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Même pour un chroniqueur aujourd'hui les Chroniques doivent sembler des ruines. La vermine a laissé place au silence des tombes et un message d'erreur trahit le manque d'attention. Et pourtant les Chroniques des Jours Anciens, ces sacrées Chroniques, sont toujours là et seront là encore, habitées par l'ombre d'un renard d'antan.
On a souvent parlé, en écriture, du fameux "mur" que rencontrent les débutants à mesure qu'ils apprennent et qu'ils découvrent tout ce qu'ils ont encore à apprendre. Cet instant où tout semble vain et où la passion se brûle à la réalité. On a l'impression d'être Icare, puis Sisyphe, puis personne, à défaut d'être Hercules. Une sorte d'apathie frappe qui contamine tout et rend tout vain et sans goût, pareil aux maux d'amour mais fort heureusement plus doux, et qu'une quelconque distraction peut sauver. On ne parle peut-être pas assez de la découverte contraire, lorsqu'au milieu de ce marasme on réalise la faille, la brèche par laquelle progresser encore. Aussi petite soit-elle. Aussi ténue, aussi infime. On s'y jette avec la bravoure des chevaliers. Ce sont ces combats de la volonté qui ne sont pas motivés par une quelconque abstraction céleste, un alignement des planètes, mais par une idée concrète, aussi vague soit-elle, une possibilité, un plan qu'il nous faut mettre en oeuvre comme si toute notre vie avait convergé vers cet instant. Il y a cette idée que l'on peut accomplir ce qui nous semblait impossible avant, ce moment grisant où l'on se sent vivre. C'est pour ces instants de création que l'écriture, en tant qu'art bien plus qu'en tant que simple expression, prend tout son sens. Un dépassement certes pas des pratiques d'autrui, mais de ses propres limites.
Cette réflexion n'a pas trait aux Chroniques, pas directement. Les Chroniques vont très bien. Les Chroniques aux jours anciens étaient pleines de vie et de gens, sur les mers d'un internet qui n'existe plus et ne suit plus les mêmes règles, et les âges et les attentes ont laissé leur marque. Mais les Chroniques vont très bien. Les Chroniques des Jours Anciens préservent cette passion qui en a animé autant, qui en animent toujours et la flamme de ceux qui en seraient animés à nouveau. Demeure de vieux grognards, atelier de scribouillards ou lieu d'errance, les Chroniques sont les Chroniques, et parce qu'elles sont ce qu'on en fait, elles le font bien, et elles vont très bien.
Les chroniqueurs, eux, ont leurs hauts et leurs bas. Le renard a délaissé ces lieux, trop longtemps, et trop conscient d'y avoir amené également ce silence désagréable. Avec lui d'autres se sont tus, et les jours peuvent passer dans cette torpeur profonde mais les chroniqueurs sont bien là. La taverne est fermée, le laboratoire abandonné, la bibliothèque, déserte, mais les chroniqueurs sont bien là. Il ne reste personne pour lire, personne pour écrire et personne pour commenter, mais les chroniqueurs sont bien là. La flamme brûle toujours et les Chroniques, ce site antique et désuet, a toujours ses gardiens. Tout autour les sites vivent et meurent au rythme des visiteurs, aux circonstances et aux sursauts communautaires, et ici par hasard, par inadvertance, par accident, sur un coup de tête ou de passion, par ennui ou par besoin, par nostalgie, par entrain, un simple texte peut réveiller un temple. Le renard vit chaque jour, dans un tout autre domaine, l'histoire du mur et de la faille, et les textes qui lui viennent en tête son tantôt victorieux, de batailles grandiloquentes et d'utopies relatives, tantôt désespérés, désolés et emplis de loques hagardes, tantôt épiques à nouveau, retraçant des civilisations entières et des affrontements d'univers selon les sursauts et les échecs. Et puisque c'est son quotidien, le renard voit les Chroniques pareillement, comme un lieu d'impossible à préserver à tout prix, indépendamment de ce que les chroniqueurs en font. Et lorsque la réalité aura enfin bien voulu la céder aux rêves, alors enfin, enfin...
Un nouvel an doit être un jour d'espoir et de bonnes résolutions. Pour les Chroniques, pas de promesses, mais pas de nostalgie non plus. L'éditorial va revenir, quitte à ne rien dire, sous l'encre du renard, simplement parce que les Chroniques seront là encore pour quiconque ne s'inquiète de rien sinon de retourner, chroniqueurs,
à vos plumes !