Soyons clairs : il existe deux manières d’appréhender La Communauté de l’Anneau de Peter Jackson. La première, c’est en tant que néophyte, vierge de toute expérience de l’oeuvre de Tolkien et clairement, cette vision ne sera pas ici envisagée. Personnellement, j’ai lu "Le seigneur des anneaux" à deux reprises avant le film, et c’est avec l’excitation d’un fan que j’attendais le métrage de Jackson.

     Le principal défi que devait relever le metteur en scène Néo-zélandais : faire cohabiter la facette purement cinématographique de l’oeuvre (durée acceptable, rythme soutenu) tout en restituant l’incroyable foisonnement du roman. A ce sujet, on peut se remémorer le Dune de David Lynch, adaptation de triste mémoire d’un autre chef d’oeuvre du fantastique. Alors, qu’en est-il de la communauté de l’anneau ? Autant le dire tout de suite, on ne peut parler que de demi réussite. Parce que le film, malgré tout ses efforts, ne propose qu’un résumé de l’oeuvre de Tolkien ; parce que sa longueur est sans doute le plus évident des repoussoirs pour les non-initiés. Toutefois, on ne peut que saluer la clairvoyance de Peter Jackson, qui évacue les passages les moins intéressants du livre, notamment les aventures des Hobbits dans la vieille forêt, en prenant malgré tout le temps de poser l’intrigue et les personnages. Après tout, si la moitié du public se plaint de la longueur du métrage tandis que l’autre critique les passages tronqués, c’est sans doute que l’équilibre le plus juste a été trouvé.

 

     L’autre véritable difficulté dans l’adaptation du Seigneur des anneaux était bien évidemment de rendre à l’écran l’éblouissante richesse visuelle du roman. Et c’est là sans doute que tient toute la magie du film : on s’y croirait. Loin des dérives digitales de la Menace Fantôme, de l’esthétique jeu vidéo du lamentable Dongeons & Dragons, Peter Jackson nous livre l’un des films les plus aboutis sur le plan visuel de ces dernières années. Se rapprochant ainsi d’un Tim Burton, auquel il oppose malgré tout le côté épique de son oeuvre à celui, intimiste des films de Burton, le réalisateur de Brain Dead, bien aidé sans doute par Alan Lee et John Howe(les directeurs artistiques du film) , donne vie sous nos yeux aux peuples des terres du milieu dans un foisonnement des somptueux décors. A ce titre, on s’émerveille devant les paysages de Nouvelle-Zélande, et l’on ne peut que se réjouir que le film n’ait pas été tourné entièrement en studio, devant écrans bleus, ce qui a n’en pas douté aurait ruiné toute la puissance de la vision de Tolkien. Et si les décors sont somptueux, que dire des personnages, vivantes incarnations de figures mythiques vénérées par des générations de lecteurs ? Encore une fois, le parti-pris historique, réaliste du film nous évite l’aspect clinquant inhérent à ce genre de productions (pour s’en persuader, il suffit de jeter un oeil à l’équipement cent pour cent plastique du Mad Martigan de Willow), et Peter Jackson a su parfaitement adapter sa mise en scène dynamique aux contraintes de la perspective forcée, technique nécessaire pour représenter les différences de tailles des personnages. Pas une fois, on ne tombe dans le grotesque de dongeons & dragons (excusez l’acharnement ;-)), où l’on pouvait quand même trouver un nain haut d’un mètre soixante-dix en moyenne, et un anachronique clone bon marché d’Eddy Murphy.

 

     Et puisque nous en sommes aux personnages, on ne peut que valider les choix, risqués pour certains mais finalement unaniment judicieux en ce qui concerne le casting : Ian MacKellen, compose un Gandalf parfait, Orlando Bloom est la révélation du film dans le rôle de Legolas, les quatres Hobbits, à l’image de toute la communauté de l’anneau, sont impeccables, même Elijah Wood (autrefois horrible tête à claques Hollywoodienne dans des chef d’oeuvres aussi inoubliables que Le bon fils ou Deep impact) et sa tête de Bênet font merveille dans le rôle du naïf Frodon.On sent ici le syndrome X-men puisque, comme dans le film de Bryan Singer, Peter Jackson n’a choisi aucune star véritable dans les rôles principaux afin que l’identification au personnage soit totale. Et l’on ne peut cacher son plaisir à retrouver Christopher Lee, immortel Dracula des films de la Hammer, dans le rôle de Saroumane dont la présence à l’écran est pour le coup décuplée. Même Liv Tyler, dont la notoriété aurait pu déséquilibrer l’importance narrative du personnage d’Arwen, s’en tire avec les honneurs, et les quelques modifications la concernant par rapport au livre-notamment son rôle dans la fuite de Frodon vers Foncombe-s’avèrent autant de choix parfaitements justifiés. Seul bémol, quelques second rôles elfes, notamment Gil Galad de la Lothlorien, ont quand même un physique bien peu elfique, et c’est d’ailleurs un reproche que l’on peut aussi faire pour le choix d’Hugo Weaving dans le rôle d’Elrond.

 

     En allant plus loin, on peut aller jusqu’à dire que sur certains points, n’en déplaise aux fans les plus acharnés, le métrage de Jackson est bel et bien supérieur au roman de Tolkien. C’est avant tout le cas du visuel, bien évidemment, où les descriptions du livre, bien que fantastiques, ne font pas le poids face à la beauté des images : la Moria est superbe et effrayante, les statues des ancêtres d’Aragorn, quand elles n’étaient qu’anecdotiques sur le papier, sont ici un moment de pure magie . Les combats, eux aussi, ont amplement profité de cette transposition à l’écran. Certes pas la principale préoccupation de Tolkien, il prennent ici une tout autre ampleur, que ce soit face au troll des cavernes dans les mines de la Moria ou contre les Ourouk haï de Saroumane lors du spectaculaire final. Encore une fois, on ne peut que remercier Peter Jackson de nous avoir épargner la mise en scène "post-matrix" pleine d’effets de cameras ; les combats sont ici d’une viscérale brutalité, et la mise en scène renforce l’impression de chaos tout en regorgeant de bonnes idées (ah, ce plan où Aragorn s’avance nonchalamment pour faire face à la horde des Ourouk Haï :-)). Pour la première fois depuis un bon bout de temps, voilà un blockbuster où le réalisateur ne se sent pas obligé de nous rappeler sa présence par d’incessants et superflus effets de style ; Jackson a confiance en son histoire et la laisse mener le metrage, en bon conteur qu’il est.

 

     Malgré tout, l’on ne peut s’empêcher d’éprouver quelques regrets à la vision de cette Communauté de l’anneau : certains raccourcis scénaristiques sont quand même peu évidents, le voyage des Hobbits jusqu’à Bree étant pour le moins décousu. La Lothlorien devient relativement anecdotique tandis que dans le livre il s’agissait sans doute d’un des passages les plus importants, notamment par ses conséquences dans la relation entre Gimli et Legolas et le respect qu’éprouve par la suite le nain pour la culture elfe. On le sent bien : Jackson n’a pu mettre tout ce qu’il aurait souhaité dans son metrage, et se retrouve du coup forcé à condenser un grand nombre d’informations dans une courte séquence, comme c’est le cas dans la Lothlorien (le bref flashback sur le cadeau de Galadriel) où dans le prologue un peu longuet qui nous conte l’histoire de l’anneau. Mais le réalisateur Néo-zélandais nous livre une vraie oeuvre de fan, bourrée de clins d’oeil et d’un humour bienvenu qui jamais ne fait sombrer le film dans la beaufitude. Bref, un très grand film !

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