Hi'.

Cela fait des mois maintenant que j'ai arrêté de lire les textes sur la toile. Une des raisons, assez secondaire néanmoins, est l'écriture "kilométrique".

L'écriture kilométrique signifie que vous avez une manière d'écrire (un style), qu'elle fonctionne, elle est efficace, elle plaît, et du coup là paf vous arrêtez de réfléchir et vous ne faites plus que ça. Tout du long. Quasiment sans variation. Sur cent huitante pages. Et entendons-nous : les gens font ça parce que c'est pratique pour eux, ça permet d'aligner les pages rapidement, et parce que ça plaît au lecteur, je crois. Bien sûr, littérairement parlant, l'écriture kilométrique est monotone. Plate. C'est la même série de techniques qui revient en boucle comme un automate donc oui, c'est répétitif et lassant.

Un des plaisirs de lire les textes de débutant est qu'ils expérimentent. Ils varient, ils testent, ils ne sortent pas une écriture usinée à la chaîne. C'est un côté créatif qui rend la lecture vraiment appréciable malgré le manque de maîtrise. Ils font, sans même s'en rendre compte, de la recherche littéraire.

Ou alors ils essaient de faire ce qu'ils pensent qu'on veut.

Ben oui. La littérature c'est des fioritures, c'est des tournures compliquées, c'est de la versification et des figures de style dont la définition fait réfléchir sur le sens de la vie. Certains se forcent à écrire "de façon littéraire", ce qui donne une écriture plutôt lourde et très artificielle. Non vraiment. Ça a donné des dialogues où je jure que les personnages sont des aliens, avec des expressions que vous n'entendrez jamais. Jamais. Ja-mais.

Mon conseil est alors, quand on n'est pas sûr de ce qu'on fait, d'écrire "naturellement", comme on parle, comme on discuterait de n'importe quoi. Aussi simplement que possible :

"Le malandrin relâcha l'emprise de sur son arme blanche et celle-ci alla donner un son clinquant et vibrant sur le pavé dur et froid de la rue passante."

"Ristournel fit tomber son arme."

Okay, une version donne un peu plus d'information que l'autre, et si tout votre texte est composé de phrases simples en "verbe-sujet-complément" vous allez retomber dans l'écriture kilométrique, répétitive et monotone.

Mais il faut comprendre que beaucoup de ces informations sont inutiles. L'auteur ne les met là que pour "faire littéraire" alors que ça alourdit le texte.

Prenons "l'arme blanche" par exemple. C'est une dague. Est-ce que j'avais eu besoin de le préciser ? Non. Déjà, c'est un "malandrin", non mais rien qu'avec son nom vous avez compris que c'est le prototype du voleur, donc son arme est une dague point barre. Mais même si vous aviez vu une autre arme : une épée, une rapière, un sabre, ou même une masse d'arme... ça change quoi ?

Ou bien prenons la rue. Okay, son pavé est "dur et froid", attention là on est passé en monde sérieux, c'est un monde cruel où que les gens ils meurent. Ou alors on a juste écrit ça parce que tous les pavés se doivent d'être durs et froids. Maintenant, meilleure question : pourquoi une "rue passante" ? Ou même, disons que ce soit une "rue dérobée". Pourquoi le préciser ? Il lâche son arme, on s'en fiche d'où il la lâche, on est déjà censé le savoir et de toute manière si on dit "rue" on a déjà compris. Au besoin "ruelle" si on veut l'isoler.

Certains diront que c'est la recherche du "mot juste". À mon sens l'expression est trompeuse. En tout cas moi enfant quand on me disait ça je pensais qu'il y avait un vocabulaire secret des écrivains auquel je n'avais pas accès. Non. Je dis plutôt, en général, qu'il faut éliminer l'information inutile.

 

Éliminer l'information

Dire quelle information est utile ou non est très difficile, mais essayons. Et pour cela je vais prendre l'exemple de la manière dont on nomme les personnages. C'est un thème assez répandu où les gens réfléchissent à la manière la plus élégante de rappeler de qui on parle.

"Pierre mangeait à table. Le jeune géant avait la nappe sur les genoux et le dos bien droit. Il n'était pas mal élevé."

Nom propre, description, pronom. Du plus précis au plus vague. Si on se souciait uniquement de la clarté, on n'utiliserait que le nom propre : on saurait en permanence qui fait quoi. Mais ce serait aussi très lourd et très répétitif. La raison est essentiellement que le lecteur peut déjà conclure de qui on parle à travers le contexte : il ne savait pas qu'il y avait des géants mais, en contexte, il comprend qu'il s'agit de Pierre. Répéter le nom propre ici serait lourd. On pourrait même croire qu'il y a deux Pierre dans l'histoire.

Inversement si on élimine toute l'information on n'utiliserait plus que des pronoms, et là c'est au lecteur de recoller les morceaux. À qui ce "il" se rapporte ? À lui de deviner, le pronom ne dit quasiment rien. L'auteur se retrouve donc à doser la quantité d'information qu'il veut transmettre, et pour ça doit deviner plus ou moins approximativement ce qu'est censé savoir son lecteur.

