Mais l’endroit restait imprégné de cette absence de vie ; Solee éprouvait toujours cette sensation d’écrasement, d’être emmuré dans son isolement.

Bien sûr, le voyageur était toujours seul dans un rêve, mais Solee n’avait jamais souffert de la solitude jusqu’alors. Flottant dans des univers éthérés, il avait partagé le bien-être du rêve, sens anesthésiés, toute appréhension repoussée. Dans Asamanu, on était douloureusement éveillé.

Solee, taraudé de doutes, déambulait dans le quartier commerçant ; mais il ne prêtait guère attention à ce qui l’entourait : il ne cessait de se demander s’il était bel et bien connecté à Asamanu. Il grelottait de froid, sentait les crampes le long de ses jambes, ses pensées étaient claires. L’univers qui l’entourait était une dure réalité. Palpable. Ce n’est pas un rêve, décida Solee. Tous les rêves avaient une certaine inconsistance, tandis qu’ici il se cognait aux murs. Ce n’était pas normal.

 

"Charles Asamanu, allongé sur le lit de sa chambre d’hôtel, contemplait, un sourire béat aux lèvres, la seringue emplie d’un liquide rouge qu’il tenait au-dessus de lui. Il revenait de chez l’Agence. Il avait vendu son cerveau. Et même serré la main du directeur. Un sacré paquet de fric. Cette dope, il venait d’y laisser la moitié. Mais putain quelle dope. Faite pour SON cerveau, sur mesure, par les laborantins de l’Agence. Il ne savait pas pourquoi ; ils s’étaient tout de suite intéressée à son cerveau. Mais ça lui allait, rien à foutre, cette dope... La came ultime. Cette saloperie de cancer ne lui laissait plus que quelques semaines.

Ce soir, il rêverait qu’il serait une amibe. L’amibe avant l’abîme."

 

Et soudain, Solee se demanda s’il n’était pas arrivé un accident au cours de la connexion. Peut-être s’était-elle mal passée ? Et qu’il était devenu fou, enfermé dans sa propre démence ? Il avait entendu parler de types qui se projetaient la même séquence de film encore et encore dans leur tête, ou de junkies qui, après une overdose, étaient plongés dans un trip sans fin, toute perception du temps corrompue. Et si lui-même s’était emmuré dans sa folie ? Si tout cela venait de son cerveau ? Le cauchemar éternel...

Arrivé devant la vitrine d’un bijoutier, Solee s’arrêta, et contempla son reflet. "Un seul moyen de vérifier, dit-il à son reflet : attendre la fin de la journée." Une heure se serait écoulée dans le monde réel, et il serait déconnecté. Normalement.

Et alors qu’il y songeait, son regard parcourut la vitrine de la bijouterie, fouillant la pénombre au-delà, à la recherche de l’indice, de cet élément incongru qui lui ferait dire : "Ca y est, je sais." Dans le fond de la boutique, les étalages étaient vides, aucun bijou n’ornait les étagères. Et le regard de Solee rencontra cette affiche, placardée derrière la vitre : "Fermé". Son cœur manqua un coup. Fermé. Ses jambes se firent de coton. Les proprios avaient fermé leur boutique. Ils ne l’avaient pas abandonnée, ils n’avaient pas fui, non ; ils avaient fermé. Empli d’un sombre pressentiment, Solee s’éloigna de la vitrine et roula des yeux fous autour de lui. Là ! Un autre magasin. Il fonça vers le bâtiment. "Fermé". Il courut à celui d’à côté. "Congés exceptionnels". Et Solee se mit à bondir, de boutique en boutique, le long de la rue, les yeux exorbités. "Fermé". "Congés". "Fermé pour l’année". "Fermé"...

Hagard, suffoquant, il parvint au quartier d’habitation n°13. Un énorme complexe d’habitation se dressait devant lui, masse grise et rébarbative, criblée de fenêtres sales et fendues. L’édifice, menaçant sous le ciel gris, ouvrait une gueule noire et béante en guise d’entrée. Solee s’arrêta, subjugué. Dans toute cette non-vie, cet endroit semblait encore agonisant, comme s’il tardait à se vider et à sombrer dans le silence : des monticules de détritus s’amassaient devant l’entrée, la plupart des poubelles n’étaient même pas renversées, certains sachets n’avaient pas encore été éventrés par les rats. L’immeuble était habité. Solee n’était PAS seul. Rêve ? Réalité ?

A une fenêtre du 3ème, une lumière clignotante, battant comme un cœur, brisait l’obscurité à l’intérieur. Et les yeux de Solee, la fixant, se mirent à pulser tandis que sa migraine reprenait. On était sensé être seul, dans un rêve simulé. Réalité ?

Hagard, tremblant, il se dirigea vers l’immeuble. Il pénétra, dégouttant de sueur, dans le hall d’entrée, noir et humide. Une odeur de rance le prit aux narines, comme de nourriture qu’on aurait laissé pourrir. Vide. Boîtes aux lettres ouvertes, vomissant des tonnes d’enveloppes. Solee se baissa, en ramassa une. Datée d’aujourd’hui. Ses mains se mirent à trembler, l’enveloppe lui échappa. Il n’y avait pas de distinction de jours, dans un rêve. Son regard se tourna vers l’escalier, et plongea dans un gouffre obscur. Il entendit, venant de cette direction, le tic-tac d’une horloge. D’une monotonie assourdissante. Et bien que ses jambes ne fussent plus qu’une vague sensation, il se vit - en lisière de sa conscience - avancer vers l’escalier, comme étranger à lui-même. Il entendait venu de loin le bruit sourd et entêtant de ses pas sur les marches, se répétant à l’infini tandis que son souffle se faisait court ; la peur tempêtant sous son crâne, suintant de tout son corps.

Deuxième étage. Du bruit. Solee s’agrippa à la rampe à s’en déchirer les doigts. Le couloir était plongé dans le noir. De ses doigts glissants, il tâta le mur à la recherche de l’interrupteur. Trouvé. Clic. Rien.

Alors Solee s’enfonça dans la pénombre. Devant lui se déroulait un sol en lino, d’un marron sale et poussiéreux, sur lequel dansait une lumière fantomatique, verdâtre, que jetait une fenêtre crasseuse à l’autre extrémité. Le lino marron-vert semblait se dérouler à l’infini, avec de chaque côté une armée de portes noires et muettes, terriblement fermées. Quelques-unes, effrayantes, laissaient filtrer une mince bande de lumière par terre. Solee défaillit. S’appuyant sur le mur froid et humide, il se sentit malgré lui attiré par l’une de ces portes, une de celles qui laissaient s’échapper de la lumière. Il se rendit compte, la poitrine au bord de l’explosion, que ce long ruban noir de couloir était empli de bruits : chiens gémissant derrière les portes, plats brûlants sur une plaque chauffante oubliée, musique jouant dans le silence et là, tout près, ce bruit d’horloge. Réel. Inexorable. Pas de temps mesuré dans un rêve. Au bord des larmes, fou de désespoir, Solee sentit sous sa paume la poignée dure et tiède de la porte. Serrant les mâchoires, il serra et tourna. Un déclic, et la porte s’ouvrit. A l’intérieur, une pièce vide, pleine de silence, pleine d’un fauteuil miteux au milieu. Devant, un écran allumé dont la neige illuminait le fauteuil. Et là, à cette lumière crue, brillait une prise sur l’appui-tête, des câbles en jaillissaient, tombant au sol et rampant vers la console murale. Et le reflet blafard de cet écran courut sur la porte qui s’ouvrait et Solee lut.

CHAMBRE 501

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