L'information, ce n'est pas juste savoir de qui on parle. C'est aussi savoir comment on le voit.

"Pierre entra. Le jeune géant sourit à l'assemblée."

"Pierre entra. Le tueur fou de Bjork sourit à l'assemblée."

"Pierre entra. Il sourit à l'assemblée."

Le "jeune géant" ne fait pas imaginer la même chose que "le tueur fou". Même si dans ce second cas c'est un peu comique (sérieusement ? tueur fou ?) on donne un tout autre sens à son sourire. Un sourire fou, par exemple. Dans le premier cas on imaginera plutôt, je ne sais pas moi... un sourire jeune ? Parce que le texte nous le dit ? Et le plus intéressant est qu'on peut savoir, pertinemment, que Pierre est un tueur fou de n'importe où. On peut même avoir assisté à une scène de carnage deux pages avant. Quand il rentre, si on écrit "le jeune géant", on sera plutôt enclin à y voir un sourire amical.

Le texte nous dit de le voir comme ça.

D'où l'utilité, aussi, d'utiliser le pronom : impossible d'être plus neutre que ça. Pierre entre. Il sourit. Ce que ce sourire signifie, bonne chance, c'est au lecteur d'avoir sa vision de Pierre. C'est aussi pour cela que, personnellement, j'ai l'impression que les deux exemples avec "jeune géant" et "tueur fou" forment une phrase complète, suffisante, tandis que la phrase avec le "il" semble insuffisante. Je suis là "okay il sourit... et ?" J'attends une suite. Là le texte ne m'a rien dit.

Donc non, on n'utilise pas ces mots par hasard, pour faire stylé ou "littéraire". On est en train de mettre des oeillères au lecteur pour qu'il voie les choses à notre manière, et gare s'il dévie la tête.

 

Créer un effet

Éliminer l'information n'est donc que la moitié du travail. On a éliminé les "malandrin", les "arme blanche" et autres "rue passante", mais on a désormais un texte tellement épuré qu'il ne dit plus rien. On se contente de constater ce qui se passe, et bon ça ne vole pas très loin.

"Ristournel fit tomber son arme."

Mais on vient de voir aussi qu'il était possible de diriger le regard du lecteur en changeant des mots. Que ce soit la manière dont on décrit le personnage : "Ristournel", "malandrin", "voleur", etc... Ou la manière dont on décrit son arme : "arme blanche", "dague", "poignard", "sabre laser", ... Ou encore la manière dont l'action se déroule : "fit tomber", "lâcha", "perdit", "fut désarmé", etc... là encore.

Le nombre de manières de l'écrire est potentiellement infini (disons juste très grand) et dépend purement de ce que vous essayez d'exprimer.

"Le vil méchant pas beau dut abandonner son arme de méfaits dans un glapissement très greuh."

Je crois qu'on essaie de dire que les gentils gagnent.

"L'arme de Ristournel tomba sur le pavé."

Je sais pas ce qui s'est passé mais Ristournel est complètement pris au dépourvu. Non, littéralement, il est incapable d'agir. Littéralement. C'est dans le texte. Ce n'est plus lui l'acteur.

Bon là je triche déjà, je ne me contente pas seulement de changer des mots, mais l'idée reste la même : les mots employés ne sont pas là pour faire joli. On essaie de faire passer une idée.

C'est ici que, faute de maîtrise, on expérimente. Impossible de savoir quel impact aura tel mot sur tel lecteur, d'où le besoin de "saturer" : répéter l'information plusieurs fois pour que le lecteur tombe bien dessus, mais ne pas la répéter trop sans quoi il se lasse. Le but n'est pas de chercher les mots les plus compliqués du dictionnaire : le but est de transmettre l'information qu'on veut. Ce qui m'amène à mon sujet, enfin.

 

Concaténer

On part d'une situation où on a beaucoup d'informations (malandrin, arme blanche, rue passante) que l'on doit éliminer puis modifier pour créer notre effet. Bon. Mais notre réflexe d'auteur devrait être de dire "non maaaaaais ces informations sont utiles !" Et effectivement, les informations peuvent être utiles. La description "dure et froide" du pavé peut donner le ton pour la suite. On va vouloir la conserver (ou pas). Tout n'est pas forcément à jeter.

Vraiment : d'expérience, les auteurs ont énormément de mal à éliminer de l'information. Et c'est encore plus vrai quand on écrit au kilomètre : on a quelque chose en tête, on n'a pas le temps de réfléchir à ce qu'on fait, on l'écrit. Le but est d'aligner les pages, évidemment qu'on va épuiser l'information.

D'où ma réponse : pas besoin d'éliminer.

Si vraiment vous tenez à tous ces petits détails, alors conservez-les. Mais dites-le en moins de mots. C'est ce que je voulais dire par un texte en "sujet-verbe-complément" : un texte où toute l'information est écrite explicitement, à la suite, sans véritable variation. Le langage fournit des moyens de restructurer la phrase, le plus connu étant bêtement la subordonnée en "qui" :

"Le malandrin relâcha l'emprise de sur son arme blanche et celle-ci alla donner un son clinquant et vibrant sur le pavé dur et froid de la rue passante."

"Le malandrin relâcha l'emprise de sur son arme blanche qui alla donner un son clinquant et vibrant sur le pavé dur et froid de la rue passante."

Voilà, on a déjà gagné deux mots. On en a dit autant en moins de mots, la phrase est donc (théoriquement) meilleure. Et donc tout le jeu de la "concaténation" va être de compacter la même quantité d'informations en le moins de mots possibles.

"L'arme blanche du malandrin, sans plus d'emprise, alla cogner le pavé dur et froid de la rue passante."

Quels sont les mots qu'on a éliminé ? "Relâcher", notamment. "Donner un son clinquant et vibrant" au profit de "cogner". On part du principe que ce mot va soit donner l'impression que la dague joue à la boxe avec le pavé, soit provoquer la même sonorité en /k/ avec le métal qui ricoche et tout. Pour le "relâcher", on se contente de le sous-entendre au travers de la tournure passive pour le "malandrin".

Est-ce qu'on peut concaténer encore plus ?

"La lame du malandrin alla sans force cogner le pavé dur et froid de la rue passante."

J'attire l'attention sur le "sans force" qui s'applique bien sûr à la "lame", mais aussi par extension au malandrin. On vient un peu beaucoup de dire pourquoi il lâche son arme. On donne également le ton pour la scène : celui de la défaite, renforcé par le pavé dur et froid. Quant au choix du mot "lame", outre qu'il tient en un mot au lieu de deux pour "arme blanche", c'est surtout pour le son /a/ qui accompagne "malandrin" et "alla". Ici la phrase est travaillée au niveau du son.

Là c'est littéraire.

Pas parce qu'on a employé des mots compliqués comme "lame" ou "malandrin", ou "rue passante", mais parce qu'on a restructuré la phrase pour pouvoir dire tout ça en le moins de mots possible, et dans la foulée pour exprimer pas mal de choses derrière (le "sans force" notamment).

À noter que "c'est littéraire" parce qu'on a travaillé cette histoire, on a bossé pour réduire quasiment de moitié notre phrase de départ. Mais ça, ça peut être de l'écriture kilométrique. Comme dit, l'écriture kilométrique repose sur un style maîtrisé : la personne sait écrire. La différence, c'est qu'il écrit partout la même chose, pour gagner du temps. Du coup, peu importe ce qui se passe avant ou après, peu importe le contexte, on aura toujours une phrase plus ou moins comme ça, avec l'impression de répétitivité en prime.

"Ristournel tenta une feinte à gauche mais son adversaire n'eut aucune peine à le parer et à riposter d'un coup sec. La lame du malandrin alla cogner sans force le pavé dur et froid de la rue passante."

"À l'angle, il y avait Emily. En compagnie des tueurs de leurs parents. Il se figea. Elle lui sourit. La lame du malandrin alla cogner sans force le pavé dur et froid de la rue passante."

"Comme il s'ennuyait, Ristournel décida de jouer à un jeu. Il tenterait de jeter sa dague dans le tonneau en face. Il jaugea la distance, fit la moue, se dressa un peu, jeta enfin. La lame du malandrin alla cogner sans force le pavé dur et froid de la rue passante."

Alors là c'est un bon exemple de la manière dont un contexte peut changer complètement le sens d'une phrase, mais c'est aussi la preuve qu'on peut employer un même style dans toutes les situations, et faire passer ça quand même alors que bon sang, il n'y a pas la moindre fichue variation.

"Comme il s'ennuyait, Ristournel décida de jouer à un jeu. Il tenterait de jeter sa dague dans le tonneau en face. Il jaugea la distance, fit la moue, se dressa un peu, jeta enfin.

Raté."

 

tl;dr

Au final j'aurai été assez abstrait et j'aurai plus causé d'écriture kilométrique qu'autre chose, mais reprenons.

Face à des phrases qui contiennent énormément d'informations, il y a souvent moyen de "concaténer" : subordonnées, participes passés, je ne sais pas moi, pour dire la même chose avec (beaucoup) moins de mots.

Et euh... ben c'est tout. Voilà. Voilà voilà voilà.

Donc euh. Chroniqueurs ?
à vos plumes.

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Portrait de San
San a répondu au sujet : #20446 il y a 8 ans 8 mois
"La lame du malandrin alla" : moi, ça me fait trébucher, ce genre d'assonnance :D pareil pour les allitérations. Je suppose que je vois qu'on a fait quelque chose de spécial, et je m'arrête pour bien le comprendre, du coup ça me sort du texte...
Cependant j'ai rarement vu des figures comme ça dans de l'écriture kilométrique. Peut-être justement parce que ça risque de casser le rythme de lecture et de sortir le lecteur du texte?